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463. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

La première fois que celui qui écrit ces lignes le rencontra, — il y a de cela des années, — il ressemblait encore à ce portrait de son salon où, sous de longs et magnifiques cheveux noirs, éclatait, sombre, ce visage qu’on aurait dit fait de la beauté de quatre races différentes : la juive, la bohémienne, la phocéenne et la mauresque, et où le lion et l’aigle se confondaient, comme dans une chimérique tête de blason. […] Ce n’est pas le lion ailé de Saint-Marc, ni le griffon héraldique, mi-parti d’épervier, de certains blasons anglais ; c’est un serpent qui aurait des ailes aussi nuancées que des queues de paon, un serpent semblable à la couleuvre de la Légende, qui a un diamant dans la tête, dans les dents, dans les yeux, partout ! […] La préoccupation si inférieure du théâtre dont il a toujours été fêlé, à toutes les époques de sa vie, depuis l’instant de sa jeunesse où il ne voyait qu’un sujet heureux de vaudeville dans ces Intimes que Raymond Brucker et Michel Masson lui infligèrent comme un roman terrible en l’y faisant travailler avec eux, jusqu’à l’heure où, en pleine maturité, il ne craignit pas de s’amincir dans de petites pièces plus petites que tout ce qu’il avait jamais écrit, lui, le travailleur si souvent en petit cependant ; la préoccupation du théâtre lui fit maintes fois terminer en queue de poisson ses plus belles œuvres commencées en têtes de sirènes (voyez son Notaire de Chantilly, son Dragon rouge, ses Nuits du Père Lachaise, sa Famille Lambert, etc., etc.). […] Ni Les Nuits du Père-Lachaise, où la nature humaine devient, comme les événements, par trop fantastique, — mais qui n’en sont pas moins ce que Léon Gozlan a produit de plus puissant dans l’outrance, comme Le Rêve d’un millionnaire est ce qu’il a fait de plus doux et de plus charmant (rappelez-vous cette tête suave de Reine Linon !)

464. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Et la Fronde, quelle moisson nouvelle de récits de toutes sortes, quelle brusque volée d’historiens inattendus elle a enfantés parmi ses propres acteurs en tête desquels Retz se détache et brille entre tous comme le plus grand peintre avant Saint-Simon ! […] Le discours préliminaire qu’il a mis en tête nous témoigne de sa préoccupation de chrétien, qui cherche à se démontrer qu’on a droit historiquement de tout dire sur le compte du prochain, et qui voudrait bien concilier la charité avec la médisance. […] Saint-Simon, après avoir échappé à bien des crocs-en-jambe, à bien des noirceurs et des scélératesses calomnieuses qui avaient failli par moments lui faire quitter de dégoût la partie et abandonner Versailles, s’était assez bien remis dans l’esprit du roi ; la duchesse de Saint-Simon, aimée et honorée de tous, était dame d’honneur de la duchesse de Berry, et lui-même s’avançait chaque jour par de sérieux entretiens en tête à tête, sur les matières d’État et sur les personnes, dans la confiance solide du nouveau dauphin. […] Après sa retraite de la Cour, il venait quelquefois à Paris, et allait en visite chez la duchesse de La Vallière ou la duchesse de Mancini (toutes deux Noailles) : là, on raconte que, par une liberté de vieillard et de grand seigneur devenu campagnard, et pour se mettre plus à l’aise, il posait sa perruque sur un fauteuil, et sa tête fumait. — On se figure bien en effet cette tête à vue d’œil fumante, que tant de passions échauffaient. […] [NdA] On a reproduit cette lettre en tête des Mémoires : elle en est la première préface.

465. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Détourne la tête et va passer cette belle automne seul, selon ta coutume, sous les ardoises de Saint-Lupicin ! […] « Est-ce que la neige ne commence pas à blanchir les têtes des sapins de Saint-Cergues, d’où l’on voit à ses pieds le lac Léman ? […] Sur votre tête vous voyez s’élever irrégulièrement de vieilles murailles noirâtres, marquées de taches blanches. […] L’action est fille de la pensée, mais les hommes, jaloux de toute prééminence, n’accordent jamais deux puissances à une même tête ; la nature est plus libérale ! […] Ce sont les réflexions que je faisais, assis sur les marches du Parthénon, ayant Athènes et le bois d’oliviers du Pirée et la mer bleue d’Égée devant les yeux, et sur ma tête l’ombre majestueuse de la frise du temple des temples.

466. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Villemain, en une de ses leçons, a remarqué qu’on se trouvait alors si bien dans le salon, qu’on mettait au plus la tête à la fenêtre pour voir la nature ; … et encore, c’était du côté du jardin. […] En tête du volume se voyait une caricature d’après le dessin d’un élève de David. […] Son corps resta exposé plusieurs jours au Collège de France, sur un lit de parade, la tête couronnée de laurier et le visage légèrement peint. […] Michaud, en tête du recueil des Poésies de Delille, 1801. […] Quelle tête anti-virgilienne que celle qui médite pendant plus de trente ans une traduction de l’Enéide, et qui y laisse subsister dès la seconde centaine de vers une telle marque d’oubli ! 

467. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

La fille de Jupiter, Minerve, lui prête un aspect plus grand et plus robuste, elle fait tomber de sa tête en boucles sa chevelure pareille à la fleur de l’hyacinthe ; et, comme un habile ouvrier à qui Vulcain et Pallas-Minerve ont enseigné la diversité de leur art, mêle l’or à l’argent pour en perfectionner les œuvres charmantes, ainsi la déesse a répandu la grâce sur la tête et les épaules d’Ulysse : bientôt il va s’asseoir à l’écart sur le rivage de la mer, resplendissant de grâce et de beauté. […] — Non, lui dis-je, je sais très bien que je pouvais prendre la fortune avec la dictature et la garder ; mais il fallait pour cela cinq ou six têtes des leurs en tout pour intimider le reste. […] Quand il était assis et causant, sa belle tête inspirée n’indiquait aucune fatigue ; sa voix vibrait comme celle d’un Jérémie moderne. Il me dit que son frère était venu le chercher à Paris pour le mener en Normandie, dans sa famille, où le bon air des champs et les jeux de ses enfants lui rafraîchiraient la tête et lui rendraient les forces. […] Mais il n’y est pas tombé sans soutien et sans amis pour le soutenir, et pour retourner sa tête sur son chevet à sa dernière heure, comme on l’a écrit par erreur ou par prétention à l’effet dans certains récits.

468. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Un vrai carnaval d’invités… Paradol, Flaubert, Gautier, Girardin, lugubre et cassé, avec sa tête de mort et sa mèche posée comme un accroche-cœur sur un crâne. […] Justice, qui a collé, en tête de ses vers de mirliton, une photographie, où il ressemble à un jeune coiffeur de chef-lieu d’arrondissement. […] On dirait qu’elle a, dans ce grand et écrasant Paris, une espèce de gêne remuante, une inquiétude timide et agitée, qui la fait se jeter, à tout moment, à la vitre, qu’elle a derrière la tête. […] Il semble, lui, calme, décidé, et fait face à l’arrêt, la tête levée, caressant sa barbiche. […] Le tribunal se lève et confère quelques secondes, puis le président lit encore à l’accusé, à mi-voix, les articles d’un code ouvert, et l’on entend vaguement la phrase : tête tranchée.

469. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Je la revois, à neuf heures, cette tête aimée, blanche de la pâleur d’un lys flétri, qui serait éclairé par un clair de lune. […] Alors pendant que, la tête basse, les yeux roulant des larmes, je tracassais, de mon bâton, les cailloux, j’entendais de Béhaine, éclater en un long sanglot. […] La princesse travaille à sa tapisserie, en combinant dans sa tête sa broderie. […] Au-dessus de sa tête, est un cartel Louis XVI, à la sonnerie grave. […] Il a une si belle tête d’homme bon, d’apôtre scientifique.

470. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Phèdre se moque de certains artistes & écrivains de son temps qui, pour en imposer au public, mettoient à la tête de leurs ouvrages des noms Grecs extrêmement connus. […] La Mothe exposa son projet dans un discours à la tête de son Iliade. […] Le jeune Le Févre prit exemple ; & le frère & la sœur, à l’envi l’un de l’autre l’autre, se trouvèrent, par la suite, à la tête des sçavans de l’Europe. […] Il a détruit, dans sa préface à la tête de Virgile, ce qu’il avoit avancé dans quelques lettres particulières. […] Il veut qu’en punition de ce travestissement, on mène ces faquins de bourgeois au bord d’un fleuve, pour les y jetter tous la tête la première à l’endroit le plus profond, « eux & leurs billets doux, leurs lettres galantes, leurs vers passionnés, & leurs nombreux volumes ».

471. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Ayant visité à Venise le quartier des Juifs, il était frappé de leur caractère de tête et de leur expression : J’ai admiré, écrivait-il à un ami, des têtes superbes qui pourraient servir avec beaucoup de succès pour faire des physionomies d’un grand cachet ; je voyais des grands sacrificateurs, des prophètes, des Joseph, et, parmi les femmes, des Judith, des Rébecca, et même des Vierges. […] Le premier tableau proprement dit qui le fit sortir des têtes d’études et des sujets tout simples fut un tableau de Corinne improvisant au cap Misène, qui lui fut demandé par un amateur vers 1821, et qui devint ensuite L’Improvisateur napolitain. […] Ce fut pour lui que le peintre se hâta de terminer une tête, de grandeur naturelle, d’une jeune fille en costume de l’île de Procida : « Comme le costume était assez pittoresque et la figure jolie, elle a plu au roi, et il me l’a prise. » Malgré ces premiers succès et les éloges qu’il recevait, malgré ceux qu’il espérait surtout de la France, qui fut toujours sa vraie patrie, il écrivait à Navez : Mais, mon cher, je suis quelquefois réellement à plaindre quand je me classe parmi les peintres, et je sens que je ne puis faire de grands progrès en traitant toujours les mêmes sujets et en ne faisant que de petites bamboches. […] Ce premier tableau un peu grand, qui fut celui de Corinne, devenu plus tard L’Improvisateur, lui avait coûté bien de la peine ; ce devait être sa condition de faire et son élément : « D’ailleurs, disait-il, chacun a sa manière de jouir au monde : la mienne est de me donner beaucoup de peine, ce qui naturellement doit m’occuper beaucoup la tête, l’esprit et l’âme, avantage que j’ai toujours apprécié. » Malgré l’impression de sérieux et d’élévation que font à bon droit les œuvres de Léopold Robert et la lecture de ses lettres citées par M. 

472. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Montluc pourtant, quand les plus grosses têtes eurent donné leur avis et qu’on en vint aux moins qualifiés, trépignait d’impatience et brûlait d’interrompre. « Tout beau ! […] Le Dauphin, prince guerrier aussi et d’humeur vaillante, qui était debout derrière le fauteuil de son père, se mit dès ce début du parti de Montluc ; il lui faisait signe de la tête d’aller toujours et de parler hardiment : ce qu’il ne fallait pas lui répéter deux fois ; et la suite de ce discours est ainsi accompagnée agréablement, aux endroits décisifs, par ce jeu de scène, par cette pantomime du Dauphin, qui approuve, sourit, fait des signes et jouit du triomphe du soldat Montluc sur les prudents conseillers. Montluc, comme parlant à un roi soldat, se met donc tout d’abord à énumérer les forces de l’armée de Piémont et à nombrer les corps qui la composent ; il commence, comme de juste, par les Gascons : Sire, nous sommes de cinq à six mille Gascons… Car vous savez que jamais les compagnies ne sont du tout complètes, aussi tout ne se peut jamais trouver à la bataille ; mais j’estime que nous serons cinq mille cinq cents ou six cents Gascons comptés, et de ceux-là je vous en réponds sur mon honneur ; tous, capitaines et soldats, vous baillerons nos noms et les lieux d’où nous sommes, et vous obligerons nos têtes que tous combattrons le jour de la bataille, s’il vous plaît de l’accorder, et nous donner congé de combattre. […] Quant à Montluc, après avoir fait jusqu’au bout son office de chef, il eut l’idée de finir la journée par un de ces coups imprévus et d’aventure qui lui plaisaient : il s’était mis en tête qu’il ferait prisonnier ce jour-là un ennemi de haut rang et d’autorité, le général en chef, par exemple, le marquis du Guast en personne, pourquoi pas ? […] Tant que celui-ci fut debout et à la tête de sa petite armée, Montluc, son second, n’eut rien de bien particulier à faire dans la ville, et il put s’étudier à son rôle nouveau de lieutenant de roi.

473. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Santeul publiait leurs lettres pour se justifier et s’en décorer, et en même temps il ne perdait pas l’occasion de faire amende honorable à Bossuet dans une pièce de vers imprimée, en tête de laquelle une vignette le représentait à genoux, et reçu à pénitence par le grand évêque de Meaux. […] Santeul, qui entrait tête baissée dans la plaisanterie. […] Son cœur saignait, sa tête se troublait. […]  » Un petit livret très spirituel, publié en 1696, qui donne l’histoire de ces troubles, nous le représente ainsi au plus fort de la crise : Il était dans des transes mortelles, écrivant à tous les jésuites de ses amis pour leur demander quartier ; il croyait voir partout le Santolius vindicatus imprimé ; et le moindre jésuite qu’il rencontrait, il l’abordait brusquement, et, le reconduisant d’un bout de Paris jusqu’au collège, il lui faisait ses doléances avec le ton, l’air et les gestes que ceux qui ont l’avantage de le connaître peuvent s’imaginer ; et criant à pleine tête, il récitait par cœur l’apologie qu’il venait de donner au public, appuyant surtout sur ces endroits qu’il répétait plusieurs fois : « Veri sanctissima custos, docta cohors, etc., etc. » (et autres passage en l’honneur de la Compagnie)… Enfin il fallait l’écouter bon gré, mal gré ; et fut-ce le frère cuisinier des jésuites, rien ne lui servait de n’entendre pas le latin : de sorte que le chemin n’était pas libre dans Paris à tout homme qui portait l’habit de jésuite. […] Le père de Piron, ce jovial apothicaire, y tint tête plus d’une fois à Santeul, et ils firent assaut d’épigrammes devant M. le duc.

474. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Le trône écroulé, le roi arrêté et mis en jugement, lui, prince du sang, il se figurait qu’il allait continuer de vivre à Paris à son aise, dans les plaisirs et en riche citoyen ; et son amie Mme de Buffon, femme gracieuse, qui montra plus tard bien du dévouement, écrivait au duc de Biron (un autre intime), alors à la tête de l’armée du Rhin, une lettre curieuse, incroyable34, où elle lui racontait à sa manière et sur un ton badin, les événements du 10 août, les arrestations qui en étaient la suite, les exécutions qui devaient commencer le lendemain au Carrousel : Au milieu de ces arrestations, disait-elle, Paris est calme pour ceux qui ne tripotent point. — J’oubliais de vous dire que Mme d’Ossun est à l’Abbaye. […] Le duc répondit : « Elles sont en effet terribles, mais dans toutes les révolutions on a toujours versé beaucoup de sang, et une fois commencées, on ne peut les arrêter quand on veut. » Il me parla, continue madame Elliott, de l’abominable meurtre de Mme de Lamballe, de sa tête qu’on lui avait apportée au Palais-Royal pendant son dîner. […] Il rappelle, à bien des égards, ce Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, cet autre prince si lâche de volonté, si misérable de conduite, avec cette différence que Gaston, poussé de même par ceux qui le gouvernaient, compromettait ses amis et ensuite les plantait là, au péril de leur tête, et que Philippe se laissa compromettre par eux au point d’y tout perdre, tête et cœur, honneur et vie. […] Je voudrais pouvoir être à la Convention, ôter mes souliers et les jeter à la tête du président et de Santerre, qui n’auront pas honte d’insulter leur maître et leur souverain. » Je m’emportai sur ce sujet, et le duc d’Orléans paraissait de fort mauvaise humeur.

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