/ 2496
1118. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhade, Laurent (1854-1919) »

Tailhade se rendit tout à coup célèbre et redouté par les cruelles et excessives satires qu’il appela, souvenir et témoins d’un voyage que nous faisons tous sans fruit, Au pays du mufle.

1119. (1887) Discours et conférences « Discours à la conférence Scientia : Banquet en l’honneur de M. Berthelot »

Berthelot 26 novembre 1885 Quelle joie vous m’avez préparée, Messieurs, en pensant à moi pour être l’interprète de vos sentiments envers l’homme illustre que vous fêtez aujourd’hui, vous vous êtes souvenus d’une vieille amitié qui, ces jours-ci justement, atteint à sa quarantième année.

1120. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Table »

Camille Benoît : Souvenirs de Richard Wagner, par Alfred Ernst.

1121. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

Ce char enveloppé de vapeurs, ce voyage invisible d’un enchanteur et d’un héros au travers du camp des chrétiens, cette porte secrète d’Hérode, ces souvenirs des temps antiques jetés au milieu d’une narration rapide, ce guerrier qui assiste à un conseil sans être vu, et qui se montre seulement pour déterminer Solyme aux combats, tout ce merveilleux, quoique du genre magique, est d’une excellence singulière.

1122. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Ici, nous retombons dans ces grands souvenirs que le culte catholique rappelle de toutes parts.

1123. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Coupable envers les souvenirs, on foule aux pieds les institutions antiques ; coupable envers les espérances, on ne fonde rien pour la postérité : les tombeaux et les enfants sont également profanés.

1124. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

un vague souvenir des prétentions lointaines de notre patrie sur ce peuple ? […] Il y avait un jardin magnifique, une sorte de Paradis terrestre tout hanté, en plus, de beaux fantômes, et de ces souvenirs de la Renaissance dont l’air même est saturé, à Florence. […] Souvenez-vous de La Princesse Maleine, de L’Intruse, des Aveugles 142. […] Les souvenirs de voyages ont excité la verve de quelques auteurs. […] Mes souvenirs, I », par Camille Lemonnier, La Chronique, 15 décembre 1911.

1125. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Je me souviens, l’an passé, route de Marly, dans son mail. […] Le souvenir de Taine l’a orienté à travers cette végétation et ces broussailles. […] Alors, Jack prit un couteau, coupa les oreilles de son ennemi, les fit saler et les garda comme souvenir. […] Le souvenir du Parthénon nous rend indulgents pour la Madeleine. […] On goûterait si bien, là-bas, dans l’ombre odorante des citronniers et des mimosas, la joie du souvenir ou la douceur douloureuse de l’oubli !

1126. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

La certitude enfin possédée me procurait un calme singulier, au point que je me souviens d’avoir pu causer une minute avec le valet de pied qui m’introduisait et qui avait un enfant malade. […] Petites pensées de là-bas qui en valent bien des grandes d’ici, souvenir charmant d’un rapetissement de civilisation à la manière des réductions de Barbedienne. […] Angélique se souvint de la nuit qu’elle avait, passée là, sous la protection des vierges. […] Celle dont le souvenir le torturait depuis vingt ans de pénitence, avait cette jeunesse odorante, ce col d’une fierté et d’une grâce de lis. […] Et il a pu vivre trente-cinq ans à côté d’elle sans la connaître… Un frisson d’horreur le secoue, au souvenir de tant d’abominations qu’il vient d’entendre.

1127. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

C’est comme une mort plus profonde que la mort… » Ce sentiment de l’inutilité de notre vie présente, s’il n’y a point une transcription mystique et durable de nos actes passagers, s’accompagne du souvenir des croyances anciennes. […] Durant cette période de début à laquelle ces souvenirs me reportent, je n’ai pas eu d’ami qui ait accompagné mes travaux d’une sollicitude plus active. […] Devons-nous remonter bien loin dans notre passé pour nous souvenir du temps où, agenouillés devant le crucifix, nous laissions, nous aussi, s’envoler notre prière vers les plaies d’où jaillit le sang réparateur ? […] Ô morts, morts bienheureux, en proie aux vers avides, Souvenez-vous plutôt de la vie, et dormez. […] Il importe de se souvenir, quand on parle de Balzac, qu’il est arrivé au roman à travers Geoffroy Saint-Hilaire et Walter Scott.

1128. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Je me souviens que, l’an dernier, dans un endroit à demi désert de Nancy, je lus ainsi, après avoir parcouru dix journaux, un feuilleton sur Shakespeare. […] Memneso apistein « souviens-toi d’être en défiance », telle fut sa devise. […] Gleyre ne s’est jamais souvenu de cet effort. […] « Je me souviens, dit-il aux élèves, du temps où j’étais bien souvent forcé de me passer de dîner pour économiser les 25 ou 30 francs que je devais donner chaque mois au massier de M.  […] Ce souvenir dura dans M. de Loménie, non pas étalé ou même visible, mais enfoui, intime, et d’autant plus efficace.

1129. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Il faut bien se souvenir que Philaminte n’est point une vilaine âme. […] Il faut se souvenir de ce point quand on lit ses autres pièces ; il faut bien se garder de l’oublier quand on lit son Misanthrope. […] Thiers, ce sont les pièces du boulevard qui raniment dans le peuple les souvenirs d’où sortira le coup d’Etat du 2 décembre. […] Duquesnel, d’après les souvenirs qu’il tient de son père, nous disait l’autre jour qu’il y eut applaudissements et ricanements mêlés. […] Les souvenirs ou les traditions de M. 

1130. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Qu’il recueille bien ses souvenirs ! […] Vous souvient-il seulement d’elle ! […] Nisard a quelque peu, s’il nous en souvient, consacrées de son approbation. […] Qu’on se souvienne du succès populaire de la Tirelire et des Enfants du Délire ! […] N’entendez-vous pas, en lisant les lignes qui suivent, caqueter à vos oreilles la riante musique des souvenirs d’enfance ?

1131. (1894) Études littéraires : seizième siècle

À dix-sept ans on l’envoya à la Cour, c’est-à-dire auprès de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qu’il ne connut jamais que vieux et malade, et dont il a gardé le plus tendre souvenir. […] Il s’en souvenait parfois quand il écrivait ses folâtreries. […] C’est le type même de la plaisanterie maraîchère, et celle-ci doit être un souvenir de Chinon. […] Souvenons-nous souvent de la généralisation de Panurge sur la créance universelle. […] Trois de ses héros se ressemblent beaucoup : Grandgousier, Gargantua et Pantagruel ; on peut les confondre quelque peu dans le souvenir qu’on garde d’eux et attribuer à celui-ci une lettre de celui-là.

1132. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. — POST-SCRIPTUM. » pp. 269-272

Quand nous relisons et récitons, de Lamartine, son Lac immortel, de Victor Hugo, sa passionnée Tristesse d’Olympio le souvenir sacré renaît vite en nous, et tout cet ordre de notre laborieuse sagesse d’hier est ébranlé.

1133. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Note qu’il faut lire avant le chapitre de l’amour. »

Les Italiens mettent tant de poésie dans l’amour, que tous leurs sentiments s’offrent à vous comme des images, vos yeux s’en souviennent plus que votre cœur.

1134. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

Le sceptre alourdit la main qui laissa choir l’archet, et, à ouïr les assonances frêles ou graves que le poète trouva, à se pénétrer de l’infinie délicatesse comme de l’écho sonore que dénote, voulu, le choix de ses mots, on se souvient, concis et formidables, de ces premiers poèmes orphiques dont le langage compliqué était, entre initiés, la parole par excellence.

1135. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

Malgré la pureté du langage, qui constitue le mérite de ses Plaidoyers & de ses Lettres, faute de cette chaleur & de cette raison qui donnent la vie aux Ecrits, on ne s’empresse plus de les lire, & son nom seul est resté dans notre souvenir.

1136. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Elle n’avait pas lu la préface générale, placée à la tête du premier volume des Œuvres et des Hommes (le volume des Philosophes et des Écrivains religieux), ou si elle l’avait lue, elle ne s’en souvenait plus, car il est dit positivement dans cette préface, que pour être plus dans le mouvement de son temps, l’auteur laisserait là toute exposition artificielle ou chronologique, et ne partirait jamais, tout en embrassant le siècle tout entier, dans un nombre indéterminé de volumes, que des publications contemporaines ou des réimpressions par lesquelles on atteint à tous les moments du passé et à tous les hommes qui y ont laissé une place durable ou éphémère… Avec ce système, il y a des attentes, il n’y a pas d’oublis !

1137. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Mais ces Arcadies, ces îles Fortunées n’existent que dans les nuages de l’espérance ou du souvenir. […] Ainsi l’imagination, d’un toucher facile et puissant, transfigure et divinise tout dans la souvenir. […] Chaque petit ensemble aboutit, non pas à un trait aiguisé, mais à quelque image, soit naturelle et végétale, soit prise aux souvenirs grecs (la coquille des fils de Léda ou une exhalaison de violettes)  ; on se figure une suite de jolies collines dont chacune est terminée au regard par un arbre gracieux ou par un tombeau. […] On ne saurait croire combien il sert, jusque dans les créations les plus idéales, de se donner ainsi quelques instants d’appui sur des souvenirs aimés, sur des branches légères.

1138. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

Souvenez-vous que je vous ai envoyé mon cœur sur une bague, et maintenant je vous apporte le vrai cœur et le corps avec, pour plus sûrement nouer ce nœud d’amitié entre nous ! […] Cette petite lampe fut la dernière lumière de Marie dans sa prison, et comme le crépuscule de sa tombe : humble meuble tragique par les souvenirs qu’il rappelait ! […] Je me souviens que, dans ma jeunesse, monsieur mon oncle François me dit un jour à sa maison de Meudon : « Ma nièce, il y a surtout une marque à laquelle je vous reconnais de mon sang. […] Dis à mon fils qu’il se souvienne de sa mère. » « Pendant que la reine parlait, Melvil à genoux versait des torrents de larmes.

1139. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Il faut s’en souvenir en jugeant l’auteur. […] Il y a tout un Achille que Boileau ne semble pas avoir plus connu que Perrault ; il y a le fils qui donne au souvenir de son père des larmes plus précieuses que celles que Boileau aime à lui voir verser pour un affront ; il y a l’ami de Patrocle, plus fidèle à l’amitié qu’à la colère ; il y a un sage aimable qui apaise les disputes parmi les hommes et console les vaincus ; il y a un homme qui, dans la solitude de sa tente, a beaucoup pensé sur le bien et le mal, sur la vie, sur la destinée, sur lui-même, le premier type de cette mélancolie que l’âme d’Homère a connue avec tous les sentiments qui sont de l’homme. […] Il se souvint de son ode à celle qui avait traduit Anacréon, et il ne voulut pas la démentir, par respect pour Mme Dacier et par amour pour son ode. […] Plus tard, quand les préventions prirent fin avec les polémiques, cette même raison faisant réflexion sur sa fragilité, sur ses ténèbres, sur son impuissance contre les passions, se souvint de quels combats douloureux, de quelles ardeurs dévorantes Pascal a payé ce conseil.

1140. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Émery, d’ailleurs, se garda de lui en suggérer l’idée, Il n’avait pas conservé un bon souvenir de l’ancien système ; il préférait beaucoup garder ses jeunes clercs sous sa main. […] J’ai gardé de lui un précieux souvenir. […] Mes souvenirs se rapportent aux années 1842-1845. […] J’allai dernièrement à la Bibliothèque nationale pour rafraîchir mes souvenirs sur le Comte de Valmont.

1141. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Point de querelles entre les jeunes gens, si ce n’est quelques débats entre amants ; des inscriptions simples sur l’écorce d’un hêtre ou sur un rocher brut conservent à la postérité la mémoire des grands citoyens et le souvenir des bonnes actions. […] Vous y trouverez des pantoums malais, des romans chinois, des japonaiseries tant qu’il vous plaira, des souvenirs de Taïti et des pampas, des tableaux vivants de l’Islande glacée et de l’Afrique brûlée. […] Après le règne de Louis XIV, on s’avise que de grands écrivains font autant pour la gloire d’un peuple que de grands capitaines ou de grands diplomates ; on s’aperçoit que les Corneille, les Molière, les Racine ont opéré des conquêtes plus durables que celles du grand roi, et si Voltaire peut traiter presque d’égal à égal avec des têtes couronnées, en sa qualité de roi de l’opinion publique, s’il a des correspondants et des flatteurs parmi les souverains d’Europe, il doit en partie ce prestige au souvenir de ses illustres devanciers, à l’admiration qu’ils ont inspirée, à la haute idée qu’ils ont donnée des droits sacrés du génie. […] La curiosité s’est attachée aux moindres faits et gestes de ces privilégiés de l’intelligence ; leurs souvenirs, les volumes d’indiscrétions dont ils sont les héros et les victimes ont toujours trouvé des acheteurs.

1142. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Et si je n’étais pas engagé, par le souvenir de Wagner, à parler ici de l’art seul, je voudrais esquisser cette critique, enfin sérieuse et sans préjugés, je tiendrais compte de la notoriété commerciale, du prix que possèdent aujourd’hui, du prix probable que posséderont demain telles signatures. […] Enfin il faut se souvenir que nous n’avons jamais possédé un Opéra National. […] Nous ne faisions que commencer à comprendre les idées Wagnériennes ; placés face à face avec la pratique, nous perdîmes le chemin, je me souviens parfaitement de l’espèce d’ahurissement avec lequel le vaste auditoire écouta, par exemple, les cent cinquante mesures de l’accord de mi bémol qui forment l’introduction du Rheingold. […] Un cruel rédacteur en chef ne m’a donné que quelques jours pour écrire ce qui demandait plusieurs semaines, mes lecteurs me plaindront et me pardonneront ; et ils se souviendront encore que je me sers d’une langue étrangère et horriblement difficile !

1143. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Depuis qu’il y a des peuples et des poètes, on versifie pour graver dans le souvenir des hommes les choses qui ne doivent pas périr. […] Seulement, à dater des Contemplations, nous le prédisons, il faudra des dévouements absolus, des dévouements de famille, et de famille romaine, pour porter la lourdeur de pareils souvenirs ! […] Hugo, cette espèce d’illusion serait entretenue par le souvenir de ce que fut M.  […] ou bien, indépendamment des ressources de cette organisation privilégiée, y aurait-il quelque autre cause dont la Critique doive tenir compte et l’histoire littéraire se souvenir ?

1144. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

. — Aussi roide envers la cour, il était resté fidèle pendant la Fronde, par orgueil, repoussant les récompenses, prédisant que le danger passé on lui refuserait tout, chassant les envoyés d’Espagne avec menace de les jeter dans ses fossés s’ils revenaient, dédaigneusement superbe contre le temps présent, habitant de souvenir sous Louis XIII, « le roi des nobles », que jusqu’à la fin il appelait le roi son maître. […] Ne vous souvient-il pas que Balzac avait inventé des théories chimiques, une réforme de l’administration, une doctrine philosophique, une explication de l’autre monde, trois cents manières de faire fortune, les ananas à quinze sous pièce, et la manière de gouverner l’État ? […] Rien de tout cela n’étonne quand on se souvient qu’après la condamnation de Fénelon, un jour, disputant avec le duc de Charost sur Fénelon et Rancé, il cria : « Au moins mon héros n’est pas un repris de justice. » M. de Charost suffoquait. […] Il n’écrivait pas sur des sujets d’imagination, lesquels dépendent du goût régnant, mais sur des choses personnelles et intimes, uniquement occupé à conserver ses souvenirs et à se faire plaisir.

1145. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Dante aurait-il eu l’idée et la force de construire son poème, son monument si particulier au Moyen Âge, s’il n’avait reçu ce que la tradition, même si incomplète, lui avait transmis de souvenirs, de réminiscences ou d’illusions fécondes, et s’il n’avait eu, à la lettre, Virgile pour guide, pour soutien et pour patron à demi fabuleux ? […] Si le temps, ce grand dévorateur, fait disparaître le souvenir de bien des faits, et anéantit avec les témoins les explications véritables, il est aussi, à bien des égards, le grand révélateur ; il fait sortir d’autres soudains témoins de dessous terre, et livre bien des secrets inespérés. […] [NdA] Cela fait souvenir de ces deux vers charmants de La Fontaine : L’innocente beauté des jardins et du jour Allait faire à jamais le charme de ma vie.

1146. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Je trouve dans son livre des Progrès de la Révolution ces lignes écrites en 1829, et dont il est piquant de se souvenir : « Les ministres, depuis quatorze ans, n’ont eu à tâche que de fixer ce qui existait, quel qu’il fût, en résistant aux exigences des libéraux et des royalistes. […] Nous avons été assez favorisé pour entendre, durant plusieurs jours de suite, les premiers développements de cette forte recherche : ce n’était pas à La Chênaie, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d’oratoriens où bien des hôtes s’étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu’à Fouché : je ne me souvenais que de Malebranche. […] Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poëtes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs.

1147. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Dans le volume de Lettres recueillies en Suisse, par le comte Golowkin4, parmi des particularités piquantes qui ajoutent à l’histoire littéraire de Voltaire et de quelques autres noms célèbres, il se trouve, de femmes du pays, plusieurs lettres qui rappellent heureusement la vivacité de madame de Sévigné, dont la personne qui écrit se souvient elle-même quelquefois. […] Non, je n’ai pu comprendre et votre âme et la terre Que de loin, quand les ans sont venus tout finir ; Et mon cœur n’a fleuri qu’autour d’un souvenir, Comme autour des tombeaux l’églantier solitaire ! […] c’est la fuite des choses, Le souvenir des maux qu’on ne peut réparer, Qui m’évoquent chez vous quand la Nuit vient errer Sur le large horizon parmi l’or ou les roses !

1148. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Depuis quelque temps, et le premier feu de l’âge, la première ferveur de l’esprit et des sens étant dissipée, le souvenir de son enfance, de ses maîtres, de sa tante religieuse à Port-Royal, avait ressaisi le cœur de Racine ; et la comparaison involontaire qui s’établissait en lui entre sa paisible satisfaction d’autrefois et sa gloire présente, si amère et si troublée, ne pouvait que le ramener au regret d’une vie régulière. […] Euripide lui-même laisse beaucoup sans doute à désirer pour la vérité ; il a déjà perdu le sens supérieur des traditions mythologiques que possédaient si profondément Eschyle et Sophocle ; mais du moins chez lui on embrasse tout un ordre de choses ; le paysage, la religion, les rites, les souvenirs de famille, constituent un fond de réalité qui fixe et repose l’esprit. […] Ainsi, quand Racine a risqué le vers fameux, Brûlé de plus de feux que je n’en allumai, il ne faisait sans doute que se souvenir de son cher roman et du passage où Hydaspe, sur le point d’immoler sa fille et de la placer sur le bûcher ou foyer, se sent lui-même au cœur un foyer de chagrin plus cuisant : je traduis à peu près ; les curieux peuvent chercher le passage : Racine, enfant, avait retenu ce jeu de mots comme une beauté, et il n’a eu garde de l’omettre dans Andromaque.

1149. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

C’est sans doute un triste effort que de transporter son intérêt, de reposer son attente, à travers l’avenir, sur nos successeurs, sur les étrangers bien loin de nous, sur les inconnus, sur tous les hommes enfin dont le souvenir et l’image ne peuvent se retracer à notre esprit. […] Les tableaux du vice laissent un souvenir ineffaçable, alors qu’ils sont l’ouvrage d’un écrivain profondément observateur. […] Les ouvrages gais sont, en général, un simple délassement de l’esprit, dont il conserve très peu de souvenir.

1150. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Voulant traduire en faits les préceptes de l’Art d’aimer, et faire un roman didactique, il se souvint d’un poème latin du siècle précédent, le Pamphilus, où le poème d’Ovide est mis en action par quatre personnages, Vénus, le jeune homme, la jeune fille et la vieille : il prit à un Fabliau du dieu d’Amours le cadre du songe qui transporte l’amant dans le jardin du Dieu ; et, forcé par la tradition de donner un nom de convention à sa belle, il trouva, dans l’usage de donner poétiquement des noms de fleurs aux dames, plus précisément encore dans un Carmen de Roua et dans un Dit de la Rose, l’idée de représenter l’amante sous la figure de la Rose, c’est-à-dire l’allégorie fondamentale de l’œuvre, qui entraînait nécessairement toutes les autres allégories et personnifications. […] Bientôt cependant elle s’adoucit, ayant le cœur généreux et pitoyable ; de nouveau elle fait bonne mine au jeune homme, et, par une compensation logique, efface d’un baiser qu’elle se laisse prendre le souvenir de sa dureté. […] Reportons, avant de terminer, notre pensée vers le bon sénéchal de Champagne, qui bientôt allait recueillir ses souvenirs du saint roi Louis IX : Joinville et Jean de Meung, tout le xiiie  siècle tient en ces deux noms, avec l’opposition de deux classes, le contraste de deux esprits.

1151. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Laissez passer un mois : peu à peu le triage se fait entre les souvenirs. […] Eût-il perdu la foi (ce qui, je crois, vaudrait mieux pour son dessein), il faudrait que le romancier des mœurs cléricales eût conservé le don de s’attendrir au souvenir de ses années d’enfance et de jeunesse, de sentir en quoi les pratiques et les croyances qu’il a quittées peuvent être bonnes et douces aux âmes. […] Fabre se souvient d’une langue qu’il a sue, voilà tout.

1152. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Albert Sorel a fait des suites de vers considérables qui pourraient, à la rigueur, être de Victor Hugo, et où seule, quelque bizarrerie trop forte, ou mieux, quelque faiblesse de rime et quelque essoufflement laissent deviner le jeu sacrilège, Et, d’autre part, je me souviens d’avoir perdu des sommes en pariant, après un peu d’hésitation, que des vers de la légende, qu’on m’avait cités, étaient de M.  […] Mais, sur cette échelle des êtres, l’homme seul ne se souvient pas du passé (pourquoi ?). De là son ignorance, Au contraire, les animaux, les plantes elles rochers se souviennent de ce qu’ils ont été et savent ce que l’homme ne sait pas : d’où leur aspect mystérieux.

1153. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Mais son chant s’attriste aussitôt au souvenir de la femme qui a engendré cette guerre meurtrière. […] Pour dissiper les noirs souvenirs qui l’obsèdent, il ne trouve qu’une pensée plus lugubre encore ; — « Pourquoi se lamenter sur tout cela ? […] l’Oracle va resplendir au grand jour ; il ne regardera plus à travers des voiles, comme une jeune épousée. » — Le souvenir de sa jeunesse évoque en elle celui d’Apollon, de son amour qu’elle a trompé, qu’elle regrette peut-être : passage rapide où glisse l’apparition lumineuse de l’amant céleste poursuivant la jeune fille dans un sentier de l’Ida. « — Autrefois la pudeur eût retenu mon aveu.

1154. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Quoique ses Mémoires soient pleins d’aveux naïfs et suffisamment sincères, ce n’est point là qu’il faut juger cette partie première de la vie politique de M. de Chateaubriand : il est tout occupé à la raccommoder à l’usage des générations libérales ou républicaines qui ne se souviennent plus des véritables circonstances. […] Buonaparte l’aurait pu dompter en l’écrasant, en l’envoyant mourir sur les champs de bataille, en présentant à son ardeur le fantôme de la gloire, afin de l’empêcher de poursuivre celui de la liberté ; mais nous, nous n’avons que deux choses à opposer aux folies de cette jeunesse : la Légitimité escortée de tous ses souvenirs, environnée de la majesté des siècles ; la Monarchie représentative assise sur les bases de la grande propriété, défendue par une vigoureuse aristocratie, fortifiée de toutes les puissances morales et religieuses. […] Si M. de Chateaubriand n’avait pas écrit cette partie politique de ses Mémoires, et s’il eût laissé le souvenir public suppléer à ses récits, on lui eût trouvé sans doute des écarts bien brusques et des inconséquences ; mais la grandeur du talent, la chevalerie de certains actes, la beauté historique de certaines vues, auraient de loin recouvert bien des fautes ; je ne sais quel air de générosité aurait surnagé, et jamais on n’eût osé pénétrer à ce degré dans la petitesse des motifs et des intentions.

1155. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Une autre pièce qui a longtemps attiré l’attention de la sous-commission et du jury est un conte dont la scène se passe en Normandie, et qui sent tout à fait sa littérature familière du xviiie  siècle, poésie courante, négligée, gracieuse toutefois et spirituelle, dernier souvenir d’un genre ancien et qui s’efface. […] Si parfois, par un de ces changements ordinaires sur la scène politique, l’écrivain homme d’État retrouve ses loisirs, et qu’il ait encore la force de reprendre sa plume, alors il rapporte à sa profession bien-aimée un trésor d’observations et de souvenirs : c’est un voyageur enrichi qui revient dans sa patrie. […] On met en commun ses idées, et elles deviennent plus chères par le souvenir des hommes qui les partagent.

1156. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Et, à mesure qu’avec l’âge les souvenirs de nos inventions s’accumulent en nous plus nombreux, nos idées nouvelles sont moins nouvelles ; à tâche égale, un moindre effort suffit et pour innover et pour exprimer nos découvertes ; l’intervalle diminue donc pour les idées nouvelles comme pour les idées que nous répétons ; on dirait, — pure illusion, — que nous nous habituons peu à peu à ne pas suivre nos habitudes, comme si le contraire de l’habitude était soumis lui-même à la loi de l’habitude. […] Elles y arrivent d’autant mieux que toute invention se greffe sur des souvenirs, que, dans toute opération un peu complexe de l’esprit, les mots qui appellent des idées et les idées qui appellent des mots se suivent, s’enchaînent, se groupent, formant rapidement des composés dont la conscience ne saisit que l’ensemble et néglige les détails ; ces attentes minimes d’un mot, d’une idée, déjà peu discernables, achèvent de s’annuler en se compensant et deviennent insaisissables à toute observation. […] Le mot sagacité vient enfin, et mon idée l’adopte comme son expression propre ; et alors seulement, mais à l’instant, elle se manifeste dans mon esprit dans toute sa plénitude… Nous éprouvons tous les jours le besoin qu’un nom, un mot rappelle à notre esprit une personne que nous devons voir, un lieu où nous devons aller, une affaire que nous devons traiter ; … on se souvient vaguement…, faute d’un mot qui aurait rappelé l’idée précise… Ainsi l’on oublie les expressions et non pas précisément les idées, puisque l’idée se montre aussitôt que l’expression se présente.

1157. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Si, au lieu d’un pédagogue, je prends un homme du monde, un intelligent, et si je le transporte dans une contrée lointaine, je suis sûr que, si les étonnements du débarquement sont grands, si l’accoutumance est plus ou moins longue, plus ou moins laborieuse, la sympathie sera tôt ou tard si vive, si pénétrante, qu’elle créera en lui un monde nouveau d’idées, monde qui fera partie intégrante de lui-même, et qui l’accompagnera, sous la forme de souvenirs, jusqu’à la mort. Ces formes de bâtiments, qui contrariaient d’abord son œil académique (tout peuple est académique en jugeant les autres, tout peuple est barbare quand il est jugé), ces végétaux inquiétants pour sa mémoire chargée des souvenirs natals, ces femmes et ces hommes dont les muscles ne vibrent pas suivant l’allure classique de son pays, dont la démarche n’est pas cadencée selon le rythme accoutumé, dont le regard n’est pas projeté avec le même magnétisme, ces odeurs qui ne sont plus celles du boudoir maternel, ces fleurs mystérieuses dont la couleur profonde entre dans l’œil despotiquement, pendant que leur forme taquine le regard, ces fruits dont le goût trompe et déplace les sens, et révèle au palais des idées qui appartiennent à l’odorat, tout ce monde d’harmonies nouvelles entrera lentement en lui, le pénétrera patiemment, comme la vapeur d’une étuve aromatisée ; toute cette vitalité inconnue sera ajoutée à sa vitalité propre ; quelques milliers d’idées et de sensations enrichiront son dictionnaire de mortel, et même il est possible que, dépassant la mesure et transformant la justice en révolte, il fasse comme le Sicambre converti, qu’il brûle ce qu’il avait adoré, et qu’il adore ce qu’il avait brûlé. […] On y aurait vu de très-belles femmes, claires, lumineuses, roses, autant qu’il m’en souvient du moins.

1158. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Je me souviens qu’un dimanche j’étais monté au sommet d’une colline, d’où la vue s’étendait, presque infinie, sur des terres toutes cultivées où les villages ne semblaient que des points blancs perdus dans la moisson. […] Nous sommes à Waterloo ; nous voyons les campagnes plates avec les villages et les fermes aux noms fameux, les moulins, les fossés ; nous voyons l’armée de Napoléon au repos, l’armée de Wellington au repos, et puis les estafettes qui partent, le premier coup de canon, la mêlée, les charges, l’héroïque jeunesse qui tombe ou qui s’élance, la Vieille Garde qui donne, la vie et la mort qui s’affirment, l’une et l’autre, avec la plus effroyable énergie, dans l’espace le plus restreint et dans le temps le plus court, c’est-à-dire l’objet des plus fortes impressions et des plus durables souvenirs qui puissent se graver en nous. […] Quelles ressources pour un romancier, dans cet empire colonial universel, vivant et fréquemment parcouru ; quelles inspirations multiples et toujours dominées par le souvenir de l’immense cité du bord de la Tamise ; quelle saine rénovation des thèmes les plus communs !

1159. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Ainsi se complète la conclusion où nous arrivions d’abord ; car si, comme nous le disions, la conscience retient le passé et anticipe l’avenir, c’est précisément, sans doute, parce qu’elle est appelée à effectuer un choix : pour choisir, il faut penser à ce qu’on pourra faire et se remémorer les conséquences, avantageuses ou nuisibles, de ce qu’on a déjà fait ; il faut prévoir et il faut se souvenir. […] Or, voyez comme notre conscience se comporte vis-à-vis de la matière qu’elle perçoit : justement, dans un seul de ses instants, elle embrasse des milliers de millions d’ébranlements qui sont successifs pour la matière inerte et dont le premier apparaîtrait au dernier, si la matière pouvait se souvenir, comme un passé infiniment lointain. […] Si maintenant nous abandonnons cette dernière ligne de faits pour revenir à la précédente, si nous tenons compte de ce que l’activité mentale de l’homme déborde son activité cérébrale, de ce que le cerveau emmagasine des habitudes motrices mais non pas des souvenirs, de ce que les autres fonctions de la pensée sont encore plus indépendantes du cerveau que la mémoire, de ce que la conservation et même l’intensification de la personnalité sont dès lors possibles et même probables après la désintégration du corps, ne soupçonnerons-nous pas que, dans son passage à travers la matière qu’elle trouve ici-bas, la conscience se trempe comme de l’acier et se prépare à une action plus efficace, pour une vie plus intense ?

1160. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

Mais les articles qui sortent de ligne, et dont tous ceux qui lisent avaient gardé le souvenir avant de les retrouver dans les présents volumes, ce sont les articles sur le De oratore, sur le Télémaque, sur La Rochefoucauld, sur Bossuet, Massillon, et bien d’autres. […] En combattant La Rochefoucauld, il est à la fois plein d’onction et d’émotion ; il s’arme de tous les souvenirs d’enfance, de toutes les traditions héréditaires, du besoin de croire et d’espérer qui revient et s’augmente avec l’âge.

1161. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Cette similitude du Français et de l’enfant, qui ne se bornait pas à un simple aperçu comme en ont les gens d’esprit, mais qui était l’idée favorite de l’abbé, revient continuellement dans ces notes de Rousseau : « Il était mal reçu des ministres et, sans vouloir s’apercevoir de leur mauvais accueil, il allait toujours à ses fins ; c’est alors surtout qu’il avait besoin de se souvenir qu’il parlait à des enfants très fiers de jouer avec de grandes poupées. » — « En s’adressant aux princes, il ne devait pas ignorer qu’il parlait à des enfants beaucoup plus enfants que les autres, et il ne laissait pas de leur parler raison, comme à des sages. » Rousseau, à qui tant de gens feront la leçon pour sa politique trop logique et ses théories toutes rationnelles, sent très bien le défaut de l’abbé de Saint-Pierre et insiste sur la plus frappante de ses inconséquences : « Les hommes, disait l’abbé, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose pour qu’ils la retiennent. » — « Mais, remarquait Rousseau, un enfant à qui on dit la même chose deux fois, bâille la seconde et n’écoute plus si on ne l’y force. […] C’est ainsi qu’il a noté des souvenirs, pour nous assez curieux, d’une conversation avec Nicole, et qu’il nous a laissé un précieux témoignage de plus, en faveur du théologien radouci et de la modération finale de ses sentiments.

1162. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Il fit encore dans l’école, pour les divers exercices et les épreuves qui solennisaient la fin des études, d’autres actions célèbres dont la Faculté garda le souvenir. […] Souvenirs de Madame de Caylus.

1163. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Mme Tastu, dans une belle pièce de son dernier recueil (le Temps), montre les mortels partagés en trois classes : les uns, ne vivant qu’au jour le jour, dans le présent ; les autres tout entiers à l’avenir et dans l’ambition des espérances ; les autres, enfin, tout à l’amour du passé et à la mélancolie du souvenir. […] On se tait même auprès du souvenir qui charme ; On doit paraître ingrat, car on le fuit souvent.

1164. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Il est dommage qu’on n’ait pas la clef des noms, mais on sent bien que le romancier peint ici d’après ses souvenirs. […] Si les bénédictins avaient laissé de ces vivants souvenirs chez Prevost, il est à croire qu’il en avait laissé aussi dans son passage parmi eux ; mais la trace ne s’en est point conservée.

1165. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Avoir vécu, dès l’enfance et durant la jeunesse, de la vie de famille, de la vie de devoir, de la vie naturelle ; avoir eu des années pénibles et contrariées sans doute, comme il en est dans toute existence humaine, mais avoir souffert sans les irritations factices et les sèches amertumes ; puis s’être assis de bonne heure dans la félicité domestique à côté d’une compagne qui ne vous quittera plus, et qui partagera même vos courses hardies et vos généreux plaisirs à travers l’immense nature ; ne pas se douter qu’on est artiste, ou du moins se résigner en se disant qu’on ne peut pas l’être, qu’on ne l’est plus ; mais le soir, et les devoirs remplis, dans le cercle du foyer, entouré d’enfants et d’écoliers joyeux, laisser aller son crayon comme au hasard, au gré de l’observation du moment ou du souvenir ; les amuser tous, s’amuser avec eux ; se sentir l’esprit toujours dispos, toujours en verve ; lancer mille saillies originales comme d’une source perpétuelle ; n’avoir jamais besoin de solitude pour s’appliquer à cette chose qu’on appelle un art ; et, après des années ainsi passées, apprendre un matin que ces cahiers échappés de vos mains et qu’on croyait perdus sont allés réjouir la vieillesse de Goëthe, qu’il en réclame d’autres de vous, et qu’aussi, en lisant quelques-unes de vos pages, l’humble Xavier de Maistre se fait votre parrain et vous désigne pour son héritier : voilà quelle fut la première, la plus grande moitié de l’existence de Topffer. […] Il y a pour nous à dire quelque chose de ce roman qu’on va lire274, et qui ne jurera en rien avec le récent souvenir funèbre.

1166. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Les beaux-arts ne sont pas perfectibles à l’infini ; aussi l’imagination, qui leur donna naissance, est-elle beaucoup plus brillante dans ses premières impressions que dans ses souvenirs même les plus heureux. […] Les Grecs honoraient les morts ; les dogmes de leur religion ordonnaient expressément de veiller sur la pompe des funérailles ; mais la mélancolie, les regrets sensibles et durables ne sont point dans leur nature ; c’est dans le cœur des femmes qu’habitent les longs souvenirs.

1167. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Bientôt celle-là même s’efface, et la meilleure chance de bonheur pour cette situation, c’est la facilité qu’on trouve à se faire oublier : mais par une réunion cruelle, le monde qu’on voudrait occuper, ne se rappelle plus de votre existence passée, et ceux qui vous approchent ne peuvent en perdre le souvenir. […] Les palmes du génie tiennent à une respectueuse distance de leur vainqueur ; les dons de la fortune rapprochent, pressent autour de vous, et comme ils ne laissent après eux aucun droit à l’estime, lorsqu’ils vous sont ravis, tous vos liens sont rompus, ou si quelque pudeur retient encore quelques amis, tant de regrets personnels reviennent à leur pensée, qu’ils reprochent sans cesse à celui qui perd tout, la part qu’ils avaient dans ses jouissances, lui-même ne peut échapper à ses souvenirs ; les privations les plus douloureuses sont celles qui touchent à la fois à l’ensemble et aux détails de toute la vie.

1168. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

. — De tels services appellent une récompense proportionnée : on admet que, de père en fils, il contracte mariage avec la France, qu’elle n’agit que par lui, qu’il n’agit que pour elle, et tous les souvenirs anciens, tous les intérêts présents viennent autoriser cette union. […] Tous, par une vague tradition, par un respect immémorial, sentent que la France est un vaisseau construit par ses mains et par les mains de ses ancêtres, qu’à ce titre le bâtiment est à lui, qu’il y a droit comme chaque passager à sa pacotille, et que son seul devoir est d’être expert et vigilant pour bien conduire sur la mer le magnifique navire où toute la fortune publique vogue sous son pavillon. — Sous l’ascendant d’une pareille idée, on l’a laissé tout faire ; de force ou de gré, il a réduit les anciennes autorités à n’être plus qu’un débris, un simulacre, un souvenir.

1169. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre II. L’homme »

Tout jeune, il avait reçu de son père un message d’où dépendait le gain d’un procès ; il sort, rencontre des amis, va avec eux à la comédie, et ne se souvient que le lendemain du message et du procès. […] A vingt-six ans on lui donne une femme et une charge ; il se laisse faire, et tout doucement se détache de l’une et de l’autre, s’en va à Paris surveiller les eaux et forêts de la Champagne, et ne se souvient plus qu’il est marié.

1170. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Brunetière, les lieux communs s’y dépouillent de ce qu’ils ont de banal, et ne conservent de tout ce que l’on confond sous le nom de banalité que l’universalité seule, pour en ressortir originaux et vrais d’une vérité toute nouvelle. » Mais, dira-t-on, notre expérience est bien petite, et notre prétention ne serait-elle pas ridicule de vouloir réformer les pensées des grands hommes sur les petits événements de la famille et du collège, avec des souvenirs enfantins ? […] La cause de la sensation supprimée, la sensation disparaît, ne laissant qu’un vague souvenir, une obscure image, qui disparaîtra bientôt refoulée dans les profondeurs de l’être par la masse des impressions ultérieures.

1171. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Le critique impressionniste intransigeant en est réduit à entourer cinq lignes délayant péniblement son sentiment, de commentaires ésotériques, souvenirs de jeunesse, évocations de lectures analogues, citations, congratulations ou injures. […] « La raison approuvant l’instinct », je me souviens d’avoir abouti à cette formule dans une étude exclusivement sociale : je me félicite de cette coïncidence.

1172. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Dans la mémoire de tous leurs élèves, ces deux physionomies se sont gravées en traits ineffaçables ; pour tous ceux qui ont eu le bonheur de suivre leurs leçons, ce souvenir est encore tout récent ; il nous est aisé de l’évoquer. […] Et cependant si l’image primitive avait totalement disparu de notre souvenir, comment devinerions-nous par quel caprice toutes ces inégalités se sont échafaudées de cette façon les unes sur les autres ?

1173. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Or, de tous les personnages du passé, dont le souvenir venait comme les songes d’une nuit troublée réveiller et agiter le peuple, le plus grand était Élie. […] La vie austère qu’il avait menée, les souvenirs terribles qu’il avait laissés, et sous l’impression desquels l’Orient vit encore 275, cette sombre image qui, jusqu’à nos jours, fait trembler et tue, toute cette mythologie, pleine de vengeance et de terreurs, frappaient vivement les esprits et marquaient, en quelque sorte, d’un signe de naissance tous les enfantements populaires.

1174. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

L’unité cesse ; on a à la fois les souvenirs de Grammont et les souvenirs d’Hamilton, qui se combinent et se croisent.

1175. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il avait pour soutenir sa vie nouvelle deux sentiments énergiques et également puissants, le souvenir du passé et le besoin d’action. […] Tous les peuples ont eu l’idée d’un âge d’or, d’un état primitif de parfaite paix et de parfaite innocence : n’est-ce point là le sentiment secret et comme le souvenir de l’état dans lequel ont été créés nos premiers parents ?

1176. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Mais nous parlons des voyages pittoresques, individuels, artistiques ou littéraires, de ces dilettanti quelconques qui ont, sur tout, une phrase qu’on a vue quelque part au service de leurs impressions ou de leurs souvenirs. […] Il l’est à la façon d’un homme qui a eu, dans l’ordre du temps, l’héroïque initiative d’écrire l’histoire qu’il a écrite, — le premier de tous et à la première heure, les pieds et la main encore dans les flammes de cette histoire qui, désormais, dans le souvenir des hommes, ne s’éteindra plus !

1177. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Qui ne se souvient de l’effet qu’il y a quelques années produisirent, dans la Vie Parisienne, — un journal hardi, trop hardi peut-être, non pour moi, mais pour les bégueules que j’adore ! […] C’est une richesse, mais c’est une richesse qui nuit à l’unité du roman, et qui éparpille et disperse l’intérêt que l’art aurait été de concentrer… La femme du monde experte qu’est madame de Molènes, cette observatrice qui a des observations de rechange toujours à son service, s’est trop souvenue des femmes qui ont passé devant elle, et elle en a mis trois autour de son orpheline, qui, sans être orphelines, ont plus de charme que celle qui l’est, et même, sur les trois, il en est une — Hélène — qui, selon moi, en a beaucoup plus !

1178. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Je sais que ces sortes d’actions sont extraordinaires et doivent le paraître ; mais la nature passionnée a son prix, comme la nature réfléchie ; et les hommes peut-être les plus estimables ne sont pas ceux qui règlent froidement et sensément tous les mouvements de leur âme, qui avant de sentir ont le loisir de regarder autour d’eux, et se souviennent toujours à temps qu’ils ont besoin d’être modestes. […] Cet éloge, où un particulier loue un prince avec lequel il a quelque temps vécu dans l’obscurité, pouvait être précieux ; le souvenir des études de leur jeunesse et cette heureuse époque où l’âme, encore neuve et presque sans passions, commence à s’ouvrir au plaisir de sentir et de connaître, devait répandre un intérêt doux sur cet ouvrage ; mais nous ne l’avons plus, et nous n’en pouvons juger ; nous savons seulement qu’il était écrit en grec.

1179. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Une discussion dans les bureaux du Constitutionnel »

Nous sentons combien il y va de toute notre indignité dans des volumes signés du nom de Sainte-Beuve, mais nous nous efforçons aussi, par le caractère impersonnel de notre rédaction, de nous faire oublier, en ne mettant en relief que des souvenirs où la personnalité seule de l’illustre écrivain est en jeu.

1180. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Que les hommes qui vivent dans une révolution, et qui en sont ou spectateurs éclairés ou acteurs principaux, lèguent à la postérité le dépôt fidèle de leurs souvenirs, c’est un devoir que nous réclamons d’eux ; que ceux mêmes qui, dans une situation secondaire, n’ont vu qu’un coin du vaste tableau et n’en ont observé que quelques scènes, nous apportent leur petit tribut de révélations, il sera encore reçu avec bienveillance ; et si surtout l’auteur nous peint l’intérieur d’une cour dans un temps où les affaires publiques n’étaient guère que des affaires privées, s’il nous montre au naturel d’augustes personnages dans cette transition cruelle de l’extrême fortune à l’extrême misère, notre curiosité avide pardonnera, agrandira les moindres détails ; impunément l’auteur nous entretiendra de lui, pourvu qu’il nous parle des autres ; à la faveur d’un mot heureux, on passera à madame Campan tous les riens de l’antichambre et du boudoir : mais que s’en vienne à nous d’un pas délibéré, force rubans et papiers à la main, mademoiselle Rose Bertin, modiste de la reine, enseigne du Trait galant, adressant ses Mémoires aux siècles à venir, la gravité du lecteur n’y tiendra pas ; et, pour mon compte, je suis tenté d’abord de demander le montant du mémoire.

1181. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

Fontaney, dont les piquants Souvenirs sur l’Espagne, publiés sous le pseudonyme de lord Feeling ne sont certainement pas oubliés, est mort, il y a peu de jours, âgé de trente-quatre ans environ, après une maladie de langueur qui pourtant ne faisait pas craindre une fin si prompte.

1182. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. de Latena : Étude de l’homme »

L’âme s’attriste, la pensée s’assombrit, et les souvenirs de la jeunesse ne se présentent plus que comme les images d’un bonheur perdu sans retour.

1183. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbier, Auguste (1805-1882) »

. — Souvenirs personnels et silhouettes contemporaines (1883). — Poésies posthumes (1884).

1184. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouilhet, Louis (1821-1869) »

[Souvenirs littéraires (1882-1883).]

1185. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Courteline, Georges (1858-1929) »

Les Souvenirs de l’Escadron, d’un tout autre genre, sont aussi fort jolis, avec une teinte de sentiment qui est loin de déplaire.

1186. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Un souffle de mort avait fauché à son tour le musicien, et ce souvenir funèbre ajouta, semble-t-il, à l’émotion poignante du drame… Poète né au pays du soleil, Éphraïm Mikhaël a la mélancolie des hommes du Nord ; sa prescience de la mort obsède parfois.

1187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhède (Raymond de la) = La Tailhède, Raymond de (1867-1938) »

Adolphe Retté Je garderai toujours le souvenir de la joie que je ressentis à la lecture des premiers vers de M. de La Tailhède.

1188. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 521-526

le Clerc de Montmercy, nous conviendrons qu’il auroit pu rendre ses Productions plus estimables, si, au lieu de peindre les écarts de l’imagination, il se fût attaché à réprimer la sienne ; si son excessive fécondité eût été resserrée dans les bornes d’une juste modération, & s’il se fût toujours souvenu que la quantité des vers ajoute au ridicule, parce qu’il n’y a que ceux qui sont bons, fussent-ils en petit nombre, qui puissent faire une bonne réputation.

1189. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 190-194

Souviens-toi que le Ciel cache sous ces images Des leçons pour régner aussi grandes que sages, T’apprend que les efforts illustrent les Guerriers, Et que, sans les travaux, il n’est point de lauriers.

1190. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 293-297

Ces Discours portent l'empreinte d'un esprit cultivé, d'une ame honnête, uniquement occupée du désir d'honorer les talens, de relever l'éclat des vertus, & de faire sentir la perte des Académiciens dont il rappelle le souvenir.

1191. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 309-314

« Ma chrétienne & sincere Palinodie, Monsieur, après la satisfaction de ma conscience, ne m'en pouvoit causer une plus sensible que de m'avoir rappelé dans votre souvenir.

1192. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

Le moi ne connaît de lui-même que des formes cadavériques, que des fantômes vagues et multiples évoqués par le souvenir.

1193. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

Il est même curieux de remarquer que, dans ce siècle incrédule, les poètes et les romanciers, par un retour naturel vers les mœurs de nos aïeux, se plaisent à introduire dans leurs fictions, des souterrains, des fantômes, des châteaux, des temples gothiques : tant ont de charmes les souvenirs qui se lient à la religion et à l’histoire de la patrie !

1194. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre premier »

Vous vous souvenez que ce fut d’abord sous un grand coup d’enthousiasme.

1195. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

À la fin de son volume de Souvenirs, M.  […] les choses de ce monde s’évanouissent comme l’ombre… Tu te souviendras, n’est-ce pas, de ta pauvre petite Isabelle ?… Tu te souviendras de notre enfant qui est morte en venant au monde ? […] On la déposera sur mon sein… Rien ne te restera de moi que le souvenir, mon bien-aimé. […] Eh bien, je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs !

1196. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Mes souvenirs, par Jacob-Nicolas Moreau, première et seconde partie, 2 vol in-8º. […] Il faut faire un esprit tout nouveau en France et qui ne conserve pas même souvenir du passé. […] Sarcey garda d’eux le meilleur souvenir, qu’il a plus d’une fois pris plaisir à exprimer. […] Ceux qui l’ont vue sont très satisfaits qu’on la leur résume et qu’on précise leurs souvenirs. […] Que j’aie de l’esprit, c’est pour m’en servir, et j’aurai soin que les hommes s’en souviennent.

1197. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Ce champ d’azur de son œil me faisait l’effet d’un désert monotone qu’aurait désolé une insaisissable ardeur. » Une autre fois, Amaury fait un retour plein de tristesse vers les premières années de son enfance : « Comme les souvenirs ainsi communiqués nous font entrer dans la fleur des choses précédentes, et repoussent doucement notre berceau en arrière ! […] Chaque jour ajoute plusieurs souvenirs à son journal, plusieurs pages à sa correspondance qu’aucune adversité n’interrompt. […] au souvenir que je garderai de ces lieux étranges, pas un souvenir ami ne viendra s’associer pour me les rendre chers !  […] Chacune de ses lettres résume tant d’idées, tant de faits, remue tant de souvenirs, provoque tant de réflexions, et renferme quelquefois des pages d’un style si achevé, qu’il aurait fallu donner, pour ne rien perdre, une analyse de chacune d’elles. […] sur cette terre étrangère et funeste, loin de son vieux père qu’il ne reverrait plus, loin de ses amis dont le souvenir, dont la jeunesse réveillaient à chaque instant, sur ce lit de mort, des idées de patrie et d’avenir !

1198. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Un mauvais plaisant, qui serait hanté de souvenirs napoléoniens, dirait que, dans cette famille, la mère s’appelait Lætitia et le père Ramolino. […] Dans plusieurs ouvrages de Goethe, surtout dans Vérité et poésie, il y a des souvenirs d’elle. […] C’est sous cet aspect de grand et sage aumônier qu’il resta longtemps dans les souvenirs et dans les imaginations des Italiens. […] Je sais bien que la vieillesse vit de souvenirs. […] C’est surtout quand je ne suis plus en présence du texte que certains souvenirs ont [pour moi] le goût de cendres.

1199. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Il souffre, et voici que sont dissipés et fuient les derniers tourbillons des souvenirs. […] Souvenir ou vision ? […] Combien de vieux souvenirs ils m’ont rappelés, et de vieux rêves ! […] J’ai gardé un souvenir assez net de quelques-unes des instructives histoires ainsi entendues, encouragé encore à m’en souvenir par leur fréquente, invariable répétition. […] À peine Chalek fut-il parti que Marysia fut envahie de son souvenir.

1200. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Ceux qui opposent si complaisamment l’un à l’autre aiment surtout, dans celui qu’ils regrettent, le souvenir déjà de leur propre jeunesse.

1201. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ch.-V. de Bonstetten : L’homme du midi et l’homme du nord, ou l’influence du climat »

C’est un recueil d’observations morales faites sous ce point de vue ; et elles ont, sinon le mérite de la méthode, du moins la grâce du laisser-aller, et quelque chose de ce charme qu’on trouve aux souvenirs mêmes d’autrui.

1202. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) »

[Souvenirs poétiques de l’école romantique (1880).]

1203. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

La France a le droit d’oublier, la famille a le droit de se souvenir.

1204. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

On est fâché que le Tasse n’ait pas donné quelque souvenir aux Patriarches : le berceau du monde, dans un petit coin de la Jérusalem, ferait un assez bel effet.

1205. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XII. Suite du Guerrier. »

Si Énée veut échapper à la séduction d’une femme, il tient les yeux baissés : Immota tenebat lumina  ; il cache son trouble ; il répond des choses vagues : « Reine, je ne nie point tes bontés, je me souviendrai d’Élise », Meminisse Elisæ.

1206. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle ; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains se réduisait à mêler leurs cendres ensemble : mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs !

1207. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IV. Suite des précédents. — Julie d’Étange. Clémentine. »

Il endort la douleur, il fortifie la résolution chancelante, il prévient les rechutes, en combattant, dans une âme à peine guérie, le dangereux pouvoir des souvenirs : il nous environne de paix et de lumière ; il rétablit pour nous cette harmonie des choses célestes, que Pythagore entendait dans le silence de ses passions.

1208. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IV. Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes. »

D’ailleurs, il faut toujours se souvenir que la naïade détruisait la poésie descriptive ; qu’un ruisseau, représenté dans son cours naturel, est plus agréable que dans sa peinture allégorique, et que nous gagnons d’un côté ce que nous semblons perdre de l’autre.

1209. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion » pp. 429-434

Nous arrivons au théatre préparez à voir ce que nous y voïons, et nous y avons encore perpetuellement cent choses sous les yeux, lesquelles d’instant en instant nous font souvenir du lieu où nous sommes, et de ce que nous sommes.

1210. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Celui-ci, ayant à s’expliquer sur les sentiments religieux de Naudé, écrivait à Spon224 : « Tant que je l’ai pu connoître, il m’a semblé fort indifférent dans le choix de la religion et avoir appris cela à Rome, tandis qu’il y a demeuré douze bonnes années ; et même je me souviens de lui avoir ouï dire qu’il avoit autrefois eu pour maître un certain professeur de rhétorique au collège de Navarre, nommé M.  […] J’en connais, je crois, encore un ou deux ; mais je n’ai pas le temps de m’en souvenir. […] On était alors sous le pontificat d’Urbain VIII, de ce poète latin si élégant et si fleuri, qui se souvenait volontiers de ses distiques mythologiques, et qui continuait de les scander tout en tenant le gouvernail de la barque de saint Pierre. […] Il avait de longue main, dans ses Rose-Croix, compté sur la badauderie des Français ; dans ses Coups d’État, s’il nous en souvient (chap. iv), il avait peint la populace en traits énergiques et méprisants, que l’émeute présente semblait faite exprès pour vérifier. […] Une sorte de publicité existait dès les années précédentes : la bibliothèque s’ouvrait tous les jeudis aux savants qui se présentaient : il y en avait quelquefois de quatre-vingts à cent qui y étudiaient ensemble (Mscurat, page 244). — Voir aussi, dans les Lettres latines de Roland Des Marels, la 31e du livre II ; il y remercie Naudé en souvenir de quelque séance.

1211. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Ce n’était pas assez pour lui de s’être rempli des auteurs illustres, d’avoir leur œuvre entière incessamment présente, de semer volontairement et involontairement toutes ses pages de leurs souvenirs. […] Elles entrent dans son discours sans disparate ; elles renaissent en lui aussi vivantes qu’au premier jour ; il invente lors même qu’il se souvient. […] Il y a plaisir à le voir marcher sous le poids de tant d’observations et de souvenirs, chargé de détails techniques et de réminiscences érudites, sans s’égarer ni se ralentir, véritable « Béhémoth littéraire », pareil à ces éléphants de guerre qui recevaient sur leur dos des tours, des hommes, des armures, des machines, et sous cet attirail couraient aussi vite qu’un cheval léger. […] Je m’en souviendrai ! […] Nous sommes comme des apprentis naturalistes, gens paisibles et bornés qui, voulant se représenter un animal, voient le nom et l’étiquette de son casier apparaître devant leur mémoire avec quelque indistincte image de son poil et de sa physionomie, mais dont l’esprit s’arrête là ; si par hasard ils veulent compléter leur connaissance, ils conduisent leur souvenir, au moyen de classifications régulières, à travers les principaux caractères de la bête, et lentement, discursivement, pièce à pièce, ils finissent par s’en remettre la froide anatomie devant les yeux.

1212. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Un vieillard de Salzbourg, voisin de la maison du maître de chapelle, et qui se souvient d’avoir vu dans sa jeunesse ce prodige de précocité, racontait, il y a peu de jours, à un de nos amis une anecdote merveilleuse de l’enfance de Mozart dont il avait été témoin. […] Ces traditions des petites villes sur les génies avec lesquels leurs vieillards ont vécu dans la familiarité du voisinage sont les grâces de l’histoire ; elles rendent aux froids souvenirs la vie, l’intimité, la naïveté et la chaleur de la famille. […] Nous avons emporté des reliques de toutes deux, en souvenir. […] Il raconte, avec des souvenirs amers, dans plusieurs lettres, les tribulations de l’artiste cherchant des protecteurs et ne trouvant que des indifférents. […] Le but de cette lettre était de me recommander à madame la duchesse de Bourbon (qui était alors au couvent), et de me rappeler au souvenir et à l’intérêt de madame de Chabot.

1213. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Il ne se souvenait donc plus d’avoir promis d’accréditer par ses écrits l’opinion qui faisait de ce prince un fils de Jupiter Ammon ? […] Je dois, Alexandre, rappeler à ton souvenir la Grèce, pour laquelle tu as entrepris cette expédition qui lui soumet l’Asie. […] Le parti des hiérophantes, qui accusait Aristote de chercher la foi dans la raison pieuse, se souvint que cette même accusation avait fait mourir Socrate. […] À peine leur puissance fut-elle affermie, qu’ils eurent soin d’affaiblir leurs sujets, en dépit de tous les traités ; et le roi des Perses a plus d’une fois châtié les Mèdes, les Babyloniens et d’autres peuples, tout fiers encore des souvenirs de leur antique domination. […] Qu’on se souvienne qu’à l’oligarchie succéda la tyrannie de Panætius à Léontium ; à Géla, celle de Cléandre ; à Rhéges, celle d’Anaxilas, et qu’on se rappelle tant d’autres qu’on pourrait citer également.

1214. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

On se souvient encore du bruit que fit, l’an passé, la fameuse Déclaration des Cinq. […] Souvenez-vous de Nodier et de Mérimée. […] Vous souvenez-vous de ce Langlade dont parle quelque part M.  […] Voir Le Viol, où il y a le souvenir de Mademoiselle de Maupin. […] L’auteur a lu Balzac ; il s’en souvient quelquefois.

1215. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Il y a eu, du moins, en un coin de ce pays, quelqu’un pour se souvenir que de tels anniversaires ne doivent pas être passés sous silence. […] Peut-être y avait-il des bravos pour la pauvre France dans ceux qui accueillaient le nom et saluaient le souvenir de ce grand Français ! […] « La meilleure partie du génie, disait Goethe, se compose de souvenirs. […] Dimanche quand on se souvient de sa rencontre avec le Pauvre. […] Rouen, promenades et souvenirs).

1216. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Bien que la saison fût assez avancée, il y avait encore çà et là dans les haies quelques fleurs tardives, dont l’odeur, qu’il traversait en marchant, lui rappelait des souvenirs d’enfance. Ces souvenirs lui étaient presque insupportables, tant il y avait longtemps qu’ils ne lui étaient apparus. […] C’est une de ces scènes faites de rien, mais décrites avec la minutie savante de Meissonnier, et vues avec l’œil d’une mère, scènes à l’aide desquelles Hugo grave pour l’éternité dans l’œil et dans la mémoire de son lecteur une rencontre dont il veut qu’on se souvienne. […] Souvenez-vous de ces vers délicieux de douleur, dans lesquels le grand poète pense à sa fille et à son gendre noyés dans la Seine en se baignant près de Rouen ; l’une par imprudence, l’autre pour ne pas survivre à son amour !

1217. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Jeannin n’exerça la profession d’avocat que deux ans, et il laissa de vifs souvenirs. […] [NdA] Ces dates sont celles que donne Palliot dans son livre du Parlement de Bourgogne ; elles doivent être plus exactes que celles que Jeannin à écrites dans sa vieillesse et de souvenir.

1218. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route. […] Par le souvenir de notre prière tant de fois mêlée, par toutes nos larmes qui, en se mêlant aussi, avaient leur douceur, par notre dernière espérance, victorieuse du désespoir, — parle !

1219. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Un poète de l’ordre spiritualiste et mystique, et qui avait la clef du monde intérieur, s’est plu à dire : « Chez moi, toutes choses plutôt ressenties que senties », donnant à entendre que la sensation ne lui revenait qu’épurée dans le miroir de la réflexion et du souvenir. […] L’amour supplée aux longs souvenirs par une sorte de magie. » Mais il ne nous indique aucun de ces détails qui lui ont paru si charmants, ou il ne les indique que d’une façon très générale ; il aime mieux s’écrier : « L’amour n’est qu’un point lumineux, et néanmoins il semble s’emparer du temps, etc. » — Un jour il écrit à Ellénore, pour lui donner idée de ce qu’il souffre pendant les heures qu’il vit séparé d’elle : « … J’erre au hasard courbé sous le fardeau d’une existence que je ne sais comment supporter.

1220. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Il faut voir, dans les premières pages des Souvenirs du général Pelleport, comment il expliquait à ces nouveaux venus l’ordre et la marche : « Souvenez-vous, disait-il aux volontaires dans une retraite où ils accéléraient un peu trop le pas en entendant siffler les balles espagnoles, qu’il faut prendre le pas ordinaire quand on tourne le dos à l’ennemi, et le pas de charge quand on lui présente la poitrine. » Il avait vite électrisé son monde et obtenu des prodiges ; : et quand Doppet (un bien triste général) vint prendre la succession de Dagobert en Cerdagne, il y trouva des soldats tout faits et dignes des chefs les plus intrépides.

1221. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Je n’ai point connu les sœurs de M. de Lamartine, mais je me suis toujours souvenu d’un mot échappé à M.  […] Il est des genres modérés auxquels la vieillesse est surtout propre, les mémoires, les souvenirs, la critique, une poésie qui côtoie la prose ; si la vieillesse est sage, elle s’y tiendra.

1222. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Non pas qu’il ait rédigé ses Mémoires ou son Journal dans le moment même où il agissait et administrait : il paraît n’y avoir songé que tard et après sa retraite des intendances ; mais il a rédigé ses notes sur pièces, à mesure que, dans la révision qu’il faisait de ses papiers, chaque lettre, chaque copie ou minute lui tombait sous la main et fixait ses souvenirs. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

1223. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

À peine j’eus ouvert les yeux et fait le signe de la croix du réveil que votre souvenir vint me trouver sur mon chevet et me dire que dans ce moment vous pensiez aussi à moi, et que, si nous ne pouvions pas nous voir, nos prières et nos vœux se rencontraient dans le chemin du Ciel. […] Elle s’adresse aux lettres absentes de Louise, à ces lettres perdues à coup sûr ou errantes, car elle ne peut supposer qu’il n’y en a pas eu d’écrites, et elle a raison : « Qui sait en quelles mains tomberont ces chers souvenirs de ma chère Louise ?

1224. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Tous ces récits étaient fort bien rendus et mimés, d’une voix quelque peu forte et robuste, par un homme de haute stature et en qui un filet de l’ironie paternelle se faisait encore sentir ; mais cette ironie n’était plus la source même et ne venait que par une sorte de transmission et d’habitude : elle était de souvenir plus que d’inspiration et de jet. […] Les Mémoires se composent de quatre morceaux principaux : Mme de Lamotte et l’affaire du collier sous Louis XVI ; — les souvenirs de 1793 et des prisons sous la Terreur ; — l’administration du Grand-duché de Berg sous Napoléon ; — les débuts de la Restauration, la confection de la Charte, etc.

1225. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

« Ces notes rappellent seulement les dates, les circonstances, en attendant plus d’explication. » Et, encore, sur un papier attaché au bas de la page : « Ces notes n’ont pas été rassemblées dans le dessein d’en faire des mémoires, mais comme souvenirs à mon usage surtout.  […] « Il est bon d’être au milieu de la vie : les regrets et les reproches ont une place arrêtée dans nos souvenirs ; nous connaissons nos négligences, nos inadvertances, nos tiédeurs, toutes nos faiblesses.

1226. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Il vient de nous donner, en attendant, ses souvenirs de la Méditerranée et d’Italie. […] Le trait vraiment original du recueil me paraît être (qu’on me passe le terme) au point d’intersection, dans l’âme du poëte, de ses souvenirs de Bretagne et d’Italie.

1227. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Sous une forme détournée, il y caressait encore le souvenir de ses propres douleurs. […] Dès qu’il s’en éloignait, elle reprenait à ses veux tout son charme : telle l’Ile-de-France pour Bernardin de Saint-Pierre, qui de près l’aima peu, et qui ne nous l’a peinte si belle que de souvenir.

1228. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Par elle, la psychologie devient une science de faits ; car ce sont des faits que nos connaissances ; on peut parler avec précision et détails d’une sensation, d’une idée, d’un souvenir, d’une prévision, aussi bien que d’une vibration, d’un mouvement physique ; dans l’un comme dans l’autre cas, c’est un fait qui surgit ; on peut le reproduire, l’observer, le décrire ; il a ses précédents, ses accompagnements, ses suites. […] Dans la seconde partie, on a d’abord décrit le mécanisme et l’effet général de leur assemblage, puis, appliquant la loi trouvée, on a examiné les éléments, la formation, la certitude et la portée de nos principales sortes de connaissances, depuis celle des choses individuelles jusqu’à celle des choses générales, depuis les perceptions, prévisions et souvenirs les plus particuliers jusqu’aux jugements et axiomes les plus universels.

1229. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Son naturel génie lui rendrait enfin le souvenir de lui-même, et il reconquerrait ce qui lui appartient ; mais cette réaction dépasserait probablement à son tour les limites de l’harmonie propre à cet art et le ballet présenterait, pour longtemps, un excès de gestes à l’exclusion de toutes attitudes. […] Il en est dont les traits matériels s’adoucissent jusqu’à disparaître, mais pour suggérer au fond des pâles brumes du souvenir une incertaine silhouette lentement dressée ou qui s’incline, on le dirait, sans se mouvoir.

1230. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Eussent-ils la folie de vouloir balayer tout le passé, est-ce que, malgré eux, ils n’auraient pas encore dans leurs cerveaux des rêves, des prédispositions, des aptitudes, survivances et souvenirs de leurs ascendants ? […] Souvenir.

1231. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Les attributs primitifs et fondamentaux de l’intelligence sont : la conscience de la différence, la conscience de la ressemblance et la rétentivité (retentiveness) qui comprend la mémoire et le souvenir. […] Mais la disposition à passer d’un souvenir, imagination ou idée, à l’action qu’ils représentent, — à produire l’acte et non pas seulement à le penser, — c’est là aussi un principe déterminant dans la conduite humaine. » L’auteur montre combien de faits curieux en psychologie s’expliquent par cette tendance de l’idée à se réaliser : la fascination causée par un précipice, les phénomènes produits par les idées fixes, par le sommeil magnétique, les sensations causées par sympathie.

1232. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Parmi ceux dont le cardinal de Retz se souvint à son arrivée, il en est un que j’aime à distinguer, parce qu’il était bel esprit, poli, honnête homme et pauvre : c’est le célèbre avocat Patru, l’un des premiers académiciens français, si prisé de Boileau, un de ceux qui, les premiers, parlèrent le plus purement notre langue, un de ces Parisiens spirituels et malins que Retz n’avait pas eu de peine à rallier autour de lui pendant la Fronde, avec les Marigny, les Montreuil, les Bachaumont. […] Mme de Sévigné travaillait de tout son pouvoir à le distraire : Nous tâchons d’amuser notre bon cardinal (9 mars 1672) : Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque temps, et qui fait souvenir des anciennes ; Molière lui lira samedi Trissotin, qui est une fort plaisante chose ; Despréaux lui donnera son Lutrin et sa Poétique : voilà tout ce qu’on peut faire pour son service.

1233. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

C’est, répond Spencer, qu’elle est associée au souvenir de la poursuite, de l’attaque et du repas ; elle fait donc renaître à un certain degré les sentiments et les mouvements impliqués dans les actes de poursuivre, de saisir, de dévorer. […] Telle fut, on s’en souvient, l’opinion de Herbart.

1234. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

A une époque où le souvenir du romantisme remplit les romans réalistes et les scènes brutales, de grands chocs tragiques et sanglants, de raffinements maladifs, M. de Goncourt a conservé le sens des choses naturellement charmantes, de la poésie dans les incidents journaliers, des âmes délicates de naissance, de ce qui est vif, simple et gai. […] Nous ne connaissons pas de portrait plus évocateur et plus animé, gesticulant et parlant, traversé d’onde, de vie et de pensée, plus délicatement modelé par la sympathie des souvenirs exacts.

1235. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Même encore aujourd’hui, ajoute ce pere, il y a des vieillards qui se souviennent, à ce qu’ils m’ont dit, d’avoir vû pratiquer cet usage. […] La premiere, est que les écrivains de l’antiquité qui ont vécu avant Apulée, ne parlent point, autant qu’il m’en souvient, de pieces dramatiques executées par une troupe de comédiens pantomimes.

1236. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les souvenirs la blessent ; elle semble craindre que des principes anciens ou vieillis ne soient entachés de féodalité. […] Souvenons-nous que cette race éclatante des Homérides a cessé de régner sur nous, et qu’une nouvelle dynastie va se placer sur le trône de l’imagination, qui est vacant.

1237. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

S’étreindre, c’est se jeter à deux dans la mort-mais avec la faculté d’en revenir et de s’en souvenir… ceux qui accomplissent le rite sans croire, l’acte sans aimer, ne songent qu’à l’agrément de cette névrose et non à la conséquence métaphysique et tragique de l’étreinte. « Mais l’acte d’amour vrai » cette seconde de la projection vitale n’étant qu’un éclair entre deux infinis, qu’est-ce donc que l’idée de possession ? […] Mauclair qui ne s’en souvenait sans doute pas à ce moment, nous en a rendu le sens et même un peu le mouvement dans son très beau morceau sur la Vieillesse des amants.

1238. (1927) Des romantiques à nous

Je ne me souviens que d’un morceau littéraire qui les ait enthousiasmés à ce point : la tirade de Metternich sur le chapeau de Napoléon, dans l’Aiglon de Rostand. […] Aussi bien ces souvenirs illustreront-ils la figure et le génie de l’artiste lui-même. […] Tous les anciens hôtes de Laveur se souviennent avec affection de Baptiste, de François, de l’oncle Guittard, de Maria et de la tante Rose. […] Parmi eux, je me souviens tout particulièrement d’Henri Gillet, le violoncelliste, artiste émouvant et gai compagnon, fiancé à une ravissante jeune fille. […] Je me souviens aussi de Mathieu Crickboom, qui a suivi si brillamment, comme chacun le sait, les traces de son maître Ysaye.

/ 2496