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934. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Ce qui me touche le plus, c’est que je compte y mettre la dernière main à quelques ouvrages que j’ai commencés. […] Son sort toucha Pétrarque ; le poète avait été, ainsi qu’on l’a vu, le partisan et le complice du tribun de Rome ; il était embarrassé maintenant de son attitude envers l’homme qu’il avait exalté jusqu’au niveau des anciens héros de la liberté romaine. […] Mais quand vous verriez à vos pieds un vieillard faible, devenu infirme, qui ne peut aspirer qu’au loisir et au repos, je suis sûr que vous me renverriez bien vite dans ma maison. » XXIII Bien qu’il ne touchât pas encore aux années de la caducité humaine, sa santé était gravement altérée par des accès de fièvre intermittente qui l’assaillaient presque tous les ans pendant les mois de septembre et d’octobre. […] il n’y a rien, excepté une âme, une âme puissante, sonore, mélodieuse et profondément touchée ; une âme qui vit dans chacun de ces souvenirs, qui chante dans chacun de ces vers, qui pleure, espère ou prie dans chacune des notes du clavier des âmes ; et ce rien c’est assez pour que le monde, à perpétuité, soit aussi plein des noms de Pétrarque et de Laure que des noms de ceux qui ont conquis ou révolutionné le monde sous le pas de leurs armées.

935. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

L’État est humain, la foi est divine ; ils ne peuvent se toucher sans s’altérer dans leur nature entièrement distincte. L’âme des fidèles vous appartient, la police des cultes seule est de mon ressort, parce que la police extérieure des cultes est chose temporelle et qu’elle touche à la société civile ; mais ces règlements purement civils ne s’immiscent en rien dans les dogmes purement spirituels. […] Les coutumes sociales et religieuses de l’ancien temps, odieuses en 1789, parce qu’elles étaient alors dans toute leur force, et que de plus elles étaient quelquefois oppressives, maintenant que le dix-huitième siècle, changé vers sa fin en un torrent impétueux, les avait emportées dans son cours dévastateur, revenaient au souvenir d’une génération agitée, et touchaient son cœur disposé aux émotions par quinze ans de spectacles tragiques. […] L’histoire ici touche à la comédie d’intrigue, et Beaumarchais y serait plus convenable que Tacite.

936. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Ces trois hommes se touchaient par le temps. […] Horace et La Fontaine sont de charmants tableaux de cabinet par le dessin, la touche, la couleur, mais ce sont des tableaux licencieux en face desquels on ne doit conduire ni sa femme, ni sa sœur, ni son fils. […] On lui livrait ces noms obscurs, à la condition sans doute de ne pas toucher aux grands noms du parti d’Octave. […] XXV Cependant il y a un soir pour la vie des hommes heureux comme pour la vie des hommes obscurs ; celle d’Auguste touchait à son déclin ; ce déclin de son bonheur se révélait par la mort de Drusus, à qui il destinait le trône et qui promettait de rendre la liberté aux Romains.

937. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Ce n’était pas seulement un grand ministre, c’était un grand cœur ; j’ai passé avec lui en 1821 les semaines glissantes où l’armée napolitaine de Pépé et l’armée autrichienne de Frimont allaient s’aborder à Introdocco et se disputer les États romains envahis des deux côtés, et où Rome attendait des hasards d’une bataille son sort et sa révolution ; il était aussi calme que s’il avait eu le secret du destin : « Experti invicem sumus ego et fortuna », nous disait-il. « Quant au pape, il a touché le fond de l’adversité à Savone et à Fontainebleau ; il ne craint pas de descendre plus bas, laissant à Dieu sa providence. » N’est-on pas trop heureux, dans ces agitations des peuples et dans ces oscillations du monde, d’avoir son devoir marqué par sa place, et ne pouvoir tomber qu’avec son maître et son ami ? […] Ce fut la seule rente ecclésiastique que je touchai jusqu’au cardinalat. […] Mais voyant que, malgré cela, ils voulaient exécuter leur projet et qu’ils touchaient les vêtements de sa femme, il fit volte-face et leur dit avec douceur que c’était son épouse, et qu’il les priait de cesser leurs poursuites et leurs obsessions. […] En obtenant l’auditorat de Rote, j’avais touché le but de mes désirs.

938. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Raffaëlli, qui touche volontiers à la satire sociale, avec un singulier talent à faire entrevoir d’infinies complexités d’âmes sous de frustes visages patiemment fouillés ; on verra qu’abstraction faite des tendances plus haineuses en France qu’en Angleterre, les procédés de ces hommes et ceux de Dickens sont essentiellement les mêmes. […] Il doit faire vrai ; la moitié de son mérite — et chez Daumier cela touche au génie — consiste dans la justesse de l’observation, l’exactitude de la silhouette, la précision de la satire, la vie surprise par le dessin sommaire, de façon que le spectateur ne puisse douter un instant qu’on lui montre un être réel, observé dans son aspect, analysé dans son caractère. […] Que l’on joigne à ces livres le fantastique plus grossier des Contes de Noël, l’étrangeté parfois puissante de certaines nouvelles, comme ce Hunted down (Chassé à mort), où l’on finit par traquer un être sombre et farouche appliqué à tuer lentement les parents qu’il a d’abord fait s’assurer ; que l’on prenne encore l’effrayant suicide de Nicolas Nickleby et les réflexions mortelles qui le hantent quand, revenant le soir dans la noire maison où il a décidé de se rendre, il longe le mur du cimetière abandonné qui l’avoisine ; les scènes où cette percluse, fière et bigote négociante, Mme Clennam, languit morosement, toute vêtue de noir, dans un fauteuil à oreillettes, si semblable à un cercueil, autour duquel tourne la vieille Affery avec ses airs de somnambule effarée ; on aura un ensemble de récits terrifiants où Dickens ne touche plus que respectueusement aux vices qu’il déteste et où il parvient presque à créer les êtres complexes et réels, fantomatiques sans doute et entourés de mystère, mais recelant dans leur esprit, que l’auteur laisse deviner sans l’analyser, ces profondeurs et ces crises contradictoires qui constituent l’homme véritable. […] Par un manque de sérieux, une timidité pudibonde, plus native qu’acquise et dans laquelle il eut la faiblesse de se laisser confirmer par l’opinion publique, l’écrivain anglais n’osa même essayer l’application de sa morale d’innocence à cette pierre de touche de toute éthique, les relations entre les deux sexes.

939. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Placé lui-même, pour les sentir et les exprimer, sur les limites de ces deux natures humaines et divines qui se touchent et se confondent en lui, l’homme n’a pas eu longtemps le même langage pour exprimer l’humain et le divin des choses. […] VII Mais vous approchez des Alpes ; les neiges violettes de leurs cimes dentelées se découpent le soir sur le firmament, profond comme une mer ; l’étoile s’y laisse entrevoir au crépuscule comme une voile émergeant sur l’océan de l’espace infini ; les grandes ombres glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins ; des chaumières, isolées et suspendues à des promontoires comme des nids d’aigles, fument du foyer de famille du soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide, dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface, les barques sont chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent le batelier du petit cap où la femme et les enfants du pêcheur l’attendent au seuil de sa maison ; ses filets y sèchent sur la grève ; un air de flûte, un mugissement de génisse dans les prés, interrompent par moments le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque touche au rivage, les feux brillent çà et là à travers les vitraux des chaumières ; on n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames ; le firmament semble ouvrir tous ses yeux pour admirer ce bassin de montagnes ; l’âme quitte la terre, elle se sent à la hauteur et à la proportion de l’infini ; elle ose s’approcher de son Créateur, presque visible dans cette transparence du firmament nocturne ; elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas, et qu’elle espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle : elle s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit ; elle croit parce qu’elle voit ; elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de ces étoiles dans l’éther ; elle participe à la divinité du spectacle. […] Ils touchent la corde fausse et courte, au lieu de la corde vraie et éternelle. […] Les dieux, touchés de ce dévouement, se laissent fléchir ; ils l’admettent avec ses proches et avec le fidèle animal dans les demeures célestes.

940. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Une seule de ces qualités fortement prononcée dans une composition nous arrête et nous touche ; quel ne doit donc pas être l’effet de leur réunion et de leur contraste ? […] Imaginez sur deux grandes arches cintrées un pont de bois d’une hauteur et d’une longueur prodigieuses ; il touche d’un bout à l’autre de la composition et occupe la partie la plus élevée de la scène. […] Les fabriques sont de la touche la plus vraie ; la couleur de chaque objet est ce qu’elle doit être, soit réelle, soit locale. […] Ce n’est plus au sallon ou dans un attelier qu’on est, c’est dans une église, sous une voûte ; il règne là un calme, un silence qui touche, une fraîcheur délicieuse.

941. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

, appuyée sur le principe protestant de l’individualité qui fait donner au moi ces coups de collier prodigieux qui trompent les penseurs médiocres sur les futures destinées des nations protestantes, — car toute société qui n’a que l’orgueil pour fondement doit s’écrouler vite, — la patrie de Franklin, du bonhomme Richard, ne devait-elle pas nuire à l’expansion de la pensée plus ou moins mystique d’Edgar Poe, et, par instants, la matérialiser sous cette vaste main de Midas qui convertit en or ce qu’elle touche ? […] Et, en effet, la raison a beau se débattre en ricanant, ce mystérieux scarabée, inconnu à toutes les classifications scientifiques, qui, gros comme une noix d’hickory, brille et pèse comme un lingot d’or pur ; cet insecte, peut-être diabolique, qui porte sur le dos et les ailes l’image d’une tête de mort, l’emblème de cette mort qu’il semble donner avec une piqûre ; l’analogie inexplicable de la figure tracée sur ses ailes avec cette autre tête de mort, clouée à la branche sèche du tulipier ; l’état de charme consumant dans lequel Legrand est tombé depuis qu’il a touché le scarabée, cet état qui n’est que le pressentiment, l’annonce intérieure, la soif qui révèle la source d’un trésor caché qu’il finit par découvrir aux pieds même de ce tulipier : tout cela saisit l’esprit, l’attire, le fixe, le harcèle, oh ne sait pourquoi ! […] Lui-même l’a pressentie, cette question et il l’a touchée dans une notice sur l’étonnant Américain, beau morceau de biographie, fièrement abordé, mais qui pouvait, ce nous semble, être plus creusé et plus profond encore. […] Machiavélique côté de son génie, qui touche ici à la rouerie profonde du jongleur, et où le poète, le poète, ce Spontané divin, expire dans les exhibitions affreuses du charlatan et du travailleur américain !

942. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

S’il y a quelque chose de plus visible pour les chœurs des anges, c’est la Trinité qui le sait. » Si, dans ce qui touche aux vérités de la religion, l’imagination de saint Grégoire est sévèrement contenue par sa foi, il n’en trouve pas moins dans la philosophie même qui s’attache au christianisme un essor nouveau pour la poésie, une sorte d’élévation métaphysique et rêveuse bien rare dans l’antiquité, et qui tient lieu parfois de l’enthousiasme poétique non moins rare parmi nous. […] On peut le croire : cette offrande du silence, cette résignation à l’obscurité, cet abandon si absolu de la gloire, mais aussi de l’apostolat, n’était pas sans repentir, sans désaveu secret, pour le brillant orateur si touché des grâces de la parole et si puissant par elles. […] Car l’insidieuse matière en renferme deux : l’homme qui, étendant la main sur la table, a touché la potion douce, regrettera le breuvage amer, sous les poids contraires dont il est lui-même entraîné. […] apportez les présents. » Combien le sens expliqué de ces présents devait toucher l’âme chrétienne et la remplir d’un mystique amour, il la pensée du Dieu victime et sauveur !

943. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

C’est pourquoi la discussion qui s’agite autour de ces livres touche aux problèmes les plus élevés de la poésie. […] Sans toucher à la tristesse, elle est pourtant grave et austère, et pourrait trouver place ailleurs que dans une comédie. […] La justice boiteuse toucherait enfin le seuil de ce palais maudit. […] C’est au poète de marcher, c’est au philosophe de décider s’il a touché le but. […] Nous devons le croire, le succès et la popularité de la poésie extérieure touchent à leur fin.

944. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Pendant deux ans, la négociation passa par toutes les phases qu’on peut imaginer, parfois semblant toucher au terme, le plus souvent pénible et laborieuse, et à certains moments désespérée. […] On sait que ce fut d’après son examen et son rapport au Conseil privé que la seconde édition du livre De la sagesse de Charron, l’édition de Paris (1604), pût être mise en vente, moyennant quelques corrections qu’il y fit, et se débiter librement : « Ce ne sont des livres pour le commun du monde, disait-il à l’adresse de ceux qui en parlaient en critiques, mais il n’appartient qu’aux plus forts et relevés esprits d’en faire jugement ; ce sont vraiment livres d’État. » Pendant son séjour en Hollande, il avait tout fait pour se rendre utile à notre compatriote le célèbre et docte Scaliger (M. de L’Escalle, comme il l’appelait), qui vivait à Leyde et touchait à la fin de sa carrière.

945. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Écrivain consciencieux, accoutumé aux travaux historiques, à ceux qui touchent à l’histoire de la religion en particulier, M.  […] Et c’est alors que, tandis que Jésus descend le long de la montagne des Olives, il le présente touché au vif dans son cœur d’une tendre compassion, et pleurant sur la ville ingrate dont il voit d’avance la ruine ; puis, tout d’un coup, sans transition et par une brusque saillie qui peut sembler d’une érudition encore jeune, Bossuet s’en prend à l’hérésie des marcionites qui, ne sachant comment concilier en un seul Dieu la bonté et la justice, avaient scindé la nature divine et avaient fait deux Dieux : l’un purement oisif et inutile à la manière des épicuriens, « un Dieu sous l’empire duquel les péchés se réjouissaient », le Dieu qu’on a nommé depuis des bonnes gens ; et, en regard de ce Dieu indulgent à l’excès, ils en avaient forgé un autre tout vengeur, tout méchant et cruel : et aussi, poussant à bout la conséquence, ils avaient imaginé deux Christs à l’image de l’un et de l’autre Père.

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