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487. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Dans la débâcle de nos mœurs et de notre littérature, dans la confusion, enragée et voulue, des deux sexes, au sein d’une société, folle d’égalité et d’instruction obligatoire, qui fait de ses jeunes filles des bachelières et des licenciées (pour procéder plus tard à d’autres licences !) […] pour faire jamais partie de cette jolie société de Tricoteuses bleues, qui l’ont réclamé, avec une insolence bruyante, dans un journal, il y a quelques jours ; mais elle n’en est pas moins pour cela un bas-bleu, et le bas-bleu, à l’heure qu’il est de la littérature, c’est la question et c’est le fléau ! […] Mais la chose qu’on appelle le Bas-bleu n’en va pas moins son train dans cette société, chez laquelle le rire, ce monarque absolu autrefois, n’est pas plus puissant que les autres monarques ! […] dans cette société désespérée, elle a peut-être de l’avenir… 29.

488. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Et tout de même que les disciplines de guerre les plus dures sont les mieux entendues et produisent toujours les résultats les plus grands, tout de même les autres disciplines, qui produisent, dans les sociétés comme dans les armées, la solidarité, la cohésion, l’efficacité du commandement et l’ascendant moral, — la seule raison véritable qu’on puisse donner de ce mystère de la victoire, — font les peuples les plus forts et les plus glorieux. […] Il n’y a nulle sécurité pour une société démocratique à être voisine d’une société militaire. […] … L’homme qui les a écrites me fait l’effet d’un Montesquieu militaire, qui nous donne axiomatiquement l’Esprit des Lois des armées, comme l’autre nous a donné l’Esprit des Lois des sociétés… Il n’affirme pas, il est vrai, la nécessité des démocraties pour la destruction des armées avec l’aplomb et l’autorité qu’il met à affirmer la discipline pour leur existence et pour leur force ; mais, trempé dans l’atmosphère de son temps, il en admet l’hypothèse.

489. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

… Ou c’est un tâtonnement audacieux et superficiel que votre affreux livre des Âmes mortes, dans lequel vous la vilipendez dans tout ce qui la constitue comme nation et comme société, ou c’est un conte à dormir, debout ! […] Écoutez cette plainte fatiguée : « Toutes les personnes, — écrit Gogol à un de ses amis, — toutes les personnes qui lisent, en Russie, sont persuadées que l’emploi que je fais de ma vie est de me moquer de tout homme que je regarde et d’en faire la caricature… » Bientôt, cette société qu’il avait blessée par cette suite de caricatures qui forment les divers chants de son poème des Âmes mortes, les fonctionnaires de cette Chine de fonctionnaires dont il avait dit les bassesses, les petitesses, le néant, l’aristocratie puérile, les femmes, les prêtres, tout se souleva contre lui. […] Il voulait faire de son voyage à Jérusalem quelque chose comme un bouclier contre le ressentiment des popes ; car à Saint-Pétersbourg, dans cette société mi-partie de mode et de religiosité mystique, un homme qui revient de Jérusalem a un charme… Le charme n’agit point sur la mort : frais de voyage, de précaution, de coquetterie religieuse, tout fut inutile. […] Insupportable, nous l’avons dit déjà, par le sujet et la manière ; insupportable par la monotonie de son trait, qui est toujours le même ; insupportable par la vulgarité de son observation, qui ne s’élève jamais, quoiqu’il ait essayé, dans la seconde partie des Âmes mortes, de peindre des gens qui ne sont pas simplement des radoteurs ou des imbécilles ; insupportable enfin par sa description de la nature, qui nous reposerait du moins de cette indigne société de crétins nuancés dans laquelle il nous fait vivre, et qu’il nous peint toujours à l’aide du même procédé : la comparaison de l’objet naturel avec le premier engin de civilisation venu.

490. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Mais cette minorité a le don d’occuper toute la surface visible de la société, de même qu’une très petite quantité d’huile est capable de couvrir de larges étendues de mer. […] Nous avons vu comment la bonne société s’habille et s’installe. […] Expositions artistiques, concerts, théâtre et livres, fussent-ils si extraordinaires, ne suffisent toutefois pas aux besoins esthétiques de la société élégante. […] Vers 1884, la société quitta son établissement habitué et dressa sa tente au « café François Ier », boulevard Saint-Michel. […] Le « circulaire » est condamné par la nature de son mal, s’il n’appartient pas à une riche famille, à être vagabond ou voleur ; il n’y a pas de place pour lui dans la société normale.

491. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Que si cependant, par suite de certaines circonstances, l’homme ou plutôt la majorité des hommes qui forment une société vient à se prendre d’une passion unique et violente ; si cette société, comme il arrive en temps de révolution, en proie à une idée fixe, s’obstine à ce qu’elle prévaille, et, irritée des obstacles, n’y répond que par une volonté d’une énergie croissante, n’est-il pas évident alors que l’historien peut et doit tenir compte de cette disposition morale, désormais ordonnatrice toute-puissante des événements, la mêler à chaque ligne de ses récits, et les pénétrer, les vivifier tout entiers de cette force des choses, qui n’est après tout que la force des hommes ? […] Mais il est pour la société des ministères de nécessité infâme, que cette nécessité est impuissante à expier moralement, et en présence desquels un honnête homme ne peut que se récuser.

492. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Jetée, jeune et pauvre, dans le monde, avec sa beauté et son titre de demoiselle, exposée dès l’enfance aux persécutions des dévots, qui la convertirent à grand’peine, et plus tard chez Scarron, aux galanteries des grands seigneurs qui ne la séduisirent pas, madame de Maintenon se distingua de bonne heure, et dans tous les états, par cette prudence accomplie, cet esprit de conduite, qu’alors on regardait comme la première vertu de son sexe, et qui de nos jours est resté tant à cœur à la haute société monarchique, sous le nom presque sacré de convenance. […] Sa vie entière s’était consumée dans cette lutte subtile ; ses facultés s’y étaient resserrées ; et, grâce à tant de travail sur elle-même, nulle femme ne possédait à son égal l’entente profonde et déliée des tracas de salon ; c’était une gloire dans la société, mais, en même temps, un obstacle à l’intelligence des grandes affaires. […] D’un tact consommé dans la société, ses vues ne s’élargirent pas avec sa fortune ; elle eut moins d’hypocrisie que de petitesse, et elle est moins haïssable pour ses fautes que le gouvernement absolu qui les permit.

493. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Dans sa revue de la société, au premier plan, se rencontraient la philosophie éclectique de la Restauration et la politique doctrinaire, l’une déjà morte, l’autre toujours vivace. […] Cet avenir encourageant de notre patrie et de la société européenne tout entière, il est devant nous ; bien des pièges et des tracasseries encore, bien des platitudes bourgeoises nous en séparent ; mais il n’est plus donné à aucune puissance de nous le voiler. […] Le but est marqué ; l’égalité, loi de la société future, est acquise ; on s’essaie encore, et l’on hésite autour du problème de l’association.

494. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Dans le monde, on en par la diversement suivant les habitudes de chaque société. […] Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. Bien que les bonnes mœurs soient la plus sûre garantie du bon goût, cependant le bon goût a ses lois à part ; elles procèdent d’un instinct qui se développe dans la société avec la politesse des esprits, avec la délicatesse des âmes, avec l’élégance des manières, et s’exalte dans les douceurs des communications habituelles des esprits.

495. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XV » pp. 61-63

— Viennet a fait à une bête de société philotechnique un rapport sur Lucrèce. […] — Le livre de M. de Custine sur la Russie est plus qu’un livre agréable : au milieu de beaucoup de répétitions, de bel esprit, d’afféterie même et de prétention à étaler ses propres sentiments qu’on ne lui demande pas, l’auteur a observé avec sagacité, avec profondeur ; il dévoile (et c’est la première fois qu’on le fait) les plaies et les lèpres de cette société russe, de cette civilisation plaquée ; il révèle sur le prince, sur les grands, sur tous, d’affreuses vérités : ce livre porte coup (c’est l’opinion de bons juges, non suspects de faveur).

496. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Préface de la première édition du quatrième volume »

Je me suis donc abstenu, attendant que l’ordre, rétabli dans la société et dans les esprits, me permît de les juger, non comme des auxiliaires appelés en de mauvais jours pour des œuvres de destruction, mais comme des maîtres de l’art et comme les guides de l’esprit humain au dix-huitième siècle. J’ignore si je les ai bien jugés ; du moins j’ai la conscience qu’au moment où ces pages ont reçu leur dernière forme, il ne m’était resté aucun ressentiment de l’usage qu’on avait fait des erreurs de ces écrivains contre les vérités conservatrices de la société humaine.

497. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Introduction »

En effet, les grands sociologues dont nous venons de rappeler les noms ne sont guère sortis des généralités sur la nature des sociétés, sur les rapports du règne social et du règne biologique, sur la marche générale du progrès ; même la volumineuse sociologie de M. Spencer n’a guère d’autre objet que de montrer comment la loi de l’évolution universelle s’applique aux sociétés.

498. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Son sonnet licencieux sur un amour immoral, avoué en ce temps-là dans une mauvaise société de Florence, sonnet commémoratif de cette pitoyable aventure, en est la preuve en ce qui le concerne. […] Quand ces devoirs furent accomplis, elle reprit dans la société de Fabre la vie élégante et princière qu’elle avait commencée à Paris avant la révolution. […] Le comte Baldelli vivait à Florence, et sa société savante plaisait à Mme d’Albany ; je le voyais souvent moi-même de 1820 à 1826. […] J’ai tout perdu, consolation, soutien, société, tout, tout. […] Ses liaisons avec Mme de Staël et sa société lui rendaient, sous l’Empire, son rôle très complexe et très délicat.

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