Plusieurs fois déjà, l’allégresse, l’enthousiasme, la folie, le goût de l’aventure ont guéri des malaises qui semblaient plus incurables que celui dont nous souffrons. […] Cet état d’abrutissement et de terreur panique hâta la crise décisive qui devait faire du peuple juif, las de souffrir et de pleurer, le messager de la bonne nouvelle. […] On y souffre, et cela est raisonnable ; veux-tu demander aux grandes puissances de la nature, de se transformer pour épargner la délicatesse de tes nerfs et de ton cœur ? […] D’autres souffrent ou souffriront bientôt des mêmes vices. […] Leconte de Lisle, si impassible qu’il parût à ceux qui n’apercevaient que le calme de son visage et l’extérieur de son génie, a souffert, lui aussi, cruellement.
Le cas le voici : nous croyons tous avoir à souffrir de leur part les plus terribles traitements. […] Nous ne souffrons pas de ne point faire de bien. […] Nous ne souffrons pas de ne pas faire le bien ; mais nous éprouvons un plaisir et très vif à le faire. […] Il est juste que l’injuste souffre ; mais c’est, aussi, très réel. […] Seulement il y a plus de mal à souffrir l’injustice qu’il n’y a de bien à la commettre.
Il en jouit ou bien il en souffre, à la manière des enfants et des sauvages. […] Il jouit et il souffre trop vivement. […] L’enfant souffre dans ses appétits matériels que le grand exercice physique ne dompte pas. […] On sait qu’il a constamment souffert des éloges donnés au réalisme de Madame Bovary. […] L’homme qui souffre et l’homme qui jouit n’ont ni tort ni raison de souffrir ou de jouir, aux yeux du psychologue ou du physiologiste.
Paul Redonnel donne l’ensemble de son œuvre ; et son œuvre résulte entièrement et exclusivement de sa vie, de son humanité ; c’est un livre souffert, livre d’art et de vie.
De là, dans ce livre, ces cris d’espoir mêlés d’hésitation, ces chants d’amour coupés de plaintes, cette sérénité pénétrée de tristesse, ces abattements qui se réjouissent tout à coup, ces défaillances relevées soudain, cette tranquillité qui souffre, ces troubles intérieurs qui remuent à peine la surface du vers au dehors, ces tumultes politiques contemplés avec calme, ces retours religieux de la place publique à la famille, cette crainte que tout n’aille s’obscurcissant, et par moments cette foi joyeuse et bruyante à l’épanouissement possible de l’humanité.
Sur la panse de ce vase des enfants qu’on a groupés, sont très-bien, ils ont bien souffert du feu.
Quoique Saint-Martin eût beaucoup moins à se plaindre qu’un autre de la Révolution et qu’il ait pu dire que jusqu’à une certaine heure elle l’avait traité en enfant gâté, il avait assez à en souffrir pour pouvoir récriminer contre elle s’il l’avait voulu et si son caractère l’y eût porté. […] Saint-Martin, dans ce débat, forcé à regret de se produire et de parler devant la galerie, le prend d’emblée avec Garat sur le pied non plus d’un élève, mais d’un maître : on reconnaît l’homme qui a longtemps médité sur les plus grands et les plus intimes problèmes de notre nature, et qui souffre d’avoir à en démontrer les premiers éléments. […] [NdA] En matière de propriété, Saint-Martin avait une doctrine très large et qui ne diffère guère de celles que nous avons vu professer de nos jours par quelques-unes des écoles socialistes les plus avancées : Quoique ma fortune souffre beaucoup de la Révolution, disait-il, je n’en persiste pas moins dans mon opinion sur les propriétés ; j’y peux comprendre particulièrement les rentes.
Si le poète, en outre, a eu particulièrement à souffrir de la vie et des hommes, que ce soit sa faute ou celle de son étoile, si plus qu’un autre il a été humilié par la destinée, je n’imagine rien de plus propre que ces novissima verba, que ces paroles suprêmes, à attirer enfin l’intérêt sur sa personne, et à touchez en sa faveur les plus distraits et les plus froids. […] Vieilli avant l’âge, sans en être devenu plus fort contre les vices de sa jeunesse, le cœur encore mal guéri de l’amour dont il avait tant souffert, sans ressource, sans espoir, dénoncé au mépris public par son passé et par sa prison récente ; — dans de pareilles circonstances, croyant en avoir fini avec la vie, et comme s’il eût déjà été étendu sur son lit de mort, il dicta le poème qui porte le titre de Grand Testament… Le Petit Testament contenait les adieux et les legs de Villon à ses amis en 1456 : Le Grand Testament renferme aussi une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poème, comme ils constituent celui du Petit Testament, n’en sont en réalité que le prétexte et que la partie accessoire. […] L’innocence des champs, il faut le dire aussi, devait peu sourire aux goûts qu’on lui connaît ; il ne la pouvait souffrir par les mêmes raisons que le fermier d’Horace.
Le décousu qui présida trop souvent aux opérations de la Péninsule le faisait souffrir. […] Ce qu’il eut à souffrir durant cette longue captivité, que rien ne trompait ni ne consolait, et qui dans la suite ne fit que changer de cadre et de barreaux, nul ne le sait : il contenait stoïquement ses impressions. […] Il aimait sa jeune femme, qui devait elle-même mourir de sa mort. « Je ne souffre que pour elle » : c’étaient par moments les seuls mots qu’il pût prononcer.
De fait, il a abdiqué les haines littéraires des romantiques : il admire jusqu’à Boileau, dont il ne souffre pas qu’on dise du mal, parce qu’enfin il a fait ce qu’il a voulu. […] Et ces êtres vulgaires, formes dégradées de l’humanité, nous blessent dans notre amour-propre ; ils nous affligent, et nous les méprisons : pourtant ils sont si réels, si vivants, ils souffrent avec une si énergique intensité, qu’ils prennent droit de représenter la pauvre humanité, et qu’un peu de notre pitié, une pitié loyalement, rudement gagnée par eux sans complaisance ni tricherie de l’auteur, adoucit nos dégoûts, notre tristesse et notre révolte. […] Sa fantaisie effrénée anime toutes les formes inertes ; Paris, une mine, un grand magasin, une locomotive, deviennent des êtres effrayants qui veulent, qui menacent, qui dévorent, qui souffrent ; tout cela danse devant nos yeux comme dans un cauchemar.
S’il souffre de voir se perpétuer des anomalies sociales souvent monstrueuses, c’est plutôt à cause de la faute d’art qu’il est choqué d’y découvrir. […] Bourget se ranger officiellement parmi les disciples de M. de Bonald, et malgré cette demi-rechute qu’a marquée Le Fantôme, nous pouvons croire que son scepticisme fut douloureux et cruel, ― mais non pas ironique, et de la qualité du moraliste qui a plus d’une fois sincèrement regretté de n’avoir pas su être un apôtre, et de cette intelligence, honnête jusqu’à souffrir de n’en jamais assez dire. […] Il faudrait pouvoir suivre l’auteur des Essais de psychologie contemporaine dans les logiques et successifs développements de son esprit affiné et élégant, curieux et circonspect, vite éclairé et déçu, mais, par un fonds d’orgueil, dont la première marque, et la plus expressive, est une aveugle puissance de révolte, parallèle à l’amour-propre le plus ombrageux, — assombri d’insatisfaction précoce ; le suivre surtout dans cette jeunesse troublée, qui fut par instants inquiète, et terriblement, mais non pas mal confiante, soucieuse de tout pour en jouir et aussi pour en souffrir, quelque inclination qu’elle ait failli affirmer pour un dilettantisme qui n’a jamais été que littéraire, faite pour le boulevard beaucoup moins que pour la cellule de couvent, pour l’absorption réfléchie de toutes les jouissances, comme, et peut-être mieux, pour l’ascétisme monacal.
Mademoiselle n’y verra d’abord qu’un sujet de curiosité et de divertissement : « Toutes les nouveautés me réjouissaient… De quelque importance que pût être une affaire, pourvu qu’elle pût servir à mon divertissement, je ne songeais qu’à cela tout le soir. » Telle Mademoiselle était à dix ans, telle à vingt, telle à trente, telle elle sera toute sa vie, jusqu’à ce qu’une passion tardive lui eût appris à souffrir. […] La première Fronde, celle de 1648, ne lui fournit pas l’occasion de s’émanciper encore, et son esprit se borna à donner cours à ses préventions qu’elle ne prenait pas la peine de dissimuler : « Comme je n’étais pas fort satisfaite de la reine ni de Monsieur dans ce temps-là, ce m’était un grand plaisir, dit-elle, que de les voir embarrassés. » Lorsque la reine et la Cour, sur le conseil du cardinal, quittèrent Paris pour Saint-Germain dans la nuit du 6 janvier 1649, elle se fit un devoir de les accompagner, bien qu’elle fût loin de partager leurs pensées et leurs vues : « J’étais toute troublée de joie de voir qu’ils allaient faire une faute, et d’être spectatrice des misères qu’elle leur causerait : cela me vengeait un peu des persécutions que j’avais souffertes. » La légèreté, le désordre et la cohue de cette cour de Saint-Germain sont peints à ravir par une personne aussi légère et frivole que pas une, mais qui est véridique et qui dit tout. […] Lorsque je lui fis mon compliment, raconte-t-elle, il me dit qu’il était bien persuadé de l’honneur que je lui faisais de prendre part aux bontés que le roi avait pour lui. » Ce simple mot la transporte : « Je commençais dans ce temps-là à le regarder comme un homme extraordinaire, très agréable en conversation, et je cherchais très volontiers les occasions de lui parler. » Elle commençait à s’ennuyer vaguement dès qu’elle ne le voyait plus : « Cet hiver, dit-elle (1669), sans savoir quasi pourquoi, je ne pouvais souffrir Paris ni sortir de Saint-Germain. » Chaque jour elle lui trouvait plus d’esprit et d’agrément quand elle parvenait à l’entretenir dans quelque embrasure de croisée, ce qui n’était pas toujours facile à cause de l’étiquette et du rang.