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510. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Cousin, de tout temps poëte par l’imagination, entendant le dramatique à merveille, et qui alors aimait assez le théâtre, refaisait volontiers, en conversation du moins, les pièces qu’il avait vues, et ce jour-là au dessert, se sentant plus en verve encore que de coutume, il s’écria (je ne réponds que du sens et non des paroles) : « Je veux faire un drame, un opéra, j’en inventerai l’action, j’en tracerai le plan : toi (s’adressant à l’un des convives), tu l’écriras en vers ; vous, mon cher (se tournant vers un autre convive), vous en composerez la musique, vous en ferez les chœurs et les chants ; et quand l’ouvrage sera fini, nous le donnerons à Feydeau ou au Grand-Opéra. » Le poëte ainsi désigné, c’était Loyson ; le musicien, c’était Halévy ; le sujet de la pièce eût même été, dit-on, tiré d’un conte de Marmontel, les Quatre Flacons. […] Patin, prenant au sérieux la gageure et se piquant d’émulation, se mirent de leur côté à l’œuvre, et composèrent un petit opéra de Pygmalion, qui alla jusqu’à être mis en répétition à je ne sais quel théâtre, mais que diverses circonstances leur firent laisser là, puis oublier. […] Il semble alors qu’une noble et sainte alliance se forme entre cinq jeunes hommes, pleins de foi et de vaillance. — “Moi, je couvrirai ces toiles, ces murailles de mes peintures vivantes : graveur, prépare ton burin et répands mon œuvre dans le monde entier.” — “Je ferai respirer l’argile, dit le statuaire, et le marbre tremblera devant moi, comme il tremblait devant le Puget.” — “Moi, je saurai créer des mélodies sublimes, et mes chants inspirés se marieront aux belles harmonies de l’orchestre obéissant.” — L’architecte prend la parole et dit : “Moi, je construirai le temple où vivront tes peintures, où respireront tes statues ; je bâtirai le théâtre immense où frémira le public sous l’empire de tes chants !

511. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Il avait d’abord résisté à sa destinée et à son étoile ; il avait refusé de lui être présenté, et de tout ce qu’il y avait d’étrangers ou d’hôtes de distinction à Florence, il était le seul qui n’allât point chez elle : « Néanmoins, dit-il, il m’était arrivé très souvent de la rencontrer dans les théâtres et à la promenade. […] Le plan d’évasion fut concerté entre la comtesse et Alfieri comme pour un coup de théâtre. […] Après y avoir mis d’abord quelque mystère et s’être donné des rendez-vous l’été, en Alsace, au pied des Vosges, à Bade et au bord du Rhin, ils se réunirent pour ne plus se quitter, soit dans leurs voyages, soit dans les séjours qu’ils firent à Paris et à Londres, à la veille et dans les premières années de la Révolution française, soit en dernier lieu dans leur installation à Florence, le cher théâtre de leur première rencontre et leur vraie patrie.

512. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Et, par là-dessus, elle a sa voix, dont elle sait tirer parti avec la plus heureuse audace  une voix qui est une caresse et qui vous frôle comme des doigts  si pure, si tendre, si harmonieuse, que Mme Sarah Bernhardt, dédaignant de parler, s’est mise un beau jour à chanter, et qu’elle a osé se faire la diction la plus artificielle peut-être qu’on ait jamais hasardée au théâtre. […] La plus émancipée des filles, si elle joue sur le théâtre une scène amoureuse, ne se livre pas entièrement. […] Sur ce corps élastique et grêle, sur cette fausse maigreur qui est au théâtre un élément de beauté, car par elle les attitudes se dessinent avec plus de netteté et de décision, la toilette contemporaine, insensiblement transformée, prend une souplesse qu’on ne lui voit pas chez les autres femmes, et comme une grâce et une dignité de costume historique.

513. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Quoique le génie n’attende pas des époques pour éclore, supposons cependant que, dans un siècle effrayé par tant de catastrophes, et dans le pays même théâtre de tant de discordes, il se rencontre un homme de génie, qui, s’élevant au milieu des orages, parvienne au gouvernement de sa patrie ; qu’ensuite, exilé par des citoyens ingrats, il soit réduit à traîner une vie errante, et à mendier les secours de quelques petits souverains : il est évident que les malheurs de son siècle et ses propres infortunes feront sur lui des impressions profondes, et le disposeront à des conceptions mélancoliques ou terribles. […] Comme il savait tout ce qu’on pouvait savoir de son temps, il met à profit les erreurs de la géographie, de l’astronomie et de la physique : et le triple théâtre de son poëme se trouve construit avec une intelligence et une économie admirables. […] Observons encore ici qu’une spirale et des cercles sont une de ces idées simples, avec lesquelles on obtient aisément une éternité : l’imagination n’y perd jamais de vue les coupables et s’y effraye davantage de l’uniformité de chaque supplice : un local varié et des théâtres différents auraient été une invention moins heureuse.

514. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Embrassant dans sa juridiction universelle (ce qui, je crois, ne s’était pas encore vu jusqu’à lui) tous les théâtres, jusqu’aux plus petits théâtres, obligé de parler de mille choses qui le plus souvent n’en valent pas la peine, et qui n’offrent aucune prise sérieuse ni agréable, il s’est dit de bonne heure qu’il n’y avait qu’une manière de ne pas tomber dans le dégoût et l’insipidité : c’était de se jeter sur Castor et Pollux, et de parler le plus qu’il pourrait, à côté, au-dessus, à l’entour de son sujet. […] Il a le goût sain au fond et naturel, quand il juge des choses du théâtre.

515. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

La personne de l’homme, si noble de prestance et si vénérable qu’elle pût être au premier aspect, devait par instants s’animer et se réjouir aux mille saillies de ce génie intérieur, de cette belle humeur irrésistible qui s’était jouée dans son roman, ou plutôt dans son théâtre. […] Exposé dans un théâtre public, on me dissèque : un savant médecin explique devant tous, à mon sujet, comment la Nature a fabriqué le corps de l’homme avec beauté, avec art, avec une parfaite harmonie. […] , et curé après avoir été moine, Molière venu dans un siècle où tout esprit libre avait à se garder des bûchers de Genève comme de ceux de la Sorbonne, Molière enfin sans théâtre et forcé d’envelopper, de noyer dans des torrents de non-sens, de coq-à-l’âne et de propos d’ivrogne son plus excellent comique, de sauver à tout instant le rire qui attaque la société au vif par le rire sans cause, et il m’a semblé qu’on aurait alors quelque chose de très approchant de Rabelais.

516. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Cette revue du théâtre ancien et moderne démontrera à qui voudra l’entreprendre l’universalité de cette proposition, à savoir, que tout le rire humain tient dans l’intervalle de l’angle bovaryque, dans l’écart qui se forme entre la réalité de quelque personnage et la fausse conception de lui-même à laquelle il s’attache. […] Le théâtre comporte un autre emploi du phénomène bovaryque : le héros, en vue d’un but, simule un personnage qu’il sait distinct de lui-même. […] On a indiqué déjà, à l’occasion de Mme Bovary elle-même, que la comédie fait place au drame sitôt que le phénomène a pour théâtre l’âme d’un personnage pourvu d’une énergie violente.

517. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Quant à Racine, j’eusse à peine remarqué peut-être ce qu’il y a d’insuffisant et d’un peu maigre, même d’un peu aigre, dans la part qui lui est faite, attribuant ce défaut au manque d’espace ce jour-là, et comptant sur une prochaine revanche, si, dans un dernier feuilleton, non encore recueilli, je n’avais lu sur le pauvre auteur de Phèdre l’accusation grave d’être, j’ose au plus le répéter, … d’être un intrigant, et d’avoir cabalé à la cour et chez les grands seigneurs favoris contre Pradon, tandis que Pradon cabalait à l’hôtel de Nevers et au théâtre contre Racine lui-même. […] puisque j’en suis sur les conjectures hasardées après coup sur le génie de Racine, n’ai-je pas prétendu quelque part qu’il était bien plus propre à l’élégie, au lyrique, qu’au dramatique, et qu’en d’autres circonstances il se fût aisément passé du théâtre pour s’adonner à la poésie méditative et personnelle !

518. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Conclusions » pp. 169-178

Et le théâtre retombe à la prose, à ses vieux errements d’autant plus désuets en regard des initiatives audacieuses d’Antoine, de Paul Fort et de Lugné-Poë. Antoine est devenu directeur de théâtre.

519. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Et il a travaillé pour le théâtre. […] En somme le joli petit Hermant est de ces normaliens qu’on doit recommander aux directeurs de théâtre, aux directeurs de journaux, aux éditeurs et au public comme les plus docilement indifférentes des bonnes à tout faire.

520. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Ces qualités, qui feront peut-être un jour de Ranc un polémiste de premier ordre, et qui donnent à ses feuilletons de théâtre une simplicité et une sévérité d’expression (je ne dis pas d’opinion) à laquelle les feuilletons de théâtre ne nous ont pas accoutumés ; ces qualités sont-elles de celles qui annoncent et promettent le romancier ?

521. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

On ne peut croire que Plaute ait voulu mettre sur le théâtre des dieux qui enseignassent le parjure au peuple ; encore bien moins peut-on le croire de Scipion l’Africain et de Lélius, qui, dit-on, aidèrent Térence à composer ses comédies ; et toutefois dans l’Andrienne, Dave fait mettre l’enfant devant la porte de Simon par les mains de Mysis, afin que si par aventure son maître l’interroge à ce sujet, il puisse en conscience nier de l’avoir mis à cette place. Mais la preuve la plus forte en faveur de notre explication du droit héroïque, c’est qu’à Athènes, lorsqu’on prononça sur le théâtre le vers d’Euripide, ainsi traduit par Cicéron, Juravi linguâ, mentem injuratam habui, J’ai juré seulement de la bouche, ma conscience n’a pas juré, Les spectateurs furent scandalisés et murmurèrent ; on voit qu’ils partageaient l’opinion exprimée dans les douze tables : uti linguâ nuncupassit, ita jus esto .

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