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39. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Il n’y a rien d’absurde à ce qu’une religion déjà existante, ayant une tradition historique, associée aux habitudes et aux mœurs d’une société, continue à vivre en se dépouillant successivement de toute superstition. […] Au fond, c’est une seule et même chose ; mais la différence est que la religion naturelle est une création a priori, sans racines dans les habitudes des hommes, tandis que le christianisme est un fait historique dans lequel presque tous nous avons été élevés. Or, autant il est difficile de créer dans une société des habitudes nouvelles sans aucune relation avec celles qui existent, autant il est facile de transformer des habitudes existantes, car cette transformation se fait d’elle-même par la force des choses.

40. (1757) Réflexions sur le goût

C’est en examinant avec attention cette différence, qu’il parviendra à déterminer jusqu’à quel point l’habitude influe sur le plaisir que nous font la poésie et la musique, ce que l’habitude ajoute de réel à ce plaisir, et ce que l’opinion peut aussi y joindre d’illusoire. Car il ne confondra point le plaisir d’habitude avec celui qui est purement arbitraire et d’opinion ; distinction qu’on n’a peut-être pas assez faite en cette matière, et que néanmoins l’expérience journalière rend incontestable. […] Les plaisirs que l’habitude fait goûter peuvent donc n’être pas arbitraires, et même avoir eu d’abord le préjugé contre eux.

41. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Le principe biologique qui, selon Darwin, explique l’expression des émotions, c’est l’hérédité des habitudes. […] La plupart de nos gestes sont ainsi des habitudes héréditaires. […] Le soldat, même en civil, a dans ses gestes une habitude d’obéissance ou de commandement ; le prêtre, même vêtu en laïque, garde la marque de la soutane et du petit collet, ses doigts semblent toujours bénir ou absoudre. […] L’habitude peut rendre les larmes de plus en plus faciles, et même volontaires. […] Par l’habitude et l’hérédité, ces mouvements sont devenus instinctifs.

42. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

L’autre est un système d’idées, de sentiments, d’habitudes, qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. […] C’est une entreprise sur quelque chose d’inconnu et d’inconnaissable ; un nivellement par principe pour rendre l’être nouveau, quel qu’il soit, conforme aux habitudes et aux usages régnants. […] Les moyens d’action de l’éducateur sont : la notion inculquée ; l’appel à la raison de l’enfant, l’appel au sentiment ; la formation des habitudes ou dressage des réflexes, l’influence de l’exemple. […] La formation des habitudes, le dressage des réflexes donneront-ils plus de résultats ? […] Les réactions plus compliquées qui exigent une initiative de la part du sujet échappent aux procédés de dressage et à l’automatisme des habitudes acquises.

43. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Le corps conserve des habitudes motrices capables de jouer à nouveau le passé ; il peut reprendre des attitudes où le passé s’insérera ; ou bien encore, par la répétition de certains phénomènes cérébraux qui ont prolongé d’anciennes perceptions, il fournira au souvenir un point d’attache avec l’actuel, un moyen de reconquérir sur la réalité présente une influence perdue : mais en aucun cas le cerveau n’emmagasinera des souvenirs ou des images. […] Tantôt, en effet, par une reconnaissance toute passive, plutôt jouée que pensée, le corps fait correspondre à une perception renouvelée une démarche devenue automatique : tout s’explique alors par les appareils moteurs que l’habitude a montés dans le corps, et des lésions de la mémoire pourront résulter de la destruction de ces mécanismes. […] Entre le plan de l’action, — le plan où notre corps a contracté son passé en habitudes motrices, — et le plan de la mémoire pure, où notre esprit conserve dans tous ses détails le tableau de notre vie écoulée, nous avons cru apercevoir au contraire mille et mille plans de conscience différents, mille répétitions intégrales et pourtant diverses de la totalité de notre expérience vécue. […] Et c’est aussi ce double mouvement de la mémoire entre ses deux limites extrêmes qui dessine, comme nous l’avons montré, les premières notions générales, l’habitude motrice remontant vers les images semblables pour en extraire les similitudes, les images semblables redescendant vers l’habitude motrice pour se confondre, par exemple, dans la prononciation automatique du mot qui les unit. […] Mais cette opposition de la perception et de la matière est l’œuvre artificielle d’un entendement qui décompose et recompose selon ses habitudes ou ses lois : elle n’est pas donnée à l’intuition immédiate.

44. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gérardy, Paul (1870-1933) »

Il serait, semble-t-il, facile de retrouver, dans les premières divisions du volume, des influences assez marquées de ceux qui sont des plus grands parmi les poètes actuels, et l’influence aussi, d’un bout à l’autre, d’une culture et d’une habitude de pensée germaniques. […] Paul Gérardy sont de courte haleine, trop courte parfois, mais, l’habitude qu’on lui sent de la fréquentation des esprits philosophiques les plus abstraits, encore qu’elle gêne presque toujours l’émotion vivace et lyrique, l’aide à donner à ses poèmes une signification très vaste ; quelquefois, à vrai dire, vague et brumeuse.

45. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Au point de vue mécanique, l’habitude qui rend possible la répétition des images en l’absence même des objets peut s’expliquer de trois manières principales, entre lesquelles les physiologistes se divisent : 1° comme un mouvement persistant dans le cerveau ; 2° comme une trace persistante dans le cerveau ou résidu ; 3° comme une disposition persistante dans le cerveau. […] Toute habitude, qui est une structure acquise par l’être vivant, serait encore une mémoire. L’habitude suppose, en effet, soit de nouveaux nerfs, soit des relations nouvelles entre les nerfs, et ces relations une fois établies sont de véritables organes, comme le sont nos yeux et nos oreilles : le pianiste s’est fait un organe pour parcourir le clavier, le calculateur pour accomplir ses opérations. […] La masse même du protoplasma flottante sur la mer ne contracterait pas l’habitude de réagir sous l’influence des agents extérieurs s’il n’y avait en elle quelque sourde sensibilité, un bien-être et un malaise rudimentaires. […] L’habitude et la mémoire produisent dans le cerveau quelque chose d’analogue : à l’origine il faut, dans le centre cérébral, un acte de conscience et d’attention personnelle ; puis le travail se distribue entre les diverses cellules et entre les centres secondaires de la moelle ; il n’y a plus besoin ensuite que d’un rajustement des vibrations diverses pour reproduire sans effort l’image précise de l’objet.

46. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il poussait très loin cette doctrine d’accommodement avec les penchants, et on l’a entendu dire : « Quand on a un vice, il faut savoir le porter. » Avant d’être ce que nous l’avons connu, c’est-à-dire une espèce d’amateur en politique, assis à l’orchestre, jugeant la pièce, et consulté même souvent par les auteurs ou acteurs, avant de s’être établi dans son habitude d’observer le monde « comme s’il ne remuait que pour son instruction », M.  […] Et quant au moral de l’homme, il a dit : « On l’avait surnommé l’incorruptible ; il l’était en effet comme ceux qui veulent tout prendre à la fois. » Il a rendu avec une entière vérité, comme témoin et comme acteur, le mouvement impétueux et confus, le sentiment d’explosion de cette jeunesse thermidorienne qui savait ce dont elle ne voulait plus, mais pas encore ce qu’elle voulait, qui avait appuyé la Convention contre Robespierre, et qui prétendait chasser la Convention devant une opinion qui n’était pas mûre encore : « Jamais peut-être, nous dit Fiévée, l’ancienne royauté ne fut plus complètement oubliée qu’à cette époque ; nous n’étions pas encore assez difficiles pour y penser. » Pour lui, paresseux, une fois sorti de ses habitudes, il est précis, prudent, prévoyant, très hardi les jours d’action. […] Je craignais d’inspirer la pitié ; je craignais encore plus de ne pouvoir adoucir un air de dignité que la nature et l’habitude de commander avaient répandu sur toute ma personne. […] Philippe (c’est le nom du valet de chambre, qui, indépendamment de toutes ses qualités, est studieux, instruit, amateur de lecture), Philippe, retiré du service et vivant auprès de son fils, a pris l’habitude de jeter ses pensées sur le papier ; et comme on lui proposait un jour de se faire imprimer : « Non, vraiment, répondit-ilh, je craindrais de trahir les secrets de l’humanité ; on sent le besoin de les cacher quand on connaît les hommes. » Vers le temps où, retiré en Champagne, à l’abri de la proscription, il écrivait sa Dot de Suzette, M.  […] Fiévée, qui sait le monde, se méfie même des plus grandes folies, comme pouvant avoir action sur les cerveaux : On a pris l’habitude, dit-il, de monter les esprits si haut par de grands projets et d’incroyables découvertes, que, si demain les journaux annonçaient qu’on a trouvé le secret de refaire le monde sur un plan tout neuf, la moitié de l’Europe ajouterait foi au miracle, et se soulèverait pour en hâter l’accomplissement.

47. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Jouffroy moraliste I Si l’habitude de la réflexion conduit l’homme intérieur dans la psychologie, elle l’en ôte bientôt pour l’enfermer dans la morale. […] Les habitudes de l’homme intérieur, ayant formé le philosophe, formèrent sa philosophie ; son système du monde fut produit par l’état de son âme ; sans le savoir ni le vouloir, il construisit les choses d’après un besoin personnel, Ce genre d’illusion est presque inévitable ; nous ressemblons à ces insectes qui, selon la diversité de la nourriture, filent des cocons de diverses couleurs. […] Selon les habitudes de son école, M.  […] Il faut une témérité de théologien pour lui prêter des habitudes d’architecte, et surtout pour tirer de ces habitudes une morale. […] Homme intérieur, dévoué aux théories élevées et prouvées, arraché au christianisme par la logique, il a été égaré par des restes d’inclinations religieuses et par l’habitude de l’abstraction vague.

48. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

La diversité des tempéraments, des classes, des occupations, des habitudes, l’inégale connaissance de la langue et du sens précis des mots font qu’ils n’ont pas pour tous la même puissance d’évocation et qu’ils n’évoquent pas les mêmes choses. […] L’habitude est puissante sur lui comme sur l’être vivant. […] Boileau a exprimé cette attraction que les mots exercent les uns sur les autres par l’habitude qu’ils ont d’être réunis, dans les vers si connus de sa seconde satire : Si je louais Philis en miracle féconde, Je trouverais bientôt à nulle autre seconde ; Si je voulais vanter un objet non pareil, Je mettrais à l’instant plus beau que le soleil. […] C’est qu’ils se groupent selon leurs habitudes antérieures : on ne fait que les enregistrer machinalement quand ils se présentent : ce n’est plus nous qui pensons, ce sont les mots qui nous imposent par leur banale combinaison ce que tout le monde leur a le plus souvent fait dire.

49. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Or, ce n’est point-là ce qui se passe, et voici un fait significatif : ne pouvant, comme d’habitude, essuyer le genou droit avec le pied droit, l’animal décapité l’essuie avec le pied gauche ; pour une machine qui ne sent pas, le procédé est assez ingénieux. […] Il y a des systèmes de mouvements, comme ceux du violoniste, qui sont enchaînés par l’habitude : la plus petite excitation du premier anneau de la chaîne produit une déchargé le long des autres anneaux, mais cette excitation, en certains cas, peut n’avoir ni le degré d’intensité ni le degré de distinction nécessaire pour être reconnue et nommée par le moi. […] Faut-il en conclure, comme on le fait d’habitude, que le calcul ait été opéré sans conscience, ou encore par « une seconde personnalité subconsciente ?  […] Dans les faits d’habitude, le travail descend du cerveau pour se distribuer à travers la moelle, et, probablement, avec le travail, descendent aussi les sensations d’effort et de résistance, qui se distribuent dans les cellules médullaires.

50. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Son esprit naturellement caustique avait déjà contracté des habitudes satiriques, qui le firent renvoyer du collège avant d’avoir terminé sa Philosophie. […] La mort vint rompre des liens que l’habitude n’aurait pas tardé à relâcher. […] Ramené insensiblement à ses habitudes littéraires, ce fut presque uniquement pour l’occuper d’une manière utile que Ginguené et quelques autres conçurent le projet du journal intitulé : la Décade philosophique ; mais la mort qui naguère s’était trop fait attendre, quand il s’en remettait à elle du soin de l’affranchir des tyrans, ne lui laissa pas le temps d’y travailler. […] Il avait pris, dans les réunions politiques et dans les clubs, l’habitude de parler haut, de soutenir son opinion à outrance, et de mettre la violence de la dispute à la place de cette discussion polie et spirituelle dont lui-même avait été le parfait modèle.

51. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Ce que c’est que le Romanticisme Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. […] Sophocle et Euripide furent éminemment romantiques ; ils donnèrent, aux Grecs rassemblés au théâtre d’Athènes, les tragédies qui, d’après les habitudes morales de ce peuple » sa religion, ses préjugés sur ce qui fait la dignité de l’homme, devaient lui procurer le plus grand plaisir possible. […] Picard, qui n’aurait besoin que d’être écrite par Beaumarchais ou par Sheridan, pour être délicieuse, a donné au public la bonne habitude de s’apercevoir qu’il est des sujets charmants pour lesquels les changements de décorations sont absolument nécessaires.

52. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

L’éducation trop soigneuse qu’il a reçûë lui devient même nuisible, parce qu’elle lui a été l’occasion de prendre l’habitude dangéreuse de laisser penser d’autres pour lui. […] L’esprit contracte aussi facilement une habitude de paresse que les jambes et les pieds. Un homme qui ne va jamais qu’une voiture ne le mene, est bien-tôt hors d’état de se servir de ses jambes, aussi-bien qu’un homme qui se tient dans l’habitude de marcher.

53. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Selon nous, il eût fallu d’abord chercher l’explication dans ce même principe qui explique et la conservation et le rappel des idées : l’habitude. […] C’est l’habitude, tantôt à l’état naissant, tantôt plus ou moins complète, qui se révèle à elle-même dans la conscience par un sentiment spécial, et ce sentiment spécial fait le fond de la reconnaissance. D’autre part, l’habitude est une adaptation au milieu, selon la grande loi de sélection universelle ; c’est l’adaptation de la puissance à la résistance, de l’activité à son objet. […] Mais, pour que l’habitude ainsi formée devienne consciente de soi, il faut que nous puissions apercevoir tout ensemble la différence et la ressemblance du nouveau avec l’ancien, de l’inaccoutumé avec le familier. […] Par l’effet de l’habitude, des associations si faciles s’établissent entre les mouvements réflexes que le premier suggère et entraîne tous les autres.

54. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi » pp. 120-123

L’usage de ce qui se passe dans le monde et l’experience de nos amis au défaut de la nôtre, nous apprennent qu’une passion contente s’use tellement en douze années, qu’elle devient une simple habitude. Un heros, obligé par sa gloire et par l’interêt de son autorité à rompre cette habitude, n’en doit pas être assez affligé pour devenir un personnage tragique : il cesse d’avoir la dignité requise aux personnages de la tragedie, si son affliction va jusqu’au desespoir.

55. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Paul a cinquante ans environ ; il est un peu courbé, maladif et maigre ; ses traits sont amincis, et tirés par l’habitude de la réflexion, et ses beaux yeux noirs, pleins de pénétration et d’ardeur, semblent ordinairement voir autre chose que ce qu’il regarde. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel. […] De cette faculté, on déduit les différents groupes d’habitudes morales. […] Par l’abstraction, on dégage dans les faits extérieurs, les habitudes intérieures, générales et dominantes. […] La faculté égoïste et politique est dans le Romain une habitude héréditaire, plus agissante et plus puissante que les autres, qui fixe l’ordre, l’espèce et l’intensité de ses sentiments et de ses idées.

56. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Il est peu probable qu’une habitude se transmette jamais : si le fait se produit, il tient à la rencontre accidentelle d’un si grand nombre de conditions favorables qu’il ne se répétera sûrement pas assez pour implanter l’habitude dans l’espèce. […] Nous devrons aller à la recherche de ce fond de sociabilité, et aussi d’insociabilité, qui apparaîtrait à notre conscience si la société constituée n’avait mis en nous les habitudes et dispositions qui nous adaptent à elle. […] Mais il faut ajouter que l’ancien état d’âme subsiste, dissimulé sous des habitudes sans lesquelles il n’y aurait pas de civilisation. […] Mais que nous naissions modifiés, c’est peu probable : à supposer que notre estomac diffère de celui de nos ancêtres préhistoriques, la différence n’est pas due à de simples habitudes contractées dans la suite des temps. […] L’intelligence humaine a pu en effet, dans l’intervalle, faire légitimer par la science et investir ainsi d’une autorité incontestée son habitude de tout voir dans l’espace, de tout expliquer par la matière.

57. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Nos habitudes sont prises de si bonne heure qu’on les appelle naturelles, innées ; mais il n’y a rien de naturel, rien d’inné que des fibres plus flexibles, plus roides, plus ou moins mobiles, plus ou moins disposées à osciller. […] Ajoutez que la plupart de ces questions sont oiseuses, et qu’on néglige de faire entrer dans leur solution les véritables élémens, comme la force de l’habitude, les prestiges de l’espérance etc. […] Outre l’imitation et l’habitude, il y a encore autre chose d’antérieur, de machinal qui se passe en nous, et qu’il faudrait savoir expliquer.

58. (1903) La pensée et le mouvant

Cette observation interne est faussée par les habitudes que nous avons contractées. […] Il eût fallu s’arracher à des habitudes profondément enracinées, véritables prolongements de la nature. […] Il ne faut pas croire que la vie sociale soit une habitude acquise et transmise. […] Mais c’est ce que nos habitudes intellectuelles nous empêchent d’apercevoir. […] Elle porte un titre modeste : De l’habitude.

59. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Il fallait que la vie entrât ainsi dans les habitudes de la matière brute, pour entraîner peu à peu sur une autre voie cette matière magnétisée. […] Tantôt en fait de l’instinct une intelligence dégradée : l’action jugée utile par l’espèce ou par quelques-uns de ses représentants aurait engendré une habitude, et l’habitude, héréditairement transmise, serait devenue instinct. […] Chez l’animal, les mécanismes moteurs que le cerveau arrive à monter, ou, en d’autres termes, les habitudes que sa volonté contracte, n’ont d’autre objet et d’autre effet que d’accomplir les mouvements dessinés dans ces habitudes, emmagasinés dans ces mécanismes. Mais, chez l’homme, l’habitude motrice peut avoir un second résultat, incommensurable avec le premier. Elle peut tenir en échec d’autres habitudes motrices et, par là, en domptant l’automatisme, mettre en liberté la conscience.

60. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Mlle Pauline de Meulan, née en 1773, à Paris, fut élevée au sein des idées et des habitudes du monde distingué d’alors. […] L’impression générale que lui laissa la Révolution fut celle d’un affreux spectacle qui blessait toutes ses affections et ses habitudes, quoique plutôt dans le sens de ses opinions. […] Mme de Condorcet avait reçu la passion et le flambeau du dix-huitième siècle : Mlle de Meulan n’en avait que le ton, le tour, certaines habitudes de juger et de dire ; la passion, à elle, devait lui venir d’ailleurs. […] Mais ne craindraient-ils pas d’avoir un reproche à se faire à eux-mêmes, si, par une opinion légèrement énoncée, ils parvenaient à m’ôter ou du moins à me rendre plus difficile le courage dont j’ai pu avoir besoin pour sacrifier, à ce que je regardais comme un devoir, des convenances que mon éducation et mes habitudes m’avaient appris à respecter ? […] « Les amours de la jeunesse ont besoin d’un peu de surprise, comme celles qui viennent ensuite ont besoin d’un peu d’habitude. » (15 thermidor an XIII, à propos d’un roman, Julie de Saint-Olmont.

61. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Mais on en conclurait à tort que le public verra juste ; car il reste encore à examiner l’état de ses yeux, s’il est presbyte ou myope, si, par habitude ou par nature, sa rétine n’est pas impropre à sentir certaines couleurs. […] De là le moule classique : il est formé par l’habitude de parler, d’écrire et de penser en vue d’un auditoire de salon. […] L’imagination sympathique, par laquelle l’écrivain se transporte dans autrui et reproduit en lui-même un système d’habitudes et de passions contraires aux siennes, est le talent qui manque le plus au dix-huitième siècle. […] Une des causes de la chute et de la défaveur du marquis d’Argenson, au dix-huitième siècle, fut l’habitude qu’il avait d’employer ces sortes de locutions. […] Voir notamment son mémoire : De l’influence du climat sur les habitudes morales, si vague, si totalement dénué d’exemples, sauf une citation d’Hippocrate.

62. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Il avait l’habitude de s’exprimer à ce sujet sous la forme, à lui si familière, de l’apologue, et il disait : Il y a dans l’humanité un inexplicable préjugé en faveur des anciennes coutumes et habitudes, qui dispose à les continuer même après que les circonstances qui les avaient rendues utiles ont cessé d’exister. […] Peu à peu cependant, à mesure que la mode des perruques et celle des coiffures élégantes prévalut, les gens comme il faut perdirent l’habitude de mettre leur chapeau pour ne point déranger l’édifice artificiel ou la poudre de leur chevelure ; les parapluies commencèrent à faire l’office du chapeau ; cependant on a continué de considérer celui-ci comme une part si essentielle de la toilette, qu’un homme du monde n’est point censé habillé sans en avoir un ou quelque chose d’approchant, qu’il porte sous le bras ; si bien qu’il y a quantité de gens polis dans toutes les cours et les capitales d’Europe qui n’ont jamais, eux ni leurs pères, porté un chapeau autrement que sous le bras, quoique l’utilité d’une telle mode ne soit aucunement évidente, et que ce soit même très gênant. […] Il acquiert pour toute la vie l’habitude de raisonner en chimiste, au lieu de se borner à savoir par cœur, pour quelques mois, le texte de son cours… Aussi, pour la parfaite exécution du nouveau plan d’études, les professeurs trouveront-ils bien plus de profit à préparer leur leçon dans le laboratoire même, au milieu des appareils, en prenant part à la disposition matérielle des expériences, qu’à l’étudier dans leur cabinet, abstraction faite des objets qu’ils vont avoir à manier et à faire passer sous les yeux des élèves. […] Les habitudes les plus futiles et les plus inutiles ont d’immenses racines dans le passé, et, quoique de prime abord il semble qu’il suffise d’un souffle pour les détruire, elles résistent souvent et aux convulsions des sociétés, et aux efforts d’un grand homme. » Cette opinion personnelle du prince, qu’on vient de voir si formellement exprimée, étant telle et si en accord avec celle de Franklin, il est plus facile encore d’apprécier la haute impartialité que le même prince devenu empereur, et pouvant tout, a apportée dans la solution pratique, et combien il s’est montré l’homme de son nouveau rôle et de sa destinée, publique, lorsque, dans l’œuvre de conciliation, il a laissé faire une si large part à l’opinion opposée.

63. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

La débauche alors était tout aussi monstrueuse qu’elle avait été au temps des mignons, ou qu’elle fut plus tard au temps des roués ; mais ce qui rapproche cette époque du seizième siècle et la distingue du dix-huitième, c’est surtout l’assassinat, l’empoisonnement, ces habitudes italiennes dues aux Médicis ; c’est la fureur insensée des duels, héritage des guerres civiles. […] Ce n’est donc qu’à dater de cette époque que l’on sait parfaitement sa vie privée, ses habitudes, ses lectures, et jusqu’aux moindres mouvements de la société où elle vit et dont elle est l’âme. […] Nous avons peine, en 1829, avec nos habitudes d’occupations positives, à nous représenter fidèlement cette vie de loisir et de causerie. […] La noble société de nos jours, qui a conservé le plus de ces habitudes oisives des deux derniers siècles, semble ne l’avoir pu qu’à la condition de rester étrangère aux mœurs et aux idées d’à présent6. […] Il est une seule circonstance où l’on ne peut s’empêcher de regretter que Mme de Sévigné se soit abandonnée à ses habitudes moqueuses et légères ; où l’on se refuse absolument à entrer dans son badinage, et où, après en avoir recherché toutes les raisons atténuantes, on a peine encore à le lui pardonner : c’est lorsqu’elle raconte si gaiement à sa fille la révolte des paysans bas-bretons et les horribles sévérités qui la réprimèrent.

64. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Guizot y porta son instinct et ses habitudes d’esprit : il prétendit à la régler, à l’organiser. […] Mais ce que je relève comme danger, ce serait l’habitude de vouloir conclure d’un passé ainsi refait et reconstruit, d’un passé artificiellement simplifié, au présent mobile, divers et changeant. […] Les habitudes de race et d’éducation première se marquent encore dans le talent et se retrouvent dans la parole, même lorsqu’elles ont disparu des habitudes de notre vie : on en garde la fibre et le ton. […] Bossuet a l’habitude, dans ses vues, d’introduire la Providence, ou plutôt il ne l’introduit pas : elle règne chez lui d’une manière continue et souveraine.

65. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

. — Habitudes de madame Scarron. — Sa société quand elle fut nommée gouvernante. […] C’étaient mêmes idées, mêmes principes, mêmes habitudes ; dans toutes une vie régulière et décente, des mœurs chastes, un esprit orné, une raison cultivée, également opposée aux mœurs de la cour, à la pédanterie des précieuses outrées, et à la dévotion feinte ou réelle qui était le refuge de la galanterie repentante ou répudiée. […] Par la piété, il est vrai, elle put à la suite combattre la faiblesse du roi pour madame de Montespan ; mais par l’emploi de ce moyen, elle s’interdisait de profiter de ses succès, en combattant l’habitude des maîtresses par la religion, et ne prenait pas le chemin de le devenir. […] Aussi, sa réponse à une consultation faite sur une résolution arrêtée, fut qu’elle pouvait, sans scrupule, se charger de l’éducation secrète des enfants de l’adultère, parce que c’était jeter un voile charitable sur les fautes du roi et de madame de Montespan ; il ne voyait pas que c’était aussi jeter un voile d’officieuse complicité sur une habitude condamnable et contribuer à l’entretenir.

66. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Ainsi, dans La Famille Percier il y a certainement de l’inattendu, de l’intelligence dramatique, une préoccupation assez brusque du fond sur la forme, ce qui n’est pas l’habitude des esprits du temps, et enfin, comme dans Le Mariage de Caroline, un dialogue plein de naturel. […] Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.

67. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ch.-V. de Bonstetten : L’homme du midi et l’homme du nord, ou l’influence du climat »

Élevé en Suisse où il reçut une éducation libre, rêveuse et solitaire, que n’aurait pas désavouée Rousseau, devenu plus tard le disciple et l’ami de Bonnet, qui dès l’abord s’empara, comme il le dit, de toute son âme, et depuis transporté dans les différentes contrées du nord et sous le ciel de l’Italie, il dut garder dans le commerce des hommes les habitudes intellectuelles de sa vie première, et surtout un goût décidé pour l’étude de soi-même et des autres. […] Dans le nord, en outre, les habitudes sont plus régulières, l’amour moins sensuel, l’éducation plus soignée ; et ces différences s’expliquent en partie par la prédominance des nuits et des hivers, et les rapports de société qui en résultent.

68. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

De nouvelles habitudes se forment, d’après l’ordre nouveau qui s’établit, et les fils retrouvent quelquefois une époque tranquille après avoir vu finir les malheurs de leurs pères. […] Mais, malgré la longue habitude, malgré que l’éducation nous ait presque identifiés avec ce système, la poésie a toujours conservé quelque chose d’apprêté et d’éloigné de nos mœurs. […] On sait assez quelles habitudes ce prince et son frère apportaient dans les camps, quelles opinions ils y professaient, sans être retenus par le respect de leur rang. […] De la sorte, elle prend l’habitude de considérer par les applications les choses qui doivent être vues par le principe. […] C’est un tableau spirituel de l’écorce superficielle dont les habitudes du monde revêtent les hommes.

69. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Une imagination vive, un langage souple et harmonieux leur rendaient facile l’improvisation qui était, du reste dans les habitudes de la nation. […] « Les comédiens, disait Niccolo Barbieri, étudient beaucoup et se munissent la mémoire d’une grande provision de choses : sentences, concetti, déclarations d’amour, reproches, désespoirs et délires, afin de les avoir tout prêts à l’occasion, et leurs études sont en rapport avec les mœurs et les habitudes des personnages qu’ils représentent4. » Ainsi, l’on verra l’un des capitans les plus renommés, Francesco Andreini, publier ses Bravure, ses bravacheries, divisées en plusieurs discours. […] Cet habit devint noir, en signe de deuil, après la prise de Constantinople par les Turcs ; puis, le noir prévalut par habitude et fut le plus généralement en usage pour ce pourpoint ainsi que pour la robe.

70. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Quelles limites peut-on supposer à ce pouvoir, lorsqu’il agit pendant de longs âges et scrute rigoureusement la structure, l’organisation entière et les habitudes de chaque créature, pour favoriser ce qui est bien et rejeter ce qui est mal ? […] N’est-il pas étrange qu’un oiseau ayant la forme d’un Pic ait été créé pour se nourrir d’insectes sur le sol des plaines ; qu’une Oie terrestre, qui ne nage jamais ou du moins rarement, ait été pourvue de pieds palmés ; qu’un Merle ait été créé pour plonger et pour se nourrir d’insectes sub-aquatiques ; qu’un Pétrel ait été doué d’une structure et d’habitudes convenables pour la vie d’un Pingouin ou d’un Grèbe, et ainsi de suite en mille autres cas. […] Sans nul doute, l’habitude joue quelquefois un rôle dans les modifications des instincts ; mais elle n’est certainement pas indispensable, comme le prouvent les insectes neutres, qui ne laissent aucune progéniture pour hériter des effets d’une longue habitude. […] Il est pareillement compatible avec la rétrogression organique de quelques formes qui n’en deviennent pas moins, à chaque variation rétrogressive, mieux adaptées à leurs habitudes de vie, devenues inférieures. […] Le défaut d’exercice, quelquefois aidé par la sélection naturelle, tend souvent à réduire les proportions d’un organe que le changement des habitudes ou des conditions de vie a peu à peu rendu inutile.

71. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Rochefort et ce que nous savons forcément de ses habitudes et de ses goûts, ce qui dans sa vie privée est au grand jour  et d’autre part ses opinions et son rôle politique : vous reconnaîtrez que, lorsque je parle d’un problème à résoudre, je ne l’invente point pas amour du mystérieux. […] Après avoir vécu excommunié comme franc-maçon, il paraîtrait qu’à sa dernière heure il a abjuré la franchise et la maçonnerie pour mourir dans les bras de la religion à laquelle nous devons le cardinal Dubois et la seconde expédition romaine… Cette habitude qu’a le clergé de venir se fourrer jusque dans la table de nuit des mourants pourrait être utilisée par les gouvernements qui, comme le nôtre, ont le plus puissant besoin d’adhésions. […] Les circonstances et l’habitude nous pétrissent et nous façonnent plus qu’on ne peut l’imaginer. […] Il reprend sa plume, il insulte par habitude, il calomnie sans y trouver le moindre plaisir  parce qu’il faut vivre.

72. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Dans mon enfance, j’avais l’habitude de lui demander dix fois par jour : « Maman, êtes-vous contente de moi ?  […] Mes habitudes et mes manières ne se trouvèrent presque en rien modifiées. […] Telle est la force de l’habitude. […] L’habitude de l’Orient de ne marcher dans les rues que précédé d’un kavas me convenait assez ; car la modestie est relevée par l’appareil de la force. […] Il m’eût semblé qu’il y avait de ma part un manque de bienséance à changer sur ce point mes habitudes austères.

73. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Ce corps eut une enfance, une jeunesse, un âge mûr souvent, une vieillesse parfois ; il fut un homme, lit partie d’une famille, naquit et vécut dans une patrie, eut tels parents, tels amis, tels contemporains ; la carrière de cet être fut mêlée d’infortunes et de joies, de hasards et d’habitudes ; il subit et exerça des influences spirituelles ; il reprit l’œuvre artistique à un point donné et en porta le progrès à tel autre point ; cette entité intellectuelle dont on a désigné d’abord la configuration totale et générale, avec toutes ses acquisitions et toute son innéité, eut une évolution, fut jetée dans le compromis de résistances et d’adaptations qu’est la vie, fut fait d’originalité et d’imitation comme tout individu vivant, mêla sa tâche de redites et de trouvailles. […] Il faut pour entreprendre la restitution d’un de ces grands êtres intellectuels qui sont, dans l’ordre de la pensée et de la sensibilité pures, comme les initiateurs d’une espèce morale, qui concentrent et qui exaltent en eux toute l’émotion et la réflexion excitée dans la foule mêlée de leurs admirateurs, remonter des parties éparses de son esprit à leur enchevêtrement et leur engrenage dans le tout, replacer cet esprit ainsi particularisé dans chacune de ces facultés et dans leur association, en un corps dont il sera nécessaire de connaître les représentations graphiques et dont les habitudes ressortiront des témoignages des contemporains : ce corps même et cet esprit, il faudra le prendre dans ses origines, la famille, la race, la nation, — dans son milieu premier, le lieu de naissance et d’enfance, le climat, le paysage, le sol : il faudra le suivre dans son développement et ses relations, de son enfance à sa jeunesse, de ses amitiés à ses liaisons, de ses lectures à ses actes, tracer le cours de ses productions, connaître les joies et les amertumes de sa vie, le conduire enfin à ce déclin et ce décès qui si rarement, pour les grands artistes, sont glorieux, ou fortunés ou paisibles. […] Les contemporains, les auteurs de mémoires, les comiques et les moralistes du temps, les représentations graphiques, des tableaux aux caricatures, les mille faits épars de la vie de tous les jours, la reconstitution architecturale et géographique des lieux, des monuments et des villes, tous les départements de la vie publique, de la politique à la théologie, seront mis à contribution, fouillés en quête de détails typiques et significatifs ; ces notions sur le vêtement, la demeure, le séjour, sur les habitudes intimes et sociales, sur le type ethnique, sur les relations célestes et humaines, sur toute la vie en somme du groupe formé autour d’une œuvre ou autour d’une famille d’œuvres, groupe qui comprendra tantôt tout ce qui est notable d’une nation, tantôt toute une classe, tantôt enfin un nombre épars d’individus dont il faudra rechercher les points d’union, — seront dégagés, fondus ensemble, ordonnés, et plaqués enfin sur la sorte de squelette psychologique que l’on aura obtenu antérieurement par l’ordre de recherches que nous avons exposé au précèdent chapitré.

74. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Mais pour celle qui va jusqu’à rendre le mal pour le bien, c’est à quoi je ne me ferai jamais, quelque habitude que j’aie eue de l’éprouver. […] Il entend cette langue mauvaise dans le sens de l’éloquence et de l’élocution, qui ne répond pas au reste ; et comme c’est en partie affaire d’habitude, il convient que lui et son frère s’en tirent mieux que le reste de la famille. […] Cela vient de ce qu’il a du génie ; mais l’esprit s’est rétréci par l’habitude du bon air et de la courtisanerie, où il s’est adonné plutôt qu’à la lecture de l’histoire. […] Le fond de sa pensée attaque toujours ses supérieurs, quoique avec l’abord humble, honteux et embarrassé à leur égard, sans se jouer pour cela, mais par habitude ; mais il ne se ravale pas pour cela avec les inférieurs, ce qui est la suite de ce caractère chez les gens véritablement généreux ; au contraire, il y porte un air important et distrait qui en impose aux égaux et qui le fait respecter des inférieurs. De tout cela il lui a résulté peu de soif de la justice, et comme il ne se commande rien à lui-même, par facilité de vivre et par habitude de suivre ses penchants, il ne s’est formé aucuns principes de morale, de justice, ni de droit public ; il ne voit ces règles qu’à mesure des occurrences et de l’offre de chaque espèce, ce qui rend nécessairement cette conduite fautive et peu profonde, n’étant conduite que par l’esprit.

75. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

On a donc raison de dire que dans les foyers de la vie moderne où tant d’individus se pressent, « le respect s’en va » si l’on entend par là que l’habitude de voir tant d’hommes de près contrarie l’habitude de respecter a priori certaines classes. […] Les habitudes d’esprit que ce perpétuel va-et-vient nous impose ne sont-elles pas de celles qui s’accommodent le mieux avec les exigences égalitaires ? […] Ils sont capables d’y changer beaucoup, puisqu’ils changent les habitudes d’esprit des hommes. […] L’habitude, que seule notre civilisation nous permet, de vivre au milieu d’un nombre considérable d’individus qui changent, et défilent en quelque sorte devant nous pour se substituer les uns aux autres dans les mêmes places, n’est sans doute pas étrangère à l’assouplissement de nos conceptions juridiques : elle nous prépare à reconnaître des droits au premier « passant » venu, c’est-à-dire à tous les êtres, quels qu’ils soient, qui sont hommes.

76. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Il faut que l’esprit ait contracté l’habitude de mettre en ordre ses idées et de penser sur ce qu’il lit ; car la lecture où l’esprit n’agit point et qu’il ne soutient pas en faisant des reflexions sur ce qu’il lit, devient bientôt sujette à l’ennui. […] On acquiert à force de mediter l’habitude de transporter à son gré sa pensée d’un objet sur un autre, ou de la fixer sur un certain objet.

77. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Fénelon, dans ses effusions de parole publique ou particulière, a des instants d’énergie et de grande force2, mais ce ne sont que des instants ; la familiarité, la grâce, l’insinuation, sont sa plus ordinaire habitude et son allure naturelle. […] Au-dedans, vous avez à surmonter le goût d’une vie délicate, un esprit hautain et dédaigneux, avec une longue habitude de dissipation. […] M. de Tréville, dont il m’arrive de parler quelquefois et qui était un personnage considérable aux yeux de la société d’alors, venait de retomber dans des habitudes mondaines après quelques années de retraite et d’austérités. […] Les uns sont ravis de le croire et en triomphent malignement ; les autres en sont troublés… On s’étonne de voir un homme qui a fait semblant d’être bon, ou, pour mieux dire, qui, ayant été véritablement converti dans la solitude, est retombé dans ses inclinations et dans ses habitudes, dès qu’il a été exposé au monde.

78. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Le danger, aujourd’hui, pour quantité d’esprits distingués, atteints dans leurs habitudes, dans leur symbole politique, et qui ont à se plaindre des choses, serait de se fixer dans une disposition habituelle de rancune, d’hostilité sans grandeur, de jugement ironique et satirique : il en résulterait une altération, à la longue, dans le fond même de leur esprit et de leur jugement. […] Tâchons donc, même quand nous ne prendrions aucun plaisir au temps qui passe, de remonter notre montre tous les soirs et de la tenir à l’heure ; c’est une habitude excellente pour l’esprit. […] D’Aguesseau, à Fresnes, pas plus que L’Hôpital en sa maison de Vignay, ne doit se considérer comme un ministre en disgrâce ; c’était un magistrat homme d’études, qui retrouvait, un peu mélancoliquement peut-être, mais sans trop d’ennui, les habitudes de la vie de cabinet. […] Il est difficile aux hommes de notre âge, avec nos habitudes et nos goûts, d’être des satisfaits ; c’est assez d’éviter le faible des mécontents.

79. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Peu à peu, on perdit cette habitude dans les finales des vers et des mots. […] À mesure qu’on s’approche du xive  siècle, on prend l’habitude d’user des rimes alternées dans les pièces à chanter, comme on peut le voir en parcourant les poésies de Charles d’Orléans, ou celles, plus anciennes, de ce Colin Muset, dont M.  […] C’est une habitude contractée par analogie avec des pièces chantées. […] Par malheur on lit si peu les Maîtres du xvie  siècle qu’on ignore tout de leurs habitudes, spécialement en matière d’hiatus qu’ils ne proscrivirent jamais.

80. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Il faut, pour être applaudi au théâtre, que l’auteur possède, indépendamment des qualités littéraires, un peu de ce qui constitue le mérite des actions politiques, la connaissance des hommes, de leurs habitudes et de leurs préjugés. […] Les héros que peignaient les auteurs dramatiques, n’avaient point cette grandeur soutenue que leur a donnée Racine ; mais ce n’est point à une condescendance populaire qu’il faut attribuer cette différence ; tous les poètes ont peint ainsi les caractères, avant que de certaines habitudes monarchiques et chevaleresques nous eussent donné l’idée d’une nature de convention. […] L’amour de la liberté était pour les Grecs une habitude, une manière d’être, et non une passion dominante dont ils eussent besoin de retrouver partout l’expression.

81. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire » pp. 43-50

Or, suivant le sentiment de Platon, l’habitude de se livrer aux passions, même à ces passions artificielles, que la poësie excite, affoiblit en nous l’empire de l’ame spirituelle et nous dispose à nous laisser aller aux mouvemens de nos appetits. […] L’habitude de ces passions nous rend capables de bien des efforts de vertu et de courage que la raison seule ne pourroit pas nous faire tenter.

82. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

La venue de Malherbe n’interrompit point brusquement ces habitudes nationales, et son disciple Maynard fut plus d’une fois, dans l’épigramme, celui de Saint-Gelais. […] Ce n’est pas seulement à la physionomie de son style qu’on s’en aperçoit : le choix peu scrupuleux de ses sujets, et, encore plus, le déréglement absolu de sa vie, se ressentaient des habitudes de la bonne Régence ; le favori de Fouquet avait longtemps vécu au milieu des scandales de Saint-Mandé ; il les avait célébrés, partagés, et était resté fidèle aux mœurs autant qu’à la mémoire d’Oronte. […] N’oublions point, toutefois, que bien des rapports d’inclinations et même de talent le liaient à Chapelle et à Chaulieu ; que, jusqu’au temps de sa conversion, il venait fréquemment deviser et boire sous les marronniers du Temple, à la même table où s’assirent plus tard Jean-Baptiste Rousseau et le jeune Voltaire ; et que ce dernier surtout, vif, brillant, frivole, puisa au sein de cette société joyeuse, où circulait l’esprit des deux Régences, certaines habitudes gauloises de licence, de malice et de gaieté, qui firent de lui, selon le mot de Chaulieu, un successeur de Villon, quoiqu’à dire vrai Voltaire n’eût peut-être jamais lu Villon, et que, pour un convive du Temple, il parlât trop lestement de La Fontaine… 196.

83. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Il est probable que c’était là une de ses habitudes, et qu’à ce moment il était particulièrement aimable et attendri. […] Voulant rendre cette pensée que le croyant ne vit que de lui, que tout entier (corps, sang et âme) il était la vie du vrai fidèle, il disait à ses disciples : « Je suis votre nourriture », phrase qui, tournée en style figuré, devenait : « Ma chair est votre pain, mon sang est votre breuvage. » Puis, les habitudes de langage de Jésus, toujours fortement substantielles, l’emportaient plus loin encore. […] Impossible de traduire dans notre idiome essentiellement déterminé, où la distinction rigoureuse du sens propre et de la métaphore doit toujours être faite, des habitudes de style dont le caractère essentiel est de prêter à la métaphore, ou pour mieux dire à l’idée, une pleine réalité.

84. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Ce n’est pas uniquement parce que l’habitude de l’action influe sur l’habitude de la pensée, et qu’apprendre à se décider, c’est aussi apprendre à bien voir. […] Nous comprenions bien que ce dernier panorama du désert, que ces dernières fantasias d’un peuple équestre et nomade, seraient un spectacle que ne verraient pas nos enfants ; mais nous nous disions aussi que toute cette poésie qui doit céder à la prose, que ces mœurs éloquentes qui seront un jour — un jour plus prochain qu’on ne croit, — remplacées par les habitudes étriquées et plates des temps modernes, auraient du moins ici leur daguerréotype ineffaçable et fidèle, et que l’image qu’elles y auraient laissée en consacrerait le souvenir.

85. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

Le grotesque est son habitude. […] Toute la hideur, toutes les saletés morales, tous les vices que l’esprit humain peut concevoir sont écrits sur ces deux faces, qui, suivant une habitude fréquente et un procédé inexplicable de l’artiste, tiennent le milieu entre l’homme et la bête. […] Son originalité se manifesta bien plus dans son caractère que dans ses ouvrages ; car il fut un des types les plus complets de l’artiste, tel que se le figurent les bons bourgeois, c’est-à-dire du désordre classique, de l’inspiration s’exprimant par l’inconduite et les habitudes violentes.

86. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

La seconde origine de la structure cérébrale et mentale, avons-nous dit, est l’acquisition et la transmission héréditaire des habitudes. […] Sans vouloir prendre ici parti dans ce débat physiologique, nous croyons que, si on n’a pas encore prouvé entièrement la transmission héréditaire des habitudes, encore moins a-t-on prouvé sa non-existence. […] Il est donc incontestable que la structure cérébrale n’est pas due seulement à des modifications produites par l’exercice et l’habitude, mais qu’elle est due encore à des accidents moléculaires ; dans les deux cas, d’ailleurs, c’est l’hérédité qui fixe les résultats. […] Il faut donc restreindre le terme d’expérience individuelle ou ancestrale aux influences directes exercées sur l’esprit par la porte de devant, c’est-à-dire par l’intermédiaire des sens, de l’habitude et de l’association. […] Il se retrouve dans cette contrainte de l’habitude où Hume voyait le type de la causalité, — notion vraie en partie, mais trop étroite.

87. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Henri IV avait songé à épouser Corisandre comme il songea plus tard à épouser Gabrielle : car il y avait en lui de l’homme d’habitude en même temps que de l’inconstant. Henri n’était pas inconstant, en effet, par débauche d’imagination ni par caprice raffiné ; il l’était tout simplement à la gauloise, par promptitude des sens et selon l’occasion ; mais il avait besoin à travers tout d’une fidélité et d’une habitude au logis, d’être père et d’en jouir, de s’ébattre autour d’un berceau ou sur un tapis avec des enfants. […] Le charme pour elle n’existe plus du tout, et elle prend l’habitude, dans son irritation, d’annoter les lettres qu’elle reçoit de Henri et de les charger dans les interlignes de contradictions piquantes et moqueuses ; par exemple, à cet endroit où il est dit qu’il se propose de faire venir bientôt près de lui Mme Catherine, sa sœur, et qu’il la prie de l’accompagner, elle ajoute ironiquement : « Ce sera lorsque vous m’aurez donné la maison que m’avez promise près de Paris, que je songerai d’en aller prendre la possession, et de vous en dire le grand merci. » Il perce dans ce reproche un coin d’intérêt et de calcul qu’on ne voudrait pas en elle. […] Il lui parle du jeune Grammont, qui est près de lui à ce siège, avec intérêt et désir de flatter le cœur d’une mère : « Je mène tous les jours votre fils aux coups et le fais tenir fort sujet auprès de moi ; je crois que j’y aurai de l’honneur. » Les expressions de tendresse, mon cœur, mon âme, s’emploient toujours sous sa plume par habitude, mais on sent que la passion dès longtemps est morte ; et enfin le moment arrive où, après quelques vives distractions qui n’avaient été que passagères, Henri n’a plus le moyen ni même l’envie de dissimuler : l’astre de Gabrielle a lui, et son règne commence (1591).

88. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Sans doute nos mœurs extérieures, c’est-à-dire nos habitudes sociales, nos rapports entre nous dans les relations publiques et dans les relations privées, ont plus d’une fois subi de très grands changements ; peut-être même qu’aucun peuple n’a été soumis à autant de vicissitudes, et n’a plus présenté le spectacle d’un peuple changeant et mobile, d’un peuple difficile à fixer. […] Cette austérité des habitudes républicaines, cette aridité du régime constitutionnel, sont peu à notre usage : nous aimons à pouvoir nous occuper de la chose publique, comme de tout, et en nous jouant, si j’ose parler ainsi ; car tout ce qui nous intéresse, tout ce qui fait le sujet de nos études ou de nos méditations, nous aimons à en parler, le, soir, dans la chambre des dames, comme disaient nos anciens chevaliers sur le champ de bataille ou sur la brèche d’une forteresse ouverte par leur vaillance. […] Ainsi l’excommunication admise par les traditions du clergé de France contre les spectacles paraît être en opposition avec les opinions actuelles, avec les progrès de la société : cependant elle est tellement dans nos habitudes de bienséance, que si elle tombe devant la force de l’opinion il restera toujours cette sorte d’excommunication civile dont les Romains, avant nous, avaient déjà frappé cette classe qui se dévoue aux plaisirs du public, cette profession où ceux qui l’exercent immolent leur personne même à la multitude. […] D’ailleurs quel est le père de famille qui voudrait introduire dans l’intimité de ses habitudes domestiques une femme qui fait métier de se donner en spectacle, dont la beauté et les agréments sont discutés et analysés au sein d’un parterre tumultueux et dans les feuilletons des gazettes, quelquefois avec une si grossière indécence ?

89. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Si la proposition du carré de l’hypoténuse choquait nos habitudes d’esprit, nous l’aurions réfutée bien vite. […] Ce n’est point faire injure à un siècle ni à une race que d’expliquer ses croyances par ses inclinations primitives et par ses habitudes générales ; ce n’est point faire injure à l’éclectisme que d’expliquer sa réussite par le génie et par les inclinations de son pays et de son temps. […] S’ils avaient perdu les habitudes d’analyse, ils avaient gardé la passion de la métaphysique ; ils étaient à la fois sentimentaux et systématiques, et demandaient des théories à leur cœur. […] Enfin, en matière d’idées, le Français est naturellement discipliné, fort différent des Allemands qui réfléchissent chacun à sa façon et chacun dans son coin, très-docile aux opinions courantes, très-paresseux contre les opinions nouvelles, très-grognon quand on dérange ses habitudes, et qu’au lieu de réciter il est contraint de penser.

90. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Ils pensent trois ou quatre fois plus vite que d’habitude, avec des abréviations étranges. […] Son grand besoin est de voir clair ; il veut toujours se rendre compte, et dans la discussion dit quinze fois par heure : « Je n’entends pas. » Un peu sceptique, parfois moqueur, destructeur par occasion, surtout en matière d’illusions poétiques et métaphysiques, il a des habitudes d’algébriste, et a copié de sa main la Langue des calculs. […] L’axiome fataliste se réduit à un fait d’histoire politique et à un groupe d’habitudes morales ; on l’entend, et dès lors on peut le discuter, le vérifier, le prouver, le réfuter et le limiter. […] Art, littérature, philosophie, religion, famille, société, gouvernement, tout établissement ou événement extérieur nécessite et dévoile un ensemble d’habitudes et d’événements intérieurs.

91. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 25, du jugement des gens du métier » pp. 366-374

L’anatomiste s’endurcit de même et il acquiert l’habitude de disséquer sans répugnance des malheureux, dont le genre de mort rend les cadavres encore plus capables de faire horreur. […] Ils sont en habitude d’être émus si foiblement, qu’ils ne s’apperçoivent presque pas si l’ouvrage les touche ou s’il ne les touche point.

92. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

que d’habitudes d’esprit j’aurai à changer ! […] Au xviie  siècle notre Bretagne française fut tout à fait conquise par les habitudes jésuitiques et le genre de piété du reste du monde. […] Mais la libéralité des dévots lui ayant souvent apporté des vases remplis de cette liqueur, il prit l’habitude d’en boire, et on le vit plusieurs fois ivre. […] C’était un vieillard dont la vie, les idées, les habitudes formaient avec celles du pays le plus singulier contraste. […] Je crains toujours que mes habitudes d’esprit ne me trompent, ne me cachent un côté des choses.

93. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Ce qui arrive ordinairement, c’est que, dans ces bouleversements de l’âme entière, le fond de la nature apparaît, et le mot est ce que le caractère primitif et les habitudes invétérées le font. […] Le remède est dans l’esprit : il faut l’élargir, le remplir, lui donner des habitudes de réflexion active, affiner ses pénétrations, son sens critique.

94. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Rien n’est bon, rien n’est innocent, rien n’est sans danger dans l’ennemi vaincu ; ni ses doctrines, ni ses habitudes morales, ni ses plaisirs intellectuels. Chacun voit dans quelqu’une de ces doctrines ou de ces habitudes, le principe de l’inimitié qu’il a fallu réduire à l’impuissance de nuire.

95. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Il régnait dans son habillement une recherche grave, une propreté tout opposées aux habitudes de la plupart des révolutionnaires. […] Cependant l’habitude de vivre dans le Louvre fit trouver à Étienne des distractions en rapport avec son âge et son caractère. […] Ce bruit se communiqua d’oreille en oreille, et jamais, depuis ce jour, on ne se permit la plus légère plaisanterie sur les habitudes religieuses des deux amis lyonnais. […] Quoique les parents d’Étienne vécussent dans l’aisance, tout était simple chez eux, et les manières comme les ameublements se sentaient des habitudes de la vieille bourgeoisie parisienne. […] À cette époque, David avait l’habitude de faire une promenade après son repas, et Étienne l’accompagnait quelquefois.

96. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Cependant elle a servi de texte à un biographe moderne de Molière, pour imputer positivement à toutes les précieuses, comme une des habitudes qui leur étaient communes, les plus ridicules exercices. […] Mais, par le mot Galantes, il entend parler d’un esprit tourné vers les idées et les sentiments romanesques et vers les ouvrages de galanterie, et non des habitudes désordonnées d’une vie galante. […] Il pouvait savoir par le prince et la princesse de Conti, dont il avait été le poète et le directeur des spectacles, que la cour avait été importunée du bruit elle nouvelle école si opposée à ses traditions et à ses habitudes. […] Ne serait-il pas absurde de mettre sur la scène deux vieilles filles qui s’émancipent, et qui sont rappelées aux soins d’un petit ménage et aux habitudes d’économie la plus minutieuse par un père né et vivant dans la médiocrité, et fort éloigné de vouloir se méconnaître et être méconnu de ses enfants, pour faire une leçon d’économie à des femmes dont les pères et les maris sont comblés de richesses héréditaires ? […] L’habitude du travail en famille, la réunion de la mère de famille et de ses filles autour d’une taille de travail est le seul moyen d’enseigner les usages du monde où les jeunes personnes sont destinées à vivre, le seul moyen de donner à leur esprit le développement convenable, à leur langage la facilité et la mesure appropriées à leur condition.

97. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

» Dans les dernières années de sa vie enfin, étant revenu habiter à Lausanne, sa conversation habituelle était en français, et il craint que les derniers volumes de son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, composés durant cette époque, ne s’en ressentent : « La constante habitude, dit-il, de parler une langue et d’écrire dans une autre peut bien avoir infusé quelque mélange de gallicismes dans mon style. » Si ce sont là pour lui des inconvénients et peut-être des torts aux yeux des purs Bretons, que ce soit au moins à nos yeux une raison de nous occuper de lui et de lui rendre une justice plus particulière, comme à un auteur éminent qui a été en partie des nôtres. […] Mais pendant ce séjour de près de cinq ans à Lausanne, il contracta des habitudes intellectuelles qui furent décisives pour sa carrière littéraire et qu’il ne perdra plus. […] De retour dans son pays natal auprès de son père qui s’était remarié, il continue le plus qu’il peut cette vie d’étude et d’exercice quotidien et modéré, il garde, au milieu des dissipations de Londres, ses habitudes préservatrices de Lausanne. […] Selon Gibbon, les Géorgiques de Virgile ont eu un grand à-propos sous Auguste, un but politique et patriotique mêlé à leur charme : il s’agissait d’apprivoiser aux travaux de la paix et d’attacher à la culture des champs des soldats vétérans devenus possesseurs de terres, et qui, avec leurs habitudes de licence, avaient quelque peine à s’y enchaîner : « Qu’y avait-il de plus assorti à la douce politique d’Auguste, que d’employer les chants harmonieux de son ami (son ami est une expression un peu jeune et un peu tendre) pour les réconcilier à leur nouvel état ?

98. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Il faut l’en croire ; pourtant il en garda toujours le ton ; il y avait contracté son pli, l’habitude de crier, de ferrailler comme dans une autre salle d’escrime ; d’imposer son opinion d’une « voix de gourdin », comme dit Grimm. […] M. de Forcalquier remarque très bien chez Duclos ce qui le distinguera de plus d’un bel esprit et d’un philosophe du temps, c’est qu’en tenant à être compté pour ce qu’il vaut, et en mordant par habitude à droite et à gauche sans trop épargner personne, « il pardonne au roi de ne pas le faire ministre, aux seigneurs d’être plus grands que lui, aux gens de son état d’être plus riches. […] Les esprits qui ont une fois cette habitude de crudité franche trouvent moins d’inconvénient à se rudoyer ainsi, que de plaisir à s’exercer et à donner sur n’importe quel sujet et dans quel sens : Je ne suis pas grossier, disait-il, mais trop peu poli pour le monde que je vois. […] Tout ceci était à l’adresse de ceux dont il devait plutôt, dans l’habitude de la vie, paraître le complice et l’allié ; et, grâce à ces passages significatifs, il a pu dédier la seconde édition de son livre à Louis XV. — « Le roi sait que c’est un honnête homme », disait de Duclos Mme de Pompadour. — « Oh !

99. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Le 11 de ce mois est mort, à l’âge de quatre-vingt-trois ans accomplis, un vieillard aimable, spirituel, qui recouvrait, sous les formes d’une politesse exquise et d’une parfaite urbanité mondaine, un caractère ferme, des opinions nettes et constantes, bien de la philosophie pratique ; un sage et un heureux qui avait conservé à travers les habitudes du critique, et avec un esprit volontiers piquant, un cœur bienveillant et chaud, une extrême délicatesse dans l’amitié. […] Tout en rendant justice à Geoffroy, on sent que c’était celui dont il s’éloignait le plus par ses habitudes polies et par le ton. […] Tout judicieux et sensé qu’il se montrait d’ordinaire, il n’était pas sans aimer le paradoxe ; c’est le faible des gens qui sont oracles et qui ont l’habitude d’être écoutés. […] Les sujets qui convenaient le plus à ses habitudes et à ses goûts, et dans lesquels il réussissait le mieux, étaient ceux qui avaient trait à la société du xviiie  siècle.

100. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Haut d’un mètre au plus, il a les pieds tournés en arrière et porte la longue barbe qui semble à peu près générale chez les nains ; il est toujours de couleur sale par suite de l’habitude qu’il a de se coucher parmi la cendre. […] Mœurs et habitudes des Guinné. — Les guinné proprement dits habitent parfois des villages bâtis à la façon de ceux des hommes. […] Quelques guinné ont aussi des habitudes d’anthropophagie qui les apparentent aux ogres de la légende indo-européenne. […] On les corrige de cette mauvaise habitude en pimentant fortement ce mets.

101. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Il y a plus de vingt ans que j’ai l’honneur de la connaître et que j’ai affaire à elle ; que, dans mes études de Port-Royal, j’ai occasion de la rencontrer à chaque instant, de me dire et de me redire en quoi elle diffère par le caractère et le tour d’esprit de sa sœur la mère Angélique, la grande réformatrice du monastère ; que j’ai l’habitude de recourir à ses lettres, à celles dont il existe à la Bibliothèque impériale et à l’Arsenal des recueils manuscrits, pour y chercher la suite et le détail des relations qu’entretenaient avec le dedans de Port-Royal les amis du dehors, les ci-devant belles dames plus ou moins retirées du monde, telles que Mme de Sablé, le ci-devant frondeur M. de Sévigné, oncle de la spirituelle marquise. […] Prosper Faugère, si connu par son édition originale de Pascal, la personne ou les personnes qui avaient préparé le recueil et qui ne se nomment point (selon une habitude modeste ou mystérieuse imitée ou héritée de Port-Royal) ont fait le meilleur choix possible ; il ne se pouvait de plus sûre garantie de scrupule et d’exactitude. […] Il gardait d’abord des habitudes de luxe, de l’argenterie, un carrosse ; il se dépouilla peu à peu et s’accoutuma à tout mettre au service du monastère pour lequel il s’était pris d’un saint enthousiasme.

102. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Rousseau, qui nous l’apprend, n’indique pas toutefois le nom et la condition de la personne qui fit commettre au premier aumônier de Madame cette grave infraction à ses habitudes flegmatiques et régulières. […] Sitôt que ces enfants étaient en âge, il leur faisait apprendre à tous un métier de leur goût, n’excluant que les professions oiseuses, futiles, ou sujettes à la mode, telles, par exemple, que celle de perruquier, qui n’est jamais nécessaire, et qui peut devenir inutile d’un jour à l’autre, tant que la nature ne se rebutera pas de nous donner des cheveux. » On reconnaît bien là notre consciencieux abbé qui faisait tout tourner à l’utile, même ses habitudes ancillaires, et qui peuplait de ses bâtards les divers corps de métiers. […] Une question biographique reste toujours pendante : il n’est pas à croire que Rousseau, dans la note que j’ai citée, et qui paraît se rapporter à un fait accidentel, à un entraînement de l’abbé, ait entendu parler de ces amours d’habitude et si bien réglées qui n’avaient rien de ruineux.

103. (1890) L’avenir de la science « Préface »

On voyait bien tout cela, mais cela sortait des habitudes ordinaires de la langue et du moule des phrases bien faites. […] Autant, sous le rapport de l’exposition, j’ai modifié, à tort ou à raison, mes habitudes de style, autant, pour les idées fondamentales, j’ai peu varié depuis que je commençai de penser librement. […] Notre vraie raison de défendre l’instruction primaire, c’est qu’un peuple sans instruction est fanatique et qu’un peuple fanatique crée toujours un danger à la science, les gouvernements ayant l’habitude, au nom des croyances de la foule et de prétendus pères de famille, d’imposer à la liberté de l’esprit des gênes insupportables.

104. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

On a eu raison d’interroger les portraits et l’écriture d’un auteur, de le suivre pas à pas dans son voyage à travers la vie, de pénétrer dans sa maison et dans les milieux divers qu’il a traversés, de relever son tempérament, ses habitudes, ses goûts, ses amitiés, ses lectures favorites, sa façon de travailler, etc. […] En groupant les habitudes semblables, que nous fait connaître une biographie, on aboutit à une seconde synthèse. […] Sans insister sur les précautions qu’il convient de prendre, disons que la formule cherchée, pour être complète et féconde, doit répondre à cette définition 16 : « L’analyse d’un caractère, si elle est bien faite, donne un air de nécessité à tous les actes d’un homme. » § 3. — On inaugure en ce moment en France un troisième procédé d’étude qui consiste à déterminer directement les facultés, les habitudes, les particularités d’un individu.

105. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

De nombreuses observations étendues aux adultes, aux enfants, aux aliénés, aux diverses races humaines, il conclut que les modes d’expression sont les mêmes partout et qu’ils peuvent s’expliquer par trois principes fondamentaux : la loi d’association ou d’habitude ; le principe de l’antithèse ; l’action directe du système nerveux indépendamment de la volonté, — On peut se demander si Darwin a résolu la question capitale et dernière : pourquoi telle émotion agit sur tel muscle ou tel groupe de muscles plutôt que sur tel autre ; si les trois principes par lui posés sont réellement irréductibles ; si le troisième n’est pas en réalité le fondement des deux autres : l’ouvrage n’en a pas moins une grande valeur psychologique par tes résultats et par la méthode. […] Dans son livre sur L’habitude et l’intelligence 287, il admet « la loi d’association comme loi dernière, mais pour la psychologie seulement. […] Mais les phénomènes de l’esprit ne sont qu’une partie des phénomènes de la vie et la loi d’association n’est qu’un cas particulier, quoique très important d’une loi qui est vraie de tous les phénomènes de la vie, — la loi d’habitude. » Il considère aussi les concepts de temps et d’espace, comme les résultats de l’expérience, mais de l’expérience de la race et non de l’expérience individuelle.

106. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

L’habitude fait partie de notre sentiment esthétique. […] Il se trouve dans sa jolie pièce : L’Habitude : L’habitude est une étrangère Qui supplante en nous la raison, C’est une vieille ménagère Qui s’installe dans la maison, …………………………………… Cette vieille au pas monotone Endort la jeune liberté.

107. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre dixième. »

Quoique l’invention de cette fable soit un peu bizarre, quoique la tortue y soit peinte dans un costume bien étranger à ses habitudes, on peut ranger cet Apologue parmi les bons. […] Les meilleures fables sont celles où les animaux sont peints dans leur naturel, avec les goûts et les habitudes qui naissent de leur organisation. […] Que peuvent donc avoir de commun les mœurs de l’homme et les habitudes des animaux ?

108. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Si, avec le temps, cette contrainte cesse d’être sentie, c’est qu’elle donne peu à peu naissance à des habitudes, à des tendances internes qui la rendent inutile, mais qui ne la remplacent que parce qu’elles en dérivent. […] L’habitude collective n’existe pas seulement à l’état d’immanence dans les actes successifs qu’elle détermine, mais, par un privilège dont nous ne trouvons pas d’exemple dans le règne biologique, elle s’exprime une fois pour toutes dans une formule qui se répète de bouche en bouche, qui se transmet par l’éducation, qui se fixe même par écrit. […] La structure politique d’une société n’est que la manière dont les différents segments qui la composent ont pris l’habitude de vivre les uns avec les autres.

109. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

À leur tête, le roi, qui a fait la France en se dévouant à elle comme à sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre ; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanités, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des préoccupations de famille, des intrigues de maîtresse, des caprices d’épouse gouvernent un État de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalité, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait à peine dans la conduite d’un domaine privé  Roi et privilégiés, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goût, le bon ton, le talent de représenter et de recevoir, le don de causer avec grâce, finesse et gaieté, l’art de transformer la vie en une fête ingénieuse et brillante, comme si le monde était un salon d’oisifs délicats où il suffit d’être spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque où il faut être fort pour combattre, et un laboratoire où il faut travailler pour être utile  Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimé à l’esprit français la forme classique, qui, combinée avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitième siècle, le discrédit de la tradition, la prétention de refondre toutes les institutions humaines d’après la raison seule, l’application des méthodes mathématiques à la politique et à la morale, le catéchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social  Une fois que la chimère est née, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon ; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubanné comme un mouton d’églogue ; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bête enragée et formidable ; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hôtel, ils le laissent descendre dans la rue  Là, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilèges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inégalité blesse en froissant son amour-propre, la théorie révolutionnaire prend des accroissements rapides, une âpreté soudaine, et, au bout de quelques années, se trouve la maîtresse incontestée de l’opinion  À ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de têtes, une brute effarouchée et aveugle, tout un peuple pressuré, exaspéré et subitement déchaîné contre le gouvernement dont les exactions le dépouillent, contre les privilégiés dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes désertées par leurs patrons naturels, il se rencontre une autorité survivante, sans que, dans ces provinces pliées à la centralisation mécanique, il reste un groupe indépendant, sans que, dans cette société désagrégée par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de résistance, sans que, dans cette haute classe désarmée par son humanité même, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontés et de belles intelligences puissent se défendre contre les deux ennemis de toute liberté et de tout ordre, contre la contagion du rêve démocratique qui trouble les meilleures têtes et contre les irruptions de la brutalité populacière qui pervertit les meilleures lois.

110. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Laissons-les acquérir de la facilité, une certaine adresse empirique, une certaine habitude de trouver et de rendre des pensées ; n’imposons des lois à ce qu’ils font que quand ils sont en état de faire quelque chose. […] Quand ils auront acquis ainsi une certaine habitude de composer et d’écrire, alors il sera bon de leur mettre un livre entre les mains.

111. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Voilà ce qui fait le fond de nos conversations et de nos lettres, et nous prenons dès le collège l’habitude d’appliquer ainsi sur tous les sujets qu’on nous propose des pensées reçues, des phrases faites, où nous n’avons aucun intérêt de cœur ni d’esprit. […] Eût-on quelque velléité de sentir autrement, fût-on convaincu même que la vérité des faits y oblige, la phrase est là, si tentante, si facile à prendre ; il est si commode de la ramasser ; on a si peu le loisir, si peu l’habitude de sentir sa propre pensée et d’en chercher l’exacte formule, qu’on se laisse aller ; et l’on dit blanc quand on eût pensé noir si l’on n’avait pas lu son journal.

112. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Le snob ne s’aperçoit pas que, d’être aveuglément pour l’art et la littérature de demain, cela est à la portée même des sots ; qu’il est aussi peu original de suivre de parti pris toute nouveauté que de s’attacher de parti pris à toute tradition, et que l’un ne demande pas plus d’effort que l’autre ; car, comme le dit La Bruyère, « deux choses contraires nous préviennent également, l’habitude et la nouveauté. » C’est par ce contraste entre sa banalité réelle et sa prétention à l’originalité que le snob prête à sourire. […] En somme, tradition ou progrès, l’une ne s’établit et l’autre ne se détermine que par la docilité et la crédulité des esprits subalternes, et par la suggestion qu’exercent sur eux quelques esprits supérieurs autour desquels se rangent, en deux camps, les snobs de la nouveauté et les snobs de l’habitude, diversement, mais également dociles, et satisfaits de l’être.

113. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

La différence du noble et du vilain est aussi accentuée que possible ; mais la différence de l’un à l’autre n’est en rien une différence ethnique ; c’est une différence de courage, d’habitudes et d’éducation transmise héréditairement ; l’idée que l’origine de tout cela soit une conquête ne vient à personne. […] Au bout d’une ou deux générations, les envahisseurs normands ne se distinguaient plus du reste de la population ; leur influence n’en avait pas moins été profonde ; ils avaient donné au pays conquis une noblesse, des habitudes militaires, un patriotisme qu’il n’avait pas auparavant.

114. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Parce que la sociologie est née des grandes doctrines philosophiques, elle a gardé l’habitude de s’appuyer sur quelque système dont elle se trouve ainsi solidaire. […] Quand, comme condition d’initiation préalable, on demande aux gens de se défaire des concepts qu’ils ont l’habitude d’appliquer à un ordre de choses, pour repenser celles-ci à nouveaux frais, on ne peut s’attendre à recruter une nombreuse clientèle.

115. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Il y a là une habitude d’écrire et une imagination cultivée qui pouvait dire son nom sans se compromettre, mais qui, en ne le disant pas, ne nous fera pas mourir de curiosité. […] Le Zélislas du Blessé de Novare est, malgré son rang et ses habitudes, un personnage assez vulgaire, et dont un artiste qui pense ne pouvait tirer parti qu’en forçant son genre d’individualité.

116. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

L’orgueil de chaque Nation a donc créé à son avantage ce mot, qu’elles appliquent ensuite à tous les objets, afin de proscrire plus sûrement ce qui n’entre pas dans leurs usages, ou ce qui choque leurs habitudes. […] Qui l’a donc égaré, si ce n’est l’habitude, & ce fatal Aristote qu’il commentoit si mal. […] La Tragédie, en France, a peint l’homme en efforts & non dans ses habitudes, qui révèlent le fond des caractères. […] Les préjugés durcissent avec la tête qui les enferme : l’habitude leur fait contracter une ténacité que rien ne peut vaincre. […] La Nature est prodigue d’Hommes de génie ; l’éducation dominante, les préjugés, l’habitude, l’imitation, les Livres & les sots hommes, étouffent ces germes heureux.

117. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

D’autre part, l’âme primitive nous échapperait complètement aujourd’hui s’il y avait eu transmission héréditaire des habitudes acquises. […] Nous avons pris l’habitude de considérer la première comme inséparable de la seconde, comme un reflet ou un effet. […] Elle ne saurait transformer en dispositions naturelles les habitudes contractées de génération en génération. Si elle avait quelque prise sur l’habitude, elle en aurait bien peu, accidentellement et exceptionnellement ; elle n’en a sans doute aucune. […] C’est probablement ainsi que s’explique en partie l’habitude d’immoler des victimes humaines, habitude qu’on trouverait dans la plupart des religions antiques, peut-être dans toutes si l’on remontait assez haut.

118. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

En effet, regardez tour à tour les habitudes d’analyse et de salon. […] Vous lui imposiez des habitudes de salon ; est-ce qu’il y a aujourd’hui des salons ? […] Vous voyez bien que Balzac a le droit d’être encyclopédiste, philosophe, violent et étrange, que ses habitudes de style conviennent à nos habitudes de vie, et que l’écrivain est autorisé par le public. […] Vous êtes choqué d’abord ; puis l’habitude vient, bientôt la sympathie et le plaisir. […] Une habitude l’a fait, l’usage d’aller en visite l’après-midi et en soirée le soir.

119. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Si l’on excepte, en effet, quelques cas rares où la vivacité de la passion a forcé un moment le ton et dépassé la convenance, l’habitude est de vivre à l’Académie comme entre confrères et de ne s’aborder que par les surfaces polies. […] Sitôt que tel membre prenait la parole, tel autre membre la demandait immanquablement pour lui répondre et le contrecarrer, quel que fût le cas, souvent même avant de bien savoir de quoi il s’agissait et uniquement pour n’en pas perdre l’habitude. […] Le public a généralement ratifié les choix de l’Académie pour ce prix qu’elle a l’habitude de fractionner en deux d’une valeur fort inégale. […] L’Académie, de ce côté, a surtout à se garder des inconvénients de l’habitude dans un milieu tiède et doux. […] Quoiqu’on n’aime aujourd’hui que le saillant et le coloré, je citerai le passage : « En voyant un si grand homme dans le négligé de sa vie domestique, j’admirais encore en lui une simplicité de manières qui encourageait la modestie timide, sans permettre cependant la familiarité ; un entier oubli de sa gloire, mais qui n’excluait pas le goût de la louange ; une habitude de distractions toujours réparées par les retours d’une bonté naïve ; une vivacité de discours qui avait l’air de l’abandon, mais d’où s’échappaient des éclairs de génie. » C’était le goût d’alors, tout en nuances : on ne saurait moins appuyer et mieux dire. — Il y avait une chose que Suard n’eût jamais dite en pleine Académie, mais qu’il aimait à raconter.

120. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Sa poésie a une ingénuité de sentiments et d’émotions qui s’attachent à des objets pour lesquels le grand nombre n’a guère de sympathie, et où il y a plutôt travers d’esprit ou habitudes bizarres de jeune homme pauvre et souffreteux, qu’attachement naturel et poétique. […] Je crois seulement que je ne crois à rien ; je me trompe cependant, je crois à ce qu’on appelle conscience, soit instinct, soit mauvaise habitude d’idées, soit effet de préjugés et de respect humain. Je sens que je suis honnête homme, et qu’il me serait impossible de ne pas l’être, non pour plaire à un Être suprême qui n’existe pas, mais pour me plaire à moi-même, qui ai besoin de vivre en paix avec mes préjugés et mes habitudes, et pour donner un but à ma vie et un aliment à mes pensées. […] « “Dante a caractérisé le Mincio par une expression exacte et énergique, selon son habitude : ‘(Il ne court pas longtemps sans trouver une plaine basse dans laquelle il s’étend et qu’il emmarécage). […] « Ainsi Virgile est surtout sensible à la fraîcheur profonde d’un doux paysage verdoyant et dormant ; au murmure des abeilles dans la haie ; au chant, mais un peu lointain, de l’émondeur là-bas, sur le coteau ; au roucoulement plus voisin du ramier ou de la tourterelle ; il aime cette habitude silencieuse et tranquille, cette monotonie qui prête à une demi-tristesse et au rêve.

121. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

À l’époque où je suis venu au monde surtout, les vestiges et les traditions du régime féodal volontaire, vestiges encore mal effacés entre les châteaux et les chaumières, rappelaient à s’y tromper les mœurs et les habitudes de cette féodalité primitive et rurale qui existait du temps d’Homère dans Ithaque et sur le continent grec des bords de la mer Adriatique. […] Les paysans, émancipés de toute féodalité oppressive par les lois, ne leur payaient plus tribut ni redevances, mais ils leur payaient toujours spontanément l’amour d’habitude, la déférence de tradition, le respect héréditaire. […] C’est là que nous avons pris tous le goût passionné et l’habitude de la vie des champs, qui élargit l’âme, en opposition avec le séjour des villes, qui la rétrécit. […] L’autorité, établie d’elle-même par l’habitude et par le respect, avait à peine besoin du commandement pour être obéie. […] Chacun de nous, chacun de vous n’a-t-il pas eu son Euryclée, cette seconde mère des enfants de la maison, par l’habitude de les avoir vus naître, par le lait ou les soins qu’elle leur a donnés tout petits, par le plaisir qu’elle a eu en les voyant grandir, par l’orgueil qu’elle a en les voyant grands et respectés dans la maison ?

122. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Elle reçoit chez elle des visites de Mme Necker, « triste, languissante, mais toute pleine d’espérance. » Elle y va dîner une ou deux fois, mais sur ce chapitre elle a contre eux un véritable grief qui l’empêchera d’y retourner : c’est qu’ils dînent à cette heure indue qui était alors quatre heures et demie de l’après-midi : la marquise avait l’habitude de dîner à deux heures. […] À un certain moment toutefois, vers l’âge de 44 ans, elle avait pris un parti absolu, celui de la dévotion, qui se marquait alors par une réforme dans la toilette, par les habitudes extérieures. […] Désabusée comme elle était, elle avait à craindre pourtant le grand ennemi des personnes qui ont vécu dans la société et qui se sont fait une habitude de la conversation, l’ennui. « Je voudrais, disait-elle, trouver quelqu’un qui calculât la vie et qui en fît le cas qu'elle mérite. » Oui, mais pour en causer avec ce quelqu’un et pour se donner le plaisir de dire ensemble que la vie n’est rien. « J’ai eu une destinée singulière, disait-elle encore : j’ai voulu être lettrée, et les lettrés m’ont paru ignorants ; femme du monde, et, outre la bêtise des gens du monde, c’est qu’ils ne savent pas vivre. […] Cela bientôt la mena à s’en faire un ami, un correspondant nécessaire, et, l’habitude prise, à sentir souvent qu’il lui faisait faute : « Êtes-vous pour toujours en Hainaut ?

123. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Élevée auprès de sa mère, l’illustre Marie-Thérèse, « dans la simplicité des princes d’Autriche et suivant l’habitude viennoise de vivre au sein d’une société restreinte et familière », elle dut s’effrayer à l’idée de passer tout à coup dans ce Versailles solennel dont on parlait tant. […] Le roi, avons-nous dit, est très bien pour elle ; quoiqu’il parle très peu en général, il l’encourage cependant et lui adresse quelquefois la parole plus que d’habitude : il lui arrive même alors de dire des mots « aussi agréables qu’elle en ait jamais entendu. » Mais, malgré tout, on ne voit le roi que très peu, « au moment où il sort, — un éclair. » Il vit dans son particulier et tout à ce que nous savons. Les trois tantes, filles du roi, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie (il n’est plus question de Madame Louise la carmélite) sont assez difficiles à définir dans leur insignifiance, tantôt démonstratives à l’égard de la Dauphine, tantôt froides et piquantes, surtout la moins jeune (Madame Adélaïde) : « Ma tante Adélaïde m’intimide un peu ; heureusement que je suis favorite de ma tante Victoire, qui est plus simple ; — pour la tante Sophie, elle n’a pas changé ; c’est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mais elle a toujours l’air de tomber des nues : elle restera quelquefois des mois sans ouvrir la bouche, et je ne l’ai pas encore pu voir en face… » Cette tante Sophie, qu’on ne pouvait voir en face et qui était si habile à se dérober, est bien celle dont Mme Campan a dit que « pour reconnaître, sans les regarder, les gens qui étaient sur son passage, elle avait pris l’habitude de voir de côté à la manière des lièvres. […] Mais dans l’habitude de la vie et de la conversation, on saisit avec plaisir chez elle ce jet facile et courant, une parole vive, aisée, des plus naturelles, et même spirituelle.

124. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Le plan de Malouet consistait, d’abord, à en avoir un, à ne pas affronter cette grande crise « sans aucun préparatif de défense, sans aucune combinaison ; à savoir bien nettement ce qu’on voulait concéder, jusqu’où l’on voulait porter les réformes, à le dire, à le déclarer hautement, de manière à retrouver le tout en substance dans le texte des cahiers de bailliages, ce qui, selon l’état de l’opinion en province, lui semblait alors fort possible ; à ne pas s’en remettre pour ces points essentiels à une réunion de douze cents législateurs tirés de toutes les classes, la plupart sans expérience, sans habitude de discussion et de méditation sur ces graves matières, exposés à tous les souffles de l’opinion extérieure, et livrés au flux et reflux des grandes assemblées. […] Necker, « il ne disait rien et regardait le plafond, suivant son habitude » ; et l’on a cru remarquer en effet que d’ordinaire l’horizontalité de son front était en raison directe de l’incertitude de son esprit90. […] Un jour, à Verberie, comme il arrivait, selon son habitude, portant à la main un paquet très sommaire enveloppé dans un mouchoir de couleur, Chabanon qui, de la fenêtre, le voyait venir, lui cria : « L’abbé, tu arrives avec ton bagage ; tu viens donc ici pour trois ans ?  […] Mandez cela au général Vandamme et à l’architrésorier en Hollande, dont l’habitude est d’avoir grand’peur.

125. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Il procède d’habitude par l’accolement, sans conjonction, de deux propositions à sens presque identique, qui redoublent l’idée, l’enfoncent en deux coups de maillet, et marchent puissamment dans un rythme balancé, jusqu’à ce que soit atteinte la fin du paragraphe, que M.  […] Ce dernier procédé, qui ressemble fort à celui des phrases-thèmes de Wagner, ayant le tort d’enserrer en formule constante un être variable, est éliminé d’habitude de la figuration des personnages de second plan parmi lesquels se trouvent les êtres les plus vifs que M.  […] Ils arrivent à représenter l’homme, ses habitudes, sa nature, ses penchants et ses passions, complètement, sans choix ou presque ainsi. […] Le romancier se borne d’habitude pour ce grossissement à décrire en détail l’ensemble exagéré, comme si ses sens le lui avaient présenté tel ; Mais parfois son penchant à l’énorme et au complet l’entraînent à user de procédés que leur contradiction avec ses doctrines rend intéressants.

126. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Une conscience qui ne serait qu’un duplicatum, et qui n’agirait pas, aurait depuis longtemps disparu de l’univers, à supposer qu’elle y eût jamais surgi : ne voyons-nous pas que nos actions deviennent inconscientes dans la mesure où l’habitude les rend machinales ? […] Or, une étude plus approfondie des diverses aphasies montrerait précisément l’impossibilité d’assimiler les souvenirs à des clichés ou à des phonogrammes déposés dans le cerveau : à mon sens, le cerveau ne conserve pas les représentations ou images du passé ; il emmagasine simplement des habitudes motrices. […] Car, sans doute, si l’on eût dépensé de ce côté la somme de travail, de talent et de génie qui a été consacrée aux sciences de la matière, la connaissance de l’esprit eût pu être poussée très loin ; mais quelque chose lui eût toujours manqué, qui est d’un prix inestimable et sans quoi le reste perd beaucoup de sa valeur . la précision, la rigueur, le souci de la preuve, l’habitude de distinguer entre ce qui est simplement possible ou probable et ce qui est certain. […] L’habitude d’apporter à l’étude de la réalité concrète les mêmes exigences de précision et de rigueur qui sont caractéristiques de la pensée mathématique est donc une disposition que nous devons aux sciences de la matière, et que nous n’aurions pas eue sans elles.

127. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

L’abbé Maury l’avait dit, mais, selon son habitude, il l’avait affirmé plus qu’il ne l’avait su ; il ne l’avait nullement démontré. […] Il se dévoua tout entier à l’instruction de ses diocésains, prêchant fréquemment dans sa cathédrale, où j’ai été étonné d’apprendre que son peuple finit par négliger de l’entendre, soit que son admirable talent eût diminué, ou que l’habitude trop répétée en eût affaibli l’impression ; soit, ce qui est plus probable, que Bossuet ayant pris celle des considérations les plus élevées, et traitant des matières au-dessus de la portée du vulgaire, ses auditeurs fussent dans le cas de lui adresser le reproche que faisait à saint Chrysostome une bonne femme d’Antioche : Père, nom t’admirons, mais nous ne te comprenons pas.

128. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

En s’approchant du trône, elle ne changea pas ; sa circonspection se raffina de plus en plus ; la dévotion qu’elle avait affichée jusque-là, par contenance plutôt que par componction, s’accrut par l’âge, l’oisiveté, l’habitude, et ne devint que plus étroite en devenant plus sincère. […] Prêcheuse par tournure et habitude d’esprit, un peu pédante, de ce pédantisme dont on a dit qu’il était le plus joli du monde, elle avait de tout temps aimé à conseiller et à moraliser.

129. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Les allusions, les allégories, toutes les fictions de l’esprit, tous les déguisements qu’il emprunte, sont des combinaisons avec lesquelles on produit de la gaieté ; et, dans tous les genres, les efforts de la pensée vont très loin, quoiqu’ils ne puissent jamais atteindre à la souplesse, à la facilité des habitudes, au bonheur inattendu des impressions spontanées. […] La nation étant plus une, l’écrivain prend l’habitude de s’adresser dans ses ouvrages au jugement et aux sentiments de toutes les classes ; enfin les pays libres sont et doivent être sérieux.

130. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

On n’aperçoit pas où en était le latin populaire quand la Gaule le reçut, ni ce qu’en firent ces bouches et ces esprits de Celtes pendant les siècles de la domination romaine : on ne peut mesurer à quel point les habitudes intimes et comme l’âme de la langue celtique s’insinuèrent dans le latin gallo-romain. […] A mesure que la pensée et la science élargissent ces étroits cerveaux et en éveillent l’activité, à mesure aussi que les lettrés prennent l’habitude d’user de la langue vulgaire, la première provision de mots préparée par le peuple ne suffira plus.

131. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

décidément, ce n’est point par habitude ! […] … point par habitude… Croyez-le bien ! 

132. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

C’est un éclectique de tendance, d’éducation et d’habitude, mais valant mieux, par les exigences de son esprit, que ces faiseurs de mosaïques et de petits recollages. […] C’est un enfantillage de penser qu’en cessant d’être la religion qu’il fut toujours, le catholicisme sauvera le monde, qui ne croit plus au catholicisme et qui le repousse ; et c’est la contradiction la plus effroyable pour un philosophe qui devrait avoir l’habitude du raisonnement, que d’appeler une Religion progressive celle dont on a ôté le Dogme, c’est-à-dire la seule chose qui donne aux systèmes religieux, — qui, sans elle, ne seraient que des systèmes, — leur caractère sine quâ non de religion.

133. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

II On accorde que vouloir, aimer et savoir lire sont habitudes indispensables au critique. […] — Et puis l’habitude de juger glace l’impression. — Quelle erreur ! […] Bien fâcheuse posture mondaine, mais habitude nécessaire d’esprit naturellement critique.

134. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Il descendit, selon son habitude, dans la maison de Lazare, Marthe et Marie, ou de Simon le Lépreux. […] Eu égard aux habitudes économes de la communauté, c’était là une vraie prodigalité. […] On résolut aussi de ne pas s’emparer de lui dans le temple, où il venait tous les jours 1067, mais d’épier ses habitudes, pour le saisir dans quelque endroit secret.

135. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Le roman de Furetière, peinture aussi exacte que vive des habitudes et des travers de toute une classe de la société, est un tableau ; c’est le premier roman d’observation qu’ait produit la littérature française. […] Jamais la bourgeoisie, ses mœurs et ses habitudes, n’avoient été jusque alors l’objet d’une analyse aussi studieuse, aussi détaillée, que celle que leur consacre Furetière dans son roman. La maison du procureur, son intérieur, son mobilier, son jargon, ses plaisirs, le caquet de sa femme, et jusqu’au menu de ses repas et de ses festins, y sont pour la première fois décrits avec la fidélité et la minutie d’un procès-verbal ; les personnages s’y montrent non pas tels qu’il a plu au romancier de les faire, mais tels qu’ils ont dû être rigoureusement par rapport à leur époque et à leur fonction, et l’on sent parfaitement, à la façon dont ils se conduisent, que l’auteur se préoccupe bien moins de leur faire jouer un rôle que d’accuser scrupuleusement jusqu’aux moindres circonstances de leurs habitudes et jusqu’aux moindres détails de leur physionomie.

136. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Ce devait être un livre à part, comme son auteur, — qui ne fut point un écrivain dans le sens notoire et officiel du mot, qui n’en eut ni les mœurs, ni les habitudes, ni l’influence, ni l’attitude devant le public. […] La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue. — Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’Université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. Stendhal, malgré l’énergie d’un esprit dont la principale qualité est la vigueur, a subi comme les plus faibles cette tyrannie des habitudes de la pensée.

137. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Ce devait être un livre à part, comme son auteur, — qui ne fut point un écrivain dans le sens notoire et officiel du mot, — qui n’en eut ni les mœurs, ni les habitudes, ni l’influence, ni l’attitude devant le public. […] La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue… Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde, que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. Stendhal, malgré l’énergie d’un esprit dont la principale qualité est la vigueur, a subi, comme les plus faibles, cette tyrannie des habitudes de la pensée.

138. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

L’habitude des psychologues de s’en tenir à l’attention volontaire, et même à ses manifestations supérieures, cachait cette origine. […] La troisième période est celle d’organisation : l’attention est suscitée et maintenue par l’habitude. […] On ne découvre, on n’invente, on ne résout que d’après les habitudes de son esprit. […] Aussi il y a des cas qui présentent au moins une ébauche de l’attention volontaire, ce qui est assez naturel chez ceux qui en ont contracté l’habitude. […] Éliminons d’abord la routine de la vie, toute cette masse énorme d’habitudes qui nous meuvent comme des automates, avec des états de conscience vagues et intermittents.

139. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Il faut, pour se représenter cette irréductibilité et cette irréversibilité, rompre avec des habitudes scientifiques qui répondent aux exigences fondamentales de la pensée, faire violence à l’esprit, remonter la pente naturelle de l’intelligence. […] Mais, d’autre part, cette mathématique naturelle n’est que le soutien inconscient de notre habitude consciente d’enchaîner les mêmes causes aux mêmes effets ; et cette habitude elle-même a pour objet ordinaire de guider des actions inspirées par des intentions ou, ce qui revient au même, de diriger des mouvements combinés en vue de l’exécution d’un modèle : nous naissons artisans comme nous naissons géomètres, et même nous ne sommes géomètres que parce que nous sommes artisans. […] Les caractères acquis dont on parle sont le plus souvent des habitudes ou des effets de l’habitude. Et il est rare qu’à la base d’une habitude contractée il n’y ait pas une aptitude naturelle. De sorte qu’on peut toujours se demander si c’est bien l’habitude acquise par le soma de l’individu qui s’est transmise, ou si ce ne serait pas plutôt une aptitude naturelle, antérieure à l’habitude contractée : cette aptitude serait restée inhérente au germen que l’individu porte en lui, comme elle était déjà inhérente à l’individu et par conséquent à son germe.

140. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Notre connaissance des choses ne serait plus alors relative à la structure fondamentale de notre esprit, mais seulement à ses habitudes superficielles et acquises, à la forme contingente qu’il tient de nos fonctions corporelles et de nos besoins inférieurs. […] Solidité et choc empruntent donc leur apparente clarté aux habitudes et nécessités de la vie pratique ; — des images de ce genre ne jettent aucune lumière sur le fond des choses. […] Là où le rythme du mouvement est assez lent pour cadrer avec les habitudes de notre conscience, — comme il arrive pour les notes graves de la gamme par exemple, — ne sentons-nous pas la qualité perçue se décomposer d’elle-même en ébranlements répétés et successifs, reliés entre eux par une continuité intérieure ? Ce qui nuit d’ordinaire au rapprochement, c’est l’habitude prise d’attacher le mouvement à des éléments, — atomes ou autres, — qui interposeraient leur solidité entre le mouvement lui-même et la qualité en laquelle il se contracte. […] Comme il ne voit dans les qualités sensibles que des sensations, et dans les sensations elles-mêmes que des états d’âme, il ne trouve rien, dans les qualités diverses, qui puisse fonder le parallélisme de leurs phénomènes : force lui est donc bien d’expliquer ce parallélisme par une habitude, qui fait que les perceptions actuelles de la vue, par exemple, nous suggèrent des sensations possibles du toucher.

141. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

L’instinct, l’habitude, la mémoire et l’imitation font encore une partie de celle-ci et quelque nouveauté distingue déjà la première. […] Rien n’est plus commun que cette habitude de nos tendances de profiter ainsi les unes des autres. […] Elle comprend une bonne part d’éléments fournis par l’habitude, par l’instinct, par la routine, imposés par le milieu. […] La routine, l’habitude est une imitation de soi-même ; elle n’exige aucun effort, ne suppose aucune modification. […] L’habitude succède à l’invention.

142. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Mais cette méthode a contre elle les habitudes les plus invétérées de l’esprit. […] Mais on prouverait aussi bien, avec un pareil raisonnement, l’impossibilité d’acquérir n’importe quelle habitude nouvelle. […] Le devoir de la philosophie serait donc d’intervenir ici activement, d’examiner le vivant sans arrière-pensée d’utilisation pratique, en se dégageant des formes et des habitudes proprement intellectuelles. […] De là notre habitude de désigner par le même mot, et de nous représenter de la même manière, l’existence de lois dans le domaine de la matière inerte et celle de genres dans le domaine de la vie. […] Ainsi, que le nombre des atomes composant a un moment donné l’univers matériel augmente, cela heurte nos habitudes d’esprit, cela contredit notre expérience.

143. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il nous faudrait des chefs qui nous éduquassent mieux, qui eussent donner l’essor à nos mouvements, qui laissassent aller nos saillies pour mettre les esprits dans l’habitude d’un mouvement noble et d’un feu qui les élèverait, et rétablirait le génie et le goût comme dans le beau siècle de Louis XIV, et peut-être mieux ; des chefs qui récompenseraient à propos et ne puniraient les Français que par la privation des grâces, seule façon de diriger les gens à talents. […] Il estime que le malheur de la plupart des hommes provient d’inquiétude, et de cette poursuite éternelle de quelque chose d’autre, au lieu de jouir de ce qu’on a : « Les hommes, dit-il, sont toujours in via et jamais in mansione. » Il attribue cette inquiétude à l’exemple, à l’imitation, à des causes étrangères à la nature de l’homme : « C’est une mauvaise et extraordinaire habitude, croit-il, dont nous pouvons être corrigés par le progrès de la raison universelle, comme on l’a été de la superstition et de quantité d’habitudes barbares et de façons de penser peu approfondies. » Pour lui, il est heureux et content de vivre ; il lui semble assister à un beau spectacle, à un joli songe ; si l’envie prend parfois au spectateur de faire l’acteur, c’est une faute, on est sifflé (il en sait quelque chose), et l’on s’en repent. […] Là aussi il a été malencontreux et gauche comme il en avait trop pris l’habitude ; occupé de son gros bagage, il a manqué le coche, comme on dit.

144. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

On écrit volontiers comme on parle, comme on est présentement affecté ou comme on s’exprime dans l’habitude, et je ne dis pas qu’on ait absolument tort. […] Il a une méthode à lui, une habitude de citations et de textes dont il ne se sépare jamais. […] Les autres bonheurs passent vite ; les moins fugitifs s’usent avec le temps et se déflorent par l’habitude. […] Deschanel, en célébrant, selon le goût du siècle, qui en cela va un peu loin, l’amour et l’adoration des parents pour les enfants, insiste avec raison sur une idée des plus vraies : c’est une bonne habitude morale d’avoir près de soi quelqu’un qu’on aime mieux que soi.

145. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Il est donc arrivé qu’au sortir de nos habitudes généreuses ou spécieuses de la Restauration, et avec notre fonds de préjugés un peu délicats en cette matière, aujourd’hui que la littérature purement industrielle s’affiche crûment, la chose nous semble beaucoup plus nouvelle qu’elle ne l’est en effet : il est vrai que le manifeste des prétentions et la menace d’envahissement n’ont jamais été plus au comble. […] Il faut bien se résigner aux habitudes nouvelles, à l’invasion de la démocratie littéraire comme à l’avénement de toutes les autres démocraties. […] Desnoyers, qui a su conserver dans la mêlée la plus active des intentions droites et des habitudes élevées de caractère. […] Buloz, qui cumulait les soins de directeur de la Revue des Deux Mondes et les fonctions de commissaire royal près le Théâtre-Français, ayant été reçu en audience par Louis-Philippe, et celui-ci, selon son habitude peu royale, s’étant mis à se plaindre et à gémir sur les difficultés qu’il rencontrait à gouverner, M.

146. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Elle passe des heures entières avec M. de Louvois et avec madame de Thianges… L’habitude lui a attaché le roi. […] Il est homme d’habitude… Le roi lit quelquefois l’Écriture sainte, et il trouve que c’est le plus beau de tous les livres. […] Cette mort, la retraite pieuse qui l’avait précédée, et qui rappelait celle de madame de La Vallière, l’âge, la réflexion dont le roi prenait l’habitude avec madame de Maintenon, le jetèrent dans une tristesse profonde et suspendirent le cours de ses dérèglements. […] Si le triomphe de madame de Maintenon était celui de toutes les femmes de sa société, de leur esprit, de leurs mœurs, de leur a me délicate et pure, sur les habitudes désordonnées du roi, à son tour le changement opéré dans l’esprit et dans les mœurs du roi en opéra un pareil dans cette innombrable multitude de personnes qui ne connaissaient d’autre règle de conduite, d’autre règle du langage que les exemples du monarque.

147. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Ainsi dans les sociétés, les modes d’actions généralement pratiquées seront les signes, les plus expressifs du tour des opinions généralement reçues : consolidées, objectivées ou non, inscrites dans les choses ou seulement dans les âmes, les habitudes collectives, — c’est-à-dire celles que chaque individu se sent tenu d’observer, — manifestent les idées acceptées par la masse des individus ; les transformations des autres ne peuvent manquer de s’exprimer par les transformations des autres. […] * ** Dans quelles sociétés les pensées et les habitudes, les livres et les codes, les institutions rêvées comme les institutions respectées manifestent-elles donc que l’esprit égalitaire est en marche ? […] Et enfin, dans des sociétés comme les nôtres, où les règles essentielles de l’activité, générale, ne manquent plus d’être dûment formulées, où la puissance de l’État se met immédiatement au service des habitudes collectives vraiment indispensables au bien de l’ensemble, la portion de la vie sociale que les lois abandonnent en quelque sorte aux mœurs proprement dites perd chaque jour de son importance. […] Des mesures libérales comme celle de Caracalla ne doivent donc pas faire illusion ; il ne pouvait opérer par décret un nivellement général ; mille habitudes sociales, installées par les siècles au plus profond de l’esprit romain, juraient avec les idées égalitaires.

148. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

J’avais à dos une campagne immense qui ne m’avait été annoncée que par l’habitude d’apprécier les distances entre des objets interposés. […] On demanda qu’est-ce que la vertu, et chacun la définissant à sa mode, la dispute changea d’objet, les uns prétendant que la vertu était l’habitude de conformer sa conduite à la loi, les autres que c’était l’habitude de conformer sa conduite à l’utilité publique. […] Est-ce habitude machinale en lui ? Mais de son habitude machinale, ou de ma réflexion, quel est le guide le plus sûr ? […] Ce sont ceux qui sont restés enfans, et à qui l’habitude des signes n’a point ôté la facilité de se représenter les choses.

149. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

On l’appelait par habitude le petit Didier. […] Mais une certaine naïveté naturelle, qu’il tenait de sa mère et qu’on prenait mal à propos pour de la niaiserie, et de plus une longue habitude de se regarder comme le dernier de la maison partout, lui donnaient une apparence d’infériorité entre tous ses camarades. […] Il avait pris l’habitude invétérée de ne jamais répondre à ces railleries ; il ne les prenait avec raison que pour des familiarités caressantes. […] Au contraire, toutes les fois que la Jumelle entrait dans la danse, et qu’un danseur, l’élevant de terre dans ses deux bras, comme c’est l’habitude à la fin de l’air, poussait un de ces grands cris de triomphe et de joie qui sont l’évohé rustique de ces fêtes de village, Didier baissait les yeux ; il trouvait un prétexte pour s’éloigner, comme s’il avait entendu une voix qui l’appelait au jardin ou à l’étable. […] Les cailloux bruissaient en roulant sous ses souliers ferrés ; il tenait à la main, par suite de sa vieille habitude, la longue gaule de noisetier écorcé, armée de l’aiguillon de ses bœufs ; il en frappait par intervalles, à coups répétés, les buissons du sentier et les branches pendantes des rameaux des bois sur la route, comme s’il eût porté un défi à toute la nature.

150. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

L’art de parler est peut-être de tous les arts celui dans lequel les mauvaises habitudes sont le plus funestes et se prennent le plus aisément. […] Combien ne doit-on pas s’étonner davantage de voir une nation civilisée comme la nôtre persévérer dans les habitudes funestes qui, dès l’enfance, déforment, compriment et dénaturent une des plus nobles facultés de l’homme, un des plus précieux bienfaits de la divinité, la parole ! […] L’habitude de lire et la connaissance des règles peuvent seules en triompher. Ces règles, il faut les connaître ; cette habitude, il faut la prendre de bonne heure. […] J’ose affirmer ici qu’il n’est personne, quels que soient les vices de nature ou d’habitude de sa prononciation et de son organe, qui ne puisse, avec un peu de travail, des conseils, et quelque bonne volonté, acquérir en peu de temps les qualités d’un bon lecteur.

151. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa sérénité : ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène. […] Une habitude, une affection de vingt-cinq ans, une fille qui savait notre vie, ouvrait nos lettres en notre absence, à qui nous racontions nos affaires. […] C’était un morceau de notre vie, un meuble de notre appartement, une épave de notre jeunesse, je ne sais quoi de tendre et de grognon et de veilleur à la façon d’un chien de garde que nous avions l’habitude d’avoir à côté de nous, autour de nous, et qui semblait ne devoir finir qu’avec nous. […] Joubert, l’auteur des Pensées, n’avait pas cette servile préoccupation du suffrage universel en matière de style, quand il adjurait Mme de Beaumont de recommander à Chateaubriand « de garder avec soin les singularités qui lui étaient propres » et « de se montrer constamment ce que Dieu l’avait fait », corroborant ce brave conseil par cette curieuse phrase : « Les étrangers… ne trouveront que frappant, ce que les habitudes de notre langue nous portent machinalement à croire bizarre dans le premier moment. » Et parmi le déchaînement de la critique, c’est encore Joubert, qui engage l’écrivain, attaqué dans les modernités de sa prose nouvelle, à persister à chanter son propre ramage 17. […] Que mon lecteur me permette aujourd’hui d’être un peu plus long que d’habitude, cette préface étant la préface de mon dernier livre, une sorte de testament littéraire.

152. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Leur situation et leurs nécessités feront leurs habitudes et leurs aptitudes. […] L’âge féodal a imposé à cette race les habitudes de résistance et d’association, les préoccupations politiques et utilitaires. […] Deux puissances la dirigent, l’une européenne, l’autre anglaise ; d’un côté ce talent d’analyse oratoire et ces habitudes de dignité littéraire qui sont propres à l’âge classique, de l’autre ce goût pour l’application et cette énergie de l’observation précise qui sont propres à l’esprit national. […] Le cottage est propre ; il y a là des habitudes d’ordre ; les assiettes à dessins bleuâtres, régulièrement rangées, font un bon effet au-dessus du buffet brillant ; les carreaux rouges ont été balayés, il n’y a pas de vitres cassées, ni salies ; point de portes disjointes, de volets dépendus, de mares stagnantes, de fumiers épars, comme chez nos villageois ; le petit jardin est purgé de toutes les mauvaises herbes ; souvent des rosiers, des chèvrefeuilles encadrent la porte, et, le dimanche, on voit le père, la mère assis près d’une table bien essuyée, avec du thé et du beurre, jouir de leur home, et de l’ordre qu’ils y ont mis. […] C’est un homme du siècle, souvent un homme du monde, souvent de bonne famille, ayant les intérêts, les habitudes, les libertés des autres, parfois une voiture, des gens, des mœurs élégantes, ordinairement instruit, qui a lu et qui lit encore.

153. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Cette grande faculté d’extension des productions d’eau douce, quelque inattendue qu’elle soit, peut cependant s’expliquer, dans la plupart des cas, par l’utile habitude qu’elles ont acquise d’émigrer fréquemment, bien qu’à petite distance, d’étang à étang ou de cours d’eau à cours d’eau. […] Alph. de Candolle, parmi des groupes de plantes terrestres qui n’ont que quelques représentants aquatiques ; car ces derniers semblent aussitôt acquérir une très grande extension comme par une conséquence nécessaire de leurs habitudes. […] Il ne faut pas oublier que beaucoup d’espèces d’eau douce ont probablement eu antérieurement une extension aussi continue qu’il est possible à de telles formes, adaptées par leurs habitudes à des stations discontinues ; et qu’elles se sont éteintes depuis en beaucoup de régions intermédiaires. […] Une fois établie dans leur nouvelle station, chaque espèce aura été maintenue par les autres dans ses propres limites et dans ses anciennes habitudes, et, conséquemment, n’aura pas dû subir beaucoup de modifications. […] Chaque souche, c’est-à-dire chaque individu, tendit par cela même à faire race, et par suite espèce ; de sorte qu’il en dut résulter une différenciation infinie mais peu importante des formes extérieures ou plutôt des groupements, avec une grande ressemblance intérieure et essentielle, et, par le fait, une grande identité d’habitudes sous des conditions de vie par tout le monde uniformes.

154. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

À l’Académie, dans les séances ordinaires, Duclos faisait un peu comme partout, il tempêtait au besoin et ne se refusait pas ses jurons d’habitude. […] Je n’entrerai pas ici dans la discussion du genre de torts intimes que Mme d’Épinay a reprochés à Duclos, et qui sont trop voisins de l’alcôve : en réduisant ces torts à ce qui en rejaillit sur le caractère général de l’homme, il paraît certain que Duclos dans son habitude journalière, sorti de chez lui dès le matin et passant sa vie dans le monde, aimait à s’installer chez les gens, et qu’une fois implanté dans une maison, il y prenait racine, y dominait bientôt, s’y comportait comme chez lui, donnant du coude à qui le gênait, et y portait enfin, avec les saillies et les éclats de son esprit, tous les inconvénients de son impétuosité et de son humeur. […] Sans se dissimuler aucun des abus de l’administration, il est arrivé à sentir les avantages et les douceurs de la vie romaine : « Le séjour que j’y ai fait, dit-il, et les habitudes que j’y ai eues m’ont confirmé ce que le président de Montesquieu m’en avait dit, que Rome est une des villes où il se serait retiré le plus volontiers. » À Naples où il reste près de deux mois et où toutes les facilités lui sont données, Duclos visite les antiquités, alors toutes neuves, de Pompéi et d’Herculanum, et s’y applique également à bien connaître les rouages et les principes de l’administration.

155. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Pour nous, si nous nous risquons à en parler, c’est que nous ne nous guérirons jamais de cette vieille habitude d’aller à ce qui est vivant, de nous arrêter à chaque vaillant début d’un talent neuf et vigoureux, et de lui payer publiquement ce premier et bien légitime hommage, — l’attention, — dussions-nous mêler aux éloges quelques remarques critiques et quelques observations morales. […] Seulement reconnaissons les différences du procédé et des habitudes de vie. […] Mais on avait l’habitude et la prétention du sentimentalisme en écrivant.

156. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Il entraîne pour moi plus de sacrifices que pour bien d’autres, parce que les goûts de mon esprit, les penchants de mon âme, toutes mes habitudes y sont complètement sacrifiées. […] Il ne lui avait manqué, avec le loisir, qu’un peu plus d’habitude des choses purement littéraires, et il y venait. […] Dans cette matière si éloignée des habitudes de son esprit, Bourdaloue emploie avec une exactitude si rigoureuse, quoique non affectée, les termes justes, et ils s’appliquent si bien à ce qu’il veut dire, qu’il n’y a pas un des hommes de son temps auquel il ne rendît sensible sa pensée… L’adresse avec laquelle il varie les formes du langage pour soutenir et reposer l’attention de l’auditeur est véritablement merveilleuse.

157. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Monmerqué, le plus instruit et le plus aimable des amateurs, le plus riche en documents, en pièces de toutes sortes, si au fait des sources et si porté à les indiquer, n’avait pas en lui l’esprit de critique et d’exacte méthode qui mène à terme et pousse à la perfection un travail de ce genre ; il fallait qu’un philologue de profession et à la fois ouvert à toutes les belles-lettres, un homme qui a fait ses preuves dans l’érudition antique la plus délicate et la plus ardue, et qui sait, à l’occasion, en sortir, apportât dans cette étude moderne les habitudes de la critique véritable et classique, pour que toutes les garanties, celles de la fidélité et du goût, se rencontrassent réunies : j’ai nommé M.  […] On a commence par Pascal : on nous a rendu, en bouleversant notre texte d’habitude, toute la hardiesse et l’incohérence première de ses Pensées ; ç’a été une révolution. […] Cela n’empêche pas bien des plaintes, bien des regrets de ceux qu’on exproprie de leurs vieilles admirations et qu’on dérange de leurs habitudes : ils s’étaient logés dans un ancien auteur, ils y avaient fait leur nid et leur lit, et voilà qu’on le leur rebâtit et qu’il faut en déménager.

158. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Doré a donc refait un Don Quichotte espagnol : il l’a défrancisé, déflorianisé le plus possible, et, en le rendant si neuf, il ravive en nous les sources de fraîcheur, de joie même et de poésie, qui sortent chaque fois de cette incomparable lecture ; il nous y convie, en renouvelant les impressions que trop d’habitude émousse ; et, pour ne parler que de moi, il me donne envie, en m’aidant de M.  […] Tout dans ses œuvres et dans ses écrits annonce et déclare si bien la netteté de la conscience, l’habitude de l’honnête homme en lui, qu’il serait bien surprenant qu’il se fût montré autre dans les actes de sa vie. […] C’est par ces faits de l’ordre commun et de l’habitude de la vie relevés à deux ou trois siècles de distance, qu’on peut bien mesurer de combien la civilisation a marché et à quel point le climat social s’est partout adouci.

159. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

« Avec une santé généralement bonne en un sens et constante, mais un corps fatigué de tant d’ennuis et de tant de manières de vivre diverses et le plus souvent contraires, je suis découragé par cette incurable faiblesse des membres qui, en m’ôtant les ressources qu’un autre homme trouverait dans le malheur, me prive de cette résignation, de cette heureuse sécurité que je trouverais dans mes dispositions naturelles, dans les résultats de ma pensée, dans l’habitude d’être ou de me maintenir exempt de passions, de prestiges.  […] Beaucoup d’hommes paraissent assez heureux ; mais ce qu’ils se disent à eux-mêmes est fort différent de ce qu’ils disent aux autres : et s’il ne fallait que changer de misères, celles dont on a quelque habitude doivent être les moins pesantes. […] « Dès le commencement j’ai désiré être fixé, non pas pour ne plus voir Paris où j’avais alors mes parents, mais pour avoir un point fixe, des habitudes constantes, des connaissances ou peut-être des amis pour toujours. 

160. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Je l’appelle Mlle Delaunay par habitude, car (autre rectification de M.  […] De là, durant le cours de cette existence dont la fleur fut si courte et si vite envolée, on voit combien les choses vinrent peu à point, et l’on comprend mieux dans ce ferme et charmant esprit, cet art d’ironie fine, ce ton d’enjouement sans gaieté qui naît de l’habitude du contre-temps. […] La correspondance de Mme de Staal avec Mme du Deffand trahit les misères du fond sous la forme toujours agréable ; on y suit l’habitude de l’esprit et l’ironique gaieté persistant à travers une existence sans plaisir et comblée d’ennui.

/ 1872