Aujourd’hui il s’agit d’une image plus modeste, mais chère à tous, du buste de l’abbé Prévost, et la cérémonie de cette inauguration, qui a eu lieu à Hesdin le dimanche 23 octobre dernier, a présenté le caractère d’une fête de famille, qui allait bien au souvenir du romancier plus aimable et plus touchant que solennel. […] On conçoit qu’avec tous ces souvenirs vivants, en présence de ces membres d’une famille qui est encore aujourd’hui pour la cité ce qu’elle était il y a plus d’un siècle, la fête qui se célébrait, il y a quinze jours, dans la jolie ville d’Hesdin n’était pas une solennité ordinaire, toute d’apparat et de curiosité ; il s’y mêlait un intérêt amical et commun, et ce n’était que justice. […] Était-ce pour l’auteur de Cleveland, du Doyen de Killerine et de Manon Lescaut, que ces dignes gens se mettaient en fête, ou bien par reconnaissance pour la famille d’administrateurs municipaux, d’échevins, de magistrats héréditaires, dont le souvenir se lie dans leur idée à celui d’une bienveillance constante et d’une équitable protection ? […] L’auteur fait allusion à la mort connue de l’abbé Prévost qui, étant tombé frappé d’apoplexie dans la forêt de Chantilly, fut transporté dans un village voisin, où un chirurgien ignorant procéda incontinent, dit-on, à l’ouverture, ce qui détermina en effet la mort ; je cite de souvenir après une simple lecture, mais assez fidèlement, je crois : Pleurez ! […] Manon s’amusant gaiement à coiffer de ses mains le chevalier, et choisissant ce singulier moment pour recevoir le prince italien qu’elle veut berner et à qui elle montre le miroir en disant : « Voyez, regardez-vous bien, faites la comparaison vous-même… » ; cette tendre et folâtre espièglerie n’était pas dans le premier récit, et c’est un petit épisode que Prévost a voulu ajouter après coup, un souvenir sans doute qui lui sera revenu.
Il faut se souvenir avant tout que, le 15 mai 1840, la Revue des deux mondes publia, avec une notice de George Sand qui y servait de préface, un magnifique fragment d’un poète mort l’année précédente à vingt-neuf ans, Georges-Maurice de Guérin. […] J’ai vu son cercueil dans la même chambre, à la même place, où, toute petite, je me souviens d’avoir vu son berceau, quand on m’amena de Gaillac, où j’étais, pour son baptême. […] Souvenir qui me vient tout mouillé de larmes. […] Te souviens-tu que je me comparais à Monique pleurant son Augustin, quand nous parlions de mes afflictions pour ton âme, cette chère âme dans l’erreur ? […] Une lettre reçue, si elle apporte de l’espoir, lui rouvre tout un monde infini de souvenirs : 24 avril. — Que tout est riant !
Douée de discrétion et de dissimulation, son étonnement était grand en entendant son fiancé lui parler de tout à tort et à travers et à l’étourdie : « Je me taisais et j’écoutais, ce qui me gagna sa confiance, Je me souviens qu’il me dit, entre autres choses, que ce qui lui plaisait le plus en moi, c’était que j’étais sa cousine, et qu’à titre de sa parente il pourrait me parler à cœur ouvert ; en suite de quoi il me dit qu’il était amoureux d’une des filles d’honneur de l’Impératrice, qui avait été renvoyée de la Cour lors du malheur de sa mère, une Mme Lapoukine, qui avait été exilée en Sibérie ; qu’il aurait bien voulu l’épouser, mais qu’il était résigné à m’épouser moi, parce que sa tante le désirait. […] Je me le promis à moi-même, et quand je me suis promis une chose à moi-même, je ne me souviens pas d’y avoir manqué. […] Je me souviens qu’un jour, à une de ces mascarades publiques, ayant appris que tout le monde se faisait faire des habits neufs, et les plus beaux du monde, désespérant de pouvoir surpasser les autres femmes, je m’avisai de mettre un corps couvert de gros de Tours blanc (j’avais alors la taille très-fine), une jupe de même sur un très-petit panier ; je fis accommoder mes cheveux de derrière la tète, qui étaient fort longs, très-épais et fort beaux ; je les fis nouer avec un ruban blanc en queue de renard ; je mis sur mes cheveux une seule rose avec son bouton et ses feuilles, qui imitait le naturel à pouvoir s’y tromper, une autre je l’attachai à mont corset ; je mis au cou une fraise de gaze fort blanche, des manchettes et un tablier de la même gaze, et je m’en allai au bal. […] Je ne me souviens pas de ma vie d’avoir entendu autant de louanges de tout le monde que ce jour-là : on me disait belle comme le jour et d’un éclat singulier. […] Elle s’y reportait avec un plaisir visible en retraçant les souvenirs de sa première vie.
Le souvenir même de ces séances, racontés par des témoins judicieux et délicats, deviennent infidèles et se transforment, se dénaturent, tellement qu’on ne retrouve plus dans la notice lue ce que les auditeurs croient y avoir entendu d’excessif et presque de ridicule. […] Halévy, dans une de ses Notices et sous le couvert d’un autre nom d’artiste, a laissé échapper quelque chose de sa douleur personnelle et de son secret : « Il y a, dit-il à propos de l’organiste Frohberger, il y a des artistes d’un caractère heureux, pour qui le souvenir des succès d’autrefois est si plein de douceur, qu’ils ne s’en séparent jamais, et qu’ils trouvent dans ce souvenir, quelque ancien qu’il soit, du bonheur pour toute leur vie. […] Ils voudraient ressusciter des fantômes, rendre la vie à des ombres, et le souvenir des triomphes qui ne sont plus est pour eux si amer et si plein de regrets, qu’il semble les poursuivre comme un remords. […] Souvenirs et Portraits, Etudes sur les Beaux-Arts, par F.
Il fut prompt à les dissiper et à les oublier : ses affections bientôt allèrent toutes ailleurs ; il ne pensait qu’à Port-Royal, alors persécuté, et se complaisait délicieusement dans ses souvenirs d’enfance : « En effet, dit-il, il n’y avoit point de maison religieuse qui fût en meilleure odeur que Port-Royal. […] Dans un très-beau cantique sur la Charité, imité de saint Paul, il dit lui-même, en des termes assez semblables, et dont notre ami paraît s’être souvenu : En vain je parlerais le langage des Anges, En vain, mon Dieu, de tes louanges Je remplirois tout l’univers : Sans amour ma gloire n’égale Que la gloire de la cymbale, Qui d’un vain bruit frappe les airs. […] Les plus chers souvenirs dont se nourrit leur passion favorite leur apparaissent au complet avec une singulière vivacité dans les moindres circonstances. […] Il y a dans Bajazet un passage, entre autres, fort admiré de Voltaire : Acomat explique à Osmin comment, malgré les défenses rigoureuses du sérail, Roxane et Bajazet ont pu se voir et s’aimer : Peut-être il te souvient qu’un récit peu fidèle De la more d’Amurat fit courir la nouvelle. […] Mais en général il me paroît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. » Il faut se souvenir que l’auteur de cet étrange jugement avait la manière d’écrire la plus antipathique à Molière qui se puisse imaginer.
Cependant Ronsard pouvait encore faire quelque chose de son sujet, s’il y avait versé les sentiments généraux de cette nation qui depuis un siècle et demi commençait à prendre conscience d’elle-même, s’il avait su imiter la « curieuse diligence » de Virgile, et jeté toute la France, ses souvenirs, son âme et son génie dans ce mythe érudit. […] Hugo, la Tristesse d’Olympio ; Musset, le Souvenir : un seul thème, trois tempéraments de poète, trois façons de sentir, par suite de concevoir la destinée de l’homme. Ronsard, s’il eût trouvé les trois pièces chez des modèles, n’eût pas cherché à approprier le thème à sa nature, en créant une quatrième œuvre, pareille et, différente : il eût successivement fait un Lac, une Tristesse, un Souvenir. […] A ce moment précis, le monde n’existait pas encore, et c’est le monde qui pendant longtemps complétera l’enseignement des collèges, indiquera les Français dont il faut se souvenir, qu’il faut lire. […] Mais si l’on veut être juste envers la Pléiade, on se souviendra qu’avant le romantisme, Ronsard est en somme notre plus certain lyrique ; en second lieu, qu’il est à peu près notre unique lyrique qui ait cherché son inspiration hors de la religion, hors même des faits historiques et de l’héroïsme, le seul qui ait tâché de tirer son œuvre des sources intimes du tempérament ; enfin, que Ronsard, c’est vraiment la première ébauche et la période, si l’on peut dire, préhistorique du classicisme : qu’alors dans la langue, dans la poésie, apparaissent une multitude de formes dont quelques-unes survivront, et deviendront les types parfaits, et stables pour un temps, de la poésie.
Il a laissé dans le rôle un long souvenir de succès… « Avec des regards lubriques, des gestes à l’avenant, il forçait Elmire, en plein théâtre, à subir des grossièretés qu’il serait répugnant d’indiquer. […] qu’à ce moment le premier Tartuffe, le bedeau, le truand d’église, est loin de nos yeux et de notre souvenir ! […] (Et je pourrais ajouter que les figures les plus populaires ont été souvent créées par des esprits fort médiocres : tels Robert Macaire ou Joseph Prudhomme.) — Alphonse Daudet a conçu et fait vivre vingt personnages d’une vérité plus rare que Tartarin, d’une observation plus difficile, plus aiguë, plus curieuse ; et peut-être est-ce du seul Tartarin que les siècles se souviendront. […] Souvenez-vous que Tartuffe, même au temps de sa détresse, a conservé un valet. […] Seulement l’acteur qui le jouera fera bien de se souvenir, après tout, de la figure qu’a pu prendre Tartuffe dans l’imagination de Dorine : par où il sera conduit à nous mettre sous les yeux un personnage intermédiaire entre le Julien Sorel que nous a montré M.
Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». Se rappelant la conversation qu’il avait eue avec Napoléon avant Leipzig, à Düben, le 11 octobre 1813, et que les événements subséquents avaient gravée en traits brûlants dans son souvenir, le maréchal fut très frappé de ce qu’il croyait une coïncidence fortuite ; mais, comme il en parlait à une personne de la Cour, il sut que le jeune prince avait été informé par elle de cette conversation de Napoléon et des traces qu’elle avait laissées dans le cœur du maréchal. […] Il participe aux impressions successives qui naissent du paysage et des souvenirs ; lui qui, en Hongrie, avait débuté presque par de la statistique et des chiffres, il devient légèrement mythologique aux environs de Smyrne, homérique à Troie, chrétien en traversant le Liban. […] Le talent proprement dit, l’art d’écrire lui vient chemin faisant ; il dira à propos des sépulcres restés vides, qui furent construits près de Jérusalem par Hérode le Tétrarque : « Alors, comme à présent, il y avait des grandeurs passagères ; et des tombeaux promis et élevés ne recevaient pas les cendres qui devaient les occuper. » Mais c’est l’Égypte surtout qui est le but où tend le voyageur ; il y retrouve, en y mettant le pied, les souvenirs présents et les émotions héroïques de sa jeunesse. […] Parvenu à cet âge où tout l’intérêt et les consolations de la vie sont dans les méditations sur le passé, je lui adresse un dernier souvenir.
. — Il s’apprête des embarras graves, en jetant imprudemment à chaque page des phrases panthéistes ; en disant par exemple que la création25 est fort aisée à comprendre et que Dieu créa le monde comme nous créons nos actions, « qu’il crée parce qu’il est une force créatrice absolue, et qu’une force créatrice absolue ne peut pas ne pas passer à l’acte. » On se souvient encore de la manière dont il absolvait l’industrie, la guerre, la philosophie, la géographie, et beaucoup d’autres choses. […] On ne peut pas dire que les phénomènes ou événements intérieurs soient dans la conscience ; ils sont l’objet de la conscience ; une sensation, un souvenir, ne sont pas dans la conscience ; la conscience ne contient pas ces opérations, elle les aperçoit. […] Il aura besoin de se souvenir que l’un vient du verbe imputer et l’autre du mot personne. […] Cousin à la ligne suivante, « que la volonté seule soit la personne ou le moi. » Mes douleurs, mes plaisirs, mes idées, mes souvenirs, m’appartiennent très-certainement. […] Il est un peu poète : le danger est plus grand encore : il transformera la philosophie en une symphonie métaphysique, qui entraînera tous les esprits, qui l’entraînera lui-même, qui lui fera traverser le Rhin, au risque d’y perdre pied, avec la certitude de s’en souvenir et d’en souffrir toujours.
On y distinguait surtout le besoin de chacun de ne chercher des secours que là où les souvenirs du passé trouveraient une sanction. […] En arrivant très-rapidement à Paris, nous vîmes bien qu’elle était fort malade ; mais il y eut dès le lendemain un mieux que j’attribuai un peu au plaisir de nous revoir… « Voilà bien des souvenirs que j’aime à déposer dans votre sein, mon cher ami ; mais il ne nous reste que des souvenirs de cette femme adorable à qui j’ai dû un bonheur de tous les instants, sans le moindre nuage. […] Quels souvenirs pour ceux qui les ont reçus dans leur fraîcheur, que ce voyage d’Amérique en 1824, et cet hymne de Béranger qui le célébrait ! […] Éclairée par ces excellents Mémoires, l’histoire du moins, c’est-à-dire le public définitif, s’en souviendra. […] Souvenirs au sortir de prison.
[Mes souvenirs (1882).] […] Diogène allait reposer son cynisme au pays de ses rêves ; il mangeait le pain de la fermière ; il se penchait sur le miroir enchanté de la Voulzie, et cueillait sur la rive ce myosotis qui est son âme et qui sera son souvenir.
La force du rêve, vivante et splendide, soit dans le charme du souvenir, soit dans le sentiment des heures présentes, soit dans la prévision de celles qui viendront, se dégage de ses vers avec délicatesse et grandeur. […] Nous souviendra-t-il alors, mon ami, Des lyres jadis toujours accordées, Du scintillement des rimes brodées Et des chants rêvés écrits à demi ?