/ 2008
628. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Macbride excita parmi les dames les plus respectables de Dublin… Dans ce petit couplet en l’honneur des femmes et dont le docteur de Dublin n’était que le prétexte, Vicq d’Azyr songeait aux médecins en vogue à Paris et dont le nom circulait dans l’auditoire ; il songeait certainement à Lorry, l’un des plus savants et des plus gracieux docteurs d’alors, l’un des principaux appuis de la Société royale naissante, et duquel, ayant à prononcer l’éloge quelques années après (31 août 1784), il dira : … Il plaisait sans efforts.

629. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Ce point de sa conduite a été critiqué dans le temps même, notamment par Brantôme, qui se fait en cela l’écho de plusieurs autres : il lui reproche d’avoir été plus cupide d’honneur que jaloux de l’intérêt général, et d’avoir plus songé à la singularité qu’à pourvoir à la sûreté de son monde ; car, en agissant ainsi, il semblait s’être mis à la merci du plus fort. […] Le temps de la gloire pour Montluc est fini ; à la veille de la mort de Henri II dans ce malheureux tournoi, et la nuit même qui précéda le coup fatal, Montluc raconte qu’étant chez lui, en sa Gascogne, il eut un songe qui lui représentait, avec toutes sortes de circonstances frappantes, son roi mort et tout saignant, et il s’éveilla éperdu, la face tout en larmes, racontant aussitôt son pronostic à sa femme et, le matin, à plusieurs amis.

630. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Dans les lettres de cette date à Mme de Brinon, Mme de Maintenon entre dans les plus minutieux détails d’économie ; elle envoie du beurre, quelque argent chaque mois : « J’ai des tabliers pour elles, mais je veux leur donner moi-même, et voir si elles ont du potage raisonnablement, car je vous dirai librement que je ne leur ai jamais vu la moitié de ce qu’il leur en faut, et que j’ai quelque soupçon qu’elles meurent de faim. » Depuis qu’elle est gratifiée des bienfaits du roi, elle ne songe qu’à les faire retomber sur celles qui sont pauvres comme elle l’a été ; mais elle n’aime pas à demander, elle pense qu’il faut apprendre à se suffire. […] Sans trop presser cette conjecture, il est du moins certain qu’il songea à combler un désir discret de la personne qu’il venait d’associer devant Dieu à sa destinée domestique.

631. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Sa beauté d’abord avait pu éclipser son esprit ; on n’y songeait pas en la voyant. […] Il essayait de se justifier auprès d’elle, en lui écrivant à la date du 3 avril 1824 : Pardonnez-moi, et si vous souffrez, songez aussi que je souffre beaucoup.

632. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

C’est le même sentiment d’honneur héroïque et royal, et du noble orgueil invincible qu’on n’en saurait séparer, qui faisait dire au grand Frédéric, au moment le plus désespéré de la guerre de Sept Ans et dans les heures terribles où il songeait à se donner la mort, plutôt que de signer son déshonneur et celui de sa patrie (juillet-octobre 1757) : J’ai cru qu’étant roi, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie… Je suis très résolu de lutter encore contre l’infortune ; mais en même temps suis-je aussi résolu de ne pas signer ma honte et l’opprobre de ma maison… Si vous prenez la résolution que j’ai prise (la sœur généreuse à laquelle il écrit, la margrave de Baireuth, avait résolu de mourir en même temps que lui), nous finissons ensemble nos malheurs et notre infortune, et c’est à ceux qui restent au monde à pourvoir aux soins dont ils seront chargés, et à porter le poids que nous avons soutenu si longtemps. […] En lisant cette belle histoire qui sans doute a ses défauts, ses redites et ses longueurs, mais où rien n’est oublié ; où toutes les sources contemporaines se sont versées dans un plein et vaste courant ; où se déploie, sous air de facilité, une si grande puissance de travail ; où tout est naturel, — naturellement pensé —, naturellement dit ; si magnifique partout de clarté et d’étendue, et qui offre dans le détail des touches de la plus heureuse finesse ; où le style même, auquel ni l’historien ni le lecteur ne songent, a par endroits des veines rapides et comme des venues d’autant plus charmantes ; — en achevant de lire cette histoire, à laquelle il ne manque plus qu’un ou deux volumes de complément et de surcroît, je dirai encore ce que diront à distance tous ceux qui la liront : c’est que, quelque regret qu’ait droit d’avoir l’historien dans l’ordre de ses convictions politiques, la postérité trouvera qu’il n’eût pu employer les années fécondes de son entière maturité à rien de mieux qu’à édifier un tel monument.

633. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Ces sortes de journaux qui, à quelques années de distance, deviennent nécessaires aux contemporains eux-mêmes, s’ils veulent apporter de l’ordre et de la précision dans leurs souvenirs, augmentent de prix, au bout d’un siècle, pour la postérité qui y apprend quantité de choses qu’on ne sait plus, et que presque personne n’a songé à écrire. […] Son Éminence a besoin de repos ; elle a l’estomac dérangé : M. de Luynes sait dans la dernière exactitude tous les détails de santé qui font rire quand Molière nous les étale, mais qu’on n’écrit plus ; il les note ; on a le compte, le chiffre exact des coliques du cardinal dans les vingt-quatre heures ; et « d’ailleurs, les différentes situations de la santé de M. le cardinal se remarquent aisément, se reflètent — sur le visage du roi. » Quant au cardinal, il continue de s’occuper d’affaires dans ses intervalles de répit ; il reçoit le viatique, mais il ne songe pas à lâcher le ministère ; il n’a pas l’idée qu’il puisse s’en aller déjà, et il le dit même assez agréablement à l’adresse de ceux qui attendent.

634. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

M. de Laprade, professeur de Faculté à Lyon depuis plusieurs années, fut donc élu, sans que l’on songeât à faire une difficulté de cette non-résidence à laquelle l’oblige sa chaire. […] M. de Laprade ne réalise certainement pas cet idéal, et l’on trouverait même chez lui des pages où il a l’air de le répudier ; mais il y fait songer, et c’est trop.

635. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Le président Hénault fut fort surpris que son voisin parût savoir mieux que lui pour qui il était ; mais, au même moment, le secrétaire perpétuel Mirabaud tirait de sa poche et lisait la lettre du comte de Clermont par laquelle Son Altesse remerciait la Compagnie d’avoir songé à elle. […] Quand j’ai dit qu’il ne remplit jamais ses devoirs de directeur, il y eut pourtant une circonstance où il en fit les fonctions : c’est lorsqu’on songea à réunir les différentes fondations successives, destinées à des prix d’académie, et à les constituer en un seul fonds pour un prix annuel qui subsiste encore sous cette forme, et qui est alternativement d’éloquence et de poésie.

636. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Né sous le ciel des tropiques, au sein d’une nature à part, dont il ne cessa de se ressouvenir avec amour, il ne semble jamais avoir songé à ce que le hasard heureux de cette condition pouvait lui procurer de traits singuliers et nouveaux dans la peinture de ses paysages, dans la décoration de ses scènes champêtres. Parny lui-même et Bertin, en leurs élégies, n’ont guère songé à retremper aux horizons de l’Ile-de-France les descriptions trop affadies de Paphos et de Cythère.

637. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

On songe au morphinomane à qui la drogue indispensable vient à manquer soudain. […] Ils empruntent comme un porte-voix l’éloquence des Pères de l’Église, mais, en s’insinuant dans leur doctrine, ils me font songer à ce personnage d’opérette qui, glissé dans l’armure géante d’un paladin, pense nous effrayer à manœuvrer sa mécanique rouillée.

638. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

C’est à ce lendemain sévère que tout artiste sérieux doit songer. […] Ainsi, lorsqu’au sortir d’une scène d’orage, où il a secouru et longtemps veillé Julie évanouie, Raphaël nous décrit, au matin, l’abbaye de Hautecombe, avec son architecture vivante de ronces, de lierres flottants, de giroflées suspendues, de plantes grimpantes, avec son luxe de soleil, de parfums, de murmures, de saintes psalmodies des vents, des eaux, des oiseaux, des échos sonores…, quand il s’écrie : « La Nature est le grand prêtre, le grand décorateur, le grand poète sacré et le grand musicien de Dieu » ; il se sent obligé presque aussitôt de nous avertir qu’il n’a songé à tout cela que depuis : « Je n’étais pas, en ce moment, assez maître de mes pensées, dit-il, pour me rendre compte à moi-même de ces vagues réflexions. » Pourquoi donc alors venir nous en rendre compte avec ce double faste de métaphysique et de couleurs ?

639. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie-Antoinette. (Notice du comte de La Marck.) » pp. 330-346

On y pressent les fautes auxquelles ses alentours ne manqueront pas de la pousser, celles qu’on lui prêtera, et les armes qu’elle va fournir, sans y songer, à la malignité. […] Au moment où elle sortait du Temple pour être transférée à la Conciergerie, elle se frappa la tête au guichet, n’ayant point songé à se baisser ; on lui demanda si elle s’était fait du mal : « Oh !

640. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Le lendemain de ce songe, dans son innocente simplicité, il croyait réellement s’être nourri dans le ciel du pain du Seigneur, et il le racontait à tout le monde. […] Anselme, continue M. de Rémusat, Anselme en rappelant cette petite aventure, songeait sans doute au pain céleste du rêve de son enfance.

641. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Et quand on y songe qui ne frémirait, en effet, à cette idée de vivre peut-être au milieu d’une race de dieux implacables parmi des êtres qui lisent peut-être couramment dans notre pensée, quand la leur se cache pour nous sous une triple armure de diamant ! Quand on y songe… Le mystère de l’enfantement leur a été confié et peut-être le comprennent-elles… Peut-être y a-t-il un moment solennel où si le mari ne dormait pas d’un sommeil stupide, il verrait la femme tenir entre ses mains son âme palpable et en déchirer un morceau qui sera l’âme de son enfant… » Les Goncourt faisaient de même des numéros entiers du Paris, qui ne contenait alors, outre le feuilleton et le Gavarni, qu’une nouvelle comme les admirables Lettre d’une amoureuse, et Victor Chevassier.

642. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — Notice sur M. G. Duplessis. » pp. 516-517

Cette race n’était pas aussi totalement éteinte qu’il le croyait, puisqu’il traçait là, sans y songer, son propre portrait.

643. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Jugez quel bouleversement, je dirai même quelle indignation un tel langage devait soulever dans mon âme, moi qui ne songeais, ainsi que tous mes camarades, qu’à la patrie et à vingt-cinq ans de gloire effacés par un jour de revers !

644. (1874) Premiers lundis. Tome I « Charles »

Quant à Charles, il ne s’aperçoit pas d’abord de Léonide : son père, qui est un Grec et un vrai Grec du siècle de Miltiade, a fait de lui un Romain, comme dit Morzande ; notre Romain est fou de gloire, de liberté, de littérature même, et la pauvre Léonide a besoin de lui découvrir son amour avant qu’il songe à l’aimer.

645. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Théophile Gautier était trop jeune, avant 1830, pour se produire dans le premier mouvement de la poésie romantique ; mais il entra et persévéra en cette ligne, lorsque plusieurs l’abandonnaient ou songeaient du moins à en modifier le développement.

646. (1875) Premiers lundis. Tome III « Maurice de Guérin. Lettre d’un vieux ami de province »

Mais La Fontaine, sans y songer, était alors bien plus grec que tous de sentiment et de génie : dans Philémon et Baucis, par exemple, dans certains passages de la Mort d’Adonis ou de Psyché.

647. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

La Chambre blanche fait songer aussi au Kinderscenen de Schumann.

648. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Sainte-Beuve Les relations de Béranger dans les dix dernières années avec Chateaubriand, avec Lamennais et même avec Lamartine ont été célèbres ; elles sont piquantes quand on songe au point d’où sont partis ces trois hommes.

649. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vicaire, Gabriel (1848-1900) »

L’auteur, au rebours de beaucoup de ses confrères, s’exprime dans une langue ferme et savoureuse dont la sobriété et la gaîté font songer aux chansons populaires.

650. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XII. Demain »

Il a dit quelque part : « Chaque âme individuelle est une formule énergique qui contient l’Univers. » Il est peut-être à la veille de savoir que nous ne devons songer qu’à notre propre harmonie intérieure et que le reste nous sera donné par surcroît.

651. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Première journée (1865). Les soucis du pouvoir » pp. 215-224

Songe donc, Bernar-med ; ils ne sont ni jurés, ni législateurs, ni gardes nationaux, ni électeurs.

652. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Comme il est agréable de songer que le cerveau humain peut être l’instrument, l’outil d’un si bel assemblage de considérations !‌

653. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

en prononçant sur lui, songez à leur sang. » Ainsi, au pied de ce tribunal de l’Égypte, retentissaient les plaintes des malheureux : mais il manquait quelque chose à la justice ; il eût été à souhaiter que l’oppresseur entendît sous sa tombe, et que sa froide cendre pût frissonner.

654. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

On s’étonnera peu de ce dernier évènement si l’on songe à l’étendue illimité de la puissance paternelle des premiers hommes du paganisme, de ces Cyclopes de la fable.

655. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Quelqu’un, sans songer à mal, laissa tomber le mot de réalisme ; un feuilletoniste le ramassa ; et le lendemain, MM.  […] Barbara y songe. […] Il me semble que ces quatre rangs de loges engagent une ronde fantastique, et je songe avec épouvante aux murailles de Jéricho. […] Inutile de dire que je ne songe point ici aux rôles qu’elle a créés dans les comédies de M.  […] On avait bien songé à mademoiselle D. 

656. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Nos gens songent à s’amuser, rien de plus. […] Qu’elles passent sous vos yeux comme un songe charmant et rapide. […] Au moment où la sympathie est trop vive, on se dit qu’ils ne sont qu’un songe. […] On y écoute des sentiments sans trop songer à l’intrigue. […] Le Songe d’une Nuit d’été est un rêve complet.

657. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Chose étrange, à l’aube de la civilisation, quand ailleurs l’homme est bouillant, naïf et brutal, un de leurs deux héros est le subtil Ulysse, l’homme avisé, prévoyant, rusé, fertile en expédients, inépuisable en mensonges, l’habile navigateur qui toujours songe à ses intérêts. […] Tous s’élancent du premier coup aux plus hautes conclusions ; c’est un plaisir que d’avoir des vues d’ensemble ; ils en jouissent et ne songent que médiocrement à construire une bonne route solide ; leurs preuves se réduisent le plus souvent à des vraisemblances. […] Ajoutez à cet air de force l’air d’aisance et d’élégance ; l’édifice grec ne songe pas seulement à durer comme l’édifice égyptien. […] Défense au Spartiate de commercer, d’exercer une industrie, d’aliéner son lot de terre, d’en augmenter la rente ; il ne doit songer qu’à être soldat. […] On a songé à la vérité avant de songer à l’imitation ; on s’est intéressé aux corps véritables avant de s’intéresser aux corps simulés ; on s’est occupé à former un chœur avant de sculpter un chœur.

658. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Je dirais volontiers aux partisans de l’article 11 : Vous voulez parer à un scandale ; mais avez-vous songé au scandale contraire ? […] On ne songe, me direz-vous, qu’à faire la guerre aux petits journaux, à la chronique impertinente qui s’est démesurément développée et qui foisonne. […] Jules Richard : « L’Académie des sciences morales et politiques a fait samedi un choix qui est un acte, dans ce moment où une Chambre française a songé sérieusement à priver des droits politiques les écrivains condamnés par la police correctionnelle.

659. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Songez, en effet, que les générations issues des néfastes programmes de 1902 n’ont pu encore accomplir grande besogne, — heureusement ! […] Il me semble incroyable qu’on puisse songer sérieusement à entraver par des objections de politique un but aussi nécessaire, aussi national. […] Mais la force romaine, le bras romain, la langue et la pratique romaines sont aussi partout : ç’a été le grand instrument de propagation et de culture. » S’il existe un parlement et des ministres qui aient le loisir de songer à ces choses, qu’ils le prouvent.

660. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

et ne songent guère à distinguer comme Zénon le philologue du logophile 67. […] À un certain jour, au contraire, quand les livres sont assez multipliés pour pouvoir être recueillis et comparés, l’esprit veut avancer avec connaissance de cause, il songe à confronter son œuvre avec celle des siècles passés ; ce jour-là naît la littérature réfléchie, et parallèlement à elle la philologie. […] Ils devaient donc songer moins que nous à les comparer et à les compter.

661. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Le matin, pour la première fois de sa vie, se trouvant au monde avec un souverain dans sa poche, cet homme, qui ne se couchait jamais, songea à coucher dans un lit. […] Puis la conversation s’élevant peu à peu, atteint, comme un ballon qui aurait jeté tout son lest, ce panthéon de lumière et de sérénité, cette haute demeure où la place est marquée pour tous ceux qui conservent ou augmentent la patrie, ce temple de l’astronomie antique, cette architecture d’un supra-monde que nous ouvre le Songe de Scipion l’Africain, quand détonne dans la grande évocation, un rappel du présent, le : « Ohé, les petits agneaux !  […] * * * — A-t-on jamais songé à l’être moral que doit faire le fils d’un restaurant, conçu aussitôt après que son père a donné l’ordre aux garçons d’ajouter le numéro du cabinet à l’addition des soupers de la nuit ?

662. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Il a songé à celle dont il n’aurait jamais dû meurtrir la tendresse. […] Songez donc ! […] Il songea au mort qui, avant de dormir dans ce cercueil de basalte, avait vécu heureux parmi les acacias, les dattiers et les sycomores. […] D’ici peu, nous aurons une forte envie de brûler du sucre, de songer aux petits oiseaux et de parfumer l’air avec de la fleur d’oranger. […] Dégoûté de sa femme, il songe à ce qu’aurait pu être sa félicité avec l’autre, s’il avait su dire les paroles qui apprivoisent les maîtresses indomptées.

663. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Partout son érudition, son beau style italien et latin lui conciliaient l’amitié et les empressements des humanistes, tellement que, revenant à Florence, « il s’y trouvait aussi bien que dans sa propre patrie. » Il faisait provision de livres et de musique qu’il envoyait en Angleterre, et songeait à parcourir la Sicile et la Grèce, ces deux patries des lettres et des arts antiques. […] Encore faut-il songer que l’auteur fut singulièrement lettré, élégant, voyageur, philosophe, homme du monde pour son temps. […] C’est un combat corps à corps, où tout mot porte coup, prolongé, obstiné, sans élan, sans faiblesse, d’une inimitié âpre et fixe, où l’on ne songe qu’à blesser fort et à tuer sûrement. […] Il assiste à un concert comme dans Shakspeare ; le Comus continue le Songe d’une nuit d’été, comme un chœur viril de voix profondes continue la symphonie ardente et douloureuse des instruments. […] Souvent en son absence l’Imagination, qui tâche de la contrefaire, veille pour l’imiter ; mais, assemblant mal ces formes, elle ne produit souvent qu’une œuvre incohérente, principalement en songe, par un mélange bizarre de paroles et d’actions présentes ou passées509. » — Il y a de quoi rendormir la pauvre Ève.

664. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

La mort le surprit comme il songeait à porter la lumière et la méthode dans quelques parties du dogme et de la tradition. […] Il n’a pas songé d’ailleurs, comme Pascal, à faire un ouvrage agréable, et ne s’occupe guère de plaire dans un sujet où la religion est si gravement intéressée. […] Bossuet ne songe pas plus à éviter le soupçon de jalousie qu’à affecter les vains égards. […] il offre d’aller au martyre, où personne ne songe à l’envoyer. […] On n’a pas cet embarras-là avec Bossuet ; on ne songe pas plus à se défendre qu’à prendre avantage.

665. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

dit-il à l’Académie ; il est temps de songer aux romanciers. […] Poussée par des voisins audacieux qui ne songent qu’à troubler la tranquillité publique, une femme âgée, mais vigoureuse, Mme d’Héricourt, a pris M.  […] Il est si doux de songer aux soupers de la finance, aux faveurs des lorettes, aux pourboires des actrices ! […] Le verdict l’a seulement déclaré mauvais plaisant ; mais jamais, il faut bien rendre cette justice aux autres, on n’a songé à les examiner sous le rapport de la pensée. […] Songe-t-on à faire un crime à nos vieux auteurs de leur rire franc et de leurs vertes farces ?

666. (1901) Figures et caractères

Écoutez l’églogue moduler sur sa flûte un songe d’ivresse et de soleil. […] Le sceptre se songe houlette. […] N’est-ce pas là vraiment une cité de songé, une ville d’illusion ? […] Réfléchir n’est pas songer. […] « Quelqu’un songe d’heures et d’années », Tel qu’en songe (1892), dans Œuvres 5, Genève, Slatkine reprints, 1978, p. 240-241.

667. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour… Si Boileau avait songé que tous ces genres n’avaient rien de commun que d’être des genres de poésie, et qu’ils ne se reliaient point l’un à l’autre, mais chacun à part à l’idée générale de ce second chant, destiné à exposer les règles des genres secondaires, il se serait épargné bien de la peine et n’aurait pas fait la joie de ses ennemis.

668. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Qu’il nous permette d’ajouter que la grandeur et l’élévation dont il fait preuve si aisément, et qui lui sont familières, amènent bientôt quelque froideur ; il n’a pas assez d’émotion et de ces cris qui font songer qu’on est un homme ici-bas ; il n’a pas assez de ce dont M. de Musset a trop.

669. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

Invinciblement, son œuvre fait songer à quelque patient Hollandais, grand créateur de tulipes, colleur de timbres-poste, et qui, dans ses vitrines jalonnées d’insectes rares, en serait venu, maniaque mégalomane, à piquer d’abondance, sur le liège des coléoptères de hasard, de vagues cloportes, de banales araignées, des feuilles mortes, que sais-je ?

670. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

Il m’impute ce à quoi je n’ai jamais songé ; il me transporte où je ne suis jamais allé….

671. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Sans doute le k remplirait à lui tout seul le rôle des deux signes usuels, mais, puisqu’on ne peut songer à unifier l’écriture au point d’écrire ki ke ce soit, kelkonke, kitte, kalité, le k n’est plus qu’une complication inadmissible.

672. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Avant-Propos. » pp. -

Il est bon que ceux qui débutent dans la littérature & dans les beaux-arts, en voyant les plus beaux génies, enviés, persécutés, malheureux, apprennent à connoître la carrière où ils entrent, & qu’ils n’oublient pas ces vers de Fontenelle : Dans la lice où tu vas courir, Songe un peu combien tu hasardes.

673. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Le songe de madame de Latour n’est-il pas essentiellement lié à ce que nos dogmes ont de plus grand et de plus attendrissant ?

674. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Taschereau. » Nous n’avions jamais songé à coup sûr à adresser à son imagination un pareil reproche. […] Réflexions sur le style de Molière ; il ne songea jamais à versifier cette pièce. […] Il les avait suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi ; mais alors, étant devenu amoureux de la Du Parc, il songea à se servir lui-même. […] « À quoi songiez-vous, Molière, dit un anonyme qui prit alors sa défense, quand vous fîtes dessein de jouer les tartuffes ? […] Molière, sans songer qu’il était au lait, saisit avec fureur le moment de rétorquer les arguments de Chapelle.

675. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Lemaître, écrit : « N’ayant toute sa vie songé qu’à lui-même et rien fait que pour lui-même, Chateaubriand a péri tout entier. […] Et je ne songe pas ici à des raisons littéraires, mais à des raisons morales. […] », songez à Emma Bovary s’exaltant lyriquement sur le voyage d’Italie qu’elle ne fera jamais. […] Je ne songe pas à faire brûler une forêt pour cuire un œuf. […] Je songeais à la dame de province du Procès Pictompin qui était venue à Paris pour voir Thibaudeau et l’hippopotame.

676. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Et, mélancoliquement, il se prend à songer à Paris. […] Et je songe avec mélancolie aux acclamés du jour qui, tous les soirs, s’endorment au son berceur de leur immortalité. […] Quel réveil après ce songe ! […] On n’a le temps que de songer à ses intérêts, à sa réclame, à sa vie, si disputée. […] Dans sa détresse, elle ne songe pas à elle, elle ne songe qu’à lui.

677. (1900) La culture des idées

Lourd n’est pas plus lourd que fauve n’est cruel : songeons à mauve et à velours ! […] Et il faut songer encore que les paysages que nous dépeignons ne nous sont connus, la plupart du temps, que par des discours, reflets d’antérieurs discours. […] C’est une question que traitent très sérieusement les casuistes, et quelques-uns sont indulgents aux plaisirs qui nous viennent en songe. […] Songez toujours à cela ; soyez, au moins deux ou trois fois dans votre vie, un sujet d’article : le moins qui puisse vous échoir, c’est une productive célébrité. […] Songez qu’il y a presque deux fois plus de moulins à parole qui broient du russe qu’il n’y en a d’abonnés à moudre du français !

678. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

On songe en leur présence à ce fils de prince comblé dès sa naissance de talents, de vertus, de grandeurs, mais qu’une méchante fée a rendu aveugle, et qui languit inerte, impuissant, misérable dans son berceau tout chargé de couronnes et brodé d’or. […] Il n’était point heureux comme vos Vénitiens, il ne songeait pas à récréer ses yeux, à suivre des dehors voluptueux, le splendide et riant étalage des corps florissants. […] Il songe à la récolte, aux chances de la pluie et du froid, à l’engrais, au prix du grain ; quand le soir il rentre assis sur son cheval, les jambes pendantes, il n’y a guère que des images et point d’idées dans sa tête. […] Sans rien rabattre de son idéal, elle s’est réconciliée avec le train courant du monde et n’a plus songé qu’à l’améliorer sans le bouleverser. […] Vers le milieu de sa carrière, elle s’était affranchie d’un reste de déclamation et ne songeait plus à la phrase ; probablement, c’est à ses romans champêtres et à ses études sur le style simple qu’elle doit cette réforme.

679. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Et une fleur de songe a grandi, mystérieuse comme cet Océan, triste comme ces landes, solitaire comme ces rochers. […] Le révolutionnaire se réveille aussi dévot qu’aux heures d’enfance, et le désespéré aussi plein du songe bleu d’un paradis. […] Le songe hardi, qui fut celui du XVIIIe siècle, d’une explication rationnelle de l’univers, s’en est allé. […] Nous ne racontons que notre songe de la vie humaine, et, en un certain sens, tout ouvrage d’imagination est une autobiographie, sinon strictement matérielle, du moins intimement exacte et profondément significative des arrière-fonds de notre nature. […] Flaubert songeait-il à cette étrange loi de la conscience populaire, lorsqu’il décrivait dans la Tentation de saint Antoine cette scène d’une insurrection égyptienne : « Et on se venge du luxe.

680. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Hugo apparaîtra plutôt comme un grand songeur, mais ce genre de songe profond est la caractéristique de la plupart des génies, qui sont emportés par leur pensée plutôt qu’ils ne la maîtrisent ; et si on réfléchit combien, dans le patrimoine d’idées que possède l’humanité, il y en a peu de voulues, combien il y en a de subies, on arrivera à cette conclusion que les hommes qui, comme Hugo, subissent leur pensée, ont parfois, si cette pensée est grande, plus d’importance dans l’histoire que certains autres qui la dirigent trop bien selon les règles d’un bon sens vulgaire. […] Gilliatt avait autour de lui, à perte de vue, « l’immense songe du travail perdu. » Voir « manœuvrer dans l’insondable et dans l’illimité la diffusion des forces », rien n’est plus troublant. […] Les philosophes, pleins de crainte ou d’espérance, Songent et n’ont entre eux pas d’autre différence, En révélant l’Eden, et même en le prouvant, Que le voir en arrière ou le voir en avant. […] Elle porte sur le véritable objet de l’amour, sur le vrai moi, qui est seul le « définitif ». — « La destinée, la vraie, commence pour l’homme à la première marche du tombeau. » Alors il lui apparaît quelque chose, et il commence à distinguer le définitif. — « Le définitif, songez à ce mot. […] Quand la douleur se calme, alors, et alors seulement on peut examiner en soi « les vérités profondes », on peut regarder hors de soi « les fleurs du gazon » ; — et cela, sans songer à la tombe, elle aussi recouverte de fleurs, sans détourner avec horreur ses yeux de ce printemps lumineux du dehors qui fait contraste avec l’hiver du dedans.

681. (1920) Action, n° 2, mars 1920

D’ailleurs la conception de l’amour, dans les Pacifiques, est de source quasi-romantique et me fait songer aussi aux débats de la Sand avec Musset. […] Comment un des maîtres du feuilleton littéraire, un de ceux qui se chargent d’introduire, de temps à autre, les écrivains inconnus, dans la préoccupation du grand public, peut-il songer à le faire pour Max Jacob, en insistant sur sa gouaille de rapin, comme s’il avait mûri son talent dans quelque cabaret montmartrois ? […] Songez qu’après le Cornet à dès, il nous a donné le Phanérogameah qui est une étonnante satire ou féérie ou revue, ou tragi-comédie de la jactance et de la bêtise officielles humaines. Songez qu’il vient de nous donner la Défense de Tartufe, où proses et vers sont entremêlés, rivalisent à confronter et affronter, à l’intérieur de ce cœur d’enfant à qui l’intelligence ne laisse point de trêve, les plus roués et séduisants témoins et le dieu le plus beau. […] Que l’on songe à ces particuliers modestes qui, désireux de s’instruire et de se développer, recopiaient angéliquement les manuscrits empruntés à quelque libraire de la Cité.

682. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Sa pensée, comme un songe léger, s’envolait sur ses traces, à mesure qu’il s’éloignait. […] Chalciope de son côté, saisie de crainte pour ses enfants qui sont devenus suspects au roi son père, fait en ceci cause commune avec les étrangers, et a déjà songé à implorer sa sœur. […] Je l’avais cru d’abord ; mais non ; au point où en est Médée, cet exemple de sa cousine, si elle songe à tout, devient encore plus attrayant par ses périls mêmes et par les vagues perspectives qu’il entr’ouvre. […] » « C’est ainsi qu’il parlait, en la touchant avec des entretiens pleins de miel ; mais elle, des amertumes très-douloureuses irritaient son cœur, et elle ne sut que lui répondre en gémissant : « C’est en Grèce qu’il peut être beau de songer à de tels accords ; mais Éétès n’est point un de ces hommes tels que tu viens de me montrer Minos, l’époux de Pasiphaé ; et je ne m’égale point non plus à Ariane : c’est pourquoi ne me parle en rien de ces alliances hospitalières.

683. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Son amour-propre, n’ayant plus la grande pâture, se rabat sur la petite ; désormais il recherche les distinctions, non l’influence, et songe à primer, non à gouverner62. […] Quant aux abbayes, j’en compte trente-trois qui rapportent de 25 000 à 120 000 livres à l’abbé, vingt-sept qui rapportent de 20 000 à 100 000 livres à l’abbesse ; pesez ces chiffres de l’Almanach, et songez qu’il faut les doubler et au-delà pour avoir le revenu réel, les quadrupler et au-delà pour avoir le revenu actuel. […] Songez à la grandeur d’un pareil attrait : gouvernements, commandements, évêchés, bénéfices, charges de cour, survivances, pensions, crédits, faveurs de toute espèce et tout degré pour soi et pour les siens, tout ce qu’un État de vingt et vingt-cinq millions d’hommes peut offrir de désirable à l’ambition, à la vanité et à l’intérêt se trouve rassemblé là comme en un réservoir. […] Faute de le connaître, ils l’oublient ; ils lisent la lettre de leur régisseur, puis aussitôt le tourbillon du beau monde les ressaisit, et, après un soupir donné à la détresse des pauvres, ils songent que cette année ils ne toucheront pas leurs rentes. — Ce n’est pas là une bonne disposition pour faire l’aumône.

684. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Un songe l’avertit confusément des périls qu’elle court ; il s’évade du camp, couvert d’une armure noire, pour la chercher dans tout l’univers. […] « Qu’on cesse de parler de Phyllis, de Néère, d’Amaryllis, ou de la fugitive Galatée, dont la beauté ne put jamais rivaliser avec tant de charme, etc., etc. » Elle choisit dans le troupeau la plus rapide des juments et songe à reprendre la route de l’Orient. […] Il songea à m’enlever, en abordant, au moyen d’un navire, sur la plage d’un beau jardin que mon père avait au bord de la mer. » Complice de cet enlèvement, Isabelle fuit à toutes voiles de sa terre natale. […] Tout cet édifice, tous ces jardins, toutes ces eaux, tous ces murmures, rappelaient tellement les demeures enchantées où l’Arioste avait égaré nos imaginations depuis un mois de merveille en merveille, d’amour en amour, qu’en vérité je ne savais pas bien si j’étais dans le songe ou dans la réalité. « Adieu !

685. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Mon premier pas ne fut ni trop prompt ni trop inespéré, comme celui de plusieurs autres dans cette promotion, et j’aurais pu, si j’avais songé à en prendre la peine, avancer bien plus vite. […] Mattei et son parti, sans espoir pour eux-mêmes, ne songeaient désormais qu’à affaiblir Bellisomi. […] « Le cardinal Braschi répondit qu’il lui était impossible d’exprimer sa surprise et de comprendre comment Son Éminence (Antonelli) avait songé au cardinal Chiaramonti, à cause justement des difficultés extrinsèques qu’il avait indiquées sommairement ; que malgré leur nature, lui, Braschi, ne les croyait pas absolument invincibles près de ceux de son parti, tant à cause des mérites personnels du sujet qu’en vue des circonstances particulières dans lesquelles on se trouvait ; que la longueur excessive du conclave, l’inutilité des épreuves faites sur les candidats des deux partis que l’on ne pouvait parvenir à nommer, la lassitude des électeurs, aucune exception personnelle contre le sujet et une satisfaction naturelle de voir l’un d’entre eux succéder à saint Pierre, lèveraient beaucoup d’obstacles. […] « Après le départ des cardinaux, il songea, pendant les premières heures de la nuit, à préparer les choses indispensables pour la fonction du jour suivant, et spécialement les vêtements pontificaux, que l’on a l’habitude de tenir prêts, et qui allaient mal à sa stature plutôt petite que grande.

686. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Les auteurs ne cherchent pas à modifier les formes qui leur sont transmises par la tradition ; ils sont trop occupés des idées pour songer à inventer des moules nouveaux. […] Mais qu’on le voie du rivage ou qu’on la revoie par le souvenir, c’est alors qu’on en peut apprécier l’horrible beauté, c’est alors qu’on peut songer aux moyens de la rendre sensible aux autres. […] Mais Charles II, c’est un Stuart restauré ; on songera aux Bourbons. […] Quand un peuple est appelé à décider s’il doit s’engager dans une guerre, changer son système d’impôts, reviser sa Constitution légale, il ne songe guère à se passionner pour une pure question d’art, à discuter la propriété d’un mot ou le mérite d’une combinaison de rimes.

687. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

C’est que le comte de Grammont ne songeait pas le moins du monde, en écrivant ou en dictant son livre, à faire de l’esprit, de la folie ou du style ; il ne songeait qu’à se raconter lui-même, et, comme la nature avait fait de lui, en le créant, le plus fin et le plus spirituel badinage vivant qui soit jamais sorti des sources de l’héroïque et facétieuse Garonne, en se racontant lui-même, il faisait un chef-d’œuvre de bonne plaisanterie. […] Alfred de Musset, soit qu’il éprouvât lui-même cette fastidiosité du sublime et du sérieux, soit qu’il comprît que la France demandait une autre musique de l’âme ou des sens à ses jeunes poètes, ne songea pas un seul instant à nous imiter. […] Tu pourrais le lire dans Cicéron, si tu n’aimais mieux lire la ballade à la Lune ou les facéties de tes pamphlétaires que le Songe de Scipion ; toute la jeunesse romaine, après les longues guerres civiles, séduite par l’éclat des armes et par les robes flottantes de César, d’Antoine, de Dolabella, fut prise d’un épicuréisme insolent, d’une insouciance pour les lettres, et d’un mépris pour les choses cultivées et honorées jusque-là, qui devaient précipiter vite la ruine morale de l’Italie ; il ne resta du parti des patriciens de la vieille liberté et de la vieille austérité romaines, que des têtes chauves abandonnées par les idolâtres de la gloire militaire et raillées par les poètes lascifs du plaisir et de la jeunesse, tels que le lâche Horace qui avait jeté son bouclier.

688. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Hâtons-nous de dire que Bailly ne paraît nullement avoir songé à en faire une arme contre la tradition ni contre des croyances révérées, comme plus tard cela se vit dans l’arsenal de Dupuis où s’arma Volney ; Bailly, plaidant entre Buffon et Voltaire, ne songeait qu’à défendre avec agrément et vraisemblance une opinion qui lui avait souri en étudiant les anciens peuples, à tirer tout le parti possible d’un jeu de la science et de l’imagination, et à satisfaire ce besoin d’un âge d’or en grand, qui était un des caractères optimistes de son temps et de son propre esprit.

689. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

il n’a songé qu’à charbonner une caricature sur la pierre même du Colisée. […] Les tableaux de l’histoire des Hébreux ou de la vie de Moïse ne s’y trouvent présentés qu’en récit ou en songe.

690. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

C’est à ces questions qu’il songeait par goût et se délectait depuis des années, dans l’intervalle de ses passe-temps mondains. […] Guillaume Favre ne paraît pas s’être posé ces questions, ni s’être jamais pris à partie lui-même sur son mode de développement toujours servi par les circonstances ; il apportait dans les lettres un esprit et une méthode d’observation positive ; il ne songeait qu’à la vérité du fait qu’il poursuivait et à sa propre satisfaction individuelle.

691. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Ne lui demandez pas, quand il prend la plume pour écrire une lettre, de songer à vous plaire, à vous égayer, à faire qu’on dise dans le monde autour de soi : « Il m’a écrit une belle ou une jolie lettre. » Buffon ignore le joli ; il a l’ambition et l’art de dire les grandes choses ; il n’a ni l’art ni le souci de dire les petites. […] Nommé, à trente-deux ans, intendant du Jardin du roi, physicien et géomètre jusqu’alors, il est mis en demeure de s’improviser naturaliste, ce à quoi il n’avait guère songé auparavant ; il le devient, comme le grand Frédéric, quand il le fallut, devint général, par l’application d’un bon et haut esprit et d’une opiniâtre volonté.

692. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

On n’a pas besoin de songer à Amadis pour se plaire à Don Quichotte. […] On peut de loin, à distance, et en envisageant l’ensemble d’une œuvre, en embrassant d’un coup d’œil les conséquences qu’elle a eues, l’influence qu’elle a exercée sur l’esprit humain à travers les siècles, en la rapprochant d’autres œuvres analogues ou contraires, on peut y reconnaître autre chose et plus que l’auteur tout le premier n’était tenté d’y voir, et plus, certainement, qu’il n’a songé à y mettre.

693. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Il dort, et voit en songe les destinées futures de l’Amérique jusqu’à La Fayette et Bolivar ; puis, vers le matin du troisième jour, il se réveille aux cris de : Terre ! […] Les unités, songions-nous dans l’intervalle des actes, même celles qui semblent les plus insignifiantes, l’unité de lieu, étaient donc bonnes parfois à quelque chose.

694. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

On dirait qu’il ne songeait point à ses lecteurs, et que partant de points convenus avec sa propre pensée, il croyait inutile de se déclarer à lui-même ses opinions. […] Ils ne songeaient point à fortifier leur raison.

695. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

On ne songe plus à se composer et à se contraindre, à garder sa dignité en toute circonstance, à soumettre les faiblesses de la nature aux exigences du rang. […] Nombre d’actions et des plus nécessaires, toutes celles qui sont brusques, fortes et crues, sont contraires aux égards qu’un homme bien élevé doit aux autres, ou du moins aux égards qu’il se doit à lui-même  Ils ne se les permettent pas ; ils ne songent pas à se les permettre, et, plus ils sont haut placés, plus ils sont bridés par leur rang.

696. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Pour qu’ils se changent en arguments, il faut qu’ils ne soient plus des êtres : un portrait vivant pourrait attirer l’attention, et le spectateur oublierait l’instruction pour le plaisir ; une peinture détaillée pourrait égarer l’interprétation, et le spectateur laisserait la bonne conclusion pour la mauvaise ; si le Renard a trop d’esprit, on ne songera qu’à lui, ou qui pis est, il sera le héros. […] On peindra donc ses contemporains et ses compatriotes ; on marquera les détails les plus délicats et les plus fugitifs du ton, du langage, des manières, et le poëte, sans y songer, deviendra historien. — Cette recomposition des personnages recomposera l’action.

697. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Quand il songeait à Mellin de Saint-Gelais, il disait bien du mal du pétrarquisme : quand il mit son amour en sonnets, il pétrarquisa. […] On songea enfin d’autant moins à se retourner vers Ronsard qu’il était inutile : Malherbe, puis Corneille réalisaient le meilleur des vues de Ronsard, et du jour où ce qu’il avait de bon fut acquis et dépassé, les excès seuls et les défauts de son œuvre comptaient pour le public.

698. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Jamais Ronsard ne fut mieux inspiré, plus simplement grand, éloquent, passionné, tour à tour superbement lyrique ou âprement satirique que dans ses Discours : jamais sa langue n’a été plus solidement et nettement française, son alexandrin plus ample et mieux sonnant ; jamais il n’a donné de meilleure expression de ses théories poétiques, auxquelles il ne songeait plus guère alors. […] Quand on songe combien L’Hôpital, Du Vair, Bodin, La Noue sont peu connus aujourd’hui, et combien la Satire Ménippée est sinon lue, au moins connue, on ne peut s’empêcher de trouver un peu d’injustice dans cette inégale répartition de la gloire.

699. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

L’âme de ce cher petit Chose, qui n’a pas eu une enfance heureuse et qui a songé des songes si jolis et si tendres, continue de flotter, légère, sur les romans vrais de M.  […] Cela fait un peu songer à ce que voit Fabrice de la bataille de Waterloo, dans la Chartreuse de Parme.

700. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Il faut choisir entre trois partis : ou représenter le premier Tartuffe, ou représenter le second, ou essayer de réaliser un Tartuffe mitoyen ; car, de « fondre » les deux l’un dans l’autre, il n’y faut guère songer. […] Il lui a prêté aussi une sorte d’âpreté triste, une allure sombre et fatale, et qui fait songer tantôt à don Salluste, tantôt à Iago.

701. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

On a dit souvent et justement que le succès violent de tel nouveau venu était moins dû à son originalité qu’à sa contemporanéité : on l’acclamait, non pour les nouveautés dont il pouvait étonner, mais pour le mérite d’avoir formulé avec lumière ce que ses contemporains songeaient obscurément : de la sorte, il faisait passer de l’inconscient au conscient les idées de plusieurs ; il enrichissait et il agréait. […] Tels vous font l’effet de ne manger pas ; parce qu’ils songent aux menus entre les repas ; pure illusion. — C’est au contraire le dilettante de sensibilité qui s’attarde à la sensation et à la fabrication artificielle et socialement inutile de la sensation.

702. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Albert Trachsel, l’architecte des Fêtes réelles, y ouvrait dans l’imagination de ses auditeurs des horizons de songe, multipliés par la féerie des perspectives. […] Raymond de la Tailhède, tout en hochant la tête, par intervalles, en signe de courtoisie pour les orateurs dont il semblait suivre les disputes, s’absorbait en réalité dans une sorte de contemplation muette et ne se départait pas d’ourdir, au milieu du bruit, la trame de son éternel songe éveillé.

703. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Pourtant, j’ai peine à croire que Buffon n’ait pas aussi songé par contraste, dans ce même endroit, au Discours sur l’histoire universelle de Bossuet, ce sujet en effet si vaste et si un, et que le grand orateur a su tout entier renfermer dans un seul discours. […] Pour en faire un classique proprement dit, il a fallu lui prêter après coup un dessein, un plan, des intentions littéraires, des qualités d’atticisme et d’urbanité, auxquelles il n’avait certes jamais songé dans le développement abondant de ses inspirations naturelles.

704. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Comme on ne pouvait songer à chercher un égal, on avait eu le bon goût de se tourner vers un homme de talent et de bien, jouissant de la considération universelle. […] Je songe douloureusement au passé, au présent, et doucement à l’avenir.

705. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Fénelon seul, sans songer à copier ni à inventer, et par une simplicité naturelle de goût, a retrouvé sous sa plume et recommencé facilement la Grèce. […] Nous en sommes au point de ne devoir songer ni au passé ni à l’avenir, et à peine au moment présent.

706. (1903) Zola pp. 3-31

La misanthropie aussi, comme je crois l’avoir déjà dit, flatte tellement un lecteur peu averti qui s’excepte toujours de la condamnation portée contre le genre humain tout entier, que, si outrée et presque maladive et folle qu’elle fût chez Zola, elle ravissait d’aise et de joie maligne un public volontiers contempteur et prompt à reconnaître le prochain dans les plus noires peintures, sans songer que le prochain c’est le semblable. […] Songez au début de Nana et à la fin merveilleuse de Germinal, et à la fin, si prestigieuse, de la Terre.

707. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

Mais, bonnes gens, si l’on ne l’avait pas enseigné très mal avant nous, nous n’aurions pas songé à l’enseigner un peu mieux à notre tour. […] Non seulement nous ne sommes pas les premiers à y avoir songé ; mais le genre de notre démonstration, qui nous a valu tant d’attaques, n’a même pas le mérite d’être nouveau.

708. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Aujourd’hui cette construction a priori est si fort en ruines que personne ne songe plus à la renverser. […] Cousin s’enfonce dans ces noires galeries, il songe au retour, et d’un élan, sans qu’on s’y attende, le voilà remonté dans la philosophie, dans la haute histoire, dans le grand style, dans le monde supérieur où il eût dû toujours vivre, et qui est le seul digne de sa science et de son talent.

709. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Or, le chevalier de Rohan, en s’avilissant pour cent mille écus, ne songeait pas à fonder une république. […] Guizot n’a pas songé à revêtir les éléments qu’il avait recueillis d’une forme littéraire. […] Guizot ait songé un seul instant à se former une idée précise de ces travaux ? […] Il a formé le dessein d’élever un théâtre nouveau, sans songer à déterminer les conditions fondamentales de la poésie dramatique. […] Ils écrivent uniquement pour vanter en toute occasion la richesse et la médiocrité et l’auditoire qu’ils ont discipliné ne songe pas à leur demander autre chose.

710. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Songez, si l’on allait prendre Pasteur en défaut ? […] Est-ce le moment de songer aux amours ? […] Et puis a-t-il songé aux affreuses conséquences de son apologie inconsidérée ? […] Mais il y a longtemps, il est vieux, et on songe à le faire redescendre sur terre. […] Songez en même temps à la vôtre, et tâchez de faire d’heureux mélanges.

711. (1903) Le problème de l’avenir latin

Cela est vrai, et personne ne songe à le nier. […] On pourrait également songer à l’efficacité d’un « Kulturkampf ». […] Lorsqu’il s’agit d’écarter de soi un danger, on pense tout d’abord aux moyens de l’écarter, sans songer à ce qui s’ensuivra. […] Mais n’est-il pas sage, après avoir payé son tribut de regrets, de songer aux raisons de ces chutes ? […] Il ne nous faut pas songer à l’humiliation de devenir la proie de tel ou tel.

712. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

Sans doute tu n’as pas songé que les feuilles des tilleuls, que les pins, les platanes étaient plus conformes à la nature, que le fond était plus vaporeux, les eaux plus profondes ; mais l’esprit qui plane sur cet ensemble t’élevait dans une sphère dont l’éclat t’enivrait. » Or c’est précisément cet esprit d’ensemble qui respire dans les paysages de M.

713. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

Le prince Henri avait de grandes vertus ; ses lumières, son humanité, sa justice l’avaient popularisé en Europe, et, auprès de la gloire de Frédéric, la sienne, moins brillante, semblait incomparablement plus pure : et ce même prince, sans songer à mal, invente la plus odieuse des iniquités politiques ; à l’occasion, il en cause avec Catherine, il en cause avec son frère ; la partie s’arrange, il s’en félicite, et, dans sa retraite de philosophe, s’en berce comme d’un doux et beau souvenir !

714. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « En guise de préface »

Oui, je songe quelquefois à me corriger.

715. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Dans sa retraite, Pilate ne songea probablement pas un moment à l’épisode oublié qui devait transmettre sa triste renommée à la postérité la plus lointaine.

716. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Il nous suffit de constater que, en un temps et en un pays donnés, l’art, la littérature, le costume, l’habitation, l’état politique et religieux sont rattachés par des traits d’union que nul ne songe plus sérieusement à contester.

717. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre deuxième. »

Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?

718. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Gabriel Ferry, qui en tant de choses imite Cooper avec une rare candeur, n’a pas songé à reproduire les grands sujets et les procédés de son modèle.

719. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — III »

Parfois j’ai songé, — c’était ma réflexion à chaque tome qu’il publiait de ses Origines de la France contemporaine, — qu’une bonne explication de lui sur sa situation philosophique, confiée à quelque reporter intelligent, éclairerait le public qui se passionnait à le traiter tantôt d’infâme réactionnaire, tantôt d’athée sans principe.

720. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Guigniaut le plus illustre voyageur de notre siècle, M. de Humboldt, vieillard courbé et blanchi, mais qui n’a rien perdu de la vigueur de son esprit ; il voulut bien prendre intérêt à mon voyage, et me questionna sur la route que je me proposais de suivre ; mais il s’indigna presque de mes réponses : “Un homme intelligent peut-il songer au voyage d’Orient sans s’y préparer par un voyage à Venise ? […] si elle est trop pleine et anéantie par des émotions qu’elle n’exprime pas, à qui songe-t-elle pour n’en garder que la moitié ? […] lorsqu’on songe à toutes ces choses, on n’est plus fait pour voyager. […] Je sortirai très peu de la ville et ne songe pas dans mes promenades à dépasser Platée, Mycènes et Corinthe. […] Les temps commandent aux gens de cœur de demeurer étrangers à la vie publique ; lorsqu’on n’y recueille que des inquiétudes, il faut s’étudier à l’indifférence ; pour moi, j’oublie et j’ignore ; ce n’est pas sans peine, et je fais violence à ma nature qui aspire à tout autre chose que l’apathie et l’inaction ; mais le mouvement du voyage, Homère et les écrits que je me hâte de terminer me sont si à propos venus en aide, que les jours passent sans que j’y songe et sans que je me mêle le moins du monde à toute l’agitation qui m’entoure. » D’autres passages de ses lettres sont encore plus expressifs : un notamment à propos des souvenirs du duc de Reichstadt, retrouvés à Vienne ; il a dû être supprimé à l’impression.

721. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Ici il ne paraît pas que son intention fût beaucoup plus pure ni exempte d’arrière-pensée : il songeait à l’avenir et à cultiver cette jeune fleur d’Asie. […] La fin de l’ode semblait menacer l’amant crédule de quelque prochaine inconstance de la perfide : Insensé qui sur tes promesses Croit pouvoir fonder son appui, Sans songer que mêmes tendresses, Mêmes serments, mêmes caresses, Trompèrent un autre avant lui ! […] Je t’embrasse, ma chère Aïssé, de tout mon cœur. » Voilà une lettre qui certes est bien capable, à première lecture, de donner la chair de poule aux amis délicats de la tendre Aïssé ; M. de La Porte, qui la publia en 1828, la prend dans son sens le plus grave, sans même songer à la discuter. […] en voyant le Sarmate, elle ne songe ni à l’un ni à l’autre. […] Lorsque l’abbé Prevost publia l’Histoire d’une Grecque moderne, assez agréable roman où l’on voit une jeune Grecque, d’abord vouée au sérail, puis rachetée par un seigneur français qui en veut faire sa maîtresse, résister à l’amour de son libérateur, et n’être peut-être pas aussi insensible pour un autre que lui, on crut qu’il avait songé à notre héroïne.

722. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Je n’avais pas songé à faire une révolution, mais à éclairer d’un jour véridique celle que nos pères avaient faite ou avaient subie il y a plus d’un demi-siècle. Quand j’y aurais songé, y a-t-il un livre capable de soulever une nation de quarante millions d’hommes et de les faire courir aux armes quand ils se sentent légalement et bien gouvernés ? […] « J’emploierai donc, disais-je à ces amis, ma première jeunesse à la poésie, cette rosée de l’aurore au lever d’un sentiment dans l’âme matinale ; je ferai des vers, parce que les vers, langue indécise entre ciel et terre, moitié songe moitié réalité, moitié musique moitié pensée, sont l’idiome de l’espérance qui colore le matin de la vie, de l’amour qui enivre, du bonheur qui enchante, de la douleur qui pleure, de l’enthousiasme qui prie. […] Une restauration de monarchie d’Henri V était possible ainsi, et seulement ainsi ; il fallait se restaurer soi-même par l’estime du pays avant de songer à une restauration d’Henri V par l’éloquence. […] D’ailleurs, nous ne sommes plus au temps où les Nuées d’Aristophane tuaient Socrate ; il n’a pas plus songé à imiter Aristophane, que moi à m’assimiler à Socrate.

723. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Sur le bord de sa fosse, je songeai aux tourments de sa vie, je les évoquai, je les vis tous, et je comptai aussi les joies qu’aurait pu goûter, malgré sa condition servile, ce coeur vraiment fait pour Dieu. […] , I, p. 25) : Je suis horriblement triste, et du vieux fonds que tu me connais, et de ce qui s’ajoute chaque jour, et enfin de la peur que me fait éprouver ce continuel accroissement, quand je viens à y songer. […] Il lui fut avantageux, en somme, de n’avoir reçu, dans son enfance, presque aucune éducation religieuse ; d’avoir, en vrai gamin de Paris, fait sa première communion sans y prendre garde et, ensuite, de n’y avoir plus songé. […] Mais songez que ce traitement spécial  au cas où il vous plairait d’y voir une atteinte indirecte à la liberté de conscience  c’est dans un projet tout idéal que Veuillot le sollicite. […] Et je songe : « Quel pauvre être de volupté suis-je donc, moi, pour aimer à la fois, — et peut-être également, — Renan et Veuillot ! 

724. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Mais le prêtre Calliste songea en lui-même : « — J’avais tort d’être inquiet : Myrrha est plus sainte que nous tous. […] Le malheur veut que le recteur partage les sentiments de répulsion des ignorants du pays et ne songe guère à féliciter son neveu de la bonne action qu’il a faite en sauvant Faïk. […] Il n’est si sotte calomnie qui ne fasse soi} chemin en France ; on n’avait qu’à se reporter au texte du Moniteur, personne n’y songea ou plutôt ne le voulut. […] La vérité c’est que, femme infidèle, cœur lâche, elle a préféré la boue de la capitale à la terre de ses champs, et qu’elle n’a seulement pas songé à ce qui se passera là-bas ! […] Nous n’avons plus songé que, pour guider les autres, il fallait d’abord nous conduire, et nous avons trop présumé soit de nos forces soit de nos lumières.

725. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

Quittez l’erreur que vous suivez Craignez que le ciel ne s’irrite ; Aimez pendant que vous vivez, Et songez que je ressuscite !

726. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Vinet comprenait si bien Pascal, il ne sentait pas moins vivement les esprits d’une autre famille, et il y eut un jour où lui, l’un des pasteurs du christianisme réformé, il songea à écrire l’Histoire de saint François de Sales.

727. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Il est des jeunes gens qui écrivent d’un style naturel et simple, quand ils s’abandonnent, et ne songent pas à ce qu’ils font : quand ils croient penser, quand ils veulent écrire, arrivent les grands mots et les belles phrases, le style drapé, guindé, important, à moins que ce ne soit le langage maniéré, alambiqué, quintessencié, qui coupe les idées en quatre, et danse sur les pointes d’aiguilles.

728. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

Gustave Geffroy La critique qui devait si bien, plus tard, songer à Baudelaire, aurait dû signaler la part d’imitation de Mme Sand, et, surtout, dire la sincérité de ces impressions, la profondeur d’action de cette poésie de terroir.

729. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre V. Un livre de Renan et un livre sur Renan » pp. 53-59

Quand il a fait ses découvertes ou ses livres durables, qu’il s’appelle Berthelot ou Renan, il a le droit de s’accouder et de songer.

730. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Je songe souvent que c’est votre adhésion, en apparence tardive, qui donnera l’existence définitive à ces délicates choses que l’on perd par trop de zèle : un état légal, où l’ordre soit aussi assuré que la liberté ; un état social, où la justice ne soit pas trop violée ; un état religieux, qui donne à l’âme humaine son aliment idéal, sans contrainte officielle ni chimères superstitieuses.

731. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Et qu’elle ne croie pas pouvoir détourner secrètement, au profit d’Abeilard, la moindre partie de son cœur : le Dieu de Sinaï est un Dieu jaloux, un Dieu qui veut être aimé de préférence ; il punit jusqu’à l’ombre d’une pensée, jusqu’au songe qui s’adresse à d’autres qu’à lui.

732. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Songez à ce qu’il est pour nous dans notre solitude presque complète. » (Bulletin de l’A.

733. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

On s’était refait une sorte de sécurité par insouciance, et, puisqu’on ne pouvait rien au gouvernail, on ne songeait qu’à remplir gaiement la traversée. […] Il a, du premier jour et sans y songer, effacé le pâle Laujon, redonné la main aux maîtres gaulois de vieille race, et n’a pas été détrôné à cet endroit, même par Béranger. […] Béranger a de la sensibilité, de la malice, de l’élévation, je ne veux certes pas prétendre qu’il n’ait pas aussi de la gaieté ; mais cette gaieté, il songe vite à s’en servir, à s’en couvrir, à s’en faire un cadre, un véhicule et un auxiliaire pour aller à mieux et viser plus haut, tandis qu’elle était à la fois la forme et le fond, la source et le fleuve même chez Désaugiers.

734. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Furieux, de ses pas cachés dans ces déserts Leur narine inquiète interroge les airs, Par qui bientôt frappés de sa trace nouvelle, Ils volent à grands cris sur sa route fidèle. » La pensée suivante, pour le ton, fait songer à Pascal ; la brusquerie du début nous représente assez bien André en personne, causant : « L’homme juge toujours les choses par les rapports qu’elles ont avec lui. […] qu’avez-vous fait des maximes austères De ce berger sacré que Minerve autrefois Daignait former en songe à vous donner des lois ?  […] « Car ils ne prennent ces images que pour des hommes, et les autres les prennent pour des Dieux. » — L’opposition entre ces pensées d’André et celles que nous ont laissées Vauvenargues ou Pascal, s’offre naturellement à l’esprit ; lui-même il n’est pas sans y avoir songé, et sans s’être posé l’objection.

735. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

Ici, nulle précaution de ce genre ; la seconde griffe est aussi visible que la première ; d’après sa structure et d’après les plaintes, je serais presque tenté de croire qu’elle est plus blessante  D’abord, la gabelle, les aides et les traites sont affermées, vendues chaque année à des adjudicataires qui, par métier, songent à tirer le plus d’argent possible de leur marché. […] Partout l’oligarchie bourgeoise songe à elle-même avant de songer à ses administrés.

736. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Mais ce Milanais ne fut jamais que le champ de bataille de l’Italie ou de l’Europe : est-ce ce carnage en permanence que vous songeriez à reconstituer ? […] c’est le songe d’une nuit de bivouac dans la tente d’un soldat enivré de courage, après quelque victoire remportée à côté des Français dans une heureuse campagne au pic des Alpes Rhétiennes. Cela aurait la durée d’un songe.

737. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Il ne répara jamais le manque d’études fortes77, et il fut toujours le disciple de Jean Lemaire et de Jean Marot, son père lesquels n’avaient songé qu’à perfectionner, sous le rapport du mètre, la langue poétique de Jean de Meung et de Villon. […] On ne songe pas assez qu’à la fortune de l’écrit est attaché le repos de l’écrivain, et que, dans la carrière des lettres, les revers de réputation sont plus douloureux que dans toute autre. […] C’est à bâtir ce monstrueux édifice, qui devait crouler après lui, que Ronsard passa une assez longue vie, au milieu de la faveur universelle, richement doté, sauf la difficulté de toucher ses rentes dans ces temps de guerres civiles ; aime des princes, qui comparaient leur couronne à la sienne ; qualifié de prodige de la nature et de miroir de l’art ; admiré par Montaigne et consulté par le Tasse, qui lui lut les premiers chants de la Jérusalem délivrée ; respecté, dans ses vers, par les protestants qui l’attaquaient dans ses moeurs, et remercié officiellement par le pape, pour s’être donné la peine de leur répondre ; pour comble de fortune, mourant avant que Malherbe, qui avait alors trente ans, eût songé à être poète.

738. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Après avoir joui avec une curiosité ardente des trésors de la sagesse, et goûté les voluptés dû savoir, on songe à en tirer des applications pour la conduite de la vie. […] Il ne francise pas moins de mots latins que Rabelais de grecs ; mais, comme Rabelais, quand il n’a songé qu’à s’entendre avec lui-même, il ne réussit pas toujours à les faire entrer dans le corps de la langue. […] Selon lui, les Essais sont un livre pernicieux, immoral, plein de mots sales et déshonnêtes ; Montaigne ne songe qu’à mourir mollement et lâchement.

739. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Montesquieu dissèque des grenouilles, étudie le gui au microscope et songera plus tard à mettre une Invocation aux Muses en tête de l’Esprit des lois. […] Nul ne songerait aujourd’hui à étudier les langues comme on faisait jadis. […] Quand on parlait à Victor Hugo de cette mort prochaine, il se mettait à rire et répondait122 : « Force gens de nos jours, volontiers agents de change et souvent notaires, disent et répètent : La poésie s’en va. — C’est à peu près comme si l’on disait : Il n’y a plus de roses ; le printemps a rendu l’âme : le soleil a perdu l’habitude de se lever ; parcourez tous les prés de la terre, vous n’y trouverez pas un papillon ; il n’y a plus de clair de lune et le rossignol ne chante plus, le lion ne rugit plus, l’aigle ne plane plus ; les Alpes et les Pyrénées s’en sont allées ; il n’y a plus de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes ; personne ne songe plus aux tombes ; la mère n’aime plus son enfant ; le ciel est éteint ; le cœur humain est mort. » Le fait est que l’imagination est en l’homme une faculté non moins essentielle et immortelle que la raison ; et c’est pourquoi la poésie non seulement garde à côté et au-delà de la science son royaume inviolable, mais aussi sait puiser dans la science-même des éléments de vie et d’inspiration.

740. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Sigurd L’armure est brisée, la fiancée commence à parler comme si elle sortait d’un songe. […] Des poètes, des chevaliers, des moines sont allés entendre l’oiseau des bois ; saisis par le charme, ils sont demeurés dans la fascination de leur songe : en une heure, des siècles ont passé pour eux. […] La direction Stoumon et Calabresi, à qui l’on devait la dernière reprise de Lohengrin, loin de s’aventurer à monter de nouvelles œuvres, ne songe même pas à reprendre les anciennes.

741. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Il nous répondait qu’il y avait bien songé, qu’il ne cherchait qu’à faire des études d’après nature, qu’il n’y avait que cela de bon, qu’il lui arrivait de dessiner souvent dans les rues, qu’il avait même proposé à L’Illustration de prendre une page, pour lui faire des scènes parisiennes, comme celles dont nous lui parlions, mais qu’on était si peu intelligent dans cette boutique, qu’on n’avait pas voulu. […] Tous alors nous étions des enfants, ne songions qu’à être des enfants, et c’étaient des vacances remplies à déborder de passe-temps sans déboires et de bonheurs qui avaient des lendemains. […] * * * — L’amour dans le rêve qui est toujours charnel et toujours produit par un contact, un attouchement, a cela de curieux que, si vous prenez le sein d’une femme, c’est comme si votre cœur la pelotait et que dans la sensation sensuelle apportée par un songe aux gens, se mêle une idéalité d’une douceur, d’un céleste, d’un au-delà des sens physiques, d’un ravissement ineffablement spirituel.

742. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Au lieu de songer à réformer les fausses idées des hommes, ils y ont la plûpart accommodé leurs fictions ; et sur ce principe ils ont donné souvent de grands vices pour des vertus, contens de décrier les penchans les plus honteux et les passions les plus grossiéres. […] Il décrit plusieurs songes agréables, malheureusement interrompus : pour l’imiter, je substitue à la narration la chose même, et je me suppose dans l’illusion d’un songe qu’on détruit en me réveillant. […] Quoique nourri des beautés des anciens, il en a rarement paré ses ouvrages : content de s’en être servi à se perfectionner le goût, il semble avoir songé dans la suite à les égaler plutôt qu’à les imiter.

743. (1774) Correspondance générale

Songez à ce que je vous dis là, votre séjour à Montmorency aura mauvaise grâce. […] Conservez-vous ; songez quelquefois qu’il n’y a aucun homme au monde dont la vie soit plus précieuse à l’univers que la vôtre. […] Si j’avais le sort de Socrate, songez que ce n’est pas assez de mourir comme lui pour mériter de lui être comparé. […] Songez que je serai assailli d’inlerrogations, et qu’il faudra pourtant satisfaire à quelques-unes. […] Songez, madame, que la Providence vous a fait naître pour son apologie.

744. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Millerand, qu’il ne se démette point, c’est le principal, songea Xavier, qui manquait moins de sens que d’orthographe. […] Il songea même à préparer l’inspection des finances, comme Jean Tharaud. […] C’est qu’il ne songeait pas à devenir un critique et bien moins encore à être, un jour, critiqué lui-même. […] Et pas un instant, Drieu n’avait songé à faire scandale ! […] Psychologue, il songe plutôt à l’être de l’Europe, et à la façon d’un Beyle.

745. (1940) Quatre études pp. -154

Les imaginations des adolescents, qui croient que la vie des poètes est toute romanesque et toute belle, songe d’un jour de printemps, sont ici dépassées. […] C’est le « murmure mélancolique et mystérieux d’un songe » ; c’est « un conte de revenant ». […] * * * Certes, les littératures étrangères ont influé sur notre romantisme ; personne ne songe à le nier. […] On ne peut s’empêcher de songer à quelque merveilleuse prédestination, quand on voit s’accomplir ce travail. […] L’Homme de désir : on songe au titre que Saint-Martin, le Philosophe inconnu, a donné à l’un de ses livres, en 1790.

746. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Faut-il vous montrer l’état de mon âme quand je songeais entre ces pages ?  […] Mais les Méditations de Lamartine, quand on y songe, était-ce bien de la « philosophie » ? […] Les optimistes y ont-ils quelquefois songé ? […] Romancier lui-même, je suis bien obligé de croire qu’il songeait à ses propres romans. […] Je songe, en écrivant ceci, à la pièce de M. 

747. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

C’est alors qu’épuisé de si longues luttes, Amaury, dans le découragement de ses sens blasés et de son cœur abâtardi, songe à demander au christianisme quelques-unes de ses consolations. […] Encore moins a-t-il songé à nous attacher par le charme et la variété des aventures, à nous intéresser à son héros. […] Sainte-Beuve, lui, ne songe pas à s’abandonner à la facilité de notre époque ; c’est plutôt un courant qu’il s’efforce de remonter. […] Si parfois son âme est triste, c’est quand il songe à sa famille, à ses amis ; c’est quand il interroge autour de lui cette sauvage solitude, sans y trouver un être sensible, un visage bienveillant, un écho qui sache répéter des mots affectueux, un langage sympathique ! […] Jamais séance plus diplomatique, malgré la chaleur des protestations, ne cacha plus de difficultés et plus de pièges sous une joie plus expansive et plus bruyante ; car, il faut bien y songer, tous ces convives qui sont là réunis pour boire à la révolution de juillet, sont sujets de la Grande-Bretagne ; et quel est le ministre de la Grande-Bretagne ?

748. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Lorsqu’il débuta dans le monde, on ne songeait qu’à des morceaux, et tout dépendait du succès d’une lecture. […] La Fontaine lui-même, déjà, dans le Songe de Vaux, avait introduit et fait parler Hortésie ou l’art des jardins, qui dispute le prix à Palatiane, Appellanire et Calliopée (les arts de l’architecture, de la peinture et de la poésie). […] Peut-être, voyant la Révolution, sinon close, du moins sur le retour, songeait-il, en émigrant (bien qu’un peu tard), à se mettre en règle avec l’avenir. […] … Aurait-il ensuite replacé dans sa traduction cette imitation libre, sans songer à en retirer ce qu’il y avait mis d’étranger ?

749. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Fou d’enthousiasme ou de fureur, nous reconnaissons l’auteur d’Antigone et de Virginie ; mais bientôt, quand il arrive à Londres, il ne songe plus qu’aux belles têtes de chevaux, aux fières encolures, aux larges croupes, et son grand souci est de faire traverser le détroit à ces quinze nobles bêtes dont il va enrichir ses écuries. […] Je ne puis en parler, je ne puis y songer sans fondre en larmes, aujourd’hui encore après tant d’années. […] Cette pensée me détournait de toute occupation, et, ne pouvant songer à autre chose, je continuai à me faire le traducteur de Virgile et de Térence. […] Toutefois il ne se mit pas encore au lit ; ce repos que lui donnait l’opium n’était pas sans quelque mélange d’hallucinations importunes ; il avait la tête pesante, et, quoique éveillé, il retrouvait comme en songe le souvenir des choses passées le plus vivement empreintes dans son esprit.

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