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654. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Je compare le dix-huitième siècle à une société de gens qui sont à table ; il ne suffit pas que l’aliment soit devant eux, préparé, présenté, aisé à saisir et à digérer ; il faut encore qu’il soit un mets, ou mieux une friandise. […] Ouvrez-les ; chacune d’elles est un trésor ; il y a mis, dans un étroit espace, un long amas de réflexions, d’émotions, de découvertes, et notre jouissance est d’autant plus vive que tout cela, saisi en une minute, tient aisément dans le creux de notre main. « Ce qui fait ordinairement une grande pensée, dit-il lui-même, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d’autres, et qu’on nous fait découvrir tout d’un coup ce que nous ne pouvions espérer qu’après une longue lecture. » En effet, telle est sa manière ; il pense par résumés : dans un chapitre de trois lignes, il concentre toute l’essence du despotisme. […] C’est pourquoi il a deux prises sur l’esprit public, l’une par la satire, l’autre par l’idylle  Sans doute aujourd’hui ces deux prises sont moindres ; la substance qu’elles saisissaient s’est dérobée ; nous ne sommes plus les auditeurs auxquels il s’adressait.

655. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Parfois, au milieu du calme, éclate un cri d’alarme ou d’angoisse qui serre le cœur : c’est celui d’un herbivore surpris et saisi par les griffes d’un carnassier de la famille du tigre, ou dans les replis du boa constrictor. […] On s’ennuie quelquefois à Rome le second mois de séjour, mais jamais le sixième ; et, si on y reste le douzième, on est saisi de l’idée de s’y fixer. […] Je ne cherche en ce moment ni par qui, ni par quoi, ni comment ; je saisis au passage le fait irrécusable de la dualité, là où était la simplicité ; je constate le flagrant délit des vertus au sein même de l’incapacité de toute vertu ; par conséquent, l’intervention d’un supérieur dans le sein même de l’inférieur, et je dis, avec l’autorité de l’évidence : Les propriétés ultérieures de la matière sur lesquelles vous vous appuyez pour repousser tout principe étranger à la matière, sont la chose même que vous niez, sont les manifestations logiques de ce principe même que vous essayez vainement de dissimuler, d’absorber dans la matière, croyant par là vous éviter de le reconnaître.

656. (1772) Éloge de Racine pp. -

On s’aperçut que c’était là des beautés absolument neuves ; mais Corneille et Racine n’en avoient pas encore appris assez à la nation pour qu’elle pût saisir tout ce qu’un pareil ouvrage avait d’étonnant. […] Quel homme, témoin de ce grand réveil de la nature, n’est pas saisi de respect et d’enthousiasme ? […] C’est ici qu’il faut reconnaître le grand art où excellait l’auteur, de saisir toutes les nuances qui rendent la passion si différente d’elle-même.

657. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Beyle cherche ainsi dans le roman une pièce à l’appui de son ancienne et constante théorie, qui lui avait fait dire : « L’amour est une fleur délicieuse, mais il faut avoir le courage d’aller la cueillir sur les bords d’un précipice affreux. » Ce genre brigand et ce genre romain est bien saisi dans L’Abbesse de Castro ; cependant on sent que, littérairement, cela devient un genre comme un autre, et qu’il n’en faut pas abuser. […] Ce qu’il n’avait pas saisi du premier mot, il ne l’atteignait pas, il ne le réparait pas.

658. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

On saisit mieux dans ses lettres les sources véritables de sa poésie, de la vraie poésie domestique et de la vie privée : un badinage encore affectueux, une familiarité qui ne dédaigne rien de ce qui intéresse, comme étant trop humble et trop petit, mais tout à côté, de l’élévation, ou plutôt de la profondeur. […] Je me hâtai de la saisir, la voyant peu faite pour un bouquet, ainsi mouillée et noyée, et, la secouant rudement, trop rudement, hélas !

659. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Avant Lavoisier, la chimie minérale, déjà explorée, offrait une multitude de sentiers et de labyrinthes dont son génie a saisi les rapports et tracé le plan. […] Sa logique est là, non pas ailleurs… Tout ce qui tend à confondre l’étude des sciences physiques avec les observations et les notions de la vie commune, doit être saisi avec empressement.

660. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

La Congrégation, qui a eu le triste honneur de donner son nom à cette sorte de maladie honteuse et de lèpre qui menaça de couvrir la France de 1821 à 1828, était, à l’origine, une simple association de piété et de bonnes œuvres : dès les premiers temps de la seconde Restauration, l’intrigue s’en empara pour la faire agir dans le sens d’une certaine politique, et, en y prêtant grande attention, on commence à trouver trace de son influence, à saisir le mouvement de ses sapes, encore très-sourdes, dans la Chambre de 1815. […] » Celui-ci, dégageant tout d’un coup son talent de parole comme une épée qu’on sort du fourreau, a saisi toutes les occasions éclatantes, les a rehaussées même par une affectation de singularité, et n’a pas craint de pousser à bout son antithèse absolue et provocatrice, de poser hautement sa contradiction à la fois monacale et libérale, mettant désormais quasi sur la même ligne (nouveauté étrange !)

661. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Car un des secrets de l’amour, il le lui dira au dernier moment, « c’est qu’il faut toujours qu’un homme domine une femme, — par la force, par l’intelligence, par l’orgueil, par la fierté, par tout ce qui est mâle en lui ; — et c’est pour cela, ajoute-t-il, qu’on n’aime jamais bien une femme qu’on ne comprend pas, qu’on craint de blesser en frappant autour d’elle des choses qu’on ne saisit pas bien… Que voulez-vous qu’un homme fasse de l’orgueil d’une femme ? » Elle l’a donc amené à douter insensiblement de lui et à ne savoir que faire d’elle, à s’avouer qu’il n’a jamais bien su lui-même où saisir précisément cette pensée fuyante dans le vain nuage dont elle s’environnait.

662. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Ce qu’on sait de positif, c’est qu’aussitôt mort ses créanciers se saisirent de ses papiers et de ses cahiers : il fallut plaider et obtenir un arrêt pour que l’Académie rentrât en possession de son bien. […] Cette observation bien saisie eût été un correctif contre les excès même de régularité qui ont suivi.

663. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Et puis, quand on a lu, qu’on a été saisi, choqué, attiré, secoué et repris de mainte manière et par bien des fibres, il vient un moment où la rébellion cesse, où l’on rend les armes et où, tout rempli des qualités évidentes d’un auteur honnête, hardi, piquant, pittoresque, cordial et généreux, on se plaît à ajouter ce trait qui vient le dernier et qui manquerait à tout éloge de femme, s’il ne le couronnait pas : « Elle doit être vraiment aimable !  […] le vôtre, le mien : pétulance, un sang chaud, quelque parole trop vive, beaucoup d’années sans trop penser à Dieu, un cœur malhabile à le saisir, facile à s’en distraire. » Là-dessus une conversation s’engage : le pasteur (ou Mme de Gasparin déguisée en pasteur) s’applique à rassurer Lisette : elle ne croyait qu’en Jéhovah le Dieu terrible : il lui montre le Dieu d’Abraham, le Dieu du pardon, celui qui s’est immolé et qui a souffert.

664. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Aujourd’hui il a tenu à justifier au plus tôt le choix de M. le maréchal ministre en publiant par son ordre une Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, laquelle nous montre ce roi si décrié sous un jour un peu plus avantageux qu’on n’est accoutumé de le voir ; on y surprend non seulement des jugements justes, mais d’honorables velléités et des désirs de bien faire ; on y saisit l’instant remarquable et fugitif où Louis XV fut tenté d’être quelqu’un dans son gouvernement et où il faillit devenir roi. […] De quelque côté qu’on la prenne et qu’on essaye de la retourner, l’action n’est pas belle ; c’est une perfidie, et si l’espèce de fureur dont est saisi Saint-Simon toutes les fois qu’il y revient peut faire sourire, n’oublions pas qu’il est meilleur juge que personne de la noirceur du tour, puisqu’il savait seul à quel semblant de bonne grâce, d’émotion et de tendresse à son égard s’était portée, dans le tête-à-tête, la reconnaissance du duc de Noailles pour les offices généreux qu’il lui avait rendus.

665. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

A faire mieux saisir la physionomie de l’homme. […] Vous avez pour instrument particulier une pince très-fine qui va saisir son objet souvent très-loin et très-avant : pourquoi faut-il que la pince le tortille parfois en le retirant ?

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