Yeldis est une jeune femme dont le vieux mari eut l’heur de mourir. […] Vingt années durant, cet horizon a été le sien : une ville de province silencieuse et morne, ville de couvents et de béguinage, aux rues presque désertes, dont les passants sont des séminaristes, des religieuses en cornette et de vieilles femmes : on ne voit jamais tant de vieilles femmes, selon la remarque du poète, que dans les vieilles villes. […] Les regards des vieux portraits véritablement suivent des spectacles en allés. […] Les refrains des vieilles chansons ne veulent rien dire et ils nous bercent doucement. […] Y aurait-il encore des poètes pour bercer de leurs chants la vieille humanité ?
Du calme : « Il faut apaiser mon vieux cœur, trop prompt à bondir. […] Joze, vieux combattant de l’autre guerre ? […] Quasi vieux, il reste jeune. […] On va te démolir, vieille maison. […] Adieu, vieille boîte à beaux jours, adieu !
On employait de vieux mots, des locutions rudes ou enchevêtrées : on disait un affaire pour une affaire ; on y prononçait autrement qu’à la Cour : tandis qu’à la Cour ou dans les Cercles polis, on prononçait Je faisais comme avec un a, au Palais on prononçait Je faisois à pleine bouche comme avec un o. […] Chapelain aurait voulu, par respect pour l’étymologie, qu’on gardât la vieille orthographe de Charactère, Cholère, avec ch, et qu’on laissât l’écriture hérissée de ces lettres capables de dérouter à tout moment et d’égarer en ce qui est de la prononciation courante. […] Dupleix, dans cette plaidoirie de l’autre monde, ne fait que reprendre, à trente ans de distance, le rôle que la vieille demoiselle de Gournay avait tenu dans ses querelles contre l’école de Malherbe : ce sont là des revenants ou des sibylles, des caricatures, des demeurants d’un autre âge, qui apparaissent tout affublés à la vieille mode et font rire, même quand ils ont des lueurs de raison. Ce sont de vieux portraits de famille qui se décrochent, descendent du grenier avec leurs toiles d’araignée et se mettent à parler à tort et à travers.
Les plis de ce front de vieux nocher, la gravité de la tête du lion, l’amplitude des tempes triomphales ou rêveuses, ressortaient mieux dans l’immobilité. […] Voilà celle pourtant qui plus tard brillera si poétique et si belle, dont le front pâle se nuancera de toute sérieuse pensée, qu’il comparera muette et inclinée à un Génie funèbre, et qui sera pour lui la Muse, quand, dans une des promenades au grand mail, il lui parlera avec ravissement de la solitude, et qu’elle lui dira d’une voix de sœur qui admire : « Tu devrais peindre cela. » La grand’mère maternelle du chevalier habitait à l’Abbaye, hameau voisin de Plancoët, avec une vieille sœur non mariée, mademoiselle de Boisteilleul. Il y avait dans la maison d’à côté trois vieilles filles nobles qui venaient chaque après-midi faire la partie de quadrille, averties de l’heure précise par un double coup de pincettes que mademoiselle de Boisteilleul frappait sur la plaque de la cheminée. […] Si, dans le portrait de son père, M. de Chateaubriand n’a rien à envier aux Van Dyck, aux Velasquez et aux vieux maîtres espagnols ; si, dans le portrait de sa sœur enfant, il a égalé quelque jeune fille gauche et finement ingénue de Terburg, il n’est comparable en cet endroit qu’à la grâce exquise et familière de Wilkie. […] Mais la route, les grands chemins seulement, les rêves du poëte-ambassadeur, de Sterne-René, dans la vieille calèche autrefois construite à l’usage du prince de Talleyrand ; mais les paysages de Bohême, les conversations avec la lune où tous les souvenirs reviennent et se jouent, tantôt dans une moquerie légère, tantôt dans une ivresse voluptueuse qui ranime, comme sous des baisers, les plus chers fantômes ; mais Venise et la Zanzé de Pellico, et le Lido où l’enfant des mers salue avec amour ses vagues maternelles ; mais Ferrare, et la destinée du Tasse qu’il marie à la sienne, comme un poëme dans un poëme ; ce serait là matière à bien des réminiscences aussi, à bien des fuites sinueuses et des étincelles.
à mesure que diminue et s’efface le vieux fatalisme de climats et de races qui pesait sur l’homme antique, succède et grandit comme un fatalisme d’idées. […] L’artiste même, le poëte qui n’est tenu à nul système, mais qui réfléchit l’idée de son siècle, il a de sa plume de bronze inscrit la vieille cathédrale de ce mot sinistre : Anankê. […] Et pourtant ces souvenirs des commencements doivent être pleins de pureté et de charme, lorsque le prisonnier de Joux, jouissant d’une demi-liberté, venait à Pontarlier chez le vieux marquis de Mounier dont la maison lui était ouverte, lorsqu’il racontait devant lui et sa jeune femme les malheurs et les fautes qui l’avaient conduit là, et qu’elle, comme Desdemona aux récits d’Othello, comme Didon aux récits d’Énée, comme toutes les femmes qui écoutent longuement des exploits ou des malheurs, pleurait et l’aimait pour ce qu’il avait fait et subi, pour ce qu’il avait souffert. […] Il essaya à diverses reprises, mais sans suite et sans possibilité, de faire respecter le vieux chêne croulant, où l’un des premiers il avait mis la hache. […] Au combat de Cassano, en effet, sous M. de Vendôme, il avait été blessé à la défense d’un pont ; et l’armée ennemie lui avait passé sur le corps ; sa tête n’échappa que grâce à une marmite de fer que son vieux sergent Laprairie, en fuyant, lui avait jetée à tout hasard pour le protéger.
Depuis deux cents ans cette profession se transmettait par héritage dans la famille avec les humbles vertus, la piété, le sens et l’honneur des vieux temps. […] Philosophe à la mode et personnage célèbre, il eut toujours son bon père le forgeron, comme il disait, son frère l’abbé, sa sœur la ménagère, sa chère petite fille Angélique ; il parlait d’eux tous délicieusement ; il ne fut satisfait que lorsqu’il eut envoyé à Langres son ami Grimm embrasser son vieux père. […] Lui qui regretta plus tard si éloquemment sa vieille robe de chambre, combien davantage ne dut-il pas regretter cette redingote de peluche qui lui eût retracé toute sa vie de jeunesse, de misère et d’épreuves ! […] Tantôt, comme dans l’entretien avec la maréchale de Broglie, c’est un jeune Mexicain qui, las de son travail, se promène un jour au bord du grand Océan ; il voit une planche qui d’un bout trempe dans l’eau et de l’autre pose sur le rivage ; il s’y couche, et, bercé par la vague, rasant du regard l’espace infini, les contes de sa vieille grand’mère sur je ne sais quelle contrée située au-delà et peuplée d’habitants merveilleux lui repassent en idée comme de folles chimères ; il n’y peut croire, et cependant le sommeil vient avec le balancement et la rêverie, la planche se détache du rivage, le vent s’accroît, et voilà le jeune raisonneur embarqué. […] Sa vie bienfaisante, pleine de bons conseils et de bonnes œuvres, dut lui être d’un grand apaisement intérieur ; et toutefois peut-être, à de certains moments, il lui arrivait de se redire cette parole de son vieux père : « Mon fils, mon fils, c’est un bon oreiller que celui de la raison ; mais je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la religion et des lois. » — Il mourut en juillet 178491.
Il y a eu des degrés toutefois ; ce même Homère, de qui nous tenons l’adieu du vieux Pélée donnant à son fils cette royale leçon de prééminence et d’excellence généreuse, nous représente Achille dans sa tente, au moment où les envoyés des Grecs arrivent pour le fléchir, surpris par eux une lyre à la main et tandis qu’il s’enchante le cœur à célébrer la gloire des anciens héros. […] Le vieux rimeur n’a pas indiqué son larcin, il l’a même recouvert assez ingénument quand il traduit le Vidi Pœstano audere rosaria cultu, par ……. […] La rosée ajoutée aux roses par le vieux poëte français est une grâce de plus, que la rime seule peut-être lui a suggérée. […] Il y aurait avant tout à faire un travail philologique de révision ; car il est incroyable à quel point les textes de ces vieilles poésies se sont corrompus ; l’incorrection des copies ou des impressions s’est ajoutée à celle de la langue pour embrouiller le sens de certaines pièces, qui, bien rétablies, pourraient paraître ingénieuses. […] Pour le choix du bagage, on devrait être rigoureux, mais avec tact, et ne pas imiter ce compilateur21 qui, en introduisant Rémi Belleau, n’eut d’autre soin que d’omettre la pièce d’Avril, précisément la perle du vieux poëte ; il y a des faiseurs de bouquets qui ont la main heureuse !
Fauvel et les antiquaires européens, qui se souvenaient de son passage, attachaient à ses prétendues recherches dans leur domaine ; il ne cherchait que la renommée de savant en débris de toutes les antiquités, il commentait quelques textes de Spon ou des vieux voyageurs, et il passait à d’autres catacombes, rapportant de Jérusalem quelques bouteilles de l’eau du Jourdain, où les moines du couvent m’assurèrent qu’il n’avait même pas été. […] C’était le style affecté du vieux français mal ressuscité pour donner au français une apparence de naïveté par le cynisme. […] Il ne savait pas lui-même quel vent l’y poussait ; c’était le souffle du vieux monde ; c’était l’instinct mâle de la génération des choses cherchant comme la virginité des mers, des forêts, des solitudes pour y déposer la semence fécondante des langues mûres et rajeunies. […] Le vieux siècle expirant dans les convulsions s’étonne et se sent rajeuni. […] Alors tout se tait dans la vieille langue ; nul ne cherche à imiter l’inimitable ; les uns ricanent par envie, les autres pleurent par sympathie, tous s’émerveillent en écoutant ; la note grave est retrouvée dans les langues modernes, et ce jeune inconnu a sonné sans le savoir le sursaut du monde.
Il ne s’agit point de rétablir le latin, puisqu’il n’est pas supprimé pour ceux qui veulent en faire ; ce qu’il faudrait, c’est revenir aux vieilles humanités (latin-grec) jusqu’à la 1re incluse. […] Nos Purs, les vieilles barbes, les arrivistes et les métèques regarderont donc tout homme étudiant ou sachant le latin comme un être rétrograde, comme le plus sinistre des conspirateurs ! […] Dès le temps où nous usions nos culottes sur les bancs des plus fameux lycées de l’Alma Mater, — à cette époque, l’Université s’enorgueillissait encore de son vieux nom latin, — la décadence commençait. […] C’était le temps où l’on commençait à détruire la vieille Sorbonne pour édifier la somptueuse caserne universitaire que nous admirons aujourd’hui. […] À moins de posséder l’âme du pharisien, nous reconnaîtrons que toute notre tendresse instinctive envers la chère vieille langue ne nous assure pas toujours contre les fautes.
Je suis maintenant trop vieux pour changer, et d’ailleurs je suis content ; mais je croirais duper les jeunes gens en leur disant de faire de même. […] Je le répète, nos vieux maîtres chrétiens avaient là-dessus une règle excellente, qui est de ne jamais parler de soi, ni en bien, ni en mal. […] La civilité extrême de mes vieux maîtres m’avait laissé un si vif souvenir, que je n’ai jamais pu m’en détacher. […] La vieille politesse, en effet, n’est plus guère propre qu’à faire des dupes. […] J’ai le vieux volume de ma mère ; peut-être le décrirai-je un jour.
Il y a bien, ici et là, la touche étincelante, attendrie ou suave du vieux maître, mais elle est espacée à grands intervalles. […] si Proudhon avait vécu, ce vieux Proudhon qui n’était pas tendre et qui voulait qu’on ne volât que les autres, comme, d’un tour de bâton, il l’eût fait lever !! […] Seulement, le Christianisme peut bien rire, s’il veut, dans sa vieille barbe de pape, du balai de Michelet et de sa manière de s’en servir. […] Michelet regardait l’Étudiant, et avec juste raison, comme la matière de l’Histoire future, et il cherchait avec toutes les forces de son esprit à pétrir cette matière et à la préparer, pour l’Histoire et la gloire de l’Histoire… L’Histoire du passé cède donc la place à celle de l’avenir dans ce Cours de 1847, allumé, comme un phare sur des ténèbres, avec toutes les sécurités de la certitude, et qui, tel que le voilà à cette heure, n’est plus qu’une vieille lanterne éteinte et cassée, au pied du bâton qui la soutenait, renversé… Eh bien, c’est là, je le répète, ce qui est intéressant et instructif. […] Comme nous, qui n’avons pas attendu en vain notre Messie, il attend, dit-il, « le cœur puissant, la force solitaire, qui enlèvera un matin le vieux monde, d’un souffle de dieu ».
Le vieux fanatisme anglican devint implacable. […] Et cela est si certain et si démontré, dans la conscience même de tous ceux qui vivent de la vieille organisation universitaire et anglicane, que les résistances opposées dernièrement au libre mouvement anglo-catholique ont contracté ce caractère décharnement qu’un grand danger inspire autant que la peur. […] Les anglo-catholiques pourraient-ils douter de leur force, après tant d’écrits et tant d’actes qui ont remué si profondément les vieilles doctrines anglicanes ? […] Le titre de ce livre ressemblait presque à une imprécation, et devait faire vibrer — si elles n’étaient pas tout à fait pétrifiées — les vieilles entrailles de l’Angleterre de Henri VIII et d’Élisabeth. […] Dans un siècle aussi vieux de civilisation que le nôtre, il n’y avait qu’un moyen de retrouver la foi perdue : c’était de la refaire par la science.