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1792. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Et tandis que tous les autres prédicateurs s’efforcent d’ôter à Madeleine le vivant caractère d’une figure historique pour la réduire, dès le début du discours, à n’être que le modèle et le symbole, ou même l’allégorie de la pénitence, lui, s’efforce, au contraire, de préciser les traits, d’animer la personne, de lui donner une voix, un corps, et des sens. […] On trouve dans ses Sermons quelques remarquables exemples de ce que l’on pourrait appeler l’intervention de l’homme dans la leçon du prédicateur : « Ô vous qui m’écoutez et que ce discours regarde, rentrez en vous-mêmes. » Il semble que la voix du prédicateur qui veut gagner des âmes vibre encore dans ces sortes d’exclamations. […] Je vous reçus entre mes bras du sein de votre mère, et vous levant vers le ciel, et mêlant ma voix à vos cris, je dis à Dieu : ‟Ô Dieu ! […] Rousseau seul encore ici, je dois le dire, fait exception et laisse aux journalistes la même liberté qu’il réclame ; les autres n’admettent pas qu’on discute seulement leurs œuvres, et qu’une voix discordante vienne troubler le concert d’éloges convenus auxquels ils sont accoutumés. […] L’un des hommes qui paraîtraient avoir exercé sur Galiani le plus d’influence, directement ou indirectement, et quoique sa voix, mal écoutée de ses compatriotes, ne dût prendre quelque autorité que de nos jours seulement, c’est l’auteur de la Scienza nuova, l’illustre Jean-Baptiste Vico.

1793. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

A main gauche est la grande église, qui est très ancienne : c’est Charlemagne qui la fit faire, et l’archevêque Turpin y a dit la messe… Devant le grand autel il y a une grande et forte grille de fer, très élevée, au haut de laquelle est attaché le cor de Roland, de la longueur d’environ. deux brasses ; il est tout d’une pièce, et il a une fente du côté par où sort la voix, laquelle fente on dit qu’il fit à l’heure où, sur la cime des Pyrénées, il sonna pour appeler Charlemagne, qui était campé à Saint-Jean-Pied-de-Port, attendant Roland, qui était allé réclamer le tribut de Marsile, roi d’Aragon7. […] Il racontait même qu’il avait guidé un jour dans le souterrain deux Allemands, et que ceux-ci, arrivés aux portes de métal, jugeant que ce péril n’était pas plus réel que les autres, lui avaient dit de les attendre et qu’ils essaieraient de passer ; qu’ils avaient passé en effet sans encombre, mais qu’ils n’étaient pas revenus, en sorte que « de nulle chose qui soit au-delà des portes de métal ne se trouve nul qui le sache, fors par commune renommée et par voix générale des gens du pays, qui en devisent à leurs volontés, et en disent des choses qui sont assez fors à croire, bien que je les aie entendu raconter en d’autres pays, mais non avec autant de détail ». […] Il croyait sentir en lui l’âme germanique des anciens temps, et il rêvait de lui donner une pleine conscience d’elle-même, de remplacer par une voix claire et puissante le naïf et mystérieux bégaiement de son enfance. […] Wagner a, autrement encore, remanié la légende : il n’a pas laissé s’accomplir le retour désespéré de Tannhäuser ; il l’a remplacé par un dénouement édifiant, où la religion, l’amour et la pureté d’âme triomphent des forces de l’enfer ; la dissonance tragique et douloureuse qui terminait le vieux chant s’est transformée en un accord céleste, où les voix des anges font taire les derniers appels des démons. […] Comment donc ne pas s’indigner en voyant ce beau verger, où un oiseau si merveilleux faisait entendre sa douce, voix, aux mains d’un vilain, nécessairement sot, grossier, cupide, et incapable de rien comprendre à ce qui aurait pu charmer des yeux et des oreilles plus dignes ?

1794. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Que de fois ne nous est-il pas arrivé, seuls en face de nous-mêmes, de ne pouvoir nous retrouver, de ne pouvoir nous ressaisir, ni en ouvrant un livre, ni en contemplant une œuvre d’art, tableau ou sculpture, ni en nous plaçant devant un beau spectacle de la nature, ni même en écoutant une voix amie nous parler ? […] Il nous le montre prêtant un langage à tout ce qui, avant lui, était resté muet dans la nature, pénétrant au fond des phénomènes de l’aurore, de la forêt qui bruit, du nuage qui passe, de la colline qui s’éclaire des rayons du soleil, de la nuit qui rêve aux pâles rayons de la lune, découvrant partout le désir secret des éléments d’avoir une voix et leur donnant cette voix qu’ils cherchaient. […] Schumann, fuyant dans la « Suisse saxonne » de son âme, tenant à la fois de Werther et de Jean-Paul, nullement de Beethoven, certainement pas de Byron, — sa musique de Manfred est jusqu’à l’injustice une erreur et un malentendu, — Schumann avec son goût, qui était au fond un goût mesquin (c’est-à-dire un penchant dangereux, doublement dangereux parmi les Allemands, au lyrisme silencieux et à l’attendrissement d’ivrogne), sans cesse à l’écart, se dérobant et se retirant, noble, efféminé, ivre de bonheur et de douleur anonyme, dès le début une sorte de petite fille et de noli me tangere, — ce Schumann n’était déjà plus qu’un événement allemand dans la musique, non plus un événement européen comme le fut Beethoven, comme le fut Mozart dans une plus grande mesure encore ; avec lui, la musique allemande est menacée du plus grand danger, celui de perdre les accents de l’âme européenne pour ne plus être que la voix d’une étroitesse nationale. » Le morceau est vraiment intéressant, mieux que cela : profond, abstraction faite de la tournure paradoxale et de la rigueur excessive des conclusions. […] C’est seulement, en effet, à la fin du xvie  siècle que nous voyons l’harmonie définitivement établie sur des bases solides, correspondant à une série de principes certains et désormais intangibles, et que, parallèlement, tout l’admirable ensemble des engins sonores, appelés à concourir avec la voix humaine, se trouve achevé et porté à un degré de perfection auquel on n’a guère ajouté.

1795. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

  Ce n’est donc point dans ces cotteries Littéraires, auxquelles l’envie, la malignité & la jalousie président tour-à-tour ; moins encore dans ces cercles brillans, que la curiosité, le désœuvrement & l’ennui rassemblent, dont le bel-esprit & la frivolité sont les Divinités tutélaires, où l’on parle beaucoup sans rien dire, & où l’on juge de tout sans rien savoir, où la fatuité daigne à peine écouter, où la prétention élève la voix, où la sottise s’extasie, & la minauderie décide en faisant des nœuds ; c’est dans le silence du cabinet, qu’un Auteur, jaloux de sa renommée, doit chercher un Aristarque. […] A peine la critique ose-t-elle élever la voix, qu’elle irrite la bile des Auteurs, arme la calomnie, produit les haines & les inimitiés les plus cruelles.

1796. (1920) Action, n° 2, mars 1920

— Amour, c’est un chant que ta voix ! […] Un lutte sera donc engagée entre la femme et « l’ordre », Magdeleine Marx a croisé le fer : la voix du sang, l’amour unique, les fadaises lunaires, le dévouement absolu, elle a aboli tout cela.

1797. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Sans doute, quelques irréguliers ou, comme on les appelle encore, de nombreux « libertins », font entendre une voix discordante. […] Mais lui-même, dit-on, n’a-t-il pas exprimé le désir que, pour achever, pour couronner son œuvre pacificatrice, une voix autorisée réconciliât la religion même avec le monde ? […] En un mot, la vérité perdrait hautement sa cause, si elle était décidée à la pluralité des voix… La justice, la raison, la prudence sont du côté du petit nombre en cent occasions et tel, qui est seul de son avis, opine plus sagement que tout le reste de la compagnie… Et si vous exceptez les choses qui concernent le gouvernement, parce qu’il n’a pas été possible de se servir de la méthode de peser les voix et non pas de les compter, vous trouverez que rien n’oblige à se soumettre à l’autorité du grand nombre, et qu’on doit prendre l’autre parti, dans les matières historiques ou philosophiques, si la raison le demande, et dans les matières de religion, si la conscience le veut. » (Continuation des Pensées diverses, édition de 1727, p. 193, 191, 195.) […] Genre de traduction nouvelle des faits par les faits, des faits savants par les faits vulgaires ; et, tandis que ces analogies et ces traductions, mieux encore que les télescopes, ouvrent à notre vue l’immensité des cieux, les cieux abaissés, pour ainsi dire, à la voix de Fontenelle, exécutent devant lui leurs mouvements et leurs lois, comme la pendule de sa cheminée, dont il touche tous les ressorts. […] C’est elle également que Voltaire a nichée dans un coin de sa Pucelle : Hors de ses sens, de honte dépouillée, Telle autrefois, d’une loge grillée, Madame Audou, dont l’Amour prit le cœur, Lorgnait Baron, cet immortel acteur, D’un œil ardent dévorait sa figure, Son beau maintien, ses gestes, sa parure, Mêlait tout bas sa voix à ses accents Et recevait l’amour par tous ses sens.

1798. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Je n’ai pas connu Bonaparte, autrement que dans les propos de Roederer (qui rendent jusqu’au son de sa voix), mais j’ai bien connu Frédéric Masson, hargneux et falot, avec sa grosse tête sans cervelle, ses moustaches retombantes, sa voussure dorsale, ses humeurs pittoresques de mauvais chien, son incompréhension totale et envieuse de la grandeur vraie, et sa curieuse compréhension de certaines tares et de certains maux. […] Cela, jusqu’à l’extrémité des terres habitées : « Mon imagination est morte à Saint-Jean-d’Acre. » En outre, Napoléon Ier possédait ce don de fascination, tenant à l’allure, à la voix, à la corporéité et aussi à l’irradiation nerveuse qui, rendant la résistance d’autrui difficile, ne laisse plus subsister, comme obstacles, que les chocs en retour de la réalité meurtrie et irritée. […] Louis XVI, qui a ouvert le XIXe siècle, en lui laissant sa tête comme otage, Nicolas II de Russie qui l’a fermé, dans des circonstances presque semblables, ont eu tort de ne pas écouter Machiavel, d’écouter les voix stupides du libéralisme meurtrier. […] Il ne s’intéresse qu’aux voix, et au nombre de ces voix. […] Les fidèles adeptes de la Broca-Charcot entendaient des voix mystérieuses qui murmuraient : « C’est une chimère.

1799. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Face à face et de vive voix, il valait moins qu’avec la plume (je ne parle pas de la conversation privée, où il était fort aimable).

1800. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

M. de Talleyrand, d’une voix grave (car il l’avait très forte et à remplir la salle), répondit qu’il aimait mieux commencer aussitôt.

1801. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Que si, sous sa forme purement folâtre et dans la voix bruyante de l’ivresse, elle est moins faite pour séduire les âmes délicates et tendres, elle prend parfois aussi des accents d’une telle richesse, d’une folie si éclatante et si sincère, qu’elle a force de poésie à son tour, et que, bon gré mal gré, elle entraîne.

1802. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Vous voyez bien que c’est un rêve plus aisé à déclamer qu’à reconstruire ; vous voyez bien que, pour reconstruire ce rêve de l’empire maritime, territorial et aristocratique de Venise, Il faudrait d’abord que l’Angleterre ne fût pas née, et n’eût pas succédé à Venise dans la monarchie navale et commerciale du monde ; Il faudrait que la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance n’eût pas été découverte ; Il faudrait que l’Amérique elle-même ne fût pas sortie des flots à la voix de Colomb, et que ce continent n’eût pas créé un échange nouveau et immense entre les deux mondes, un déplacement de la Méditerranée à l’Océan ; Il faudrait que l’Angleterre ne possédât ni Corfou, ni Malte, ni Gibraltar ; que la France ne possédât ni Toulon ni Marseille ; que Constantinople ne possédât ni les Dardanelles ni le Bosphore ; il faudrait enfin que l’Allemagne, devenue puissance navale et commerciale à son tour, n’eût pas créé Trieste, ou qu’elle y renonçât pour complaire à l’ombre de Venise ; il faudrait que l’Allemagne ne possédât pas dans Trieste le débouché nécessaire à l’écoulement des produits de soixante millions d’hommes germains, en rapports de plus en plus étroits avec tout l’Orient ; Il faudrait que l’Allemagne consentît à se laisser murer dans ses terres au fond du golfe Adriatique, par une nouvelle Venise qui lui en fermerait les flots.

1803. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

C’est de tous côtés, de tous les arbres, des voix d’oiseaux, et mon charmant musicien, le rossignol de l’autre soir, chantant encore près du noyer du jardin.

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