/ 1910
28. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Cet écrivain prétend que l’affectation à mettre de l’amour dans toutes les intrigues des tragedies, et dans presque tous les caracteres des personnages, ait fait tomber nos poëtes en plusieurs fautes. […] Le veritable amour jette souvent du ridicule sur les personnages les plus serieux. […] Ces heros, ainsi défigurez, paroîtront peut-être aux petits-fils de ceux qui les admirent tant aujourd’hui, des personnages barboüillez exprès pour être rendus ridicules. […] Voilà ce qui doit arriver tôt ou tard aux poëtes qui ne s’assujetissent pas à copier la nature dans leurs imitations, qui ne s’embarrassent point que leurs personnages ressemblent à des hommes, et qui sont trop contens quand ces personnages ont je ne sçais quel bon air. C’est avoir bien oublié la sage leçon que donne Monsieur Despreaux dans le troisiéme chant de son art poëtique, où il decide si judicieusement qu’il faut conserver à ses personnages leur caractere national.

29. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

On peut bien dire qu’un personnage se contredit ou se dément, mais jamais qu’il se déguise, à moins qu’il ne l’avoüe lui-même dans la piéce, ou que l’auteur n’ait l’art de le faire entendre par le moyen des autres personnages. […] Il consiste à conserver l’action et la conduite de la piece, en changeant seulement la condition des personnages. […] Il y a des personnages qui sont, pour ainsi dire, demi-confidens et demi-acteurs. […] Une pareille trahison fait frémir le spectateur ; et il y a loin de là, à pouvoir reprendre quelque intérêt au personnage. […] Les personnages paroissent souvent composer de beaux vers, plutôt qu’exposer des sentimens.

30. (1881) Le naturalisme au théatre

Dès lors, les personnages abstraits ont disparu. […] Le milieu doit déterminer le personnage. […] C’est une tragédie, avec des personnages modernes. […] Les faits mènent les personnages comme des marionnettes. […] Mais quel personnage rococo !

31. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Ses personnages sont ces hôtes qu’il convie aux luttes des mots piquants. […] Molière a eu dans l’esprit deux personnages entêtés de vers. […] Voit-on arriver sur la scène le personnage impatient du Bourru, on se dit : Le personnage doux et tranquille n’est pas loin. […] Ainsi sommes-nous avec ses personnages. […] Mais le personnage le plus vivant, c’est Figaro.

32. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Ils y jettent ensuite des personnages de convention, jouets de situations artificielles. […] Les personnages de ces pièces sont moins des caractères que des rôles composés pour des acteurs. […] C’est un art nouveau : c’est nous qui de spectateurs sommes devenus les personnages. […] En dirions-nous autant d’un caractère d’exception, d’un personnage anecdotique ? […] Sur ce dernier point, il faut que les moindres personnages se sentent de leur origine.

33. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Ici, ce n’est pas le récit, sans plus, le récit, clair ou ardent, d’un drame qui a ses personnages auxquels l’Histoire accroche, comme elle peut, çà et là, ses lumières. […] Quoique dans l’introduction qui précède son livre il nous dise, vers la fin : « La conspiration que j’ai rapportée est une conspiration vraie, aussi vraie que la conspiration du général Malet », ce qui est peut-être trop vite dit et pas assez prouvé, et, quoique l’imagination, beaucoup plus intéressée à ce roman d’une conspiration qu’elle ne le serait à une histoire, veuille bien accepter, sans le chicaner, ce qu’affirme si brièvement l’auteur, cependant il reste toujours, non pas uniquement l’embarras de savoir où le personnage historique finit et où le personnage inventé commence, mais il reste encore — et c’est autrement important — que tous les personnages de l’action sont tous vus de par dehors, comme les personnages d’une histoire, au lieu d’être vus de par dehors et de par dedans tout ensemble, comme doivent être vus tous les personnages d’un roman, dont l’auteur peut approfondir à son gré ou idéaliser les caractères, puisqu’il les a lui-même inventés ! […] Comment ne pas se rappeler tout cet univers qui tourne dans Walter Scott autour de cette conspiration entreprise dans l’intérêt du prince Édouard, et les centaines de personnages s’agitant dans les magnifiques épisodes de cette conspiration manquée, tous sublimes dans leur incroyable variété, les uns ressortant de l’Histoire, les autres ressortant de la vie ! Chez Ranc, au contraire, excepté un mufle assez drôle d’espion, qui voudrait avoir aussi sa petite conspiration pour faire croc-en-jambe à la police, — fantoche d’espion, qui est aux terribles et impérissables figures de Contenson et de Corentin (dans Une ténébreuse affaire) ce que le Brididi du vaudeville serait aux plus glaçantes figures de Shakespeare ; — excepté ce marmouset d’une originalité comique, dont l’idée était heureuse, mais qu’il fallait creuser davantage, il n’y a pas un personnage vraiment individuel dans ce Roman d’une conspiration. […] Bourgeois, le maire de Poitiers, — ni les deux autres espions, Degranges et Méhu, — ni les personnages historiques, qu’il fallait d’autant plus intensément peindre qu’on ne les nommait pas et que leur visage devait crever le masque d’incognito que l’auteur leur attache, — ni le jeune frère de Rochereuil, — ni sa mère, — ni la femme aimée de Rochereuil, profonde comme une grisette, fusain à peine indiqué de fille facile, — rien de tout ce monde ne sort, ne se détache, mais tout reste blafard, exsangue, indécis et inanimé, sous la plume la plus mâle, la plus appuyée, la plus énergique et la plus amoureuse d’énergie.

34. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Nos personnages ne seront que des vices, des vertus, des qualités pures, sous des noms de plantes et d’animaux. […] Si elle est exprimée, ce sera par accident, dans le discours d’un personnage. […] Il est déjà tout préparé, puisqu’il contient les personnages, et nous n’avons qu’à leur rendre ce qui leur appartient. […] On reconnaîtra dans chaque personnage son rang, son âge, son éducation, sa physionomie. […] Notre acteur parlera, car le personnage réel parle, mais longuement et languissamment.

35. (1876) Romanciers contemporains

Les personnages sont les créatures du grand écrivain. […] Marmier a presque toujours choisi ses personnages. […] Ce ne sont pas des personnages imaginaires que M.  […] Aucun des personnages de M.  […] Fabre de conduire son personnage au point culminant.

36. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Les personnages sont aussi inconsistants, la psychologie plus incertaine encore et plus superficielle. […] Tous ses personnages pourraient faire souvent de telles remarques. […] Sa faiblesse transforme en fantômes indécis les personnages nets et agissants des Grecs, mais sa mélancolie les dresse longs, frêles, aériens, dans un ciel de rêve et de larmes. […] Et déjà la pensée ici est bafouée dans le personnage d’Homais, comme elle le sera tout le long de Bouvard et Pécuchet. […] En peu de temps, les deux personnages intéressés aux gestes de Suzanne se laissent convaincre par elle.

37. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Le but de la tragedie étant d’exciter principalement en nous la terreur et la compassion, il faut que le poëte tragique nous fasse voir en premier lieu des personnages aimables et estimables, et qu’il nous les répresente ensuite en un état veritablement malheureux. […] Il est donc necessaire que les personnages de la tragedie ne meritent point d’être malheureux, ou du moins d’être aussi malheureux qu’ils le sont. […] Oedipe ne seroit plus un principal personnage de tragedie, s’il avoit sçu dans le tems de son combat, qu’il tiroit l’épée contre son propre pere. […] Ainsi quand Agamemnon veut sacrifier sa fille, il viole la loi naturelle sans être en poësie un personnage scelerat : il est excusé par sa resignation aux loix et à la religion de sa patrie qui autorisoit de pareils meurtres. […] Une erreur excusable peut donc réhabiliter, pour ainsi dire, le personnage qui commet un grand crime contre la loi naturelle, mais je me donnerai bien de garde de donner aux emportemens et aux premiers mouvemens le droit d’excuser les grands crimes, même sur le théatre.

38. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Un seul personnage raconte, rêve, agit : c’est une sorte de monographie. […] Les deux personnages doivent être sans cesse rapprochés, mêlés l’un à l’autre, tout en restant bien distincts l’un de l’autre. […] On peut croire d’abord que l’introduction du personnage de Garcia rompt l’unité de l’œuvre et que sa mort est un épisode, inutile. […] Ses personnages, comme ceux de Balzac, sont des « forces de la nature », non de véritables volontés. […] Yann est un personnage symbolique, un peu à la manière de quelques héros de Zola, comme Albine, par exemple !

39. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Toucher, c’est faire partager au lecteur les sentiments qu’on a prêtés à ses personnages ; c’est nous mettre, par une sorte de contagion, dans l’état d’âme et dans les divers états d’âmes des personnages qu’on a créés. […] On me dira : selon quel critérium pourrons-nous juger de la vérité d’un personnage ? […] Une fiction, c’est toujours une partie de nous qui, aux mains de l’auteur, est devenue un personnage, une autre partie de nous qui est devenue un autre personnage, et ainsi de suite, et c’est encore le plus souvent par retour sur nous-mêmes que nous jugeons. […] Telles sont, par exemple, souvent, les créations ou les créatures des frères Goncourt, tel est le principal personnage du Horla de Maupassant, etc. […] On l’estime dans les salons personnage indésirable à moins qu’il n’ait de l’esprit et de l’humour, en considération de quoi l’on pardonne en ces lieux-là absolument tout.

40. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

En transformant dans ses romans les personnages de sa connaissance en héros et en princes, Mlle de Scudéry croyait ne pas sortir de sa maison. […] Elle s’est à demi peinte dans le personnage de Sapho, au tome Xe du Grand Cyrus, et ce nom de Sapho lui est resté. […] Les actions et la conduite de tous ces personnages (tant elle les travestit) deviennent presque d’accord avec cette manière factice de nous les présenter ; une même nuance de faux couvre le tout. […] Tous ces personnages, même les plus secondaires, étaient connus dans la société ; on se passait la clef, on se nommait les masques ; et aujourd’hui encore, là où nous savons les noms réels, nous ne parcourons point nous-mêmes sans curiosité les pages. […] Le fait est qu’une fois qu’on démasque les personnages persans ou scythes et qu’on rétablit les vrais noms à l’aide des clefs, comme M. 

41. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 31, de la disposition du plan. Qu’il faut diviser l’ordonnance des tableaux en composition poëtique et en composition pittoresque » pp. 266-272

Il faut encore que les personnages soient placez avec discernement, et vêtus avec décence par rapport à leur dignité comme à l’importance dont ils sont. […] Comme nous l’avons déja dit en parlant de la vrai-semblance, tous les personnages doivent faire les démonstrations qui leur conviennent, et l’expression de chacun d’eux doit être conforme au caractere qu’on lui fait soutenir. […] Aucun peintre n’a sçu mieux que lui bien arranger dans une même scene un nombre infini de personnages, placer plus heureusement ses figures, en un mot bien remplir une grande toile sans y mettre de la confusion. […] Un petit nombre des personnages sans nombre dont il est rempli, se trouve être attentif au miracle de la conversion de l’eau en vin qui fait le sujet principal. […] Enfin ses personnages sont habillez de caprice, et comme dans ses autres tableaux, il y contredit ce que nous sçavons positivement des moeurs et des usages du peuple dans lequel il choisit ses acteurs.

42. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi » pp. 120-123

Section 16, de quelques tragedies dont le sujet est mal choisi Non seulement il faut que le caractere des principaux personnages soit interessant, mais il est encore necessaire que les accidens qui leur arrivent, soïent tels qu’ils puissent affliger tragiquement des personnes raisonnables, et jetter dans une crainte terrible un homme courageux. […] Les excès de passions où le poëte fait tomber son heros, tout ce qu’il lui fait dire afin de bien persuader les spectateurs que l’interieur de ce personnage est dans l’agitation la plus affreuse, ne sert qu’à le dégrader davantage. […] Un heros, obligé par sa gloire et par l’interêt de son autorité à rompre cette habitude, n’en doit pas être assez affligé pour devenir un personnage tragique : il cesse d’avoir la dignité requise aux personnages de la tragedie, si son affliction va jusqu’au desespoir. […] Inspirez toujours de la veneration pour les personnages destinez à faire verser des larmes.

43. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Il excelle, à un tournant de sa fabulation, à un moment psychologique de ses personnages à montrer cette évolution et cette transformation par un fait brutal, net, dont la conclusion est laissée à tirer au lecteur. […] Par ces faits menus ou longs à décrire, il montre les états d’âme permanents ou passagers de ses personnages, — par ces mains de Gianni travaillant machinalement à déranger les lois de la pesanteur, l’absorption momentanée du saltimbanque cherchant un tour inouï  par ce réglisse : bu dans un verre de Murano, la nature populaire et raffinée de la Faustin. […] C’est cette intervention de la fantaisie dans le choix des incidents, cet amour du joli dans les choses et dans les gestes, du mystère pour certaines scènes et certains personnages, qui finalement caractérise le mieux l’art de M. de Goncourt. De là les paillettes, l’ingéniosité, le coloris adouci et pimpant de son style, la fréquence des scènes élégantes et des personnages point abjects, le contournement amoureux de sa phrase, la gaieté de son humeur, et la tendresse de son émotion ! […] Ce penchant réagit sur le choix de ses documents humains, de ses sujets, de ses personnages ; ce souci de l’exactitude le pousse à donner des visions nettes de mouvements et de jolités ; l’habitude de l’observation, son ouverture d’esprit à tous les phénomènes de la vie, le garde de tomber dans la mièvrerie ou le pessimisme : la recherche d’émotions délicates le préserve habituellement de s’appliquer à l’étude des choses basses, des personnages laids ou nuls, limite sa vision des phénomènes psychologiques, l’éloigne de concevoir des caractères uns, individuels et constants, colore et énerve sa langue, atténue ses fabulations, rend ses livres excitants et fragmentaires.

44. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

L’attention en est moins distraite des personnages principaux qui ressortent fortement, et frappent l’imagination. […] Shakespeare a été plus fidèle aux vraisemblances en conservant à ce personnage le caractère de courtisane que lui donne le poëte latin. […] Mais les personnages les plus brillants et les plus animés de la pièce sont Bénédick et Béatrice. […] Il n’a point imprimé à ses personnages un caractère individuel, complet, indépendant des circonstances où ils paraissent. […] Le personnage d’Imogène a fait réellement des passions.

45. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Ses personnages, élevés du particulier au général, résument en eux des catégories entières ; ils participent de la nature immuable et essentielle de l’homme, un hypocrite a quelque chose de l’hypocrisie absolue, un jaloux, quelque chose de la jalousie absolue ; leur nom propre devient un substantif commun ; ils sont de tous les pays, et demeurent à jamais contemporains des générations qui se succèdent246. […] Ses personnages ne sont point des êtres abstraits, allégoriques, symboliques. […] Voilà la dernière règle : quel poète a su s’effacer derrière ses personnages avec autant d’art et de modestie que l’auteur du Tartuffe, d’Harpagon et des Femmes savantes, plus prompt aux métamorphoses que le Protée de la fable antique256 ? […] Mais il n’a point créé de types qui soient demeurés l’expression éternelle d’un sentiment, d’un vice, d’une passion ; il n’a pas perpétué dans la langue des noms de personnages qui aient servi à définir des familles264. […] Nulle vraisemblance, une complication d’incidents bizarres, une exagération, une caricature presque continuelle, un dialogue étincelant de verve et d’esprit, mais où l’auteur paraît plus que le personnage ; voilà le fond de ses comédies267.

46. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Ce qui caractérise vraiment la première comédie des Grecs, ce n’est pas l’introduction de personnages réels sur la scène. […] Car nous avons perdu le secret d’Aristophane pour affranchir les personnages publics de leur tragique solennité, et pour les remplir de vie et de liberté comiques. […] Mais le comique avoué égaye à la fois les spectateurs et le personnage, et Alceste a le front si morose, cinq actes durant, que tous les spectateurs contractent leurs traits par sympathie. […] Quels sont donc, en définitive, les personnages comiques de Molière ? […] Les personnages historiques ne sont jamais chez lui qu’un symbole ; ils désignent une espèce.

47. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

À ce personnage unique, Eschyle en ajouta un second, et diminua les chœurs pour donner plus d’étendue au dialogue. […] Le chœur devint partie intéressée dans l’action, quoique d’une manière plus éloignée que les personnages qui y concouraient. […] La raison veut, au contraire, qu’ils s’entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu’ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux personnages, en cessant d’agir, leur en donnent le temps ; et c’est aussi ce qui faisait la matière des chants du chœur. […] Outre ces chants, qui marquaient la division des actes, les personnages du chœur accompagnaient quelquefois les plaintes et les regrets de acteurs sur des accidens funestes arrivés dans le cours d’un acte : rapport fondé sur l’intérêt qu’un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son prince. […] Le nombre des personnages monta jusqu’à cinquante personnes ; mais Eschyle ayant fait paraître, dans un de ces chœurs, une troupe de furies qui parcouraient la scène avec des flambeaux allumés, ce spectacle fit tant d’impression que des enfants en moururent de frayeur, et que des femmes grosses accouchèrent avant terme.

48. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ses personnages ont une conscience diminuée. […] Les personnages sont très individualisés et dépeints avec justesse. […] Les personnages se désirent, se veulent et se prennent. […] Certes ces personnages ont de quoi plaire. […] L’âme ardente des personnages de M. 

49. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

Les lettres de ses personnages sont telles que ceux-ci les eussent écrites, peu de composition, peu de style. […] Pourquoi ne nous dit-on pas le petit nom des personnages ? […] Dix personnages principaux sont portraiturés « en pied » avec leurs mutuelles intrigues. […] La moitié des personnages par leur fortune ou leur indépendance sont hors les soucis d’argent. […] Hervieu a mis en contact un groupe considérable de personnages, en des combinaisons d’événements.

50. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Toutefois, le personnage de Tiberge est une heureuse création. […] Hugo offrent des personnages si singuliers. […] Les personnages n’ont pas vécu et ne pourraient pas vivre. […] Le personnage de M. de Belnave n’est pas moins vrai que le personnage de Marianna. […] Avec ces personnages, M. 

51. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Molière y entre dans sa grande manière qui consiste, autour du personnage principal, à peindre toute une famille et à montrer cette famille désorganisée par le vice du personnage principal. […] Tartuffe est un personnage odieux qui a quelques ridicules. Ce n’est donc pas le personnage ridicule de la pièce. […] Orgon n’est pas le seul personnage de la pièce qui soit pieux et qui soit ridicule. […] Car Alceste et Philinte sont le même personnage à deux différents âges.

52. (1910) Rousseau contre Molière

— Et pourquoi aime-t-il le personnage complexe ? […] Or Alceste est précisément ce personnage-là. […] Oui, il a joué tout le personnage d’Alceste. […] Il n’y a, dans la famille d’Orgon, qu’un personnage qui, visiblement du moins, ait des sentiments religieux, et c’est un personnage burlesque, et c’est sa mère. […] Voulez-vous voir un personnage embarrassé ?

53. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Remarquez que les personnages de M.  […] Donc le personnage principal, c’est Bérénice. […] Tout personnage, de qui, d’une façon ou d’une autre, dépend le dénouement, est personnage actif, est personnage dans lequel il y a élément important de l’action dramatique. […] Il fut désormais un grand personnage européen. […] Monsieur l’auteur, comme vos personnages sont aimables !

54. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

d) Personnages : a′) extérieur : * Simples ; beauté, laideur absolues ** Doubles ; beauté sinistre, laideur bonne *** Beaux costumes, belles loques, coloris b′) intérieur : * Âmes simples à répétition d’actes ** Âmes doubles à actes antithétiques *** Âmes doubles par volte-faces subites c) Sujets abstraits : a′) Vers à propos de rien, sujets nuls b′) Sujets indifférents, vers à propos de tout, versatilité c′) Développement de lieux communs d′) Humanitarisme, socialisme, optimisme, idéalisme et panthéisme vagues e′) Aspects grandioses, mystérieux ou bizarres, de la légende, de l’histoire ou de la vie. […] Les effets (Synthèse des moyens) 1° Effet général exaltant, par : a) Richesse, éclat du style (l°)22 b) Imprévu de la syntaxe (2°) c) Imprévu des métaphores et leur clarté (5° c) d) Coloris violent des époques et des lieux ; (6° a, b, da′***) e) Simplicité des personnages (5° b, 6° da′ et b′) f) Humanitarisme et déisme optimiste (6° e d′) g) Exaltation du ton (4°) h) Saillie des objets par antithèse (3° b, 5° ab′, 6° d a′** et b′) 2° Grandiosité amplifiante, par : a) Procédés de répétition (3° a, 5° a a′) b) Absence de détaillement (5° a a′) c) Lointain des époques (6° d, 6° ee′) d) Clair-obscur des lieux (6° b c) e) Simplicité des personnages (6° d) ; f) Art général des développements ascendants g) Ton (4°) h) Sujets (6° e e′) 3° Mystère, par : a) Mots indéfinis (1°) b) Ellipses (2°) c) Tentative d’aperception immédiate, totale, peu claire (5° a a′) d) Lointain des époques (6° a) et des sujets (6° e e′) e) Vague métaphysique (6° e d′ et e′) f) Obscurité des lieux (6° b, c) g) Ton (4°) h) Prédilection générale pour les sujets et les situations où l’imagination n’est pas bornée par les faits, poétisme. […] Simplicité des personnages. […] Pour les drames : prédominance particulière ; (moyens) des époques et des lieux caractéristiques, des personnages préférés, versatilité des sujets ; (effets) de l’effet exaltant, de la grandiosité amplifiante, de la redondance, du vide, de l’irréalisme. […] Pour les romans : prédominance ; (moyens) vocabulaire et syntaxe particulières, composition, ton, procédés de description, lieux, moments, personnages, sujets grandioses, humanitarisme le moins vague ; (effets) exaltant, grandiosité, mystère, irréalisme moindre, suspens et surprise, réalisme momentané.

55. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Ni l’histoire ni la poésie ne peuvent accepter les personnages que M.  […] Le caractère et la condition des personnages suffiraient pour absoudre M.  […] Ainsi, tous les personnages de la Dame de Lyon se séparent profondément des personnages de Ruy Blas. […] Michelet, n’est tout au plus qu’un personnage de ballade. […] Remy est, mon avis, le personnage le mieux conçu, le plus complet de l’ouvrage.

56. (1903) Zola pp. 3-31

Les personnages de Stendhal, comme ceux de Le Sage, nous font dire : « C’est lui ! […] Il était moins net dans la réalité ; mais je l’ai vu. » Les personnages de Molière et de Balzac sont grossis, amplifiés, élargis, déformés déjà, parce que Molière et Balzac ont de l’imagination, mais ils sont très vrais en leur fond et ils nous font dire : « Je l’ai vu. […] Les personnages de Zola sont des abstractions encore plus vides, vivifiées par un rêve triste de matérialiste grossier, au lieu de l’être par le rêve bleu d’un idéaliste en extase. […] La vérité humaine n’est que dans les nuances subordonnées à une couleur générale et dans la complexité subordonnée à une tendance maîtresse qui fait l’unité du personnage. […] Dans les personnages de Balzac, déjà un peu trop ; dans ceux de Zola, extraordinairement et misérablement, l’être humain est réduit à une seule passion et cette passion à une manie et cette manie à un tic.

57. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Le théâtre comporte un autre emploi du phénomène bovaryque : le héros, en vue d’un but, simule un personnage qu’il sait distinct de lui-même. […] Avec ce calcul voici Tartufe personnage de transition entre le drame et la comédie. […] On a indiqué déjà, à l’occasion de Mme Bovary elle-même, que la comédie fait place au drame sitôt que le phénomène a pour théâtre l’âme d’un personnage pourvu d’une énergie violente. […] Aux prises avec ces réalités positives son inaptitude, sa faiblesse, son inexpérience causent sa ruine : l’intervalle où le personnage de comédie trébuchait lisiblement se creuse pour lui en un abîme où il se brise. […] Par la rareté des objets auxquels il s’applique, il en impose à tous ceux qui, comme le personnage de Molière, trouvent une chose d’autant plus belle qu’ils la comprennent moins.

58. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

N’avoir pas senti cela, après avoir pris pour le multiple personnage d’un livre d’imagination un peuple pareil, un peuple de puritains à l’ouvrage, de Turn Penny capables de tout par suite d’affaires, voilà le grand tort de Gabriel Ferry. […] Dupe, ou, pour dire un mot moins dur, victime du génie de Cooper, Ferry a cru qu’on pouvait reprendre la création achevée d’un immense artiste, et il ne s’est pas aperçu que dans Fenimore Cooper le véritable personnage, le vrai héros des poèmes que nous avons sous les yeux, c’est l’Amérique elle-même, la mer, la plaine, le ciel, la terre, la poussière enfin de ce pays qui n’a pas fait son peuple et qui est émietté par lui… Il n’a pas vu qu’en ôtant Bas-de-Cuir lui-même des romans de Fenimore, — cette figure que Balzac, qui avait le sens de la critique autant que le sens de l’invention, a trop grandie en la comparant à la figure épique de Gurth dans Ivanhoe et qui n’est guères que le reflet du colossal Robinson de Daniel de Foe, — il n’a pas vu qu’il n’y avait plus dans les récits du grand américain qu’une magnifique interprétation de la nature, que l’individualisation, audacieuse et réussie, de tout un hémisphère, mais que là justement étaient le mérite, la profondeur, l’incomparable originalité d’une œuvre qui n’a d’analogue dans aucune littérature. […] Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, avaient peint des coins de savanes, des bords de fleuves, des marines, derrière les personnages qui exprimaient avant tout, pour eux romanciers, les idées et les sentiments qu’il leur importait de creuser. […] Ses personnages, à lui, ne sont que les ciceroni de l’odyssée qu’il fait faire à son lecteur à travers les plaines et les beautés grandioses du continent américain. […] Il y passe des régiments de personnages ; on y entasse des boisseaux de meurtres.

59. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

C’est par l’effet de ce défaut de réflexion, qui rend les barbares incapables de feindre, que Dante, tout profond qu’il était dans la sagesse philosophique, a représenté dans sa Divine Comédie, des personnages réels et des faits historiques. Il a donné à son poème le titre de comédie, dans le sens de l’ancienne comédie des Grecs, qui prenait pour sujet des personnages réels. […] Pétrarque, avec toute sa science, a pourtant chanté dans un poème latin la seconde guerre punique ; et dans ses poésies italiennes, les Triomphes, où il prend le ton héroïque, ne sont autre chose qu’un recueil d’histoires. — Une preuve frappante que les premières fables furent des histoires, c’est que la satire attaquait non-seulement des personnes réelles, mais les personnes les plus connues ; que la tragédie prenait pour sujets des personnages de l’histoire poétique ; que l’ancienne comédie jouait sur la scène des hommes célèbres encore vivants. Enfin la nouvelle comédie, née à l’époque où les Grecs étaient le plus capables de réflexion, créa des personnages tout d’invention ; de même, dans l’Italie moderne, la nouvelle comédie ne reparut qu’au commencement de ce quinzième siècle, déjà si éclairé. Jamais les Grecs et les Latins ne prirent un personnage imaginaire pour sujet principal d’une tragédie.

60. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Le fait est invraisemblable, absurde : les personnages sont imaginaires, le rire qu’ils excitent surprend la raison et ne l’instruit pas. […] Les personnages de la scène eurent des noms et des attributs généraux, comme les portraits de Théophraste. […] Dans la comédie de caractère, il ne porte que sur le langage et les humeurs des personnages. […] Notre indignation secrète nous met en accord avec le courroux du misanthrope ; voilà par quoi nous saisit universellement ce personnage. […] Le père du Glorieux pouvait être fondu dans un pareil moule ; et sa figure, moins triste, eût été mieux assortie au principal personnage.

61. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Malheur au personnage, qui tué sur la scène, ne sera pas mort comme elle prescrit d’expirer : à l’instant elle fera pleuvoir sur lui tant de pommes et de monnaies de cuivre qu’on aura quelquefois lieu de craindre qu’il ne s’ensuive un plus véritable trépas. […] Chez eux, un principal personnage ne se fera pas attendre, comme dans Eschyle ou dans Sophocle, jusqu’à la dernière scène du drame et n’apparaîtra pas seulement, pour tuer ou être tué. […] Chez nous, il arrive quelquefois encore qu’un personnage, en se présentant sur la scène, commence par décliner son nom ; plus souvent, il nous explique pourquoi il entre, pourquoi il sort. […] Mais quels sont donc, je vous prie, vos spectateurs, s’il leur faut des combats de gladiateurs, des victimes humaines livrées aux bêtes féroces, et des bourreaux enfin pour derniers personnages de vos poèmes ? […] Mais enfin ce n’est pas tout que de faire danser, dormir, rêver et périr des personnages ; il faut encore leur donner des mœurs, un caractère, des passions, et nous devons avouer que Shakespeare y réussit fort souvent.

62. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Cette méthode sommaire est justifiée par l’aspect saillant des personnages de Poe, qui ressortissent presque tous à la pathologie mentale. […] Des personnages masculins de Poe, le prototype n’a pu être désigné par la minutieuse biographie de M.  […] Amplifiées et surtendues, ce sont les facultés et les plaies mêmes de son âme que Poe extrait et résume en chacun des personnages de son œuvre. […] Les âmes qui luisent dans les yeux aigus des personnages sont concises, extraites, sublimées en essences spirituelles pures. […] Pour provoquer l’horreur il suffit de montrer des objets, des scènes, des personnages qui épouvantent, et, pour les montrer, de les imaginer soi-même nettement.

63. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Isabelle était fille du roi d’Égypte ou veuve spartiate, et Burattino, Pedrolino, Arlequin étaient mêlés à des personnages comme Oronte, roi d’Athènes, et Oreste, roi de Lacédémone. […] Dans L’Orseida, par exemple, un ours fait un personnage galant, et même un personnage de mari et de père. […] Si elles étaient dialoguées, leur étendue serait considérable, car le va-et-vient des personnages est très actif et le nombre des scènes très multiplié. […] Voilà l’ensemble de personnages qu’on retrouve dans la plupart des pièces comiques. […] Dans ce dernier canevas, Pantalon et son fils Oratio étant rivaux auprès d’Isabelle, il y a un concert assez plaisant entre tous les personnages pour faire accroire à Pantalon que son haleine est empestée.

64. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Il choisit une idée générale, la ruse, la sottise, la sévérité, et en fait un personnage. Ce personnage s’appelle Critès, Asper, Sordido, Deliro, Pecunia, Subtil, et le nom transparent indique la méthode logique qui l’a formé. […] Ses personnages, comme les caractères de la Bruyère et Théophraste, sont fabriqués à force de solides déductions. […] Et le personnage qu’elle regarde En est aussi digne. […] quel assemblage de personnages bizarres, de bohémiennes, de sorcières, de dieux, de héros, de pontifes, de gnômes, d’êtres fantastiques !

65. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

.), d’autre part, des phénomènes d’induction psychologique aboutissant à des idées et à des sentiments de nature plus complexe (sympathie pour les personnages représentés, intérêt, pitié, indignation, etc.), en un mot, tous les sentiments sociaux. […] La première condition pour qu’un personnage soit sympathique, c’est évidemment qu’il vive. […] La seconde condition, c’est que ce personnage soit animé de sentiments que nous puissions comprendre et soient en nous-mêmes qui puissants. Ceci posé, il peut arriver qu’un personnage antipathique par ses sentiments et ses actions, mais animé d’une vie intense, nous entraîne par-cette intensité de vie, en dépit de notre répulsion naturelle. […] Le personnage qui raisonne seulement et ne sent pas ne saurait nous émouvoir : nous voyons trop bien que sa supériorité ne repose sur rien de profond et d’organique, nous sentons qu’il ne vit pas ses idées.

66. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques Il importe beaucoup aux poëtes tragiques de nous faire admirer des personnages dont il faut que les malheurs nous coûtent des larmes afin que la tragedie réussisse. […] Ainsi j’approuve les auteurs qui, lorsqu’ils ont pris pour sujet quelque évenement arrivé en Europe depuis un siecle, ont masqué leurs personnages sous le nom des anciens romains ou de princes grecs, ausquels personne ne prend plus d’interêt. […] Mais malgré le changement du nom des personnages, la répresentation de cette tragedie a été défenduë durant long-tems dans les païs-bas espagnols. […] Peu de mois après la mort de Henri IV on répresenta dans Paris une tragedie dont le sujet étoit la mort funeste de ce prince ; Louis XIII qui regnoit alors, faisoit lui-même un personnage dans la piece, et de sa loge il pouvoit se voir répresenter sur le théatre où le poëte lui faisoit dire que l’étude l’assommoit, qu’un livre lui faisoit mal à la tête, qu’il ne pouvoit guerir qu’au son du tambour, et plusieurs autres gentillesses de ce genre dignes d’un fils d’Alaric ou d’Athalaric. […] Comme elle n’inflige pas d’autre peine aux personnages vicieux que le ridicule, elle n’est pas faite pour répresenter les actions qui meritent des châtimens plus graves.

67. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

De quoi parle le personnage du poète ? […] Parmi les personnages de Goethe, il n’en est pas de plus familier à l’imagination de la foule que le personnage de Marguerite. […] Ses personnages sont les premiers de leur famille. […] Le point de départ de tous ces personnages, c’est donc l’utile et le réel. […] l’aimable et l’intéressant personnage !

68. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Tous les personnages mis en scène par M.  […] Mais en dessinant ce personnage, M.  […] Je suis sûr que l’auteur, en dessinant ce personnage, s’est applaudi et félicité. […] Hugo et de Vigny par l’animation brutale mais réelle de ses personnages. […] Car il sait que les personnages nés de la seule fantaisie sont, aussi bien que les personnages historiques, appelés à l’accomplissement des lois qui régissent les facultés humaines.

69. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Appelons Pierre le personnage qui reste près du canon, la Terre étant alors notre système S. Le voyageur enfermé dans le boulet S′ devient ainsi notre personnage Paul. […] Supposons un personnage en N′. […] À un moment déterminé le personnage perçoit en N′ un événement parfaitement déterminé. […] Sur cet événement constituant le présent commun des deux personnages en N et N′ nous fixons alors notre attention.

70. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Seulement l’historien, qui ne s’en doute pas, fait mouvoir ses personnages comme si cette force n’existait point. […] Là on assiste aux pensées, aux sentiments, aux passions qui ont déterminé les actes extérieurs des personnages. […] La volonté des individus ou des partis, voilà les obstacles ou les auxiliaires dont se préoccupe la prudence de ces personnages. […] On comprend dès lors comment la conscience de la puissance individuelle devait contribuer à donner, aux personnages historiques de l’antiquité cette liberté d’allure, cette audace d’initiative, cette confiance dans le succès de leurs efforts personnels, qui manquent généralement aux personnages historiques des temps modernes. […] De là une double légende pour le vulgaire, celle qui fait des grands personnages révolutionnaires des tigres altérés de sang, et celle qui en fait des héros du devoir et du dévouement civique.

71. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Rien de plus classique que ce roman à deux personnages, où les sobres indications de cadre et de milieu laissent la crise morale s’étaler largement. […] Elle laisse les personnages secondaires tels qu’elle les a observés. […] Elle a su faire des personnages qui évoluent, dont le caractère se défait et se refait. […] Elle en a le ton, les manières, l’esprit, quand il faut que ses personnages les aient. […] Balzac est incomparable aussi pour caractériser ses personnages par le milieu où ils vivent.

72. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

L’impression que produit sur cette classe de personnages la situation des personnages principaux m’a paru souvent ajouter à celle qu’en reçoivent les spectateurs proprement dits. […] D’autres fois, ces personnages secondaires servent à développer d’une manière piquante et profonde les caractères principaux. […] Les Allemands n’écartent de celui de leurs personnages rien de ce qui constituait leur individualité. […] Thécla, dans la pièce de Schiller, est sur un plan tout différent de celui où est placé le reste des personnages. […] Aucun des personnages de femmes que nous voyons sur la scène française n’en peut donner l’idée.

73. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Ainsi, dans les chansons de geste contemporaines des croisades, la première qualité des personnages offerts à notre admiration, c’est la force. […] Si tel est bien l’état moral du milieu où vit Corneille, il est naturel que dans les personnages créés par lui le devoir l’emporte sur la passion. […] Elle n’est plus dans chaque personnage entre ce qu’il doit et ce qu’il désire faire. […] Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. […] Il suffit que certains personnages, certains actes apparaissent plus sympathiques que d’autres (et comment pourrait-il en être autrement ?)  

74. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Les personnages sont : Pandolfo, père de Lelio et de Virginia. — (Pantalon dans la comédie improvisée.) […] Le même genre de plaisanteries continue entre ces deux personnages. […] C’est bien possible, mais ce canevas, tel que Cailhava l’a traduit, est certainement d’une date plus récente que la comédie de Molière : cela se reconnaît aux seuls noms des personnages. […] Il appropria à chaque fois l’habit du personnage au rôle qu’il lui donnait ; l’inventaire après décès l’atteste également. […] Don Garcia de Navarra, que nous ne connaissons pas, et auquel Molière, du reste, n’aurait recouru que pour le nom du principal personnage, car toute sa comédie est dans la comédie italienne.

75. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Sans doute, l’écrivain aura le choix de son milieu, de ses personnages, de l’intrigue et du dénouement de son drame, mais toujours son récit devra donner quelque figure de la réalité, en produire l’illusion. […] N’est-ce pas du spectacle de la lutte contre les plus violentes passions, du contraste entre le bien et le mal représentés par des personnages différents, ou par les tendances différentes du même personnage, que naîtront les sentiments que l’auteur veut faire éprouver au lecteur : l’admiration, la crainte, la haine ? […] C’est précisément ce qui a lieu lorsqu’un personnage de roman est amené par un auteur dans la clairière de la forêt. Ce personnage ne vient pas là pour peindre. […] Le cadre des personnages ne doit pas être traité séparément et pour lui-même, mais d’une certaine façon humaine et comme un complément des héros.

76. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Nous ne parlerons pas des deux premières nouvelles, la Femme supérieure, déjà publiée dans un journal, et la Maison Nueingen, à laquelle, sans doute à cause d’un certain argot dont usent les personnages, il nous a été impossible de rien saisir. […] Quand ce seraient des personnages intéressants et vrais, je crois que les reproduite ainsi est une idée fausse et contraire au mystère qui s’attache toujours au roman. […] On rencontre un personnage, un caractère dans une situation ; il suffit, s’il n’est pas le personnage essentiel, qu’il soit bien saisi : il aide à l’effet, et on ne se soucie pas de le suivre ensuite à perpétuité dans ses recoins. […] La cheville ouvrière de la conversion est une manière de personnage mystérieux qui, jusqu’à la fin, a tout l’air d’être un honnête jésuite espagnol, et qui se trouve, au démasqué, n’être qu’un de ces sublimes roués dont l’auteur a une escouade en réserve.

77. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VIII. Les Fedeli » pp. 129-144

Quoi qu’il en soit, le personnage de Francischina ou Fracischina eut et conserva à Paris une popularité plus grande que celui de Ricciolina : c’est le nom de Francisquine qu’adopta cette Anne Begot qui faisait le rôle de la femme de Tabarin ou de Lucas sur les tréteaux de la place Dauphine, « comédienne ordinaire de l’île du Palais », comme on appelait ces acteurs en plein vent, commère dessalée, aussi preste à la riposte et probablement plus « forte en gueule » que sa devancière et sa contemporaine de la commedia dell’arte 22. […] Les personnages de la pastorale, le croirait-on ? […] L’auteur expose le plus gravement du monde, dans la dédicace, l’analogie qu’il aperçoit, d’abord entre la partie supérieure et noble de ses personnages et la dédicace qu’il présente à Sa Majesté, puis entre la partie basse et monstrueuse de ses héros et l’œuvre qu’il dépose aux pieds de la reine. » Après avoir passé en Italie l’été de 1623, les Comici Fedeli revinrent en France et y représentèrent pendant l’année 1624 et le commencement de l’année 1625. […] Quant aux autres types, il serait difficile de désigner les noms véritables des acteurs qu’on voulut copier dans cette fête royale ; quelques-uns des noms que l’on cite, Colas, maître Philippes, n’ont point une physionomie italienne, et sans doute ces personnages n’avaient appartenu qu’accidentellement à la comédie de l’art. […] Les anciens masques satiriques devinrent des personnages de féerie.

78. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Euripide, Sopocle, peignoient des hommes, & non des personnages chimériques. […] Les personnages ayant été mal choisis, il a fallu que l’élocution suivît plutôt celle du Poète que celle de l’homme. […] Racine me paroît constamment caché derrière ses personnages, & habile à leur insinuer son langage harmonieux. […] Il n’a pas vu ce qu’il peint ; il a créé son personnage à force de combinaisons. […] Personnages toujours debout, monologues inutiles, parlage intarissable.

79. (1883) Le roman naturaliste

Flaubert de donner ce relief et cette intensité de vie aux personnages de Madame Bovary. […] et pourquoi les personnages de Jacques n’auraient-ils pas existé ? […] Mais le personnage est vivant. […] Daudet : quand les fonds et les milieux changent, il sait que les personnages, eux aussi, doivent changer. […] Observez comme ici déjà l’auteur se montre à côté de ses personnages. « Plus garotté qu’un Scythe ! 

80. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il en est d’autres, où, au lieu d’exprimer en son nom ce qu’il pense, ce qu’il sent, ce qu’il désire, il prend pour intermédiaires des personnages qu’il fait parler et agir et derrière lesquels il semble parfois s’effacer et disparaître. […] Elle doit porter sur les idées, les sentiments, les tendances des personnages mis en scène ; elle est en ce sens interne ; mais, comme ces personnages sont ou bien créés de toutes pièces par l’auteur ou en tout cas interprétés et en une certaine mesure formés ou déformés par lui, comme ils servent de la sorte à exprimer la nature même et les conceptions particulières de l’auteur, l’analyse est en ce sens-là externe. […] Puis, c’est le tour des personnages. […] Vient après cela l’intrigue, l’action, c’est-à-dire la suite et l’enchaînement des événements où les personnages sont intéressés. […] Fait-il parler ses personnages comme des livres ?

81. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Il fallait que le personnage d’Ulysse fût joué par Calchas. […] le rôle est tel — dans le personnage de Catarina. […] Lérand a remporté un triomphe dans le personnage de Marneffe. […] Duquesne a été très bon dans le personnage de Hulot. […] C’est, en somme, un personnage très bien composé.

82. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

disait Flaubert en s’amusant ; et il prêtait aux personnages les plus bonasses et de l’aspect le plus grave et le plus insignifiant des mœurs ultra-orientales. […] Mais il n’a jamais été nécessaire, pour aimer un drame, de partager les croyances de ses personnages. […] Il y a parfois deux ou trois mille ans, un abîme, entre les actions de tel personnage et ses mœurs, ses manières, ses discours. […] La marque du principal personnage, c’est justement d’être un criminel fort civilisé, très spirituel et très fin. […] Mais pourtant, si cette contradiction est réelle, il doit s’ensuivre que la plupart des personnages de Racine sont faux, essentiellement et irrémédiablement faux.

83. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Plutôt que de traduire, comme Beethoven, leurs propres sentiments ou ceux de personnages indéterminés, ils ont voulu contribuer, par la musique, à faire vivre des personnages définis, dans un cadre réel. […] Mais, comme Wagner encore, ils ont vu que le drame musical, devant exprimer la vie de personnages réels, ne pouvait pas conserver les formes convenues des vieux opéras. […] Mais cette mélodie doit-elle être seulement chantée par les personnages indépendamment de l’orchestre, ou doit-elle être fournie par l’orchestre tandis que les personnages, surla scène, parlent et agissent ? […] Pourvu que les émotions des personnages nous soient données en même temps que leurs paroles et leurs actes, qu’importe la manière dont nous les percevons ? […] Quant aux personnages, pourquoi chanteraient-ils ?

84. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ces remarques le conduisent naturellement à indiquer le choix des personnages convenables à la scène. […] Il est convenu que l’action se-doit passer entre de grands personnages dont le sort, influant sur celui des peuples, la revêt d’une majesté imposante. […] C’est ce qui fait, par exemple, que les personnages turcs, quelque modernes qu’ils soient, ont de la dignité sur le théâtre. […] L’action de l’un de ces ouvrages se passe, tantôt chez Phocas, tantôt chez Léontine, ou dans un salon commun à tous les personnages. […] Une épouse est trahie, et violente ; il est nécessaire qu’elle se venge ; cette nécessité est naturelle en ce personnage.

85. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Beaucoup des personnages de M. […] Sue, Arthur, par exemple, je dis que le personnage est vrai et qu’il y a de nos jours plus d’un Arthur. […] Beaucoup des personnages de M. […] C’est qu’il ne suffit pas que le personnage et le caractère soient réels pour avoir droit à être peints. […] L’interprétation du caractère et en général des mobiles du personnage dans le roman demeure encore historiquement la plus probable.

86. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Il faut avant tout qu’on écoute ces personnages et qu’on les comprenne. […] Il a besoin d’aimer, dans un drame, un ou plusieurs personnages, de prendre parti pour les uns contre les autres. Il lui faut au moins un « personnage sympathique ». […] S’il s’agit de personnages historiques, il s’en fait d’avance une certaine idée. « Il existe pour le théâtre une histoire convenue, que rien ne peut détruire. […] Autant de conventions qu’on voudra dans l’action ; le moins de conventions possible dans les personnages.

87. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Il combina ces qualités diverses et les réalisa dans des personnages vivants, dans un seul surtout qu’il anima et doua d’une vie puissante et d’une fertilité de ressources inépuisable. […] Il a créé des personnages qui ont vécu leur vie de nature et de société : « Mais qui sait combien cela durera ? […] Un homme d’esprit et de sens, que j’aime à consulter sur ces choses et ces personnages d’expérience humaine28, me fait remarquer qu’il y a de la prétention et du métier dans les mots et les reparties de Figaro. […] Le Figaro du Mariage affecte la gaieté plus encore qu’il ne l’a ; il est devenu un personnage, et il le sent ; il régente et dirige tout un monde, et il s’en pique. […] Au moment où on vint l’enlever, Beaumarchais avait à souper chez lui le prince de Nassau, l’abbé de Calonne, frère du contrôleur général, et autres personnages de marque.

88. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Greuze » pp. 234-241

Le principal personnage, celui qui occupe le milieu de la scène, et qui fixe l’attention, est un vieillard paralytique, étendu dans son fauteuil, la tête appuyée sur un traversin, et les pieds sur un tabouret. […] Tout est rapporté au principal personnage et ce qu’on fait dans le moment présent, et ce qu’on faisait dans le moment précédent. […] Le nombre des personnages rassemblés dans un assez petit espace est fort grand ; cependant ils y sont sans confusion, car ce maître excelle surtout à ordonner sa scène. […] Déplacer ce personnage, c’eût été changer le sujet du tableau. […] Ils disent aussi que cette attention de tous les personnages n’est pas naturelle ; qu’il fallait en occuper quelques-uns du bonhomme, et laisser les autres à leurs fonctions particulières ; que la scène en eût été plus simple et plus vraie, et que c’est ainsi que la chose s’est passée, qu’ils en sont sûrs… Ces gens-là faciunt ut nimis intelligendo nihil intelligant.

89. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Les personnages qui récitoient dans ces trois genres de poësies, faisoient plusieurs gestes qui étoient propres spécialement à chaque genre. […] Il est facile de concevoir que ces danses n’étoient autre chose que les gestes et les démonstrations que les personnages des choeurs faisoient pour exprimer leurs sentimens, soit qu’ils parlassent, soit qu’ils témoignassent par un jeu muet combien ils étoient touchez de l’évenement auquel ils devoient s’intéresser. […] Qu’on se représente donc pour se faire une juste idée de ces choeurs un grand nombre d’acteurs excellens répondans au personnage qui leur adresse la parole. […] Cet évenement fut même cause que les athéniens réduisirent à quinze ou vingt personnes le nombre des acteurs de ces choeurs terribles qui avoient été composez quelquefois de cinquante personnages. Quelques endroits des opera nouveaux où le poëte fait adresser la parole au choeur par un principal personnage à qui le choeur répond quelques mots, ont plû beaucoup, quoique les acteurs du choeur ne déclamassent point.

90. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Il y a eu un moment où, à Venise, par exemple, la société qui s’y trouvait réunie imagina de prendre les noms de ses principaux personnages, et de jouer leur jeu. […] Ce monde, qu’il avait à demi observé, à demi créé en tous sens ; ces personnages de toute classe et de toute qualité qu’il avait doués de vie, se confondaient pour lui avec le monde et les personnages de la réalité, lesquels n’étaient plus guère qu’une copie affaiblie des siens. […] Il ne se contente pas de bien tracer ses personnages, il les nomme d’une façon heureuse, singulière, et qui les fixe pour toujours dans la mémoire. […] Il y réussit moins que dans la formation des personnages. […] Ses personnages ne vivent pas d’un bout à l’autre ; il y a un moment où ils passent à l’état de type.

91. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Nous n’avons trouvé ni en France, ni en Allemagne, ni ailleurs, de personnages réels pour représenter parfaitement ces deux écoles275, et nous avons emprunté à Molière deux personnages fictifs, fantastiques : le Chevalier Dorante et Monsieur Lysidas. […] Les personnages de la tragédie sont nobles ; ils nous montrent le principe moral vainqueur du principe animal : donc les personnages de la comédie doivent nous montrer le principe animal victorieux du principe moral ; ils doivent êtres ivres, poltrons, vains, débauchés, paresseux, gourmands ou égoïstes. Mais notez bien que William Schlegel n’a pas dit : les personnages de la tragédie marchent sur leurs deux pieds : donc les personnages de la comédie doivent marcher à quatre pattes. […] Il sait que dans le théâtre d’Aristophane les personnages ne marchent pas habituellement à quatre pattes. […] Plusieurs critiques, sans être allemands, trouvent même qu’il est un peu sérieux, et que le personnage qui le rend nécessaire est bien odieux pour être comique.

92. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

. — Que le personnage soit antipathique, cela ne serait rien ; il pourrait être sauvé soit par beaucoup de comique, soit par un peu de terreur. […] Et c’est pourquoi, le désaccord étant complet entre ce personnage et la besogne que Molière a dessein de lui faire accomplir, voici surgir, chemin faisant, un second Tartuffe, fort différent du premier. […] C’est égal, si quelque auteur contemporain mettait au théâtre un personnage aussi incohérent, aussi visiblement double que le Tartuffe de Molière, que diriez-vous, ô mon maître Sarcey ? […] Et ces mots : « À mes yeux, il allait le répandre », peuvent bien nous faire sourire : là où nous voyons l’ostentation du personnage, Orgon n’a vu que son ombrageuse délicatesse… Oui, je conçois de plus en plus qu’il se soit laissé prendre. […] Ce deuxième cas est, selon moi, celui de Tartuffe, et c’est sans doute parce que, dans la pensée de Molière, l’imposture du personnage est complète, qu’il l’a nommé l’Imposteur.

93. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Que l’on revienne, en effets de l’analyse des personnages de M.  […] Huysmans rend ses personnages plus nerveux, c’est- à-dire plus soumis et plus directement sensibles aux impressions externes, il est forcé d’atténuer leur force de volonté, de les décrire plus incapables de tirer de leurs sensations de forts et persistants mobiles d’agir. […] Huysmans établit le caractère de ses personnages. […] Et passant de cas particuliers à l’ensemble général, les personnages de M.  […] Huysmans a-t-il soin d’entourer ses personnages de comparses ridicules et odieux, ou de les isoler entièrement ; et ni les uns ni les autres ne ménagent à la société des railleries qui tournent rapidement en dénonciations colères.

94. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Exposer son sujet, c’est-à-dire indiquer le temps, le lieu, toutes les circonstances particulières, présenter les personnages, marquer les caractères, annoncer l’action qui va mettre aux prises ces personnages et ces caractères, en rappelant tous les événements antérieurs qu’il est nécessaire de connaître pour comprendre ce qui va se passer ensuite ; développer le sujet, c’est-à-dire montrer le jeu des caractères, l’évolution des idées et des sentiments, la série des faits qui résultent des états d’âme et qui les modifient aussi, faire agir en un mot et souffrir les personnages, dénouer enfin le sujet, c’est-à-dire pousser l’action et les caractères vers un but où l’une s’achève et les autres se complètent, de telle sorte que le lecteur n’ait plus rien à désirer et que toutes les promesses du début soient remplies, voilà la formule classique de l’œuvre dramatique, qui s’adapte merveilleusement aux conditions des brèves narrations. […] L’homme ne peut vivre sans manger ; ce qui n’empêche pas que, s’il n’y a pas une raison spéciale qui vienne du sujet, on ne fait pas dîner devant nous les héros du roman, ni les personnages de l’histoire. […] Pareillement, quand vous faites parler vos personnages dans une narration, ou que vous avez choisi ou reçu la forme du dialogue, il ne s’agit pas de copier aussi exactement que possible l’allure et le ton d’une conversation réelle. […] Il n’est pas aisé d’y réussir : on voit des hommes de talent, au théâtre, présenter des personnages qui sont à tour de de rôle de plates photographies et des types abstraits, qui tantôt parlent le verbiage insignifiant de leur condition dans le monde, et tantôt proclament la théorie profonde de l’auteur sur leur caractère.

95. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Tel est le personnage principal mis en scène. […] Je ne crains pas de l’affirmer, étant ce qu’il est, ce Saint-Bertrand, nul talent, nul génie n’aurait pu se tirer d’un tel personnage. […] Et il n’y a pas plus d’invention non plus dans les autres personnages importants de ce ou de ces romans ! […] Quant aux autres personnages, tout à fait secondaires, tourbe qui entre, passe et sort dans ces romans sans y être nécessaire, sinon pour amener des épisodes, la princesse Wanda, — la conspiratrice polonaise dont toute la caractéristique est d’avoir une épaule plus grosse que l’autre (il faut être exact !) […] — ces faits sont aussi plats, aussi connus, aussi usés que les personnages.

96. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

André Dubos, très avisé et élégant dans le personnage de Jobelin ; M.  […] Thérèse est un grand personnage dans l’Espagne catholique. […] Au personnage antipathique de la pièce, à Mme Marèze ! […] Grand a été très digne d’estime dans le personnage de Jean Raidzell. […] Il aurait fallu faire dans ce personnage ce que M. 

97. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Dieu, les anges, la Vierge, le Christ, le diable, en étaient les personnages principaux. […] Les mœurs du temps en fournissaient les sujets ; les contemporains, sous des noms allégoriques, en étaient les personnages. […] Je veux que la passion plaide sa cause, qu’elle soit abondante, ingénieuse ; que les personnages de la tragédie soient à la fois passionnés et gens d’esprit. […] L’histoire abonde en personnages dont la vie offre une situation, une vicissitude dramatique, de quoi fournir quelques scènes à effet. […] Le personnage du roi dans le Cid, celui de Félix dans Polyeucte, en sont les types les plus adoucis.

98. (1881) Le roman expérimental

sans cesse des gredins, pas un personnage sympathique ! C’est ici que la théorie du personnage sympathique apparaît. […] Dumas fils, aux personnages sympathiques de M.  […] Hennique a réuni tous ses personnages secondaires. […] Le cadre a la même vérité que les personnages.

99. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Autour, le prévôt des marchands, ou une monstrueuse femme grosse déguisée, tout l’échevinage, tout le gouvernement de la ville, une multitude de longs rabats, de perruques effrayantes, de volumineuses robes rouges et noires, tous ces gens debout, parce qu’ils sont honnêtes ; et tous les yeux tournés vers l’angle supérieur droit de la scène, d’où Minerve descend accompagnée d’une petite paix, que l’immensité du lieu et des autres personnages achève de rapetisser. […] Pour vaincre la platitude de tous ces personnages, il aurait fallu l’idéal le plus étonnant, le faire le plus merveilleux, et Mr Hallé n’a ni l’un ni l’autre. […] Ces fleurettes jettées devant ces gros et lourds ventres de personnages rapellent malgré qu’on en ait le proverbe, (…). […] Et ces trois maussades, hydeuses, plates figures emmaillottées dans leurs draperies jusqu’au bout du nez, pourriez-vous m’aprendre si ce sont des personnages réels de la scène, ou de mauvaises estampes enluminées, comme nous en voyons sur nos quais, dont ce pauvre diable a décoré le dedans de sa tente.

100. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les personnages de tragedies quittent le masque devant nous. […] La tragédie prétend bien que toutes les passions dont elle fait des tableaux nous émeuvent, mais elle ne veut pas toûjours que notre affection soit la même que l’affection du personnage tourmenté par une passion, ni que nous épousions ses sentimens. Le plus souvent son but est d’exciter en nous des sentimens opposez à ceux qu’elle prête à ses personnages. […] Le poëte prétend seulement nous inspirer les sentimens qu’il prête aux personnages vertueux, et encore ne veut-il nous faire épouser que ceux de leurs sentimens qui sont loüables.

101. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Ce qui l’intéresse avant tout, ce n’est pas tant le personnage que la rareté de ses sentiments. […] Or, à travers ce fin réseau, le personnage divisé s’échappe, l’être de chair s’efface et se dissout. […] Il était incapable de sortir de lui-même et de créer des personnages. […] il n’y a plus de personnages. […] Ses personnages baignent dans une sorte de sauce lyrique qui ne tarde pas à dissoudre ce qui leur reste de réalité.

102. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Quant aux personnages du livre de M.  […] Mais, justement, l’abaissement général de tous les personnages passionnés du roman de M.  […] J’ai nommé tous les personnages déterminants et décisifs du roman de M.  […] Feydeau, que, non-seulement il décrit ce que ses personnages voient, mais il décrit même ce qu’ils rêvent. On dirait qu’il a interverti l’ordre des procédés ordinaires, et qu’il n’a pas placé ses personnages dans ses descriptions, mais plaqué ses descriptions par-dessus ses personnages, mettant l’accessoire devant le principal, et la plastique inerte devant la nature vivante !

103. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 32, de l’importance des fautes que les peintres et les poëtes peuvent faire contre leurs regles » pp. 273-274

Par exemple, il faut se ressouvenir que l’incident qui fait le dénouement dans le cinquiéme acte n’aura point été suffisamment préparé dans les actes précedens, ou qu’une chose dite par un personnage dans le quatriéme acte dément le caractere qu’on lui a donné dans le premier. […] D’ailleurs les fautes réelles qui sont dans un tableau comme une figure trop courte, un bras estropié, ou un personnage qui nous présente une grimace au lieu de l’expression naturelle, sont toujours à côté de ses beautez. […] Il n’en est pas de même d’un poëme, ses fautes réelles comme une scene qui sort de la vrai-semblance, ou des sentimens qui ne conviennent point à la situation dans laquelle un personnage est supposé, ne nous dégoutent que de la partie d’un bon poëme où elles se trouvent.

104. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

« J’examinais, moi, tous les personnages, des yeux et des oreilles », nous avoue-t-il à chaque instant. […] Et, en effet, la plupart des personnages qui ont cette gravité apparente redoutent à bon droit la familiarité ; ils craignent, en se laissant approcher de trop près, qu’on ne les tâte, pour ainsi dire, au défaut de la cuirasse, et qu’on ne sente par où ils fléchissent. […] Mais il y a, pour ces derniers, une autre manière bien autrement vraie de saisir les gens et les personnages en scène, de les fouiller et de les sonder quoi qu’ils en aient, de les mettre à jour et de les démasquer impitoyablement. […] À toute page, chez lui, les scènes se succèdent, les groupes se détachent, les personnages se lèvent en pied et marchent devant nous. […] Un personnage, comme dans le monde, en amène un autre ; on accoste, on est accosté ; on fend comme on peut la presse.

105. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Personnages des contes. Personnages humains et extra-humains. […] Personnages animaux des fables. […] Nous en étudierons les personnages en détail au chapitre III (personnages des contes). […] Ces derniers contes ont un grand rapport avec les fables et ne s’en différencient que par la nature humaine de leurs personnages.

106. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

C’est un dangereux personnage. […] Une ligne plus haut et le comique cesse, et on a un personnage purement généreux, presque héroïque et tragique. […] Les personnages de Molière, en un mot, ne sont pas des copies, mais des créations. […] Molière, lui, invente, engendre ses personnages, qui ont bien çà et là des airs de ressembler à tels ou tels, mais qui, au total, ne sont qu’eux-mêmes. […] La base humaine, sur laquelle les passions de ses personnages se relèvent et sont en jeu, ne semble pas la même entre le poëte et les spectateurs.

107. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le personnage le plus essentiel à côté de Mme Bovary est M.  […] Mais je raisonne, et l’auteur de Madame Bovary n’a prétendu que nous montrer jour par jour, minute par minute, son personnage en pensée et en action. […] Il faudrait peu de chose, à certains moments de ces situations, pour que l’idéal s’ajoutât à la réalité, pour que le personnage s’achevât et se réparât en quelque sorte. […] Pourquoi ne pas avoir mis là un seul personnage qui soit de nature à consoler, à reposer le lecteur par un bon spectacle, ne pas lui avoir ménagé un seul ami ? […] Vous avez beau faire, dans vos personnages même si vrais vous rassemblez un peu comme avec la main et vous rapprochez avec art les ridicules, les travers ; pourquoi aussi ne pas rassembler le bien sur une tête au moins, sur un front charmant ou vénéré ?

108. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Mal-à-propos l’a-t-on distinguée de la tragédie par la qualité des personnages : le roi de Thebes, & Jupiter lui-même, sont des personnages comiques dans l’Amphytrion ; & Spartacus, de la même condition que Sosie, seroit un personnage tragique à la tête de ses conjurés. […] Dès que le vice est odieux, il est du ressort de la tragédie ; c’est ainsi que Moliere a fait de l’Imposteur un personnage comique dans Tartufe, & Shakespear un personnage tragique dans Glocestre. […] Pour délasser le choeur, on introduisit sur la scene un personnage qui parloit dans les repos. […] Corneille, de son aveu, ne savoit que faire de ce personnage ; il en a fait un chrétien. […] C’est lorsque le personnage qui prend la parole, ne dit que ce qu’il a dû naturellement penser & dire.

109. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Point de personnage qui n’y soit un orateur accompli ; chez Corneille, Racine et Molière lui-même, un confident, un roi barbare, un jeune cavalier, une coquette de salon, un valet, se montrent passés maîtres dans l’art de la parole. […] Le penchant est si grand de ce côté, qu’au moment suprême et dans le plus fort de la dernière angoisse, le personnage, seul et sans témoins, trouve moyen de plaider son délire et de mourir éloquemment. […] Il manque au personnage l’étiquette personnelle, l’appellation authentique et unique qui est la marque première de l’individu. […] Éloquence, art, situations, beaux vers, tout y est, excepté des hommes ; les personnages ne sont que des mannequins bien appris, et le plus souvent des trompettes par lesquels l’auteur lance au public ses déclamations. […] Balzac passait des journées à lire l’Almanach des cent mille adresses et courait en fiacre pendant des après-midi, regardant toutes les enseignes, afin de trouver le nom propre de son personnage.

110. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Quelques auteurs pourtant peuvent se tromper avec une sorte de sincérité et croire qu’il n’y a nul inconvénient à présenter hardiment les scènes d’un monde mélangé et corrompu, en ayant pour guide et pour conducteur quelque sentiment pur, quelque passion plus élevée, représentée dans un des personnages, et en visant à une conclusion satisfaisante pour les cœurs honnêtes ou pour les convenances sociales. […] Il a été remarqué que l’auteur, en se proposant et en professant hautement un but moral des plus honorables, jette quelquefois bien durement le défi à la société ; qu’il la maltraite en masse et de parti pris plus qu’il ne conviendrait dans une vue plus impartiale et plus étendue ; qu’il n’est pas très juste de croire, par exemple, qu’un jeune homme tel qu’il nous a montré le sien, Georges, le personnage principal de la pièce, riche, aimé, considéré à bon droit, puis ruiné un matin à vingt-cinq ans par un si beau motif, doive perdre en un instant du même coup tous ses amis, moins un seul ; il a été dit que l’honneur et la jeunesse rencontrent plus de faveur et excitent plus d’intérêt, même dans le monde d’aujourd’hui. Ces créanciers du père, introduits à plus d’une reprise auprès du fils comme personnages ridicules et presque odieux, ne méritent en rien, a-t-on observé encore, cette teinte repoussante, par cela seul qu’ils sont des créanciers. […] Mais il a été remarqué d’autre part que cette sorte d’exagération avait toujours été concédée aux moralistes, aux satiriques, aux auteurs de comédies ; que c’est un peu la condition de la scène ; que si la vérité peut manquer sur quelques points du tableau, cette vérité se fait sentir en d’autres endroits d’une manière vive, énergique et neuve : par exemple, lorsque le personnage principal au quatrième acte se voit presque amené, à force d’humiliations d’avanies et d’outrages, à se repentir de ce qu’il a fait de bien, et à apostropher le monde entier dans une sorte de délire : moment dramatique et lyrique tout ensemble, d’une vigueur poignante. […] On a fort loué et fait ressortir ce personnage de Rodolphe, l’ami âgé de trente ans, plus mûr, plus sage, point trop misanthrope, unissant l’expérience, quelque ironie et beaucoup de cœur.

111. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Premier axiome : le poète comique doit disparaître derrière ses personnages. […] Nous avons foi, nous Français, dans l’un et dans l’autre de ces principes, et armés de ce double instrument de critique, nous ouvrons le premier théâtre comique venu, le théâtre d’Alfred de Musset, je suppose, et nous raisonnons ainsi : un poète comique peut paraître derrière ses personnages de deux manières : soit en faisant une allusion complaisante à lui-même, à sa vie, à son caractère, à ses goûts, soit en déployant avec coquetterie les grâces de son imagination et de son esprit. […] Vous dites, par exemple, que le poète comique doit disparaître derrière ses personnages, et qu’il doit peindre la réalité. […] » Est-il donc impossible de concevoir un genre de comédie où le poète, loin de disparaître derrière ses personnages, se tiendrait cache sous leur masque, prompt à intervenir à tout moment dans leurs paroles et dans leurs gestes par un feu roulant d’allusions malignes, d’épigrammes lancées contre ses adversaires, de conseils sagement fous donnés à un public ami ? […] Je vais, suivant la règle de l’école dogmatique française, disparaître moi-même derrière eux, et je prie instamment le lecteur de vouloir bien se souvenir que jusqu’à la Conclusion ce n’est plus moi qui parle, et qu’un auteur comique n’est point responsable des sottises que débitent ses personnages.

112. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

Prédication morale : pièces à thèses personnages symboliques. […] Il est fâcheux qu’une conception grossière du personnage sympathique ait peuplé la comédie d’Augier de jeunes savants vertueux et de polytechniciens candides, qui valent les beaux colonels de Scribe. […] Parfois, en dépit du très habile emploi de tous les ressorts dramatiques, on croit n’avoir pas devant soi une image de la vie : l’abstraction l’emporte, et la pièce s’écoute, en dépit des acteurs, comme un dialogue moral ; l’accent de l’auteur domine dans toutes les voix des personnages. […] Dans beaucoup de personnages, le symbole s’efface par la substantielle réalité de l’imitation, qui parfois est très délicatement et minutieusement poussée : il s’efface, mais il subsiste. Et je n’en veux pour preuve que le jugement porté par l’auteur sur les actes de ses personnages : il s’en faut que nous en estimions comme lui la valeur morale ; l’écart est précisément d’autant plus grand que nous les prenons davantage comme individus réels, astreints aux infirmités, aux incertitudes, aux délicatesses des réelles consciences.

113. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Pas à une page, le souci de vivre, en fait, la peine de l’argent n’écorche un seul personnage du récit. […] Il a raison, mais on peut se demander ce qu’il fait, Choulette, en toute cette histoire, et ce qu’y font les personnages autres, également amusants, du décor. […] Mais ils sont fuyants, surtout les amis, surtout Dechartre, le grand personnage du roman. […] Le vrai roman de la jalousie serait : un amant vierge, une maîtresse vierge, ils se prennent, et la jalousie commence avec l’amour, parce que l’amour se voudrait un, et qu’ils sont deux, et que le spasme même divise, est jouissance, est égoïsme, parce que l’amant de la maîtresse la plus prise peut toujours serrer dans ses mains le front de son amie et dire comme un personnage de Shakespeare : « Que se passe-t-il dans cette petite tête ?  […] Les personnages n’y’posent pas l’érotisme.

114. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Il s’était proposé pour étude un certain nombre de personnages qu’il appelle représentatifs d’une idée, d’une doctrine ou d’une forme de caractère, et M. de Talleyrand tout le premier lui a paru un de ces types les plus curieux. […] On voit pourtant quelle était l’opinion que s’étaient déjà formée du personnage ceux qui l’avaient observé de près, et dans la Galerie des États-Généraux, dans cette première et fine série de profils parlementaires dont le La Bruyère anonyme était Laclos, à côté d’un portrait de La Fayette, retracé dans son attitude et sa pose vertueuse sous le nom de Philarète, on lisait celui de M. de Talleyrand sous le nom d’Amène ; c’est d’un parfait contraste. […] Sir Henry Bulwer a résumé en des termes judicieux et élevés le côté apparent et lumineux du rôle de Talleyrand pendant cette première période de sa carrière publique : « Dans cette Assemblée, dit-il, M. de Talley rand fut le personnage le plus important après Mirabeau, comme il fut plus tard, sous le régime impérial, le personnage le plus remarquable après Napoléon… Toutefois, la réputation qu’il acquit à juste titre dans ces temps violents et agités ne fut pas d’un caractère violent ni marquée de turbulence. […] c’est se donner bien de la peine pour essayer de concilier ce qui est si simple et si bien dans la nature du personnage. […] Nous reviendrons prochainement, guidé toujours par sir Henry Bulwer, mais un peu moins indulgent que lui, sur cette vie et ce personnage à triple et quadruple fond.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Faramond, Maurice de (1862-1923) »

Il vit dans la modernité non simplement un cadre, mais presque un personnage — en tout cas un élément tragique essentiel. […] Les personnages de M. de Faramond sont viables. […] Au reste, les personnages de la Noblesse de la Terre ne faisaient que vivre, sans plus.

116. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Il n’y a rien de pareil dans le personnage de Leslie. […] Mais l’important, c’est de montrer sa propre nature à travers le personnage, c’est de rester soi. […] Est-ce à l’acteur à revêtir le personnage ? […] Ces deux personnages sont deux types très intenses dans lesquels l’acteur doit chercher à donner le maximum de comique, sans quitter la sincérité et en restant dans le caractère des personnages. […] » Oui, sans doute, mais la physionomie vraie du personnage a disparu.

117. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

C’est que j’étais gêné un peu que ce personnage y fît défaut. […] Les personnages de M.  […] Aussi ne faudra-t-il pas demander au dernier de créer des personnages vivants. […] Les personnages, les « séries » de M.  […] Un des personnages de M. 

118. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Il fut aussi impuissant à créer un personnage. […] « Il avait fait un effort immense pour donner une grâce tranquille à cette tirade » dit Henry Bordeaux d’un de ses personnages. […] Ses personnages sont des marionnettes réussies bouffonnes, mais que le montreur croit élégantes ou terribles. […] Les personnages de cette tragédie parlent la plus prétentieuse, la plus exclamative et la plus vagissante des langues le naturisme. […] Quand un personnage a demandé : « Si je vous donnais sur nous-mêmes quelques notions, quelle sorte d’usage en feriez-vous ? 

119. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Vous êtes dans le fauteuil, vos personnages sont juchés sur les tabourets. […] Je sais bien que mes personnages bâilleront à m’écouter ; ils auront des envies folles de s’en aller cueillir des wergiss-mein-nicht, et de ne plus rentrer ! […] Personnages, à vos tabourets ! […] C’est dans le milieu, dans la généralité négligée par Balzac, que Murger a choisi ses personnages. […] Tels sont les personnages de Murger, sympathiques et profondément vrais.

120. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Personnages merveilleux des contes indigènes Personnages merveilleux. […] Chaque littérature merveilleuse a ses personnages de prédilection : êtres surnaturels ou êtres humains. […] Nous allons passer en revue, étudier sommairement les divers personnages des contes indigènes en indiquant les attributions qui leur sont conférées selon les différentes races qui les imaginèrent. […] Au cours des récits où figureront ces personnages surnaturels, je leur conserverai le nom que leur donne l’indigène du pays où l’action se passe. […] Après avoir examiné rapidement ces divers personnages, j’étudierai aussi brièvement que possible les talismans, remèdes merveilleux, armes magiques et tous objets qui, sans être, à proprement parler, des talismans, présenteront un caractère surnaturel.

121. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Mais cette idée, qui, si elle avait été réalisée selon des conditions naturelles d’existence, dans un lieu, dans un encadrement déterminé, et à l’aide de personnages vivant de la vie commune, aurait été admise des lecteurs superficiels et probablement amnistiée, cette même idée venant à se transfigurer en peinture idéale, à se déployer en des régions purement poétiques, et à s’agiter au loin sur le trépied, a dû être l’objet de mille méprises sottes ou méchantes : on n’a jamais tant déraisonné ni calomnié qu’à ce sujet.  […] Si l’on me demande ce que je pense de la moralité de Lélia, dans le seul sens où cette question soit possible, je dirai que, les angoisses et le désespoir d’une telle situation d’âme ayant été admirablement posés, l’auteur n’a pas mené à bon port ses personnages ni ses lecteurs, et que les crises violentes par où l’on passe n’aboutissent point à une solution moralement heureuse. […] En passant d’ailleurs à l’état de représentation idéale et de symbole, les personnages ou les scènes, dont la première donnée était, pour ainsi dire, à terre, n’ont pu éviter, au moment indécis de leur métamorphose, de revêtir un caractère mixte et fantastique qui ne satisfait pas. […] Parmi les personnages et portraits charmants déjà en foule échappés à sa plume, nous en savons un dont nous voudrions lui inculquer le souvenir, parce qu’en même temps qu’il est proche parent de Lélia pour les principales circonstances, il a, dans le caractère et dans l’expression, la mesure, la grâce, la nuance qu’on aime et qui attire tout lecteur : ce personnage est celui de Lavinia, que l’auteur a peinte dans une Vieille Histoire.

122. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VI. La commedia sostenuta » pp. 103-118

À Paris, chez Pierre Menard, 1633. » Bruno explique lui-même qu’il y a dans sa pièce trois personnages principaux : Boniface, l’amoureux ridicule, l’alchimiste Bartolomeo, avare sordide, et Mamfurio, le pédant imbécile, « desquels, ajoute-t-il, le premier n’est pas non plus sans ladrerie ni imbécillité, le second n’est pas sans niaiserie ni ridicule, et le troisième n’est pas moins sordide que sot ». […] Avec quelle brutalité Giordano Bruno traite ce personnage, une scène suffira à en donner une idée. […] Un personnage qui paraît avoir pris pied dans la comédie régulière avant de passer dans la comédie de l’art, c’est le Parasite. […] On peut conjecturer que le personnage de Franca-Trippa, dans la troupe des premiers Gelosi et dans celle des Comici confidenti, fut la plus fameuse incarnation de ce rôle burlesque. […] Un autre personnage né dans la comédie régulière à qui l’antiquité l’avait transmis, c’est la vieille entremetteuse, la Ruffiana.

123. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Mais ce sont au fond les mêmes personnages. […] Cette dégradation des femmes savantes sauvait Molière du danger d’essayer le ridicule contre des personnages sur lesquels le ridicule ne mordait point, et du danger des inimitiés puissantes, mais il n’allait point au but, qui était d’affaiblir la considération des gens du monde, dont le poids était incommode pour la cour et dangereux pour le spectacle de Molière ; et d’ailleurs il avait peu de succès à attendre d’un ouvrage qui reproduisait la préciosité au moment où elle venait de rassasier le public, et où, par l’influence du théâtre même, elle cessait d’exister dans le monde. […] De nos jours, des commentateurs ont osé faire ce dont les écrits du temps de Molière se sont abstenus, et ce à quoi la volonté de Molière a été de ne donner ni occasion, ni prétexte ; ils ont pris sur eux d’appliquer des noms propres aux personnages ridicules, même odieux des Femmes savantes. […] Pour peindre un personnage idéal, on emprunte des traits à vingt figures, sans avoir l’intention d’en peindre aucune. […] Aimé Martin tombe dans des fautes du même genre sur d’autres personnages de la même pièce.

124. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Sur Adolphe de Benjamin Constant » pp. 432-438

Quoique le caractère poétique soit moins marqué dans ce dernier roman, il y a eu de la part de l’auteur une grande habileté à fondre les éléments réels qui font la matière de son récit, avec les circonstances romanesques qui composent ou achèvent la physionomie de ses personnages. […] Mais de plus indiscrets ont voulu chercher plus avant ; et comme le héros du livre, Adolphe, est évidemment le portrait de Benjamin Constant lui-même, que celui-ci a bien eu l’éducation et la jeunesse qu’il donne à son personnage, qu’il a bien eu un père comme celui-là, d’apparence froide et sans confiance avec son fils, qu’il a bien réellement connu, dès son entrée dans le monde, une femme âgée, philosophe, telle qu’il nous la montre (Mme de Charrière), on a voulu le suivre plus loin et trouver, dans les tristes vicissitudes de la passion décrite, des traces et des preuves d’une de ses propres passions et de la plus orageuse. […] L’auteur n’avait point les mêmes raisons pour dissimuler les personnages secondaires. […] Le comte de P. est de pure invention, et, en effet, quoiqu’il semble d’abord un personnage important, l’auteur s’est dispensé de lui donner aucune physionomie, et ne lui fait non plus jouer aucun rôle.

125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

La vrai-semblance poëtique consiste à donner à ses personnages les passions qui leur conviennent suivant leur âge, leur dignité, suivant le temperament qu’on leur prête, et l’interêt qu’on leur fait prendre dans l’action. […] La vrai-semblance poëtique consiste enfin à donner aux personnages d’un tableau leur tête, et leur caractere connu, quand ils en ont un, soit que ce caractere ait été pris sur des portraits, soit qu’il ait été imaginé. […] L’erreur d’introduire dans une action des personnages qui ne purent jamais en être les témoins, pour avoir vêcu dans des tems éloignez de celui de l’action, est une erreur grossiere où nos peintres ne tombent plus. […] Enfin la vrai-semblance poëtique demande que le peintre donne à ses personnages leur air de tête connu, soit que cet air de tête nous ait été transmis par des médailles, des statuës ou par des portraits, soit qu’une tradition dont on ne connoît pas la source nous l’ait conservé, soit même qu’il soit imaginé.

126. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 42, de notre maniere de réciter la tragédie et la comedie » pp. 417-428

Section 42, de notre maniere de réciter la tragédie et la comedie Puisque le but de la tragedie est d’exciter la terreur et la compassion, puisque le merveilleux est de l’essence de ce poëme ; il faut donner toute la dignité possible aux personnages qui la representent. Voilà pourquoi l’on habille aujourd’hui communément ces personnages de vêtemens imaginez à plaisir, et dont la premiere idée est prise d’après l’habit de guerre des anciens romains, habit noble par lui-même, et qui semble avoir quelque part à la gloire du peuple qui le portoit. […] Il faut encore que les gestes des acteurs tragiques soient plus mesurez et plus nobles, que leurs démarches soient graves, et que leur contenance soit plus sérieuse que les gestes, les démarches et le maintien des personnages de comédie. […] Dans la représentation des comédies, il ne s’agit pas de procurer de la veneration aux personnages introduits sur la scéne, mais bien de les rendre reconnoissables aux spectateurs.

127. (1925) Comment on devient écrivain

Ils ont simplement créé des personnages vivants.‌ […] — La « documentation ». — Les noms des personnages.‌ […] Les ravages de ce mensonge s’étendent à tous les personnages. […] On n’invente ni un personnage ni un caractère. […] On retient son nom ; on oublie le personnage.

128. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

comme chaque idée, chaque sentiment va revêtir à ses yeux un masque, un personnage, et marcher à ses côtés ! […] C’est quelque chose de simple, de familier, de vif, d’entrecoupé, qui se déploie et se brise, qui monte et redescend, qui change sans effort en passant d’un personnage à l’autre, et varie dans le même personnage selon les moments de la passion. […] Le jeu de Talma, c’était tout le style dramatique mis en dehors et traduit aux yeux. — Les personnages du drame, vivant de la vie réelle comme tout le monde, doivent en rappeler à chaque instant les détails et les habitudes. […] Au reste, Racine a tellement pris garde à ce genre de reproche, qu’au risque de violer les convenances dramatiques, il a su prêter des paroles pompeuses ou fleuries à ses personnages les plus subalternes comme à ses héros les plus achevés. […] Est-ce à dire pourtant que le caractère dramatique manque entièrement à cette manière de faire parler des personnages ?

129. (1887) La banqueroute du naturalisme

Sont-ce, en effet, des paysans, que les personnages du dernier roman de M.  […] Zola ne fera jamais cette comparaison ni nulle autre, parce que lui-même ne s’intéresse pas assez aux histoires qu’il nous raconte, aux personnages qu’il prétend peindre, à cette réalité dont il se croit néanmoins l’interprète. […] Les personnages de M.  […] Il y a d’ailleurs des différences, et ces deux-ci parmi beaucoup d’autres : la première, qu’au lieu d’être simplement dépourvus de sens, les refrains des personnages de M.  […] Zola nous donnera ces romans sur « l’Armée », et sur « les Chemins de fer », voie montante et voie descendante, qui doivent compléter, je crois, l’épopée des Rougon-Macquart, tenons-nous pour assurés d’y retrouver les mêmes personnages.

130. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Il est vrai que ce personnage ridicule est aussi un personnage sympathique. […] Jusque-là don Juan est assez clair, et son personnage se tient. […] Tous les personnages jouent leur tête et le savent. […] Et notez qu’elle est le seul personnage de la pièce qui ne mente pas. […] On verrait tout de suite sous un autre jour ce personnage calomnié.

131. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Tout ce que sont les personnages de Corneille, ils le sont par eux-mêmes, indépendamment des événements, ou au besoin contre les événements mêmes. […] Pareillement, ce sont les résolutions intérieures des personnages qui font s’engager, varier, et avancer l’action. […] Considérez là-dessus les autres personnages. […] Nous ne prenons ici d’intérêt qu’à la peinture des personnages, ou plutôt à celle de M.  […] S’il nous avait montré son personnage à l’œuvre, comme Tartufe !

132. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Tartarin, roman, est de petit art ; Tartarin, typé, est d’observation facile, grosse, mais frappante, et le personnage pourrait bien demeurer dans les mémoires, comme Paturot ou Colonet. […] Edmond de Goncourt. — N’empêche que ce dernier ne demeure, derrière le personnage aigri et diminué dont les superficiels s’étonnaient à la fin, « l’artiste divers, exquis, poignant, solide » que Régnier a reconnu qu’il est, et l’unique signataire de l’intéressante Faustin. […] Émile Hennequin, dans une étude que pour sa vertu suasive j’espère vous voir lire, a démontré que l’originalité de Zola parmi les écrivains réalistes était ses surprenantes qualités poétiques, grâce auxquelles malgré l’apparente apathie d’un tempérament également et indifféremment apte à tout décrire, à tout évoquer, il ne s’appliquait qu’à la transcription des êtres et des choses de force : il est artiste, parce qu’il choisit non ses milieux ou ses personnages, mais chez ceux-ci un groupe préféré de leurs propriétés : seules l’intéressent les puissances actives, saines ou délétères, robustesse humaine ou perversion féminine. […] Zola déroule la collection extraordinaire de ses décors, de ses milieux, de ses personnages, et cette collection est infiniment plus que la reproduction savante de la complexité d’un pays en un temps ; c’en est une synthèse émue. — Il est certain que l’émotion qui crée cette œuvre ne fait pas broncher l’artiste fort qui la dit, mais à cela quel mal ?

133. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

J’en dis autant de tous les autres personnages. […] Pour cette sœur cadette qui est debout à côtés de la fiancée, qui l’embrasse, et qui s’afflige sur son sein, c’est un personnage tout à fait intéressant. […] Il faut avouer que tout cela est d’une convenance parfaite avec la scène qui se passe, et avec le lieu et les personnages. […] Il serait plus aisé de retrouver les scènes et les personnages de ce peintre ; mais il y a plus d’élégance, plus de grâce, une nature plus agréable dans Greuze ; ses paysans ne sont ni grossiers comme ceux de notre bon Flamand, ni chimériques comme ceux de Boucher.

134. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Est-il étonnant que le distrait (car tel est le personnage que nous venons de décrire) ait tenté généralement la verve des auteurs comiques ? […] Supposons donc, pour prendre un exemple précis, qu’un personnage ait fait des romans d’amour ou de chevalerie sa lecture habituelle. […] C’est que le vice comique a beau s’unir aussi intimement qu’on voudra aux personnes, il n’en conserve pas moins son existence indépendante et simple ; il reste le personnage central, invisible et présent, auquel les personnages de chair et d’os sont suspendus sur la scène. […] Il suffira, pour s’en convaincre, de remarquer qu’un personnage comique est généralement comique dans l’exacte mesure où il s’ignore lui-même. […] Deux personnages parurent, à la tête énorme, au crâne entièrement dénudé.

135. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre II. L’homme »

Je lui aurais représenté la faiblesse du personnage, et je lui aurais dit que son très-humble serviteur était incapable de résister à une fille de quinze ans, qui a les yeux beaux, la peau délicate et blanche, les traits du visage d’un agrément infini, une bouche et des regards ! […] Il rit au milieu même de son émotion ; ses personnages plaisantent de leur propre infortune. […] Un poëte de cour en cette cour est un bien petit personnage, sorte de joueur de luth à gages, obligé par son emploi de chanter respectueusement toutes les choses officielles, compagnon du petit chien pour lequel il fait des vers. […] Il s’oubliait lui-même, il s’enfonçait si bien dans ses personnages fictifs, qu’il s’intéressait à eux, leur parlait, revenait à eux comme à d’anciens amis, leur donnait une place dans sa vie, s’effaçait devant eux, et mettait au jour de véritables êtres. […] Il peut prêter à la moquerie, être la risée des sages, « effaroucher les jeunes filles » : ces apparences n’y font rien ; il a peut-être eu plus de bonheur, il est peut-être plus digne d’admiration que le personnage le plus correct et le plus éclatant.

136. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Une tragédie chrétienne dont l’action se passe à un moment quelconque des trois premiers siècles de l’Empire, de Néron à Dioclétien, cela comporte un certain nombre de personnages sans doute inévitables. […] Une seconds difficulté, pour l’auteur, était dans le caractère étrangement et violemment exceptionnel des sentiments et de l’héroïsme de ses personnages. […] Barbier où l’intérêt, si je ne m’abuse, se disperse un peu, et où plusieurs des autres personnages, beaucoup moins singuliers et significatifs que Blandine, occupent une aussi grande place que l’humble et sublime servante. […] Sous prétexte qu’ils sont lointains, les personnages s’expriment avec une noblesse soutenue. […] Il y a du mouvement, de la variété, des coups de théâtre qui, pour être facilement prévus, n’en font pas moins de plaisir, des fins d’actes qui sont toutes « à effet », des scènes tumultueuses à personnages nombreux et qui sont très bien réglées.

137. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Elle avait alors pour principaux acteurs Oratio Nobili de Padoue faisant les amoureux, Adriano Valerini de Vérone jouant aussi les amoureux sous le nom d’Aurelio ; Lucio Burchiella faisait le personnage du docteur Gratiano ; Lidia de Bagnacavallo était la première amoureuse, et la jeune Prudenza de Vérone la seconde amoureuse. […] La même actrice faisait les personnages travestis sous le nom de Lesbino. […] Nous donnons ici le personnage de Franca-Trippa, tel qu’il est représenté dans I balli di Sfessania de Callot. […] Cecchini ne paraît pas être venu en France, mais son personnage Fritelin ou Fristelin figure dans les farces tabariniques. […] Nous donnons ci-contre le capitaine Cerimonia : il est représenté une main sur sa rapière, dont la pointe soulève son manteau tout entier, et l’autre tenant sa loque tailladée ; il est en train de saluer très poliment la signora Lavinia (voyez plus loin ce personnage) qui se trouve en face de lui.

138. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Mais on l’entraînait vers une pièce où deux personnages de comédie faisaient beaucoup de bruit et de fumée. « Enfin ! […] Perdreaux ou personnages, lesquels poursuit-il avec le plus de rêve et d’audace ? […] Il a vu à travers les personnages, en apparence les plus dénués de vie intérieure, les mouvements qui les font secrètement agir. […] Les personnages ne se heurtent pas, ils ne peuvent se joindre. […] Voilà trois personnages qui ne sont pas demeurés longtemps en quête d’un auteur.

139. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « APPENDICE. — M. SCRIBE, page 118. » pp. 494-496

L’observation de la société se retrouve dans des traits spirituels et dans des détails heureux bien plutôt que dans l’ensemble de l’action et dans les caractères des personnages. […] Je ne veux plus que lui adresser une simple observation au sujet d’un personnage de la Calomnie. Depuis longtemps il est reçu que la marquise est ridicule ; c’est un personnage sacrifié.

140. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

Ils les ont peuplez, ils ont introduit dans ces tableaux un sujet composé de plusieurs personnages dont l’action fût capable de nous émouvoir et par consequent de nous attacher. […] Un poëte dramatique qui met ses personnages en des situations qui sont si peu interressantes, que j’y verrois réellement des personnes de ma connoissance sans être bien ému, ne m’émeut gueres en faveur de ses personnages.

141. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

LES PERSONNAGES. […] Dombey. —  En quoi ces personnages sont Anglais. […] Les objets, chez Dickens, prennent la couleur des pensées de ses personnages. […] Il pousse ses personnages dans l’absurde avec une intrépidité rare. […] Les personnages.

142. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Or, certains critiques se donnent une peine immense pour chercher des prototypes aux personnages de M.  […] Je répète que l’écrivain a des allures littéraires, qu’il a une bonne tenue de style, qu’il campe un personnage comme un maître, qu’il possède en un mot tous les caractères de surface du talent. […] A l’encontre de ce personnage des contes de fées qui changeait en or tout ce qu’il touchait, m. […] Mais ce qu’on voit suffit pourtant à expliquer le personnage, et c’est déjà beaucoup que les auteurs soient arrivés si loin. […] On croit qu’il veut ôter au style toute poésie et changer le français contre l’argot : il demande seulement que des personnages littéraires parlent comme parlent les personnages réels.

143. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Jules Sandeau ricane comme un petit journal, au nez même des personnages qu’il met en scène, et, par là, tue l’émotion avant qu’elle soit née, en la tarissant dans sa source. […] Il en est de même des autres personnages de La Maison de Penarvan. […] C’est surtout dans ce personnage de l’abbé Pyrmil que la maladresse et la grossièreté dont nous avons parlé plus haut sont évidentes. […] Jules Sandeau a trop de mérite et de connaissance de lui-même pour vouloir de cet éloge-là… On a ajouté, en comparant ses personnages à ceux de La Comédie humaine, que les personnages de Balzac marchaient la tête en bas, comme si on les voyait dans un plafond de glace.

144. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Dans les entretiens de Fontenelle sur la Pluralité des mondes, le personnage central est une marquise. […] Si alertes et si brillants que soient les personnages de Voltaire, ce sont toujours des mannequins ; leur mouvement est emprunté ; on entrevoit toujours derrière eux l’auteur qui tire la ficelle. […] L’auteur est toujours auteur, et communique son défaut à ses personnages ; sa Julie plaide et disserte pendant vingt pages de suite sur le duel, sur l’amour, sur le devoir, avec une logique, un talent et des phrases qui feraient honneur à un académicien moraliste. […] Quel débouché pour les facultés comprimées, pour la riche et large source qui coule toujours au fond de l’homme et à qui ce joli monde ne laisse pas d’issue   Une femme de la cour a vu près d’elle l’amour tel qu’on le pratique alors, simple goût, parfois simple passe-temps, pure galanterie, dont la politesse exquise recouvre mal la faiblesse, la froideur et parfois la méchanceté, bref des aventures, des amusements et des personnages comme en décrit Crébillon fils. […] Le titre est la Folle journée, et en effet c’est une soirée de folie, un après-souper comme il y en avait alors dans le beau monde, une mascarade de Français en habits d’Espagnols, avec un défilé de costumes, des décors changeants, des couplets, un ballet, un village qui danse et qui chante, une bigarrure de personnages, gentilshommes, domestiques, duègnes, juges, greffiers, avocats, maîtres de musique, jardiniers, pâtoureaux, bref un spectacle pour les oreilles, pour les yeux, pour tous les sens, le contraire de la comédie régnante, où trois personnages de carton, assis sur des fauteuils classiques, échangent des raisonnements didactiques dans un salon abstrait.

145. (1930) Le roman français pp. 1-197

On n’y voit évoluer que les plus grands personnages. […] Le personnage est vu par l’extérieur, non par l’intérieur. […] Pour lui, les idées sont toujours incarnées en quelque personnage : et les personnages sont mus par les idées, alors que chez Proust les personnages étaient mus par les sensations et les mouvements instinctifs de leur “moi”. […] Ils disparaissent entièrement derrière leurs personnages et les conflits de ces personnages. […] Parfois même, ces personnages sont invisibles, indécouvrables.

146. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

D’autres sont d’une espèce d’école chirurgicale et ne comprennent que les personnages écorchés, ou préparés anatomiquement de manière à laisser voir certains viscères, ces personnages étant du reste bien portants et ne gardant pas du tout le lit. […] Les tableaux à personnages s’adressent moins aux yeux qu’à l’esprit ; c’est l’histoire coloriée des mœurs, l’étude des physionomies. […] Les tableaux qui représentent des personnages d’autrefois n’en peuvent rendre que les costumes ; il sont donc incomplets. […] Donc quand un personnage agit et parle autrement qu’il ne devrait agir et parler, il y a contradiction entre le caractère et l’action. […] À quoi bon trois journaux rédigés par les mêmes personnages ?

147. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Et puis n’y a-t-il pas un contraste presque comique entre l’idéalisme du personnage et la férocité de son œuvre ? […] S’il sait les formules qui font vivre les personnages, en chair et en os, il ignore les mots enchantés qui évoquent les Esprits divins. […] Les personnages qu’il met en scène sont imaginaires ou monstrueux. […] Ses personnages n’incarnent plus des caractères, mais des abstractions. […] Il n’y a qu’un personnage manqué, entre tous ceux de la pièce, et c’est celui d’Adrienne.

148. (1922) Gustave Flaubert

La faute, ce n’est certes à aucun des personnages du drame. […] C’est un personnage à faire (difficulté qui n’est pas mince). […] Elle donne naissance au personnage du Garçon. […] Pareillement Faguet, qui dit : « Le livre est ennuyeux parce que Frédéric en est le personnage », et qu’il est un personnage ennuyé et ennuyeux. […] On trouve Frédéric trop insignifiant pour un personnage de roman.

/ 1910