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40. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Au reste, de toutes les nations modernes, les Italiens sont peut-être ceux qui ont rendu le plus d’hommage à leurs hommes illustres. […] Ailleurs, on loue le souverain ; son caractère ou son génie fait le sort de sa nation. […] Enfin, la louange en général paraît à cette nation fière et libre tenir toujours un peu à l’esprit de servitude. […] tandis qu’avec la nation tu pleures un ami et un père, permets à ma muse de verser sur la tombe de Talbot des vers sortis de mon cœur et dictés par la vérité. […] Lomanosoff, écrivain original dans son pays, et qui jusqu’à présent a le plus honoré sa nation.

41. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Il convient de noter à cette occasion que les nations ne sont pas les seules collectivités qui existent. […] La nation anglaise fut de celles qui eurent recours à cet expédient. […] Plus qu’aucune autre race, la nation anglaise a emprunté, à la forme religieuse qu’elle s’est choisie, le frein qui lui était utile pour modérer les égoïsmes individuels. […] L’idée humanitaire est en effet le frein qui, en modérant les égoïsmes anglo-saxons, leur a permis de s’unir et de se concerter pour la plus grande force de la nation. […] L’essentiel, en pareille matière, est de n’être pas dupe ; en un temps où les nations existent et sont constituées plus fortement qu’elles ne le furent jamais, il y a place pour des conventions internationales où le droit des gens, défini avec une précision plus grande et constamment amélioré, peut, au moyen de clauses réciproques, assurer aux hommes des différentes nations une sauvegarde, une protection, une liberté et des commodités croissantes dans tous les pays du monde.

42. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

D’ailleurs c’est celui qui promet le plus long avenir à une nation littéraire. […] Ce fut pendant longtemps une littérature de peuplades, et nullement une littérature de nation. […] Une nation sérieuse ne fonde pas sa poésie sur une facétie. […] Ni la Grèce, ni Rome, ni les nations de l’Europe moderne, n’ont un pareil monument de langue et d’histoire. […] La nation lui sait gré de lui avoir enseigné à oser croire à son propre génie.

43. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Ce Saturne, qui chez les Latins tira son nom à satis, des semences, et qui fut appelé par les Grecs Κρόνος de Χρόνος, le temps, doit nous faire comprendre que les premières nations, toutes composées d’agriculteurs, commencèrent à compter les années par les récoltes de froment. […] Le culte de Jupiter, que nous retrouvons partout chez les premières nations païennes, fixe les fondateurs des sociétés dans les lieux où les ont conduits leurs courses vagabondes, et alors commence l’âge des dieux qui dure neuf siècles. […] Nous avons prouvé l’uniformité du développement des nations, en montrant comment elles s’accordèrent à élever leurs dieux jusqu’aux étoiles, usage que les Phéniciens portèrent de l’Orient en Grèce et en Égypte. […] Les Assyriens et les Égyptiens, nations méditerranées, durent suivre dans les révolutions de leurs gouvernements la marche générale que nous avons indiquée. Mais les Phéniciens, nation maritime, enrichie par le commerce, durent s’arrêter dans la démocratie, le premier des gouvernements humains.

44. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Un poëte très-vanté chez une nation voisine, qui du moins a beaucoup d’émulation pour la nôtre, fait en differens endroits de ses ouvrages plusieurs reflexions un peu desobligeantes pour les poëtes tragiques françois. […] Mais il importe peu quelle soit la substance des choses qu’on présente à certaines nations, pourvû qu’elles soïent apprêtées en forme de ragoût. […] L’auteur anglois prétend que l’ancienne chevalerie et ses infantes ont laissé dans l’esprit de quelques nations le goût qui leur fait aimer à retrouver par tout un amour sans passion et ce qu’elles appellent galanterie, espece de politesse que les grecs et les romains si spirituels et si cultivez n’ont jamais connuë. […] Suivant notre auteur la nation françoise a beaucoup de pente vers l’affectation, et dans les tems où elle cessoit d’être grossiere sans être encore polie, elle a voulu montrer plus de gentillesse qu’elle n’en avoit. Trop spirituelle pour être encore barbare, mais trop peu éclairée pour connoître la dignité des moeurs ; elle a conçu dans l’amour un merite que les nations sensées n’y trouvent point.

45. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 42, de notre maniere de réciter la tragédie et la comedie » pp. 417-428

Du moins n’en ai-je pas trouvé un plus grand nombre dans les catalogues de ces sortes d’ouvrages, que des italiens illustres dans la république des lettres ont donnez depuis douze ans à l’occasion des disputes qu’ils ont soûtenuës pour l’honneur de leur nation. […] Il faut donc que les comédiens copient ce que leur nation peut avoir de singulier dans le geste, dans le maintien, et dans la prononciation. […] Comme le naturel de certaines nations est plus vif que le naturel d’autres nations, l’action des unes est plus vive que l’action des autres. […] Si les comédiens d’un païs plaisent plus aux étrangers que les comédiens des autres païs, c’est que ces premiers comediens seront formez d’après une nation, qui naturellement aura plus de gentillesse dans les manieres, et plus d’agrément dans l’élocution, que les autres nations.

46. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Cette imitation servile des poetes qui ont composé en des langues étrangeres, est le sort des écrivains qui travaillent, quand leur nation commence à vouloir sortir de la barbarie. […] Malgré la jalousie du bel esprit, presque aussi vive de nation à nation que de particulier à particulier, ils mettent quelques-unes de ces traductions au-dessus des ouvrages du même genre qui se composent dans leur patrie. Nos bons poemes, ainsi que ceux d’Homere et de Virgile, sont entrez déja dans cette bibliotheque commune aux nations et dont nous avons parlé. […] Il y a véritablement ajoûté trois scénes à la fin du cinquiéme acte, et comme elles sont propres à faire connoître le goût de la nation de Monsieur Philips, je dirai ce qu’elles contiennent. […] On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-à-dire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte.

47. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Jamais on ne loua tant : ce fut pour ainsi dire la maladie de la nation. […] Elle devait encore réparer ces pertes dans notre siècle, par un grand nombre de termes que la connaissance générale de la philosophie, des sciences et des arts, a répandus parmi nous, et qu’elle a rendus, depuis trente ans, familiers à la nation. […] Heureusement Pascal, La Rochefoucauld et La Bruyère, poussés par leur génie et par le genre même qu’ils traitaient, prirent une route opposée et plus conforme en même temps à la langue et à la nation[…] Tel fut l’état de la nation française, depuis François II jusqu’à la douzième année du règne de Louis XIV, c’est-à-dire, pendant l’espace d’un siècle. […] Chacun d’eux appela sur lui les regards de la nation ; mais, ce qu’on doit remarquer, c’est que tous les arts précédèrent parmi nous celui de l’éloquence.

48. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

On ne doit pas se mettre au niveau du plus grand nombre, mais tendre au plus haut terme de perfection possible : le jugement du public est toujours, à la fin, celui des hommes les plus distingués de la nation. […] Il n’est point de nation plus singulièrement propre aux études philosophiques. […] Que de travaux pour les sciences, pour la métaphysique, honorent la nation allemande ! […] Nous n’avons fondé que des haines, et les amis de la liberté marchent au milieu de la nation, la tête baissée, rougissant des crimes des uns et calomniés par les préjugés des autres. […] que les nations encore honnêtes, que les hommes doués de talents politiques, qui ne peuvent se faire aucun reproche, conservent précieusement un tel bonheur !

49. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Ce long règne, en effet, avait été pour notre nation ce qu’on a dit que furent les délices de Capoue pour l’armée d’Annibal. […] L’appel de Louis XVI à cette nation qui venait d’être amollie par ses prospérités, causa tout à coup un ébranlement général. […] Nos généraux ne ressemblaient point à ce farouche Romain qui dépouilla Corinthe de ses monuments : les arts furent traités par nous comme de nobles captifs, ou comme ces dieux que le peuple-roi ramenait de chez les nations vaincues, pour les placer au Capitole. […] Malheur à l’homme qui a pu abuser d’une telle nation ! […] Ainsi, lorsque la nation française vint à tourner les yeux du côté de la terre de l’exil, elle sembla proclamer la pensée généreuse, de revenir au culte si moral des aïeux, de renoncer à l’idolâtrie.

50. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Or, sans toucher à la question religieuse, et tout en reconnaissant que l’Église catholique est un monument grandiose de l’esprit humain, il faut bien établir ce fait, sine ira et studio : la Papauté temporelle, à Rome, c’était la négation de la nation italienne. […] La logique imposait à la Papauté cette politique d’empêcher la formation d’une nation italienne ; elle l’a pratiquée jusqu’en 1870, attisant les convoitises, semant la discorde, appelant l’étranger. […] Il est à première vue l’expression monumentale du moyen âge de Florence et de la théologie ; il est davantage encore, et les Italiens le savent bien, le poète de la nation italienne et de l’humanité […] Ces œuvres, si grandes qu’elles soient, ne sont pourtant que des efforts isolés, féconds sans doute pour un avenir lointain, mais pour l’heure isolés ; la nation italienne est encore à faire. […] Constituée enfin en nation depuis 1870, elle regagne à pas de géant les retards de son évolution.

51. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Le parlement fut contraint de ne plus se regarder comme le défenseur des droits de la nation. […] Ce fut presque une transition insensible pour l’esprit de la nation. […] Les voyages établissaient aussi entre les nations une communication plus intime et plus complète qu’autrefois ; l’Europe devenait comme une grande nation, dont aucune province n’est étrangère à l’autre. […] Il ne croyait pas que les nations fussent dignes de cette épreuve. […] Une circonstance quelconque amène une nation, ou même une partie de la nation, à désirer un but déterminé ; l’entreprise échoue ou réussit.

52. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Le Philosophe, ne se donne point la peine de distinguer ; il suppose que tous les Princes sont furieux, que toutes les Nations sont stupides, que tous les Militaires sont ineptes & barbares. […] Des Princes, des Magistrats, des Guerriers, des Prêtres, la Philosophie passe aux Nations entieres ; &, par un zele de préférence, c’est à la nôtre qu’elle s’adresse. […] Convenez, Lecteur impartial, que jamais les ennemis de notre Nation n’en ont parlé avec ce délire méprisant, & que les François qui honorent la Philosophie ressemblent au moins un peu à la femme de Sganarelle, qui aimoit à être battue. […] Lambert, &c. pour l’honneur de la Nation ! […] La gloire du génie François est établie, dans l’Europe, par des Ouvrages dignes de plaire à tous les Peuples éclairés : les grands Ecrivains du siecle dernier, les bons Ecrivains de celui-ci ne nous laissent rien à envier aux autres Nations.

53. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Une nation, si petite qu’elle soit, que dis-je ? […] Notre nation n’a pas été un jour sans idées générales et sans une certaine notion de l’humanité. […] Est-ce du moins une certaine période d’années dans une nation assise, et assurée du lendemain ? […] Nos anciens poètes ont bien mérité de la nation comme peintres de mœurs et comme écrivains satiriques. […] Si d’ailleurs les progrès sont si lents, c’est que la nation elle-même est lente à se former.

54. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Patriote breton à l’origine et Américain de la vieille Angleterre, il avait commencé par ne point aimer la France et par la considérer comme une ennemie, autant qu’il pouvait considérer comme telle une nation composée d’hommes ses semblables. […] Une fièvre généreuse possédait alors notre nation chevaleresque ; on se battait en Amérique, chaque militaire y voulait courir. […] Dans ces premiers moments, Franklin n’apprécie pas sans doute assez l’élan qui emporte la nation ; qui va entraîner le gouvernement même, et dont l’Amérique aura tant à profiter. […] Je les trouve la plus aimable nation du monde pour y vivre. […] Nul mieux que lui n’a senti la différence qu’il y a entre les jeunes et les vieilles nations, entre les peuples vertueux et les corrompus.

55. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

C’est la bonne ou mauvaise conduite de ces grandes individualités qu’on appelle des nations. […] Voilà les caractères dominants des nations qui ont une diplomatie : leur diplomatie est à leur image. […] Ces archives recueillent ces actes comme les titres des nations ; là sont enregistrés leurs droits et leurs limites. […] Ils font la loi des nations entre elles tant qu’un grand criminel d’État ne vient pas les déchirer à la face de Dieu et des hommes. […] C’est là la religion internationale et universelle des nations : les congrès en sont les synodes.

56. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Il ne fut pas donné à une diplomatie d’émigrés de dicter des lois à la nation française. […] Les nations, ces individualités, agissent diplomatiquement les unes sur les autres par cette pression mutuelle qui s’exerce dans la guerre, dans la paix, dans les négociations, dans les congrès, dans les traités d’un bout du monde à l’autre. […] Les armées sont les remparts vivants des peuples : offensives, elles sont de vils instruments de tyrannie ; défensives, elles sont le droit armé des nations. […] Il n’y a donc point de système d’alliance naturel et permanent pour un peuple ; les alliances sont dépendantes des circonstances, des avantages, des dangers, des groupements de forces qui résultent pour les nations alliées de la situation des choses en Europe. […] Ce ne sont pas les multitudes qui dictent les arrêts de la sagesse des nations ; les diplomates ne sont pas la foule.

57. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Frédéric II, Marc-Aurèle, la plupart des rois ou des héros qui ont répandu leur éclat sur les nations, étaient en même temps des esprits très éclairés en philosophie. […] Rien n’est moins philosophique, c’est-à-dire, rien ne conduirait moins au bonheur, que ce système jaloux qui voudrait ôter aux nations leur rang dans l’histoire, en nivelant la réputation des hommes. […] Les nations libres doivent avoir dans leurs tribunaux des juges inébranlables, qui rendent la justice à tous, sans aucun mélange d’indignation ou d’enthousiasme. […] C’est parce qu’à Rome, c’est parce qu’en Angleterre, de longs crimes, de longs malheurs avaient dégoûté la nation d’accorder son estime, que la république fut renversée. […] Rome l’admirait, de cette admiration libre qui honore la nation qui l’éprouve, et présente à la tyrannie mille fois plus d’obstacles que la confusion des noms, des actions et des caractères.

58. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

En effet, si ce livre, entrepris dans l’intérêt de populations plus ou moins injustement oubliées, et qui firent, à leur heure, leur petit tapage dans l’histoire ; si ce déchiffrement laborieux d’étiquettes de peuples momifiés dans les catacombes de leurs montagnes peut être véritablement quelque chose de plus qu’un travail de chroniqueur ou d’antiquaire ; s’il y a réellement l’étoffe d’une grande et neuve histoire dans ce déterrement de nations mêlées et fondues, dans cette grenaille féodale qui a levé sur les versants des Pyrénées, comme elle a levé partout dans le limon de l’Occident, on est rigoureusement tenu d’ajouter aux faits qu’on raconte les considérations qu’ils inspirent ou qui les dominent. […] Nature particulière de climat, de production et de situation ; influence de ces agents physiques sur les habitants qui viennent successivement s’y fixer ; importance des révolutions intérieures qui agitèrent ces populations ; part immense qu’elles prirent aux événements qui se déroulèrent dans l’Espagne et dans les Gaules… » Et, plus loin, il ajoute encore : « Si les champs catalauniques furent, au temps d’Attila, selon la belle expression de Jornandès : l’aire où venaient se broyer les nations, les Pyrénées, au contraire, furent la retraite bienfaisante où les débris de ces mêmes nations abritèrent leurs pénates et leurs croyances… Lorsque le mouvement torrentiel des diverses races a fini de s’agiter à leur base, l’historien retrouve dans leurs vallées l’Ibère, le Gaulois et le Cantabre, avec leurs forces primitives, leurs fueros, leur farouche liberté. […] Pourquoi y a-t-il des nations, très méritantes du reste, des races nobles et fortes, qui doivent rester obscures, comme parfois des hommes de génie ? […] La charrue laboure au pied de la Croix, dans le cercle des épées, magnifique élection de domicile des nations modernes sur la terre ! […] Ce grand spectacle de l’ensemble et de l’unité de l’Europe aurait replacé, pour l’historien des Pyrénées, dans leur véritable perspective les hommes, les événements et les choses de cette encoignure historique, qu’il nous a grossis parce qu’il les a regardés de trop près, et il n’eût pas fait l’honneur d’une si longue et si pieuse histoire à ces bouillonnements de peuplades, écumant ici ou là, un instant, aux avant-postes des vraies nations, de ces nations aux pieds de marbre qui constituent l’Europe actuelle, et qui n’ont point passé entre deux soleils !

59. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Qu’on s’imagine ce que les grecs, toujours ingenieux à se vanter, comme à rabaisser les barbares, purent dire sur la ferocité des autres nations ; Antiochus ne se rebuta point. […] On peut dire la même chose d’autres nations très-polies et qui font profession de la religion ennemie de l’effusion du sang humain. […] Les combats en champ clos, entre deux ou plusieurs champions, furent long-tems en usage parmi nous ; et les personnes les plus considerables de la nation y tiroient l’épée par un motif plus serieux que celui de divertir l’assemblée ; c’étoit pour vuider leurs querelles, c’étoit pour s’entre-tuer. […] Malgré les efforts des papes pour abolir les combats de taureaux ils subsistent encore, et la nation espagnole, qui se pique de paroître du moins leur obéir avec soumission, n’a point eu dans ce cas-là de déference pour leurs remontrances et pour leurs ordres. L’attrait de l’émotion fait oublier les premiers principes de l’humanité aux nations les plus débonnaires, et il cache aux plus chrétiennes les maximes les plus évidentes de leur religion.

60. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Les uns et les autres restent toute leur vie de vils ouvriers, et des manoeuvres, dont il faut païer les journées, mais qui ne méritent pas la consideration et les récompenses que les nations polies doivent aux artisans illustres. […] Il semble même que la providence n’ait voulu rendre certains talens et certaines inclinations plus communes parmi un certain peuple que parmi d’autres peuples, qu’afin de mettre entre les nations la dépendance réciproque qu’elle a pris tant de soin d’établir entre les particuliers. Les besoins qui engagent les particuliers d’entrer en societé les uns avec les autres, engagent aussi les nations à lier entr’elles une societé. La providence a donc voulu que les nations fussent obligées de faire les unes avec les autres, un échange de talens et d’industrie, comme elles font échange des fruits differens de leurs païs, afin qu’elles se recherchassent réciproquement, par le même motif qui fait que les particuliers se joignent ensemble pour composer un même peuple : le desir d’être bien, ou l’envie d’être mieux. […] Mon sujet ne veut pas que je parle plus au long de la difference qui se rencontre entre le génie des hommes, et même entre le génie des siecles et des nations.

61. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

L’invasion des Barbares fut sans doute un grand malheur pour les nations contemporaines de cette révolution ; mais les lumières se propagèrent par cet événement même. […] Une autre nation, non moins éloignée des vrais principes de la vertu, vint conquérir cette nation avilie. […] C’est au milieu de cet affaissement déplorable, dans lequel les nations du Midi étaient tombées, que la religion chrétienne leur fit adopter l’empire du devoir, la volonté du dévouement et la certitude de la foi. […] Toutes les nations de la terre avaient soif de l’enthousiasme. […] Les macérations, les austérités furent promptement adoptées par une nation que la satiété même des voluptés jetait dans l’exagération des observances religieuses.

62. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 19, qu’il faut attribuer aux variations de l’air dans le même païs la difference qui s’y remarque entre le génie de ses habitans en des siecles differens » pp. 305-312

Section 19, qu’il faut attribuer aux variations de l’air dans le même païs la difference qui s’y remarque entre le génie de ses habitans en des siecles differens Je conclus donc de tout ce que je viens d’exposer, qu’ainsi qu’on attribuë la difference du caractere des nations aux differentes qualitez de l’air de leurs pays, il faut attribuer de même aux changemens qui surviennent dans les qualitez de l’air d’un certain pays les variations qui arrivent dans les moeurs et dans le génie de ses habitans. […] Comme les qualitez de l’air de France varient à certains égards, et qu’elles demeurent les mêmes à d’autres égards, il s’ensuit que dans tous les siecles, les françois auront un caractere general qui les distinguera des autres nations, mais ce caractere n’empêchera pas que les françois de certains siecles ne soient differens des françois des autres siecles. […] Mais comme la cause qui fait cette difference entre les nations est sujette à plusieurs altérations, il semble qu’il doive arriver qu’en Italie certaines generations auront plus de talens pour exceller dans ces arts, que d’autres generations n’en pourront avoir. […] La cause de cet effet montre une activité à laquelle nous pouvons bien attribuer la difference qui se remarque entre l’esprit et le génie des nations et des siecles. […] On a vû des temps où l’on tiroit facilement les principaux d’une nation de leurs foïers.

63. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les caractères poétiques, qui sont l’essence des fables, naquirent d’une impuissance naturelle des premiers hommes, incapables d’abstraire du sujet ses formes et ses propriétés ; en conséquence, nous trouvons dans ces caractères une manière de penser commandée par la nature aux nations entières, à l’époque de leur plus profonde barbarie. — C’est le propre des barbares d’agrandir et d’étendre toujours les idées particulières. […] Les poètes furent donc sans doute les premiers historiens des nations. Ceux qui ont cherché l’origine de la poésie, depuis Aristote et Platon, auraient pu remarquer sans peine que toutes les histoires des nations païennes ont des commencements fabuleux. — 11. […] Le langage se composait encore d’images, de comparaisons, faute de genres et d’espèces qui pussent définir les choses avec propriété ; ce langage était le produit naturel d’une nécessité, commune à des nations entières. — C’était encore une nécessité que les premières nations parlassent en vers héroïques (livre II, page 158). — 15.

64. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Voilà l’histoire des éloges funèbres parmi nous, et apparemment chez toutes les nations. […] Il faut convenir que s’il avait pu le mériter, c’eût été par son respect pour les connaissances et le désir qu’il eut d’éclairer sa nation. […] En 1563 parut un éloge qui dut intéresser la nation : c’était celui de ce François de Guise, assassiné par Poltrot, devant Orléans. […] Mornay et Sully purent blâmer l’excès de sa valeur, mais la nation aimait à s’y reconnaître ; la politique même le justifiait. […] La nation en l’admirant, aimait à se persuader qu’on peut mêler la galanterie à la grandeur et que le caractère d’un Français fut en tout temps d’allier la valeur et les plaisirs.

65. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Dans la nation que nous supposons constituée, où sera l’autorité ? […] Dans la pensée réfléchie, durable, permanente, comme refroidie et consistante, d’une nation. […] Si toute la nation juge, agit, légifère, c’est une démocratie despotique. […] Que d’avilissement dans la nation ! […] Elle ose étaler une haine irréconciliable contre toutes les nations.

66. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Il forma au-dedans le caractère de sa politique, et fit croire que la nation était lui, et que ses propres besoins étaient ceux de l’État. […] Malgré ses fautes et ses malheurs, son règne sera à jamais distingué dans notre histoire, et c’est la plus brillante époque de notre nation. […] En donnant de la consistance à la nation, ce prince lui donna de la grandeur. […] Si maintenant on le compare aux rois célèbres de notre nation, on trouvera qu’il fut loin de cet esprit vaste et puissant de Charlemagne : mais l’un déploya de grandes vues chez un peuple barbare ; l’autre seconda les lumières et les vues d’un peuple instruit. […] Sa gloire (et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue en le jugeant) fut d’avoir élevé sa nation.

67. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Une nation n’a de caractère que lorsqu’elle est libre. […] Les opinions nationales ne pouvaient être bravées par qui voulait obtenir de la nation son suffrage pour les premières places de la république ; l’écrivain aspirait toujours à se conserver la réputation d’homme d’état. […] Le peuple romain était une nation déjà célèbre, sagement gouvernée, fortement constituée avant qu’aucun écrivain eût existé dans la langue latine. […] L’histoire de Salluste, les lettres de Brutus28, les ouvrages de Cicéron, rappellent des souvenirs tout-puissants sur la pensée ; vous sentez la force de l’âme à travers la beauté du style ; vous voyez l’homme dans l’écrivain, la nation dans cet homme, et l’univers aux pieds de cette nation. […] On peut observer dans ses harangues, non seulement le caractère qui convenait à la nation romaine en général, mais toutes les modifications qui doivent plaire aux différents esprits, aux différentes habitudes des hommes en autorité dans l’état.

68. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Enfin dans une nation industrieuse et capable de prendre toute sorte de peine pour gagner sa vie sans être assujettie à un travail reglé, il s’est formé un peuple entier de gens qui cherchent à faire quelque profit par le moïen du commerce des tableaux. […] Les italiens presque aussi amoureux de la gloire de leur nation que les grecs le furent autrefois, sont très-jaloux de cette illustration qu’un peuple s’acquiert par la science et par les beaux arts. […] Si les beaux tableaux sont presque tous renfermez à Paris dans des lieux où le public n’a pas un libre accès, nous avons des théatres ouverts à tout le monde où l’on peut dire, sans craindre le reproche de s’être laissé aveugler par le préjugé de nation presque aussi dangéreux que l’esprit de secte, qu’on représente les meilleures pieces de théatre qui aïent été faites depuis le renouvellement des lettres. Les étrangers n’adoptent point les comédies et les tragédies des autres nations avec le même empressement ni le même respect pour les auteurs, qu’ils adoptent les nôtres. Les étrangers traduisent nos tragédies, mais ils se contentent d’imiter celles des autres nations.

69. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Le fond de la nation est de familles gauloises, & le caractere des anciens Gaulois a toûjours subsisté. […] Ce peuple si récent, en comparaison des nations asiatiques, a été cinq cens années sans historiens. […] Toutes les nations, depuis le Bosphore de Thrace jusqu’au Gange, sont sous ses étendards. […] Chaque nation dans l’Europe a bientôt ses historiens. […] Un jugement toûjours sain regne dans les fables d’Esope ; elles seront toûjours les délices des nations.

70. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Malheur aux nations qui pensent trop ! […] Naudin dit ici des espèces animales et végétales, et des races humaines, de Lasaulx s’est efforcé de l’établir à l’égard des nations. Toute nation contient en elle une certaine quantité de force vitale qu’elle dépense plus ou moins rapidement dans le cours nécessaire de son évolution. […] Ainsi toute nation, eût-elle échappé aux causes extérieures de destruction, est condamnée à mourir tôt ou tard de sa belle mort. […] Bagehot a cru y voir les conditions essentielles du développement des nations.

71. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Encourager l’esprit dans une nation, appeler aux emplois publics les hommes qui ont de l’esprit, c’est faire prospérer la morale. […] Que serait une nation nombreuse, si les individus qui la composent ne communiquaient point entre eux par le secours de l’imprimerie ? […] Les poètes, les moralistes caractérisent d’avance la nature des belles actions ; l’étude des lettres met une nation en état de récompenser ses grands hommes, en l’instruisant à les juger selon leur valeur relative. […] L’esprit militaire est le même dans tous les siècles et dans tous les pays ; il ne caractérise point la nation, il ne lie point le peuple à telle ou telle institution : il est également propre à les défendre toutes. L’éloquence, l’amour des lettres et des beaux-arts, la philosophie, peuvent seuls faire d’un territoire une patrie, en donnant à la nation qui l’habite les mêmes goûts, les mêmes habitudes et les mêmes sentiments.

72. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

La nation avait bien autre chose à quoi penser, et l’attention publique était ailleurs. […] Cette ingrate nation reviendra souvent sous sa plume. […] Mais il est à remarquer qu’elle dit toujours cette nation, et jamais notre : elle n’était pas devenue, malgré tout son effort et son désir, partie intégrante de cette nation. […] la Nation ! […] La nature humaine est bien méchante et monstrueuse ; et cependant cette nation, j’en ai eu des preuves singulières, n’est pas mauvaise au fond.

73. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

Ainsi toutes les nations eurent toujours une espèce d’excommunication. […] C’est cette justice présumée du plus fort qui à la longue légitime les conquêtes ; ce droit imparfait est nécessaire au repos des nations. […] Ce droit naturel des nations héroïques a fourni le sujet de plusieurs comédies de Plaute ; on y voit souvent un marchand d’esclaves dépouillé injustement par un jeune homme, qui en lui dressant un piège le fait tomber à son insu, dans quelque cas prévu par la loi, et lui enlève ainsi une esclave qu’il aime. […] Tant il est peu raisonnable de dire que le droit naturel, tel qu’il est expliqué par Grotius, Selden et Pufendorf, a été suivi dans tous les temps, chez toutes les nations ! […] Toutes les choses dont nous avons parlé se sont pratiquées dans trois sectes de temps, sectæ temporum, dans le langage des jurisconsultes : celle des temps religieux pendant lesquels régnèrent les gouvernements divins ; celle des temps où les hommes étaient irritables et susceptibles, tels qu’Achille dans l’antiquité, et les duellistes au moyen âge ; celle des temps civilisés, où règne la modération, celle des temps du droit naturel des nations humaines, jus naturale gentium humanorum (Ulpien).

74. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

En effet, chez toutes les nations, la piété a été généralement la mère des vertus domestiques et civiles ; la religion seule nous apprend à les observer, tandis que la philosophie nous met plutôt en état d’en discourir. […] Cette morale des nations superstitieuses et farouches du paganisme produisit chez elles l’usage de sacrifier aux dieux des victimes humaines. […] Telle était la barbarie des nations à l’époque même où les anciens Germains voyaient les dieux sur la terre, où les anciens Scythes, où les Américains, brillaient de ces vertus de l’âge d’or exaltées par tant d’écrivains. […] Cette puissance fut sans borne chez les nations les plus éclairées, telles que la grecque, chez les plus sages, telles que la romaine ; jusqu’aux temps de la plus haute civilisation, les pères y avaient le droit de faire périr leurs enfants nouveau-nés.

75. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

La nation politique a donc été deux mille ans comme morte : plus d’Italie ; mais les Italiens sont restés. […] Aucune vertu ne vous a manqué, même dans vos anarchies et dans vos corruptions, excepté la vertu qui fait les peuples, l’unité dans la volonté d’action ; grandes personnalités, nation anarchique, mille fois moins anarchique cependant que la Grèce. […] C’est qu’aucune nation étrangère, autrichienne, française ou piémontaise, n’a le droit de s’ingérer, les armes à la main, dans les volontés libres du peuple romain, soit pour imposer le gouvernement temporel des papes à ce peuple, soit pour l’abolir. […] Là où cesse l’équilibre européen cesse l’indépendance des nations et commence la tyrannie. […] L’Italie, fût-elle toute construite de monarchies et de papautés dans ses parties, est républicaine dans son ensemble ; une république de rois, de pontifes, de nations, voilà la nature, voilà l’histoire, voilà la forme de la Péninsule.

76. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

En un mot, c’est l’anarchie dans l’individu réclamant l’ordre dans la nation. […] Selon nous, métaphysiquement parlant, cette liberté bien définie, c’est la révolte naturelle de l’égoïsme individuel contre la volonté générale de la société ou de la nation. […] Les formes de ce gouvernement sont aussi diverses que les âges des peuples, les lieux, les temps, les caractères de ces groupes humains formés en nations. […] À l’exception des arts barbares de la guerre qu’un excès de philosophie fait tomber en mépris et en désuétude chez ses disciples, voyez la population : cette contre-épreuve de la bonne administration : quatre cents millions d’hommes traversant en ordre et en unité vingt-cinq siècles ; jamais l’esprit législatif a-t-il créé et régi une telle masse humaine en une seule nation ? […] Devoir d’accomplir en conscience toutes les prescriptions du gouvernement de la nation à mesure que le gouvernement chargé du droit de commander par tous et pour tous, a besoin de promulguer des lois nouvelles pour des besoins nouveaux de la société personnifiée en lui.

77. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Ce n’est point, dit-il, une entreprise chimérique de prétendre déterminer un peuple par sa littérature, seulement il faut le faire non pas en liant les génies aux nations, comme fait M. Taine, mais en subordonnant les nations aux génies, en considérant les peuples par leurs artistes, le public par ses idoles, la masse par ses chefs. […] L’histoire littéraire et artistique d’un peuple, pourvu qu’on ait soin d’en éliminer les œuvres dont le succès fut nul et d’y considérer chaque auteur dans la mesure de sa gloire nationale, présente donc « la série des organisations mentales types d’une nation, c’est-à-dire des évolutions psychologiques de cette nation ». […] D’abord, on ne peut conclure d’une œuvre à une nation, et M.  […] Les anthropologistes ne considèrent même pas comme fixe l’hérédité des caractères de sous-race, de clan, de tribu, de tribu, et à plus forte raison de peuple, de nation.

78. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Voix incorporelles d’esprits disparus, chose touchante, que pour insulter à des originalités défuntes, on a l’impertinence d’appeler « la sagesse des nations » ! […] … II En effet, les nations ont-elles une sagesse ? […] Du haut de sa parémiographie, — et c’est très haut pour moi, — il prononce ce mot de « sagesse des nations », qu’il applique, avec toutes ses conséquences, à ses proverbes. […] La sagesse des nations ! c’est là un nom usurpé en tout temps, si ce n’est pas une ironie, mais ce l’est particulièrement quand les nations sont dans l’enfance, dans cet âge où pour l’homme lui-même, et le plus exceptionnel des hommes, hormis le petit Joas d’Athalie, la sagesse n’existe pas.

79. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Ils avouent que l’abaissement des grands était nécessaire ; mais ceux qui ont réfléchi sur l’économie politique des États, demandent si appeler tous les grands propriétaires à la cour, ce n’était pas, en se rendant très utile pour le moment, nuire par la suite à la nation et aux vrais intérêts du prince ; si ce n’était pas préparer de loin le relâchement des mœurs, les besoins du luxe, la détérioration des terres, la diminution des richesses du sol, le mépris des provinces, l’accroissement des capitales ; si ce n’était pas forcer la noblesse à dépendre de la faveur, au lieu de dépendre du devoir ; s’il n’y aurait pas eu plus de grandeur comme de vraie politique à laisser les nobles dans leurs terres, et à les contenir, à déployer sur eux une autorité qui les accoutumât à être sujets, sans les forcer à être courtisans. […] Ils conviennent enfin que peut-être dans de vastes empires, tels que la Chine et la Russie, où, entre la capitale et les provinces, il y a quelquefois douze cents lieues de distance, la réaction du centre aux extrémités doit être souvent arrêtée dans sa course ; qu’ainsi il pourrait être utile d’y rassembler dans une cour tous les grands comme des otages de l’obéissance publique et de la leur : mais ils demandent s’il en est de même dans les petits États de l’Europe, où le maître est toujours sous l’œil de la nation, et la nation sous l’œil du maître, et où l’autorité inévitable et prompte peut à chaque instant tomber sur le coupable. […] Ce n’est pas qu’il ne liât sa grandeur à celle de sa nation ; mais l’espèce de grandeur qu’il lui donna, fut toute en renommée. […] Peut-être ressembla-t-il au sénat de Rome, qui remuait toutes les nations pour être le maître de la sienne, et cimentait son pouvoir au-dedans par les victoires et le sang versé au loin sur les champs de batailles. […] De là, en pensant aux hommes d’état qui ont agité les nations, une sorte de respect qui se joint quelquefois à la haine, et une admiration pénible, mêlée de plaisir et de crainte.

80. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Ces grandes vues d’un ministère qui s’occupe de projets d’humanité et du bonheur des nations, et qui veut tirer le plus grand parti possible et de la terre et des hommes, lui étaient entièrement inconnues : il ne paraît pas même qu’il en eût le talent. […] Presque toutes ses opérations de finance se réduisirent à des emprunts et à une multitude prodigieuse de créations d’offices, espèce d’opération détestable qui attaque les mœurs, l’agriculture, l’industrie d’une nation, et qui d’une richesse d’un moment fait sortir une éternelle pauvreté. […] Les lois qu’il a violées, les corps de l’État qu’il a opprimés, les parlements qu’il a avilis, la famille royale qu’il a persécutée, les peuples qu’il a écrasés, le sang innocent qu’il a versé, la nation entière qu’il a livrée tout enchaînée au pouvoir arbitraire, auraient dû s’élever contre ce coupable abus des éloges, et venger la vérité outragée par le mensonge. […] Il ne sera pas mis non plus parmi ces grands hommes d’état nés pour être conquérants et législateurs, puissants par leur génie, grands par leur propre force, qui ont créé leur siècle et leur nation, sans rien devoir ni à leur nation ni à leur siècle : cette classe des souverains n’est guère plus nombreuse que la première ; mais il en est une troisième qui a droit aussi à la renommée : ce sont ceux qui, placés par la nature dans une époque où leur nation était capable de grandes choses, ont su profiter des circonstances sans les faire naître ; ceux qui avec des défauts ont déployé néanmoins un esprit ferme et toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, ont su rassembler autour d’eux les forces de leur siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie pour les rois ; ceux qui, désirant d’être utiles, mais prenant l’éclat pour la grandeur, et quelquefois la gloire d’un seul pour l’utilité de tous, ont cependant donné un grand mouvement aux choses et aux hommes, et laissé après eux une trace forte et profonde.

81. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

quelle gloire pour la nation ! […] En somme, reine remarquable et admirable nation. […] En outre, chez cette nation prude, il est le poëte libre. […] Une telle nation célébrant un tel homme, ce sera superbe. […] Quand un homme est une gloire au front de sa nation, la nation qui ne s’en aperçoit pas étonne autour d’elle le genre humain.

82. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Mais quelquefois aussi c’est l’hommage que l’admiration rend aux vertus, ou la reconnaissance au génie ; et sous ce point de vue, elle est une des choses les plus grandes qui soient parmi les hommes : d’abord, par son autorité, elle inspire un respect naturel pour celui qui la mérite et qui l’obtient ; par sa justice, elle est la voix des nations qu’on ne peut séduire, des siècles qu’on ne peut corrompre ; par son indépendance, l’autorité toute-puissante ne peut l’obtenir, l’autorité toute-puissante ne peut l’ôter ; par son étendue, elle remplit tous les lieux ; par sa durée, elle embrasse les siècles. On peut dire que par elle le génie s’étend, l’âme s’élève, l’homme tout entier multiplie ses forces ; et de là les travaux, les méditations sublimes, les idées du législateur, les veilles du grand écrivain ; de là le sang versé pour la patrie, et l’éloquence de l’orateur qui défend la liberté de sa nation. […] Vous le trouverez peu chez une nation livrée à ce qu’on appelle les charmes de la société ; chez un tel peuple, la multitude des goûts nuit aux passions. […] Ils oseraient peut-être rougir à leurs yeux ; ils craindront de rougir aux yeux de leur nation et de leur siècle. […] Nous nous proposons d’examiner ce qu’ils ont été chez les différentes nations et dans les différents siècles : quels sont les hommes à qui on les a accordés, à qui on les a refusés ; comment le pouvoir les a usurpés sur la vertu ; comment ce qui était institué pour être utile aux peuples, est devenu quelquefois le fléau des peuples en corrompant les princes.

83. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « [Préface] »

Les grandes agglomérations d’hommes à la façon de la Chine, de l’Égypte, de la plus ancienne Babylonie ; — la tribu à la façon des Hébreux, des Arabes ; — la cité à la façon d’Athènes et de Sparte ; — les réunions de pays divers à la manière de l’Empire carlovingien ; — les communautés sans patrie, maintenues par le lien religieux, comme sont celles des israélites, des parsis ; — les nations comme la France, l’Angleterre et la plupart des modernes autonomies européennes ; — les confédérations à la façon de la Suisse, de l’Amérique ; — des parentés comme celles que la race, ou plutôt la langue, établit entre les différentes branches de Germains, les différentes branches de Slaves ; — voilà des modes de groupements qui tous existent, ou bien ont existé, et qu’on ne saurait confondre les uns avec les autres sans les plus sérieux inconvénients. À l’époque de la Révolution française, on croyait que les institutions de petites villes indépendantes, telles que Sparte et Rome, pouvaient s’appliquer à nos grandes nations de trente à quarante millions d’âmes. De nos jours, on commet une erreur plus grave : on confond la race avec la nation, et l’on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants.

84. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

De l’éloquence Dans les pays libres, la volonté des nations décidant de leur destinée politique, les hommes recherchent et acquièrent au plus haut degré les moyens d’influer sur cette volonté ; et le premier de tous, c’est l’éloquence. […] La nation était ensevelie dans un sommeil pire que la mort : mais la représentation nationale était là. […] En appellera-t-elle à la nation ? […] cette nation malheureuse n’a-t-elle pas entendu prodiguer les noms de toutes les vertus pour défendre tous les crimes ? […] cette foule vous représente la véritable nation.

85. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Nous voïons par l’exemple de nos ancêtres, et par ce qui se pratique encore aujourd’hui dans le nord de l’Europe et dans une partie de l’Amerique, que les premiers monumens historiques que les nations posent pour conserver la mémoire des évenemens passez, et pour exciter les hommes aux vertus les plus necessaires dans les societez naissantes, sont des poësies. […] Les grecs ont eu des commencemens pareils à ceux des autres peuples, et ils ont été une societé naissante avant que d’être une nation polie. […] Lorsque ces poetes auront parlé de son entrevûe sur les bords du Weser avec son frere Flavius qui servoit dans les troupes romaines ; auront-ils pû lui faire finir le pour-parler avec décence et avec gravité quand tout le monde sçavoit que le géneral des germains et l’officier des romains en étoient venus aux injures en présence des armées des deux nations, et qu’ils en seroient venus aux coups, sans le fleuve qui les séparoit ? […] Les grecs et les romains qui ont vécu avant la corruption de leurs nations, avoient encore moins de peur de la mort que les anglois, mais ils pensoient qu’une injure dite sans fondement ne deshonorât que celui qui la proferoit. […] La prévention où la plûpart des hommes sont pour leur tems et pour leur nation, est donc une source féconde en mauvaises remarques comme en mauvais jugemens.

86. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

La grande idée de la science économique fut réalisée dès l’origine, savoir : qu’il faut que les pères, par leur travail et leur industrie, laissent à leurs fils un patrimoine où ils trouvent une subsistance facile, commode et sûre, quand même ils n’auraient plus aucun rapport avec les étrangers, quand même toutes les ressources de l’état social viendraient à leur manquer, quand même il n’y aurait plus de cités ; de sorte qu’en supposant les dernières calamités les familles subsistent, comme origine de nouvelles nations. […] Cependant, lorsque la barbarie antique reparaissant au moyen âge détruisait partout les cités, le même ordre assura le salut des familles, d’où sortirent les nouvelles nations de l’Europe. […] Corollaires relatifs aux contrats qui se font par le simple consentement des parties Les nations héroïques, ne s’occupant que des choses nécessaires à la vie, ne recueillant d’autres fruits que les productions spontanées de la nature, ignorant l’usage de la monnaie, et étant pour ainsi dire tout corps, toute matière, ne pouvaient certainement connaître les contrats qui, selon l’expression moderne, se font par le seul consentement. […] Le droit des nations civilisées, humanarum, comme dit Ulpien, ayant succédé au droit des nations héroïques, il se fit une telle révolution, que le contrat de vente, qui anciennement ne produisait point d’action de garantie, si on n’avait point stipulé en cas d’éviction la cause pénale appelée stipulatio duplæ, est aujourd’hui le plus favorable de tous les contrats appelés de bonne foi, parce que naturellement elle doit y être observée sans qu’elle ait été promise.

87. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

C’est le grand intérêt de l’homme & des Nations. […] Les chef-d’œuvres ne renaîtront que lorsque les yeux de la nation entiere pourront s’attacher sur un genre neuf & inconnu. […] S’ils ont été admirés par une nation ingénieuse & sensible, pourquoi ôser y porter témérairement la faulx ? […] Qui a élevé ces barrieres entre les Poètes Dramatiques de deux Nations voisines ? […] Il n’y a point de Nation où il y ait plus de critiques & plus de règles qu’en France.

88. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Je vous jure que si j’étois, je ne vous dis pas le ministre ; je ne vous dis pas le directeur de l’académie ; mais pur et simple agréé, je protesterois pour l’honneur de mon corps et de ma nation ; et je protesterois si fortement que Mr Hallé garderoit ce tableau pour faire peur à ses petits-enfants, s’il en a et qu’il en exécuterait un autre qui répondît un peu mieux au bon goût, aux intentions, de sa majesté polonoise. […] Quelle leçon pour une nation qui s’est avisée de fonder sa liberté sur l’unanimité des suffrages ! Jean Sobieski mourant n’aurait pu donner à sa nation rassemblée en diète une leçon plus sublime que celle que le roi Scilurus donne à sa nombreuse famille. Mais vous savez à quoi servent les leçons, et l’on voit tous les jours combien il est aisé à la sagesse d’éclairer une nation sur ses vrais intérêts, et de la réunir pour le parti de la justice et de la raison.

89. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Cette haute estime dont elle a joui jusqu’à nous est l’effet de la vanité des nations, et surtout de celle des savants. […] La muse fut donc proprement dans l’origine la science de la divination et des auspices, laquelle fut la sagesse vulgaire de toutes les nations, comme nous le dirons plus au long ; elle consistait à contempler Dieu dons l’un de ses attributs, dans sa Providence ; aussi, de divination, l’essence de Dieu a-t-elle été appelée divinité. […] Les Latins tirèrent de là l’usage d’appeler professeurs de sagesse ceux qui professaient l’astrologie judiciaire. — Ensuite la sagesse fut attribuée aux hommes célèbres pour avoir donné des avis utiles au genre humain ; tels furent les sept sages de la Grèce. — Plus tard la sagesse passa dans l’opinion aux hommes qui ordonnent et gouvernent sagement les états, dans l’intérêt des nations. — Plus tard encore le mot sagesse vint à signifier la science naturelle des choses divines, c’est-à-dire la métaphysique, qui cherchant à connaître l’intelligence de l’homme par la contemplation de Dieu, doit tenir Dieu pour le régulateur de tout bien, puisqu’elle le reconnaît pour la source de toute vérité41. — Enfin la sagesse parmi les Hébreux et ensuite parmi les Chrétiens a désigné la science des vérités éternelles révélées par Dieu ; science qui, considérée chez les Toscans comme science du vrai bien et du vrai mal, reçut peut-être pour cette cause son premier nom, science de la divinité. D’après cela, nous distinguerons à plus juste titre que Varron, trois espèces de théologie : théologie poétique, propre aux poètes théologiens, et qui fut la théologie civile de toutes les nations païennes ; théologie naturelle, celle des métaphysiciens ; la troisième, qui dans la classification de Varron est la théologie poétique42, est pour nous la théologie chrétienne, mêlée de la théologie civile, de la naturelle, et de la révélée, la plus sublime des trois.

90. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Qu’importe d’ailleurs à un Bossuet ou à tel évêque que la nation, dont ils déterminent le futur, s’achemine vers le néant, lorsque la voix formidable du fanatisme leur commande de sacrifier toujours cette nation au Moloch-« Vérité » ? […] Les commerçants et les manufacturiers enrichirent la nation. […] « Ou vous serez des nationaux, et en tant que nationaux, vous renierez ceux qui conduisirent la nation à sa ruine. […] Ceci : que les nations, dont la vie religieuse dépend de Rome, portent en elles un germe de mort. […] L’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Autriche, la France, les républiques sud-américaines, nations catholiques, sont en décadence.

91. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

II Thèse qui se pose d’elle-même, mais impopulaire maintenant, mais inacceptable, et que ne manquera pas de discuter ou de méconnaître tout ce qui a plume, dans un temps d’engins de guerre perfectionnés où tout tremble devant la matière toute-puissante, et où l’idéal, c’est la paix entre les nations désarmées. […] Toute nation ayant une aristocratie, une noblesse militaire, est organisée militairement L’officier prussien est officier parfait, comme gentilhomme, comme noble ; par instruction et par examen il est plus capable ; par éducation plus digne. […] Toute nation organisée démocratiquement n’est pas militairement organisée. […] Une nation militaire et une nation guerrière sont deux. […] Mais, en supposant ce qui est en question et ce qui n’en est pas une pour moi, quel intermédiaire entre ce moment lointain et le moment actuel, quel intermédiaire entrevu et funeste les nations vont-elles traverser ?

92. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Deux nations voisines de la nôtre font encore monter sur le théatre des souverains morts depuis cent ans ou environ. […] Les françois sont vantez de toutes les nations pour respecter naturellement leurs princes : ils font même davantage, ils les aiment. […] Un poëte tragique ne sçauroit donc violer la notion generale que le monde a sur les moeurs et sur les coûtumes des nations étrangeres, sans préjudicier à la vrai-semblance de sa piece. Cependant les regles de notre théatre et les usages de notre scene tragique, qui veulent que les femmes aïent toujours beaucoup de part dans l’intrigue, et que l’amour y soit traité suivant nos manieres, empêchent que nous ne puissions nous conformer aux moeurs et aux coûtumes des nations étrangeres.

93. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. — Qualités et défauts de ce livre. — § VI. […] Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. […] On n’en peut pas dire autant de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations. […] Insensiblement le beau projet d’une histoire universelle des mœurs et de l’esprit des nations tourne à ce qu’il appelle lui-même un tableau des sottises humaines. […] C’est une société libre, non par les vertus de la nation, mais par la facilité de son gouvernement ; non par l’obéissance à des lois sévères, mais par des lois qui exigent peu des hommes.

94. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Mais si les peuples restent longtemps livrés à l’anarchie, s’ils ne s’accordent pas à prendre un des leurs pour monarque, s’ils ne sont point conquis par une nation meilleure qui les sauve en les soumettant ; alors au dernier des maux, la Providence applique un remède extrême. […] Après l’observation si simple que nous venons de faire sur l’histoire du genre humain, quand nous n’aurions point pour l’appuyer tout ce que nous en ont appris les philosophes et les historiens, les grammairiens et les jurisconsultes, on pourrait dire avec certitude que c’est bien là la grande cité des nations fondée et gouvernée par Dieu même. […] Les monarques veulent avilir leurs sujets en les livrant aux vices et à la dissolution, par lesquels ils croient assurer leur trône ; et ils les disposent à supporter le joug de nations plus courageuses. Les nations tendent par la corruption à se diviser, à se détruire elles-mêmes, et de leurs débris dispersés dans les solitudes, elles renaissent, et se renouvellent, semblables au phénix de la fable. — Qui put faire tout cela ? […] Ce sentiment n’était que l’instinct qui portait tous les hommes éclairés à admirer, à respecter la sagesse infinie de Dieu, à vouloir s’unir avec elle ; sentiment qui a été dépravé par la vanité des savants et par celle des nations (axiomes 3 et 4.)

95. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Quand j’y aurais songé, y a-t-il un livre capable de soulever une nation de quarante millions d’hommes et de les faire courir aux armes quand ils se sentent légalement et bien gouvernés ? […] Après avoir été monnaie des peuples, les proverbes se retrouvent dans les décombres des nations, et se conservent dans leur mémoire comme des axiomes qu’on ne discute plus. […] Le monde recommencerait tous les jours, et cette succession de folies de jeunesse ne serait qu’une succession de catastrophes dans l’histoire des nations. […] Cette histoire amnistiait les erreurs, les tyrannies, les sévices même de la Révolution ; elle faisait remonter la colère et le mépris de la nation jusque sur les victimes. […] Quel ministère homogène ou seulement possible présentera-t-elle à la nation et au roi ?

96. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Pour apprécier l’importance et la logique de cette évolution, il faut comparer la France avec l’Allemagne, où la féodalité persiste pour le plus grand dommage de la nation. […] La solidarité croissante des nations, heureuse en soi, amène d’autres complications encore, avec parfois des contre-coups fâcheux. […] j’y vois une affirmation légitime, nécessaire, de la nation victorieuse, affirmation violente parce qu’elle fut longtemps retardée ; j’y vois surtout une leçon féconde et libératrice pour la nation vaincue. […] Il en est de même des nations comparées les unes aux autres ; l’analyse établit leurs qualités communes ; la synthèse affirme leur individualité. […] Le hasard ne produit que des accidents ou des chances ; il ne saurait faire ni défaire une nation.

97. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Les gens de lettres doivent bien se persuader que la littérature de tous les temps reçoit des directions inévitables des mœurs régnantes dans la nation, et que c’est une des lois du mouvement en politique et en morale, d’amener à la suite d’une longue période de dissolution, une période de réserve affectée et de pruderie. Soit inconstance naturelle et besoin de nouveauté, soit réaction du présent, toujours en révolte contre un passé dominateur, les contraires se succèdent sans cesse dans les sentiments et dans les opinions de la partie désœuvrée de la nation française. […] Quand une nation se repose après une révolution ou après de grandes dissensions, le parti victorieux s’applique encore quelque temps après la victoire à exercer une espèce de vengeance morale sur les opinions qui régnaient avant le combat ; il réprouve tout le système des anciennes idées, des anciens principes en morale, en littérature, en philosophie, même dans les arts. […] Cependant leurs élèves se multiplient, des écoles sortent des essaims innombrables de maîtres nouveaux dont les productions étouffent ce qui peut rester de goût et de sens dans la nation.

98. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

. — Réfutation de Bodin § I Nous avons montré dans ce Livre jusqu’à l’évidence que dans toute leur vie politique les nations passent par trois sortes d’états civils (aristocratie, démocratie, monarchie), dont l’origine commune est le gouvernement divin. […] Les pères de familles desquels devaient sortir les nations païennes, ayant passé de la vie bestiale à la vie humaine, gardèrent dans l’état de nature, où il n’existait encore d’autre gouvernement que celui des dieux, leur caractère originaire de férocité et de barbarie ; et conservèrent à la formation des premières aristocraties le souverain empire qu’ils avaient eu sur leurs femmes et leurs enfants dans l’état de nature. […] D’une loi royale, éternelle et fondée en nature, en vertu de laquelle les nations vont se reposer dans la monarchie Cette loi a échappé aux interprètes modernes du droit romain. […] On sait que Valérius Publicola ne se justifia du reproche d’avoir construit une maison dans un lieu élevé, qu’en la rasant en une nuit. — Les nations les plus belliqueuses et les plus farouches sont celles qui conservèrent le plus longtemps l’usage de ne point fortifier les villes.

99. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Celui qui opprime une seule nation est ennemi de toutes. […] L’insurrection de toutes les nations contre toutes les formes d’autorité établies dans d’autres nations serait donc le droit commun du globe, selon la Convention ; et, dans ce cas, la guerre internationale, universelle, incessante, serait donc le fait social universel sur le globe ! […] Il est loisible à un rhéteur de débiter de pareilles doctrines, il n’est pas permis à une nation d’être sophiste. […] La capitale d’une nation exerce sur les membres une puissance d’initiative, d’entraînement et de résolution, en rapport avec les sens plus énergiques dont la tête est le siège dans la nation comme dans l’individu. […] ou l’arrière-pensée du père ambitieux pour ses fils, qui prévoit qu’une nation inconstante lui rendra un trône pour quelques gouttes de sang ?

100. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Voilà pourquoi les dépositaires de l’esprit de la nation, durant ce long période, semblent écrire sous l’action d’une fièvre intense, qui les met sans cesse au-dessus et au-dessous de la raison, rarement dans sa moyenne voie. […] Les plus grands hommes d’une nation sont ceux qu’elle met à mort. […] Mais la masse de la nation ne pouvait se contenter de cela. […] Mais son idée d’un royaume profane d’Israël, lors même qu’elle n’eût pas été un anachronisme dans l’état du monde où il la conçut, aurait échoué, comme le projet semblable que forma Salomon, contre les difficultés venant du caractère même de la nation. […] De tout temps, cette division en deux parties opposées d’intérêt et d’esprit avait été pour la nation hébraïque un principe de fécondité dans l’ordre moral.

101. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

« Celui, dit-il à Valens, qui dans la guerre poursuit avec acharnement, et veut détruire, ne se montre que le roi d’une nation ; celui qui, après avoir vaincu, pardonne, se montre le père et le souverain de tous les hommes. […] Quand on a remporté la victoire sur des lions, des léopards et des tigres, on compte tous ceux dont on a fait couler le sang dans les forêts : quand on a vaincu des hommes, il faut compter tous ceux qu’on a sauvés ; encore n’extermine-t-on pas entièrement les bêtes féroces, on en laisse subsister la race dans les déserts ; et une nation d’hommes, (qu’on les appelle barbares, ils n’en sont pas moins des hommes) une nation tout entière, soumise et tremblante à ses pieds ; il eût donc fallu l’exterminer et la détruire ? […] Un autre s’appela Macédonien, parce qu’il avait fait de la Macédoine un vaste désert ; mais toi, prince, je veux que tu tires ton nom de la nation que tu as sauvée ; ainsi nous nommons les dieux, des pays qu’ils protègent. » Outre l’humanité et la clémence qui sont les premiers devoirs, l’orateur parcourt toutes les autres qualités du prince. […] Ils s’occupaient de leur parure, et ils négligeaient l’univers ; peut-être même avaient-ils grand soin de choisir leurs chevaux, mais point du tout les hommes qu’ils destinaient aux places ; et tandis qu’aux jeux, du cirque ils n’auraient pu souffrir de voir des cochers conduire un char, ils abandonnaient à des hommes sans choix les rênes de l’empire et la conduite des nations. […] » On sent bien qu’il devait parler des connaissances et des lettres avec dignité ; il fait voir qu’elles ont été chères à tous les princes qui ont été grands ; il cite Aristote comblé de bienfaits par Philippe, Xénocrate par Alexandre, Aréus par Auguste, Dion par Trajan, Sextus par Marc-Aurèle : « Tu imites ces grands hommes, dit-il à un empereur, la philosophie et les lettres marchent partout avec toi ; elles te suivent dans les camps ; par toi elles sont respectées, non seulement du Grec et du Romain, mais du Barbare même ; le Scythe épouvanté qui est venu implorer ta clémence, a vu la philosophie près de toi, balançant le sort des peuples, et décidant des trêves de la paix que tu accordes aux nations.

102. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Les premiers inventeurs connus de la littérature du Midi, les Athéniens, ont été la nation du monde la plus jalouse de son indépendance. […] La philosophie, à la renaissance des lettres, a commencé par les nations septentrionales, dans les habitudes religieuses desquelles la raison trouvait à combattre infiniment moins de préjugés que dans celles des peuples méridionaux. […] Les émotions causées par les poésies ossianiques, peuvent se reproduire dans toutes les nations, parce que leurs moyens d’émouvoir sont tous pris dans la nature ; mais il faut un talent prodigieux pour introduire, sans affectation, la mythologie grecque dans la poésie française. […] Le talent du poète dramatique s’augmente lorsqu’il vit au milieu d’une nation qui ne se prête pas trop facilement à la crédulité. […] La perfection de quelques-unes de ces poésies prouve, sans doute, le génie de leurs auteurs ; mais il n’en est pas moins certain qu’en Italie les mêmes hommes n’auraient pas composé les mêmes écrits, quand ils auraient ressenti la même passion ; tant il est vrai que les ouvrages littéraires ayant le succès pour but, l’on y retrouve communément moins de traces du caractère personnel de l’écrivain, que de l’esprit général de sa nation et de son siècle.

103. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. L’Angleterre en 1688 et la France en 1830 »

Nous avons eu, comme l’Angleterre, une Révolution soulevée par les classes moyennes et inférieures de la société contre le haut clergé, la haute aristocratie et la royauté, un roi mort sur l’échafaud, des excès et des folies après des commencements justes et glorieux, une dictature militaire, une Restauration monarchique, une race incorrigible et antipathique à la nation, enfin une délivrance heureuse qui assure nos droits et nous rouvre un libre avenir. […] A ne prendre que l’empire, qui semble avoir été si hostile à la liberté, ç’a été le temps où, à l’abri d’un pouvoir fort, l’égalité civile a le plus profondément pénétré dans nos mœurs, où la tolérance religieuse a jeté le plus de fondements dans la société, où, les habitudes et le génie militaire circulant dans tous les rangs de la nation, nous avons appris ce qui nous garantira d’ici à un long temps de la dictature prétorienne ; sans Austerlitz, Wagram et dix ans de conquêtes à travers l’Europe, qui sait si le peuple de Paris eût vaincu la garde royale en trois jours ? […] Ainsi, sur un point ou sur un autre, la France avait toujours avancé depuis 89 ; et, d’une autre part, malgré bien des tentatives rétrogrades, rien de ce qu’il y avait d’essentiel dans l’ancien régime n’avait repris dans la nation le même rang qu’autrefois. […] Mais ce n’est point par ce côté que la nation l’honore aujourd’hui : c’est pour son génie militaire, son code civil, son chatouilleux orgueil d’indépendance nationale, que la France, dans son bon sens, l’accepte comme un héros de cette Révolution qui s’achève et qu’il domine de son souvenir.

104. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Les habitudes glorieuses de l’Empire ont laissé dans les mœurs et le caractère de la nation un pli qu’elles y avaient trouvé déjà : en temps ordinaire, nulle nation ne se prête autant à être gouvernée, à être administrée que la nôtre, et n’y voit plus de commodités et moins d’inconvénients. […] Nous prenons place parmi les nations de la terre, et nous avons un caractère à établir. […] Qu’aurait-il pu, qu’aurait-il refusé de faire dans un premier rôle, au sein d’une vieille nation brillante et corrompue ? […] Or ce peuple-là de Paris n’était lui-même qu’une des variétés de la grande nation. […] Homme et nation, on suppose volontiers qu’on se convertit du tout au tout.

105. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

En donnant de nouvelles bases à la morale, l’Évangile a modifié le caractère des nations, et créé en Europe des hommes tout différents des anciens par les opinions, les gouvernements, les coutumes, les usages, les sciences et les arts. Et que de traits caractéristiques n’offrent point ces nations nouvelles ! […] L’Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l’historien un caractère plus original : l’espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour ; et, lorsque les peuples européens seront usés par la corruption, elle seule pourra reparaître avec éclat sur la scène du monde, parce que le fond des mœurs subsiste chez elle.

106. (1903) La renaissance classique pp. -

Sommes-nous encore cette nation et cette race, sommes-nous ces tempéraments et ces individus ? […] La forme la plus apparente de la race, c’est la nation. […] Mais, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, nous sommes une nation, nous resterons une nation. […] L’erreur est de croire qu’une nation tout entière peut composer une race. […] Ce sont eux peut-être qui referont le sang de la nation.

107. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

— Instincts de nivellement. — Besoin de domination. — Le Tiers décide qu’il est la nation. — Chimères, ignorance, exaltation. […] Une sorte de confraternité ou de compérage fait que les nobles se préfèrent entre eux et pour tout au reste de la nation… C’est la cour qui a régné et non le monarque. […] Le Tiers, à lui seul et par lui-même, est « une nation complète », à qui ne manque aucun organe, qui n’a besoin d’aucune aide pour subsister ou se conduire, et qui recouvrera la santé lorsqu’il aura secoué les parasites incrustés dans sa peau. […] Ses volontés feraient ses lois, et ses lois feraient son bonheur. » La nation va être régénérée : cette phrase est dans tous les écrits et dans toutes les bouches. […] Ce ne sont ni les impôts, ni les lettres de cachet, ni tous les autres abus de l’autorité, ce ne sont point les vexations des intendants et les longueurs ruineuses de la justice qui ont le plus irrité la nation : c’est le préjugé de la noblesse pour lequel elle a manifesté plus de haine.

108. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

Les desseins des rois, les abominations des cités, les voies iniques et détournées de la politique, le remuement des cœurs par le fil secret des passions, ces inquiétudes qui saisissent parfois les peuples, ces transmutations de puissance du roi au sujet, du noble au plébéien, du riche au pauvre : tous ces ressorts resteront inexplicables pour vous, si vous n’avez, pour ainsi dire, assisté au conseil du Très-Haut, avec ces divers esprits de force, de prudence, de faiblesse et d’erreur, qu’il envoie aux nations qu’il veut ou sauver ou perdre. […] Quiconque voulait être raisonnable sentait en lui je ne sais quelle impuissance du bien ; quiconque étendait une main pacifique, voyait cette main subitement séchée : le drapeau rouge flotte aux remparts des cités ; la guerre est déclarée aux nations : alors s’accomplissent les paroles du prophète : Les os des rois de Juda, les os des prêtres, les os des habitants de Jérusalem, seront jetés hors de leur sépulcre 169. […] La patrie n’est plus dans ses foyers, elle est dans un camp sur le Rhin, comme au temps de la race de Mérovée ; on croit voir le peuple Juif chassé de la terre de Gessen, et domptant les nations barbares dans le désert.

109. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Quand ces nations viennent à se rasseoir sur les débris du monde antique, un autre phénomène arrête l’historien : tout paraît subitement réglé, tout prend une face uniforme ; des monarchies partout ; à peine de petites républiques qui se changent elles-mêmes en principautés, ou qui sont absorbées par les royaumes voisins. […] Relégués chez une classe de citoyens, ils deviennent plutôt un objet de luxe et de curiosité, qu’un sens de plus chez les nations. […] Le christianisme a été l’ancre qui a fixé tant de nations flottantes ; il a retenu dans le port ces États qui se briseront peut-être, s’ils viennent à rompre l’anneau commun où la religion les tient attachés.

110. (1932) Les idées politiques de la France

La naissance des nations, et des nations armées, avec la Révolution française, a tout changé et tout compliqué. […] pousser cette clameur insolite : Vive la Nation ! La nation eut ses soldats comme le roi avait eu les siens. […] La nation se fera par des légistes nationaux et des armées nationales. […] La nation française est une nation missionnaire, chargée d’un message.

111. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Les nations les plus éloignées par les temps et par les lieux suivent dans leurs révolutions politiques, dans celles du langage, une marche singulièrement analogue. […] Partout il est indigène, partout il a été fondé par la Providence dans les mœurs des nations. […] Toutes les nations barbares ont été forcées de commencer ainsi, en attendant qu’elles se formassent un meilleur système de langage et d’écriture. […] Le peuple corrompu était esclave de ses passions effrénées ; il devient esclave d’une nation meilleure qui le soumet par les armes, et le sauve en le soumettant. […] Essai sur l’esprit et les mœurs des nations, commencé en 1740, imprimé en 1785. — Turgot.

112. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

En arrivant sur le grand théâtre de Paris, il trouva une nation en masse pleine d’illusions, et surtout enivrée dans la personne de ses conducteurs ; une nation en proie aux théories illimitées et à toutes les espérances. […] J’étais persuadé que tout était perdu, et notre liberté, et les plus belles espérances du genre humain, si l’Assemblée nationale cessait d’être un moment, devant la nation, l’objet le plus digne de son respect, de son amour et de toutes ses attentes. […] Il est pour les gouvernements mixtes, les seuls qu’il croyait compatibles avec la vraie liberté quand on la veut réelle et sincère chez une grande nation : c’est dire qu’il ne partage nullement les exagérations de la droite pure, et il est aussi loin, on peut l’affirmer, en bien des cas, de l’abbé Maury que de l’abbé Sieyès. […] Le maréchal de Castries, du côté des princes, frères du roi, lui écrivait : « J’ai vu l’impression que vos écrits faisaient sur tous les bons esprits… Il est temps de parler à la nation et de l’éclairer. » Mallet reprit la plume pour parler non à la nation, qui, à cette date, avait peu de liberté d’oreille et d’entendement, mais aux chefs des cabinets et à ceux de l’émigration, pour les éclairer, s’il se pouvait, sur ce qui, selon lui, était raisonnable et nécessaire ; car il ne voyait plus qu’un moyen de mener à bien cette grande « guerre sociale », comme il l’appelait : c’était d’en faire une guerre à la Révolution seule, à la Convention qui résumait en elle l’esprit vital de la Révolution, non à la France. […] — « Il est de l’essence de la démocratie, pense-t-il encore, d’aller toucher le pôle tant qu’aucun obstacle ne l’arrête. » Analysant avec une force de dissection effrayante les idées fausses, vagues, les sophismes de divers genres qui ont filtré dans toutes les têtes au milieu d’une nation amollie et de caractères déformés par l’épicuréisme, Mallet du Pan montre comment on n’a jamais opposé au mal que des moyens impuissants et des espérances dont se berçait la présomption ou la paresse : « Cependant on s’endormait sur des adages et des brochures : Le désordre amène l’ordre, disaient de profonds raisonneurs ; l’anarchie recomposera le despotisme. — La démocratie meurt d’elle-même ; la nation est affectionnée à ses rois. » C’est surtout aux émigrés, on le sent, qu’il parle ainsi ; et, tandis que les partis se nourrissaient de leurs illusions et de leurs rêves, les Jacobins seuls marchaient constamment au but : « Les Jacobins seuls formaient une faction, les autres partis n’étaient que des cabales. » Et il montre en quoi consiste cette faction, son organisation intérieure, son affiliation par toute la France, ses moyens prompts, redoutables, agissant à la fois sur toutes les mauvaises passions du cœur humain.

113. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Les deux athlètes entrèrent en lice à l’occasion de l’énorme attentat de la nation Angloise contre l’infortuné Charles I. […] Les factieux, ayant Cromwel à leur tête, crurent leur attentat légitime, & voulurent le faire paroître tel aux yeux des nations. […] Il ne fut pas en son pouvoir d’employer un Cowley, digne rival de Pindare & le chantre des infortunes de David ; un compte de Rochester, ce Juvénal Anglois ; un Waller, le Voiture & le Chaulieu de l’Angleterre ; le premier de cette nation qui, dans ses vers, ait consulté l’harmonie, ait cherché l’arrangement des mots & le goût dans le choix des idées ; ce poëte, qui, vivant à la cour avec soixante mille livres de rente ; cultiva toujours son talent pour les vers agréables & faciles ; le même qui, en ayant fait à la louange de Charles II, les lui présentant & s’entendant reprocher qu’il en avoit fait de meilleurs pour Cromwel, répondit au prince : Nous autres poëtes, nous réussissons mieux dans les fictions que dans les vérités. […] Jamais cette nation, si fertile en frondeurs, en libèles diffamatoires, n’en vit un pareil.

114. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

On y sent la sincérité de la douleur et le remords du patriotisme, au milieu des nations étrangères qui se réjouissent de leur victoire sur son pays. Il rentre en Judée et habite Hébron en attendant que la nation et les prêtres se décident entre les fils de Saül et lui. […] Les pasteurs de cette nation pastorale, frappés sans doute de la symétrie avec laquelle ces ravins, ces rochers, ces cavernes répétaient leurs flûtes ou leur voix, cherchèrent naturellement à imiter cette répétition musicale dans leur prosodie. […] XXVI Le seul caractère de ce lyrisme dans toutes les nations, et surtout dans les nations jeunes, que leur jeunesse même enivre de poésie, est précisément ce délire, ce balbutiement confus des lèvres de cette femme et des hymnes du berger de Judée. […] Certes, si ce grand poète, au lieu de naître dans une nation vaniteuse de rhétoriciens et d’artistes, comme les Grecs, était né dans une nation de pasteurs, de prêtres, de prophètes, comme les Hébreux ; s’il avait vécu la vie du berger de Bethléem, d’abord gardien de brebis dans les lieux déserts, joueur de flûte aux échos des rochers de son pays, barde d’un roi qu’il assoupissait aux sons de sa harpe, sauveur d’un peuple par sa fronde, proscrit de caverne en caverne avec une bande d’aventuriers, puis le héros populaire de sa nation, puis roi, tantôt triomphant, tantôt détrôné de l’inconstant Israël, puis couvert de cendre sur sa couche de douleur, noyé dans les larmes de sa pénitence, et n’ayant de refuge, comme les colombes dans les creux des rochers d’Engaddi, que dans la miséricorde de Jéhova qui avait exalté sa jeunesse ; si Pindare, disons-nous, avait eu toutes ces conditions inouïes du génie lyrique du fils d’Isaï, il aurait peut-être donné à la Grèce des psaumes comparables à ceux de la Judée.

115. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre I. Objet de ce livre. — Retour de l’âge divin » pp. 357-361

Lorsqu’il eut par des voies surnaturelles éclairé et affermi la vérité du christianisme, contre la puissance romaine par la vertu des martyrs, contre la vaine sagesse des Grecs par la doctrine des Pères et par les miracles des Saints, alors s’élevèrent des nations armées, au nord les barbares Ariens, au midi les Sarrasins mahométans, qui attaquaient de toutes parts la divinité de Jésus-Christ. Afin d’établir cette vérité d’une manière inébranlable selon le cours naturel des choses humaines, Dieu permit qu’un nouvel ordre de choses naquît parmi les nations. […] Chez toutes ces nations on ne trouve rien d’écrit qu’en latin barbare, langue qu’entendaient seuls un bien petit nombre de nobles qui étaient ecclésiastiques.

116. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre IV »

Contre la sédition universelle, où est la force   Dans les cent cinquante mille hommes qui maintiennent l’ordre, les dispositions sont les mêmes que dans les vingt-six millions d’hommes qui le subissent, et les abus, la désaffection, toutes les causes qui dissolvent la nation dissolvent aussi l’armée. […] L’ouvrier tailleur est aigri contre le maître tailleur qui l’empêche d’aller en journée chez les bourgeois, les garçons perruquiers contre le maître perruquier qui ne leur permet pas de coiffer en ville, le pâtissier contre le boulanger qui l’empêche de cuire les pâtés des ménagères, le villageois fileur contre les filateurs de la ville qui voudraient briser son métier, les vignerons de campagne contre le bourgeois qui, dans un rayon de sept lieues, voudrait faire arracher leurs vignes792, le village contre le village voisin dont le dégrèvement l’a grevé, le paysan haut taxé contre le paysan taxé bas, la moitié de la paroisse contre ses collecteurs, qui à son détriment ont favorisé l’autre moitié. « La nation, disait tristement Turgot793, est une société composée de différents ordres mal unis, et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très peu de liens, et où, par conséquent, personne n’est occupé que de son intérêt particulier. […] (Pourtant) aucun gentilhomme n’a autant fait pour les habitants de ses terres que M. le marquis de Marnezia… Les excès en tout genre augmentent ; j’ai des plaintes perpétuelles sur l’abus que les milices nationales font de leurs armes, et je ne puis y remédier. » D’après une phrase prononcée à l’Assemblée nationale, la maréchaussée croit qu’elle va être dissoute et ne veut pas se faire d’ennemis. « Les bailliages sont aussi timides que la maréchaussée ; je leur renvoie sans cesse des affaires, et aucun coupable n’est puni… » — « Aucune nation ne jouit d’une liberté si indéfinie et si funeste aux honnêtes gens ; il est absolument contraire aux droits de l’homme de se voir perpétuellement dans le cas d’être égorgé par des scélérats qui confondent toute la journée la liberté et la licence. » — En d’autres termes, les passions, pour s’autoriser, ont recours à la théorie, et la théorie, pour s’appliquer, a recours aux passions. Par exemple, près de Liancourt, le duc de la Rochefoucauld avait un terrain inculte ; « dès le commencement de la Révolution800, les pauvres de la ville déclarent que, puisqu’ils font partie de la nation, les terrains incultes, propriété de la nation, leur appartiennent », et tout de suite, « sans autre formalité », ils entrent en possession, se partagent le sol, plantent des haies et défrichent. « Ceci, dit Arthur Young, montre l’esprit général… Poussées un peu loin, les conséquences ne seraient pas petites pour la propriété dans ce royaume. » Déjà, l’année précédente, auprès de Rouen, les maraudeurs, qui abattaient et vendaient les forêts, disaient que « le peuple a le droit de prendre tout ce qui est nécessaire à ses besoins »  On leur a prêché qu’ils sont souverains, et ils agissent en souverains.

117. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Le sixième siècle n’offre que la lutte des nations qui se disputent l’univers. […] Plus l’autorité monarchique gagna sur l’autorité féodale, plus les hommes et les peuples se communiquèrent, plus les idées s’étendirent, plus les nations et les rois conçurent et exécutèrent de grands desseins, et plus les esprits purent s’élever. […] Elisabeth, en Angleterre, avait fondé sa renommée sur celle de sa nation ; la célébrité de Christine ne fut que pour elle. […] Ainsi, ces sortes d’écrivains n’auront ni la physionomie de leur nation, ni celle de leur siècle, ni celle de la nation et du siècle qu’ils prétendent imiter, ni la leur même.

118. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

La nation, gaie et légère, préférait alors un bon mot à cent panégyriques. […] Il s’ouvrit une grande scène en Europe ; les dépouilles de la maison d’Autriche à partager, la France et l’Espagne unies contre l’Angleterre, la Hollande, la Sardaigne et l’Empire, une guerre importante, un jeune roi qui se montra à la tête de ses armées, les présages de l’espérance, les vœux des courtisans, enfin l’éclat des conquêtes et des victoires, et le caractère général de la nation, à qui il est bien plus aisé de ne pas sortir du repos que de s’arrêter dans son mouvement, tout donna aux esprits une sorte d’activité qu’ils n’avaient point eue peut-être depuis Louis XIV. […] Le panégyrique du roi est fondé sur les faits qui se sont passés depuis 1744 jusqu’en 1748 ; et cette époque, comme on sait, fut celle de nos victoires ; ce qu’il n’est pas inutile de remarquer, c’est que l’auteur se cacha pour louer son prince, comme l’envie se cache pour calomnier ; mais les grands peintres n’ont pas besoin de mettre leurs noms à leurs tableaux ; celui-ci fut reconnu à son coloris facile et brillant, à certains traits qui peignent les nations et les hommes, et surtout au caractère de philosophie et d’humanité répandu dans tout le cours de l’ouvrage. […] Alors on s’éloigna plus que jamais du ton de l’éloquence ; d’autres causes qui agissaient en même temps, développèrent chez la nation l’esprit philosophique, qui devint peu à peu l’esprit général. […] La violation des traités les plus solennels, la bassesse des fraudes qui précèdent l’horreur des guerres, la hardiesse des calomnies qui remplissent les déclarations, l’infamie des rapines, punies par le dernier supplice dans les particuliers, et louées dans les chefs des nations, le viol, le larcin, le saccagement, les banqueroutes et la misère de mille commerçants ruinés, leurs familles errantes qui mendient vainement leur pain à la porte des publicains enrichis par ces dévastations même : voilà, dit l’orateur, une faible partie des crimes que la guerre entraîne après elle, et tous ces crimes sont commis sans remords… Des bords du Pô jusqu’à ceux du Danube, on bénit de tous côtés, au nom du même Dieu, ces drapeaux sous lesquels marchent des millions de meurtriers mercenaires ».

119. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ces belles contrées entre le Danube et la côte d’Asie seront laissées aux races chrétiennes ; Sainte-Sophie sera redevenue chrétienne ; cette ville de Constantinople, cette entrée orientale de l’Europe lâchement livrée aux Turcs il y a quatre siècles, conquise de leurs mains par droit de massacre, restée désormais sous leur joug par droit de stupidité, d’après ce titre d’être la nation la plus propre à posséder inutilement un grand empire, sera rendue à la fédération chrétienne d’Europe. […] Quelle grandeur plus gigantesque et plus libre dans ces applications des arts étendues, pour ainsi dire, sur l’échelle d’une nature plus vaste et d’une croissance de nations si rapide qu’elle semble illimitée ! […] Quand de telles œuvres sont réservées à l’action de la parole humaine, quand le pur enthousiasme du bien demeure un ressort journalier de réformes sociales, ne craignons pas pour un peuple ni pour une époque le dessèchement des sources de la vie morale : ce n’est point-là ce progrès du calcul matériel et de la force, qui ne prolongerait la durée d’une nation qu’en atrophiant son âme. […] Quand la force tombe, quand le flambeau se déplace, quand une nation, usée de lassitude et de souffrance, ne sent plus palpiter en elle les grandes fibres de la vie sociale, un autre peuple a déjà recueilli son héritage. […] Au milieu de ce grand peuple accru des dépouilles de l’ancien monde et des inventions puissantes de chaque jour, parmi ces ouvriers de la onzième heure qui achèvent si vite leur tâche et reçoivent un plein salaire, dans cette nation rude et savante, nouvellement née et pleine d’expérience, enorgueillie de sa force comme de la magnifique nature subjuguée par ses arts, la poésie de l’âme, nourrie par la religion, la patrie, la famille, ne peut manquer un jour d’avoir son Orient et son Midi.

120. (1886) De la littérature comparée

Cependant, le développement des études historiques, en favorisant la connaissance des milieux et la comparaison entre les époques, attira bientôt l’attention sur le phénomène, longtemps négligé des variations du goût : on remarqua qu’un siècle ne ratifie pas toujours les jugements du siècle précédent ; que telle tragédie portée aux nues à son apparition peut cependant tomber dans un oubli définitif ; que des gloires illustres entre toutes s’éclipsent pendant des périodes entières et ne reparaissent ensuite dans leur éclat que sous l’influence de circonstances qu’il est possible de déterminer ; que les poètes préférés d’une nation demeurent souvent incompris par la nation voisine. […] La Grèce avait tiré sa littérature et ses arts de ce sens spécial que les Grecs désignaient par le mot mélodieux d’eurythmie ; Rome avait construit sur le civisme sa robuste civilisation, si pauvre d’ailleurs en œuvres originales ; l’Europe du Moyen-Âge, ces États hétérogènes formés comme par hasard par des mélanges et des heurts de nations, cette Europe informe et désordonnée comme une chanson de geste, que la diplomatie de plusieurs siècles n’a pas encore réussi à partager équitablement, cette Europe marchait et travaillait pourtant sous l’impulsion d’un sentiment tout aussi grand que l’eurythmie et le civisme : la foi religieuse. […] Pendant les deux siècles classiques, vous chercheriez en vain des exemples d’une pareille indépendance parmi les écrivains français ou italiens, qui viennent docilement se ranger sous la fécule d’Aristote et accomplissent ce tour de force, merveilleux et inutile, de couler les sentiments de leur époque dans des moules surannés. — Il faut donc que certaines nations, pour des raisons que nous rechercherons peut-être un jour, aient conservé plus profondément que d’autres leur empreinte primitive, et c’est à cette persistance que nous devons en partie notre émancipation actuelle de l’influence antique. […] Pour que l’étude de la littérature comparée atteigne son but, il faut donc, je crois, l’élargir de plus en plus, la compléter par l’examen attentif des relations de la littérature et de l’art avec les conditions d’existence des nations, grouper les faits particuliers qu’elle présente autour d’un certain nombre de faits de plus en plus généraux. […] Il l’a recherché à travers « l’évolution graduelle de la vie sociale, du clan à la cité, de la cité à la nation, de la nation à l’humanité cosmopolite ».

121. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Le peuple a été conquis, comme la nation saxonne, et la nouvelle structure politique lui a imposé des habitudes, des capacités et des inclinations qu’il n’avait pas. La nation s’est installée à demeure au milieu de vaincus exploités et menaçants, comme les anciens Spartiates, et l’obligation de vivre à la façon d’une bande campée a tordu violemment dans un sens unique toute la constitution morale et sociale. […] Il reste à chercher de quelle façon ces causes appliquées sur une nation ou sur un siècle y distribuent leurs effets. […] Plus un livre note des sentiments importants, plus il est placé haut dans la littérature ; car, c’est en représentant la façon d’être de toute une nation et de tout un siècle qu’un écrivain rallie autour de lui les sympathies de tout un siècle et de toute une nation. […] Il fallait trouver un peuple qui eût une grande littérature complète, et cela est rare ; il y a peu de nations qui aient, pendant toute leur vie, vraiment pensé et vraiment écrit.

122. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Il est inutile d’exposer que la naissance d’attractions littéraires ou le dévouement à des causes communes, coïncide avec le relâchement des liens de clan, de cité, de nation, de famille ; que les arts aussi bien que l’humanitarisme tendent à favoriser le cosmopolitisme, et qu’ainsi les liens d’une admiration ou d’une entreprise générale remplacent en un sens ceux du sang. […] Le goût vif des lettres et des arts n’a jamais précédé dans la vie d’une nation d’une classe ou d’un individu, un déploiement extrême d’énergie, un vaste enthousiasme pour une entreprise active, parce que la satisfaction oisive de ce goût dispense de cet effortep. […] Les nations restent en lutte guerrière, le peuple le plus lettré pourra infliger moins de maux aux autres qu’un peuple sans arts. Ainsi l’habitude des plaisirs esthétiques favorable à la solidarité humaine, est nuisible à l’existence des nations : et en fait les Etats les plus policés sont les plus faciles à conquérir. […] Cf., la théorie de l’imitation sociale dans Bagehot [L’économiste britannique Walter Bagehot (1826-1877) est l’auteur des Lois scientifiques du développement des nations dans leurs rapports avec les principes de la sélection naturelle et de l’hérédité (1869).

123. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Instruire une nation, c’est la civiliser ; y éteindre les connaissances, c’est la ramener à l’état primitif de barbarie. […] Une université est une école dont la porte est ouverte indistinctement à tous les enfants d’une nation et où des maîtres stipendiés par l’État les initient à la connaissance élémentaire de toutes les sciences. […] A proprement parler, une école publique n’est instituée que pour les enfants des pères dont la modique fortune ne suffirait pas à la dépense d’une éducation domestique et que leurs fonctions journalières détourneraient du soin de la surveiller ; c’est le gros d’une nation. […] N’est-ce pas un phénomène bien étonnant que des écoles d’éducation publique barbares et gothiques, se soutenant avec tous leurs défauts, au centre d’une nation éclairée, à côté de trois célèbres Académies, après l’expulsion des mauvais maîtres connus sous le nom de jésuites, malgré la réclamation constante de tous les ordres de l’État, au détriment de la nation, à sa honte, au préjudice des premières années de toute la jeunesse d’un royaume et au mépris d’une multitude d’ouvrages excellents, du moins quant à la partie où l’on s’est attaché à démontrer les vices de cette éducation. […] Peut-on être un grand poëte sans la connaissance des devoirs de l’homme et du citoyen, de tout ce qui tient aux lois des sociétés entre elles, aux religions, aux différents gouvernements, aux mœurs et aux usages des nations, à la société dont on est membre, aux passions, aux vices, aux vertus, aux caractères et à toute la morale ?

124. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Voilà ce qui explique ces mots de l’apôtre des nations : La foi, c’est l’ouïe. […] Il en est de même pour la peinture d’une bataille, d’une tempête, d’une sédition populaire, d’une révolution politique, d’un bouleversement dans le globe, d’une vue quelconque de la nature, du tableau d’une nation, de celui d’un âge de l’esprit humain. […] La littérature de toutes les nations résulte de leurs propres origines. […] Cette littérature, nous l’avons imposée aux autres nations ; puis nous avons voulu introduire de force, dans notre langue des Trouvères, le grec et le latin. […] Le platonisme, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, fut, parmi les nations païennes, une heureuse préparation à la religion de Jésus-Christ.

125. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

S’il est encore des nations barbares dans les parties les plus reculées du nord et du midi, c’est que la nature y favorise peu l’espèce humaine, et que l’instinct naturel de l’humanité y a été longtemps dominé par des religions farouches et bizarres. — Nous voyons d’abord au septentrion le czar de Moscovie qui est à la vérité chrétien, mais qui commande à des hommes d’un esprit lent et paresseux. — Le kan de Tartarie, qui a réuni à son vaste empire celui de la Chine, gouverne un peuple efféminé, tels que le furent les seres des anciens. — Le négus d’Éthiopie, et les rois de Fez et de Maroc règnent sur des peuples faibles et peu nombreux. […] Après avoir observé dans ce Livre comment les sociétés recommencent la même carrière, réfléchissons sur les nombreux rapprochements que nous présente cet ouvrage entre l’antiquité et les temps modernes, et nous y trouverons expliquée non plus l’histoire particulière et temporelle des lois et des faits des Romains ou des Grecs, mais l’histoire idéale des lois éternelles que suivent toutes les nations dans leurs commencements et leurs progrès, dans leur décadence et leur fin, et qu’elles suivraient toujours quand même (ce qui n’est point) des mondes infinis naîtraient successivement dans toute l’éternité. […] Il y a droit par son sujet : la nature commune des nations ; sujet vraiment universel, dont l’idée embrasse toute science digne de ce nom.

126. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

La poésie alors, orale, vivante, forme naturelle et souveraine, support et enveloppe de tout, de la science, de l’histoire, de la morale, du culte, tenait au fond même de l’existence d’une race, et enserrait, comme en un tissu merveilleux, mœurs, exploits, souvenirs, les dieux et les héros d’une nation. […] Il est vrai que chez nous, nations modernes, nations d’Occident, les choses se passèrent, à l’origine, d’une façon moins simple et moins grandiose que dans l’antiquité ou dans l’Orient. […] Le grand art de Béranger, son coup de maître et à la fois de citoyen, a été de rallier tant de fines, d’éternelles observations, héritage de Molière et de La Fontaine, autour des sentiments actuels les plus enflammés, d’appeler les qualités permanentes de la nation au foyer des émotions nouvelles, de lier les unes et les autres en faisceau indissoluble, de grouper les Gueux, même Frétillon, ou Madame Grégoire, sous les plis du glorieux Drapeau, la Sainte Alliance des Peuples formant la chaîne aux collines d’alentour, et le Dieu des Bonnes Gens bénissant le tout. […] Quand Béranger dit que « le pouvoir est une cloche qui empêche ceux qui la mettent en branle d’entendre aucun son ; » et ailleurs « qu’il est des instants, pour une nation, où la meilleure musique est celle du tambour qui bat la charge ; » et encore, lorsqu’il compare les prétendus faiseurs de la révolution de Juillet à ces « greffiers de mairie qui se croiraient les pères des enfants dont ils n’ont que dressé l’acte de naissance ; » cela me paraît étonnamment rentrer dans le goût des locutions familières à Franklin.

127. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

« Le murmure confus et le mouvement intérieur des peuples en émoi sont le signe précurseur de la tempête qui passera bientôt sur les nations tremblantes. […] « Et les hommes se regarderont à cette lumière, et ils diront : « Nous ne connaissions ni nous ni les autres, nous ne savions pas ce que c’est que l’homme : à présent nous le savons. » « Et chacun s’aimera dans son frère, et se tiendra heureux de le servir ; et il n’y aura ni petits ni grands, à cause de l’amour qui égale tout, et toutes les familles ne seront qu’une famille, et toutes les nations qu’une nation[…] « Et les oppresseurs des nations firent ce que Satan leur avait dit, et Satan aussi accomplit ce qu’il avait promis aux oppresseurs des nations

128. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Les devoirs de la vertu, ce code de principes qui a pour appui le consentement unanime de tous les peuples, reçoit quelques légers changements, par les mœurs et les coutumes des nations diverses ; et quoique les premiers rapports restent les mêmes, le rang de telle ou telle vertu peut varier selon les habitudes et les gouvernements des peuples. […] Il y a faiblesse dans la nation qui ne s’attache qu’au ridicule, si facile à saisir et à éviter, au lieu de chercher avant tout, dans les pensées de l’homme, ce qui agrandit l’âme et l’esprit. […] Les beautés de Shakespeare peuvent, en Angleterre, triompher de ses défauts : mais ils diminuent beaucoup de sa gloire parmi les autres nations.

129. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 348-354

A-t-il pu imaginer qu’on adopteroit ses decisions, lorsqu’on l’a vu vingt fois s’efforcer de prouver que ce premier Poëte de notre Nation n’est pas si infaillible qu’on le pense ; que ses Ouvrages ne sont pas exempts de fautes contre la Langue & le goût ; qu’il a avancé des erreurs & des mensonges ; qu’il est injuste dans presque toutes ses critiques, indécent & atroce dans ses diatribes ; que tous ses Opéra sont détestables ; que plusieurs de ses Comédies n’ont d’autre mérite que celui de la versification ; que quelques-unes de ses Tragédies sont médiocres ; que ses Histoires sont remplies de faussetés, ses Satires de calomnies, ses Romans d’impiétés ? […] Quoiqu’on n’ait cessé de lui dire qu’il ne sauroit trop respecter ces hommes qui honorent notre Nation par leur Littérature, autant que par leurs lumieres & leurs vertus ; il n’a pas craint de les qualifier d’Ecrivains bizarres, de les accuser d’être vindicatifs, intolérans, orgueilleux, égoïstes, pleins de morgue. […] Qui ne sait cependant que ce sont les plus ardens Prédicateurs de la modération, de la tolérance ; qu’ils n’ouvrent la bouche que pour recommander la modestie, & jamais pour parler d’eux-mêmes ; que tous leurs Ecrits déposent en faveur du respect qu’ils ont pour la Religion, la Nation, les Loix, & toute autre espece d’autorité ?

130. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

La Prusse n’était pas comptée parmi les puissances, et quand Frédéric monta à vingt-huit ans (1740) sur ce trône qu’il devait occuper durant quarante-six ans, il avait tout à faire pour l’honneur de sa nation et pour le sien ; il avait à créer l’honneur prussien, il avait à gagner ses éperons comme roi. Sa première pensée fut qu’un prince doit faire respecter sa personne, surtout sa nation ; que la modération est une vertu que les hommes d’État ne doivent pas toujours pratiquer à la rigueur, à cause de la corruption du siècle, et que, dans un changement de règne, il est plus convenable de donner des marques de fermeté que de douceur. […] Ces motifs, tous puisés dans l’intérêt de sa cause et de sa nation, n’ont rien qui semble en désaccord avec les maximes de Frédéric et avec ses idées favorites ; en tant que philosophe et écrivain. […] De ce même Pierre le Grand il dira ailleurs énergiquement : « Pierre Ier, pour policer sa nation, travailla sur elle comme l’eau-forte sur le fer. » Pour peindre les hommes d’État, les ministres, il a de ces mots de haute pratique et d’autorité, de ces mots qui sont d’avance historiques et qui se gravent. […] Henry estime que cette moquerie irréligieuse de Frédéric se passait surtout à la surface de son âme ; qu’en s’y livrant, il s’abandonnait surtout à un mauvais ton de société, dans la pensée que cela n’arriverait jamais à la connaissance du public ; mais que le fond de sa royale nature était sérieux, méditatif, et digne d’un législateur qui embrasse et veut les choses fondamentales de toute société et de toute nation.

131. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Réalisme et idéalisme se succèdent dans la vie d’une nation comme de grandes vagues qui durent à peu près le même nombre d’années. […] Il remarque que le mouvement est général, qu’il se produit au Nord comme au Midi de l’Europe ; il suppose qu’il pourrait venir de quelque nation voisine ! […] Il songe à cette tyrannique nécessité de changement, à cette alternance régulière qui emporte les nations d’un extrême à l’autre ; il comprend que la France et l’Europe ont repris goût à la verdure des bois et des prairies et aux charmes de la solitude, précisément parce qu’elles étaient lasses et dégoûtées de spectacles et de plaisirs contraires ; il trouve enfin dans cette réaction violente contre les prédilections du siècle précédent un cas particulier de cette grande loi du rythme qui semble être une des lois de la vie universelle. […] Question de race peut-être ; mais surtout parce que l’esprit mondain y fut une importation, une mode exotique venue d’outre-Manche, par conséquent une chose superficielle, un vernis peu solide, et aussi parce qu’une nation de marins, de commerçants, de voyageurs était par là même restée en contact perpétuel avec la nature.

132. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Seroit-ce en effet un paradoxe d'avancer que son Héros n'intéresse que parce qu'il est Henri IV, c'est-à-dire, un Roi dont le nom, chéri de toutes les Nations, adoré dans la sienne, parle à tout le monde en sa faveur ? […] Pourquoi les admirateurs du Chantre d'Henri IV se sont-ils tant pressés de lui attribuer l'honneur exclusif d'avoir donné le seul Poëme épique dont notre Nation puisse se glorifier ? […] D’ailleurs, est-ce d’un ton d’aisance qui annonce plus l’oubli des égards que la supériorité du génie, est-ce par chapitres, que les grands Historiens nous ont transmis les Annales des Nations ou les actions des Princes ? […] Après avoir d'abord gardé quelques mesures, il a méconnu toutes les bienséances, & a insulté sa Nation, ou plutôt toutes les Nations, dès qu'il en a été mécontent : on peut en juger par son Discours aux Welches, ses Stances sur les Italiens, ses Satires contre les Allemands, ses Plaisanteries sur les Espagnols & les Portugais. […] Mais la Postérité juge les Auteurs & les Siecles : elle réduira, d'un côté, l'Ecrivain à sa juste valeur : de l'autre, elle saura que son Apothéose n'a pas été l'ouvrage de la Nation, mais l'effet des intrigues de quelques Gens de Lettres, qui, pour lors, seront vraisemblablement inconnus.

133. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Mais cette ivresse de la nation Françoise ne l’empêcha point d’essuyer beaucoup de contradictions. […] La nation a-t-elle été dédommagée ? […] Chez ce peuple si sage, les sujets de tragédies sont presque toujours moraux, & relevés par les pensées & par les exemples des philosophes, & des héros de la nation. […] Dans une lettre à un de ses amis, il donne La Chaussée pour un des premiers génies de la nation, & le met à côté de Molière. […] L’esprit d’Hipponax passa à plusieurs de ses compatriotes, qui cherchèrent à divertir de même la nation.

134. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Avant-Propos. » pp. -

Dans tous les âges, chez toutes les nations où les sciences & les arts ont fleuri, l’esprit de jalousie & de division les a toujours accompagnés. […] On peut comparer les Querelles particulières aux combats singuliers ; les Querelles générales aux guerres réglées de nation à nation ; les Querelles de différens corps à ces combats où l’on appelloit des seconds, & où l’on combattoit parti contre parti.

135. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Je suis encore la nation des grands sentiments, le peuple des grands réveils, la terre des grands sursauts de l’humanité ! […] Ce ne sera pas le deuil d’une maison, ce sera une nation en deuil ! […] Le sang coula pendant quinze ans entre nous et les nations du continent. […] La nature restreinte et professionnelle de ces auditoires, et la nature même de la langue qu’il leur fait parler quelquefois pour en être compris, s’opposent fatalement à l’universalité d’intérêt, à la dignité d’images, à l’élévation de sentiments et à la poésie de langage, qui sont le caractère des poètes lyriques universels ; l’artisan, le laboureur, le soldat, sont de grandes et dignes catégories dans la nation, mais elles ne sont pas la nation tout entière. […] Une foule d’hommes de science ou de style, chez toutes les nations, est sortie des ateliers de la typographie.

136. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Necker, l’histoire doit le reconnaître, était en même temps un honnête homme : en trompant le roi, la cour et la nation, il se trompait lui-même. […] Un livre était un homme, une nation, un siècle, une postérité. […] Les mœurs austères des premières nations chrétiennes auraient vu dans cette institution de plaisir intellectuel un souvenir de la bayadère des Indes ou de la courtisane de Rome. […] L’extrême en tout, c’est le vice et la vertu de cette nation. […] Aussi, comme on le verra par la suite, ne s’est-il jamais trompé dans ce monde que sur les honnêtes gens, soit comme individus, soit surtout comme nations. » Lamartine.

137. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Mais, étudiés dans leur ordre, les chefs-d’œuvre de ces deux grandes époques seront toujours la plus forte école où notre nation puisse apprendre à se continuer, en valant mieux. […] Bossuet la voit tout d’abord et du premier coup ; il ne conçoit pas de grandeur pour les nations hors des vertus qui font la grandeur individuelle de l’homme. […] Les voyages de Montesquieu n’avaient pas pour but, comme le dit d’Alembert, par une illusion propre au genre apologétique, de se rendre utile aux diverses nations qu’il visitait. […] Entre ceux qui conduisent les nations et ceux qui les égarent, il y a ceux qui les éclairent. […] Elle diminuera la part du mal inévitable ; elle l’empêchera du moins de s’aggraver jusqu’au point où les remèdes meurtriers sont nécessaires et où les nations ont à jouer leur vie pour la sauver.

138. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Quand je dis hiérarchie, je ne veux pas affirmer la suprématie de telle nation sur telle autre. […] Si une nation entend aujourd’hui la question morale dans un sens plus délicat qu’on ne l’entendait dans le siècle précédent, il y a progrès ; cela est clair. […] Il en est de même des nations qui cultivent les arts de l’imagination avec joie et succès. […] Mais il ne faut jamais oublier que les nations, vastes êtres collectifs, sont soumises aux mêmes lois que les individus. […] Je n’ai ni le temps, ni la science suffisante peut-être, pour rechercher quelles sont les lois qui déplacent la vitalité artistique, et pourquoi Dieu dépouille les nations quelquefois pour un temps, quelquefois pour toujours ; je me contente de constater un fait très-fréquent dans l’histoire.

139. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Aucune peine ne l’affligeant, son visage était simple et uni, et le rire qui agite maintenant les nations ne déformait point les traits de sa face. […] Comparant, ainsi que nous en avons le droit, l’humanité à l’homme, nous voyons que les nations primitives, ainsi que Virginie, ne conçoivent pas la caricature et n’ont pas de comédies (les livres sacrés, à quelques nations qu’ils appartiennent, ne rient jamais), et que, s’avançant peu à peu vers les pics nébuleux de l’intelligence, ou se penchant sur les fournaises ténébreuses de la métaphysique, les nations se mettent à rire diaboliquement du rire de Melmoth ; et, enfin, que si dans ces mêmes nations ultra-civilisées, une intelligence, poussée par une ambition supérieure, veut franchir les limites de l’orgueil mondain et s’élancer hardiment vers la poésie pure, dans cette poésie, limpide et profonde comme la nature, le rire fera défaut comme dans l’âme du Sage. Comme le comique est signe de supériorité ou de croyance à sa propre supériorité, il est naturel de croire qu’avant qu’elles aient atteint la purification absolue promise par certains prophètes mystiques, les nations verront s’augmenter en elles les motifs de comique à mesure que s’accroîtra leur supériorité. […] Je vais essayer de donner des exemples choisis de comique absolu et significatif, et de caractériser brièvement l’esprit comique propre à quelques nations principalement artistes, avant d’arriver à la partie où je veux discuter et analyser plus longuement le talent des hommes qui en ont fait leur étude et leur existence.

140. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Il retrouva la grâce, la légèreté qui sont inséparables de notre nation, et la philosophie qui naissait pour suppléer à tout ce que nous perdions. […] Je suis déjà entièrement de votre avis sur ce que vous dites qu’il n’est pas possible que différents peuples se soient accordés dans les mêmes méthodes, les mêmes connaissances, les mêmes fables et les mêmes superstitions, si tout cela n’a pas été puisé chez une nation primitive qui a enseigné et égaré le reste de la terre. Or il y a longtemps que j’ai regardé l’ancienne dynastie des brachmanes comme cette nation primitive. […] Quand je trouverai chez un peuple une connaissance qui n’aura été précédée d’aucun germe, ni suivie d’aucuns fruits, je dirai que cette connaissance a été transplantée et quelle appartient à une nation plus avancée et plus mûre. […] Les yeux se tournaient sans cesse vers cette première patrie ; et lorsque la jeunesse eut produit une génération nouvelle, on en parlait à ses enfants, on leur peignait, on leur exagérait sans doute tout ce qu’ils avaient perdu… Et Bailly arrive à conclure que l’âge d’or, cette fable séduisante, n’est que le « souvenir conservé d’une patrie abandonnée, mais toujours chère » : « Les nations où ce souvenir se retrouve ont été transplantées ; ce sont des colonies d’une nation plus ancienne. » Tout ceci est ingénieux, sinon évident ; et Bailly, pour le dire, a deviné quelques-uns des tons de Bernardin de Saint-Pierre, à une date ou ce dernier n’avait encore publié aucun de ses grands ouvrages.

141. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Les jugements de M. de Muralt, qui atteignent l’Angleterre dans toute sa crudité sous Guillaume et avant qu’elle ait eu le temps de se polir sous la reine Anne, grâce aux Pope et aux Addison, demeurent d’une singulière et parfaite justesse, et vont au fond du caractère de la nation. […] C’est encore ce qui lui a donné lieu à se jeter sur des matières générales plutôt que sur les défauts de sa nation, et par cet endroit aussi bien que par son caractère d’esprit, il ne fait pas aux Français tout le bien qu’un poète satirique pouvait leur faire. […] Il y a un corps d’hommes choisis entre tous les gens d’esprit, entre les plus fameux écrivains de la nation, et qui en prend même le nom comme par excellence, un corps voué à la pureté du discours et à l’éloquence, et qui, par sa supériorité d’esprit, impose aux autres et les règle. […] Ceux qui louent recevront à leur tour la louange qu’ils ont donnée à d’autres, et ces hommes habiles et placés comme à la tête de la nation française l’entretiendront sans doute dans l’habitude qu’elle s’est faite de louer et de faire consister dans la louange l’action la plus noble de l’esprit humain. […] [1re éd.] comme à ce qu’il y a de plus conforme au génie de la nation.

142. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

« Ne revoyez jamais, dit Hoffmann, la beauté qui fut votre premier idéal dans la jeunesse. » Faut-il dire cela également des nations ? […] Les nations, comme les hommes, n’ont que d’illustres moments ; aux jours de gloire et de grandeur morale qui méritent et obtiennent le triomphe, succèdent des journées monotones que le bon sens et une juste politique pratique doivent, sous peine de déchet, occuper tout entières et remplir. […] Il y en a cependant quelques-uns de braves ; et tous sont beaux, ressemblant beaucoup au buste d’Alcibiade. » Il répète plus d’une fois qu’il les trouve inférieurs aux Turcs, « cette ruine vigoureuse d’une grande nation. » Le mot n’est pas de lui, mais mériterait d’en être. […] Les nations, pour se former, pour sortir de l’état social élémentaire et pour s’élever dans la civilisation et dans la puissance, ont besoin de tels hommes ; quand elles se sont défaites et qu’elles sont restées, des siècles durant, en dissolution et en déconfiture, elles en ont également besoin pour se reformer, et rien n’en saurait tenir lieu : elles languissent et traînent, ou s’agitent vainement, jusqu’à ce qu’elles aient trouvé cet homme-là. […] Il y a, me dit-on, en Italie à cette heure, à défaut d’un grand ministre dirigeant, une épidémie de bon sens et de sens commun dans toute ]a nation : heureuse et vraiment merveilleuse affection des esprits, qui suppose un peuple de rare qualité et déjà mûr !

143. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

comment se peut-il que les nations n’y soient jamais restées fidèles, et que le génie seul en ait accompli les conditions ? […] Les nobles donc, placés entre la nation et le monarque, entre leur existence politique et l’intérêt général, obtiennent difficilement de la gloire ailleurs que dans les armées. […] Les amis peuvent si aisément attribuer à la bonté de leur âme l’exagération de leur enthousiasme, à l’oubli qu’on a fait de leurs conseils, les derniers revers qu’on a éprouvés ; il y a tant de manières de se louer en abandonnant son ami, que les plus légères difficultés décident à prendre ce parti ; mais la haine, dès ses premiers pas, engagée sans retour, se livre à toutes les ressources des situations désespérées ; de ses situations dont les nations, comme les individus, échappent presque toujours, parce que l’homme faible même ne voit alors de secours possible que dans l’exercice du courage. […] Les soldats jugent leur général, la nation ses administrateurs : quiconque a besoin du suffrage des autres, a mis, tout à la fois, sa vie sous la puissance du calcul et du hasard, de manière que le travail du calcul, ne peut lui répondre des chances du hasard, et que les chances du hasard, ne peuvent le dispenser du travail du calcul. […] Le spectacle de la France a rendu ces observations plus sensibles ; mais, dans tous les temps, l’amant de la gloire a été soumis au joug démocratique ; c’est de la nation seule qu’il recevait ses pouvoirs ; c’est par son élection qu’il obtenait sa couronne ; et quels que fussent ses droits à la porter, quand le peuple retirait ses suffrages au génie, il pouvait protester, mais il ne régnait plus.

144. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Examinons donc quel style doit convenir à des écrivains philosophes, et chez une nation libre. […] Il faut connaître leurs défauts, tantôt les ménager, tantôt les dominer ; mais se bien garder de cet amour-propre qui, accusant une nation plutôt que soi-même, ne veut pas prendre l’opinion générale pour juge suprême du talent. […] Que de vertus, en effet, l’amour d’une nation libre pour son premier magistrat ne suppose-t-il pas ! […] J’oserai dire que mon père est le premier, et jusqu’à présent le plus parfait modèle de l’art d’écrire, pour les hommes publics, de ce talent d’en appeler à l’opinion, de s’aider de son secours pour soutenir le gouvernement, de ranimer dans le cœur des hommes les principes de la morale, puissance dont les magistrats doivent se regarder comme les représentai, puissance qui leur donne seule le droit de demander à la nation des sacrifices. […] Dans les états où la loi despotique frappe silencieusement sur les têtes, la considération appartient précisément à ce silence, qui laisse tout supposer au gré de la crainte ou de l’espoir ; mais quand le gouvernement entre avec la nation dans l’examen de ses intérêts, la noblesse et la simplicité des expressions qu’il emploie peuvent seules lui valoir la confiance nationale.

145. (1890) L’avenir de la science « Préface »

L’état actuel de l’humanité, par exemple, exige le maintien des nations, qui sont des établissements extrêmement lourds à porter. […] Les nations modernes ressemblent aux héros, écrasés par leur armure, du tombeau de Maximilien à Innsbruck, corps rachitiques sous des mailles de fer. […] Il est devenu trop clair, en effet, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient, et puis il arrive d’ordinaire qu’une génération fait peu de cas de ce pour quoi la génération précédente a donné sa vie. […] Entre les deux objectifs de la politique, grandeur des nations, bien-être des individus, on choisit par intérêt ou par passion. […] Les autres nations ne sont pas plus éclairées.

146. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

Rien ne seroit donc plus déraisonnable que de s’appuïer du suffrage des siecles et des nations pour prouver la solidité d’un systême de philosophie, et pour soutenir que la vogue où il est durera toujours, mais il est sensé de s’appuïer du suffrage des siecles et des nations pour prouver l’excellence d’un poëme, et pour soutenir qu’il sera toujours admiré. […] Depuis l’établissement des nouveaux peuples qui habitent aujourd’hui l’Europe, aucune nation n’a préferé aux ouvrages de ces poëtes anciens, les poëmes composez en sa propre langue. […] Voudroit-on supposer que tous les habiles gens qui vivent ou qui ont vécu depuis que ces nations se sont polies aïent conspiré de mentir au désavantage de leurs concitoïens, dont la plûpart morts dès long-temps ne leur étoient connus que par leurs ouvrages, et cela pour faire honneur à des auteurs grecs et romains, qui n’étoient pas en état de leur sçavoir gré de cette prévarication. […] Quintilien n’avoit pas calculé les bévûës ni discuté en détail les fautes réelles et les fautes rélatives des écrivains, dont il a porté un jugement adopté par les siecles et par les nations.

147. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Il l’étendit même à toutes les vanités et à tous les plaisirs qui peuvent entrer dans l’existence d’une nation. […] C’est par cette distinction des genres et des tons que notre littérature acquit la pureté qui fit sa force et son élévation, et qui la distingua si honorablement de celle des autres nations. […] La raison de cette différence est que la littérature d’une nation est l’expression de ses mœurs. […] Mais renfermer l’espace accordé à une pièce de théâtre en du temps, en un lieu, c’est imposer une sujétion qui se conçoit mieux dans la littérature d’une nation alignée et symétrisée par des habitudes de respect que dans celle d’un peuple moins ordonné et à qui il prendrait de fréquents accès d’anarchie.

148. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Il n’est qu’une nation dans l’univers à laquelle puissent convenir dès à présent quelques-unes de ces réflexions : ce sont les Américains. […] J’ai essayé de démontrer comment la démocratie de la Grèce, l’aristocratie de Rome, le paganisme des deux nations donnèrent un caractère différent aux beaux-arts et à la philosophie, comment la férocité du Nord se mêlant à l’avilissement du Midi, l’un et l’autre, modifiés par la religion chrétienne, ont été les principales causes de l’état des esprits dans le moyen âge. […] Un jour peut-être ces idées seront appliquées aux institutions avec plus de maturité ; mais en attendant, les facultés de l’esprit pourront du moins avoir une direction utile ; elles serviront encore à la gloire de la nation.

149. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Une nation entière, Angles et Saxons, a détruit, chassé ou asservi les anciens habitants, effacé la culture romaine, s’est établie seule et pure, et n’a trouvé parmi les derniers ravageurs danois qu’une recrue nouvelle et du même sang. […] Voilà donc que peu à peu la nation anglaise, enfoncée sous terre par la conquête comme par un coup de masse, se dégage et se relève ; cinq cents ans et davantage s’emploient à ce redressement. […] Il en est ainsi des autres nations. […] Il s’enrichit par le travail, et, sous le premier Stuart, il occupe déjà la plus grande place dans la nation. […] La religion ne reste pas en dehors et au-dessous de la culture publique ; les jeunes gens, les hommes instruits, l’élite de la nation, toute la haute classe et la classe moyenne y demeurent attachés.

150. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

S’il y a pour nous une notion dépassée, c’est celle des nations se succédant l’une à l’autre, parcourant les mêmes périodes pour mourir à leur tour, puis revivre sous d’autres noms, et recommencer ainsi sans cesse le même rêve. […] Il plane sur les écrits de cette nation je ne sais quelle suave médiocrité. […] Ce nom lui-même est un mensonge ; ce n’est pas lui, c’est la nation, c’est l’humanité, travaillant à un point du temps et de l’espace, qui est le véritable auteur. […] Il en était de même de la plupart de nos légendes héroïques, avant que, répudiées par la partie cultivée de la nation, elles fussent allées s’encanailler dans la Bibliothèque bleue. […] La littérature va dévorant ses formes à mesure qu’elle les épuise ; elle doit toujours être contemporaine à la nation.

151. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

Le Portugal délivré de ses oppresseurs avec tant de courage et d’activité ; une révolution durable et complètement faite en quelques heures ; une seule victime, Vasconcellos ; la multitude agissante, et soudain le calme rendu à cette multitude redevenue corps de nation : tout cela ne paraissait guère susceptible de ridicule. La duchesse de Bragance, qui parut si digne du trône que son époux lui dut en partie ; le brave Almeida, véritable chef de l’entreprise, et qui, bien plus que Pinto, en détermina le succès ; le cardinal de Richelieu la favorisait de loin, non pour servir la nation portugaise, mais pour affaiblir la monarchie espagnole ; des noms, des caractères, des motifs, des résultats d’un tel ordre, étaient dignes de la tragédie. […] Il étudia et partagea, en souriant parfois, les mœurs de cette époque du Directoire qui est après Robespierre ce que la Régence est après Louis XIV ; le tumulte joyeux d’une nation intelligente échappée à l’ennui ou à la peur ; l’esprit, la gaîté et la licence protestant par une orgie, ici, contre la tristesse d’un despotisme dévot, là, contre l’abrutissement d’une tyrannie puritaine.

152. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Le sujet qui renferme les principaux évenemens de l’histoire d’un certain peuple est plus interessant pour ce peuple-là, que pour une autre nation. […] Tel est l’interêt que prend une nation au poëme qui décrit les principaux évenemens de son histoire, et qui parle des villes, des fleuves et des édifices sans cesse présens à ses yeux. […] Il est vrai que toutes les nations de l’Europe lisent encore l’éneïde de Virgile avec un plaisir infini, quoique les objets que ce poëme décrit ne soïent plus sous leurs yeux, et quoiqu’elles ne prennent pas le même interêt à la fondation de l’empire romain que les contemporains de Virgile, dont les plus considerables se disoient encore descendus des heros qu’il chante.

153. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

Pour mieux défendre leurs propres intérêts, ils ont défendu les intérêts des autres, et, après avoir été les représentants de leurs pareils, ils sont devenus les représentants de la nation. — Rien de semblable en France. […] Du bas en haut de l’échelle, les pouvoirs légaux ou moraux qui devraient représenter la nation ne représentent qu’eux-mêmes, et chacun d’eux s’emploie pour soi au détriment de la nation  À défaut du droit de s’assembler et de voter, la noblesse a son influence, et, pour savoir comment elle en use, il suffit de lire les édits de l’almanach. […] Ayant oublié le public, elle néglige par surcroît ses subordonnés ; après s’être séparée de la nation, elle se sépare de sa suite. […] Non seulement, par la tradition du moyen âge, il est commandant-propriétaire des Français et de la France, mais encore, par la théorie des légistes, il est, comme César, l’unique et perpétuel représentant de la nation, et, par la doctrine des théologiens, il est, comme David, le délégué sacré et spécial de Dieu lui-même. […] Toute requête, dans laquelle les intérêts d’une province ou ceux de la nation entière sont stipulés, est regardée comme une témérité punissable si elle est signée d’un seul particulier, et comme une association illicite si elle est signée de plusieurs. » (Malesherbes, ibid.

154. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Les sujets de ces poésies sont, outre ces circonstances solennelles, des imitations, soit de Pétrarque, soit des imitateurs de Pétrarque ; des traits d’esprit de société, reproduits et quelquefois délayés en quatre, six, dix, onze ou douze vers ; quelques pensées amoureuses, avec ce tour de galanterie propre à notre nation. […] Nous ne pouvons imiter des anciens que les vérités générales, qu’on n’imite pas, mais que chaque grande nation exprime à son tour dans la langue de son pays. […] L’imitation des littératures étrangères ne réussit à aucune nation. […] Donnez en cette Grècementeresse, et y semez, encore un coup, la fameuse nation des Gallo-Grecs. […] On eût dit des barbares, vainqueurs d’une nation civilisée, qui adaptaient à leur grossier vêtement de guerre quelque lambeau du brillant costume des vaincus.

155. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Déjà entre toutes les nations de l’Europe existe un lien incontestable et qui peut faire espérer cette harmonie finale. […] C’est ainsi que notre civilisation européenne semble aujourd’hui païenne bien plus que chrétienne ; n’en est-ce point une preuve, cette nécessité pour les deux nations de ne pouvoir arriver à l’harmonie qu’à travers les carnages de batailles cruelles ? […] En ce que, s’ils diffèrent par la famille, la maison, la nation, ils sont au moins sortis d’une race commune. […] Ce n’est donc point du sang allemand, du sang de Factuelle nation allemande que nous parlons lorsque nous disons que le peuple franc de la Gaule est de race germanique. […] Car il importe singulièrement que dans son chemin vers la fraternité idéale des nations, l’esprit Aryen ne parle plus seulement la langue de la littérature, mais qu’il s’exprime dans l’œuvre d’art vivante du drame, du drame musical.

156. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Il était en horreur à la majorité de la nation. […] La masse de la nation, l’immense majorité de la nation n’en a pas été touchée. […] Après avoir été la nation mégalomane, la France est devenue la nation, non seulement prudente, en quoi elle aurait bien raison, mais timorée et parlant bas. […] » J’entends bien : une nation comme l’Angleterre ou la Hollande, une nation distincte de son gouvernement et ayant réellement une vie propre en dehors de ceux qui la régissent. C’est cela que vous appelez une nation.

157. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Cela devient nécessaire partout, mais cela est surtout profitable quand il s’agit — comme ici, par exemple, — de nations lointaines et stationnaires, que le temps agite et ronge sur place, tout en ayant l’air de les conserver. […] Il y a certainement des damnées parmi les nations. […] Pourquoi la Chine, la Chine abîmée de vices et de vieillesse, la Chine corrompue et d’une corruption auprès de laquelle toutes les dépravations de l’Europe sont des innocences, la Chine, indifférente à toute doctrine religieuse, quoiqu’elle ait joué avec les nôtres comme un enfant curieux et pervers, ne serait-elle pas une de ces nations ? […] Une pareille pensée pourrait décourager d’autres hommes que nos missionnaires ; mais qu’importent les données de l’histoire, qu’importe la réalité humaine, et, dans un certain sens, le châtiment de Dieu sur des nations visiblement condamnées, à ces apôtres qui prêchent la folie de la croix et qui savent espérer contre toute espérance, spem contra spem !

158. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Les nations vaincues avaient aussi possédé ces droits au temps de leur indépendance. — Enfin vient la monarchie, et Antonin veut faire une seule Rome de tout le monde romain. […] Le droit naturel des nations, appliqué et autorisé dans les provinces par les préteurs romains, finit, avec le temps, par gouverner Rome elle-même. […] La force est un mot abstrait, la main est chose sensible, et chez toutes les nations elle a signifié la puissance 109. […] On jugera aussi si l’un a eu raison de croire jusqu’ici que Tarquin l’Ancien prétendit donner aux nations dans la formule dont nous venons de parler, un modèle pour les cas semblables. — Ainsi le droit des gens héroïques du Latium resta gravé dans ce titre de la loi des douze tables : si quis nexum faciet mancipiumque uti lingua nuncupassit ita jus esto .

159. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

La Bruyère seul découvre et raisonne à neuf… Ce qui caractérise les écrivains anglais, et toute cette nation si approfondissante, si réfléchissante, c’est un grand sens en tout. […] Oui, cette nation va bien loin, à force de liberté en tout. […] Il a sur notre nation et sur notre caractère des observations très originales, et s’il dit des vérités aux autres peuples, il nous en adresse assez à nous-mêmes les jours d’éloges, pour qu’on puisse tout citer sans faire de jaloux : On ne le croirait pas, dit-il, la nation française est, des nations de l’Europe, celle dont les peuples ont communément plus de jugement mêlé avec le plus d’esprit. […] Vous ne le croiriez pas, les Anglais, ces grands approfondisseurs, manquent totalement de jugement… Ici il est près de passer d’un extrême à l’autre dans l’expression, comme il arrive lorsqu’on écrit tout entier sous l’impression du moment ; mais, en continuant, il va toucher de main de maître un défaut que nous savons très bien combiner avec l’inconstance, celui d’être routiniers et dociles à l’excès pour les autorités que nous avons adoptées une fois et les admirations que nous nous sommes imposées : Pour nous frivoles, jolis, légers, nous avons tout, mais nous nous tenons à trop peu de chose ; notre inconstance est notre seul tort, elle nous emporte si bien qu’elle nous dégoûte de nous-mêmes plus que de personne, et nous lasse de nos propres idées au lieu de nous plonger dans l’admiration de nous-mêmes comme ces vaniteux Espagnols et Portugais ; nous avons une docilité d’enfants qui nous rend disciples et admirateurs des autres nations du monde. […] Ce roi corrompu ne veut pas même laisser à sa nation sa vertu unique et dernière, et il la flétrit.

160. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Par ce vote l’Assemblée engageait la nation dans la voix la plus néfaste qu’elle pût suivre. […] La majorité de la Chambre se serait inévitablement soulevée contre une pareille offense à la nation et aurait abandonné le vœu à la seule approbation des sectaires catholiques de France. Dire que la nation française, par le vote de ses représentants, a sanctionné le « Vœu national », c’est un mensonge formel, puisque ceux-ci n’ont pas été sollicités sur ce « Vœu ». […] N’est-il pas profondément humiliant de voir la pensée de la nation s’associer à un symbole de caractère aussi anti-social ? Est-il d’utilité publique que la nation française, dont la constitution est de base purement laïque, je le répète, se voue au cœur de Jésus et à la protection du Saint-Siège ?‌

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