Nous essayons de le faire, quand nous lisons un roman, par exemple ; mais quelque soin que l’auteur ait mis à peindre les sentiments de son héros et même à en reconstituer l’histoire, le dénouement, prévu ou imprévu, ajoutera quelque chose à l’idée que nous avions du personnage : donc nous ne connaissons ce personnage qu’imparfaitement.
Il m’entretient d’une série de romans qu’il veut faire, d’une épopée en dix volumes, de l’histoire naturelle et sociale d’une famille, qu’il a l’ambition de tenter, avec l’exposition des tempéraments, des caractères, des vices, des vertus, développés par les milieux, et différenciés, comme les parties d’un jardin, « où il y a de l’ombre ici, du soleil là ». […] Une figure jeune, douce, plaisante avec une grande barbiche d’officier d’Afrique : le général distingué, tel que l’inventerait un roman sans talent ou une pièce du Gymnase.
Il en résulte un moraliste très convaincu, passionnément convaincu, mais qui n’a du moraliste que le fond, si je puis dire ainsi, qui n’en a pas l’air, qui n’en a pas les enveloppes et les surfaces ordinaires, qui n’est ni austère, ni pédantesque, ni grave, ni ennuyeux, qui mène à la morale (et même au sacrifice de tout à la morale) par les chemins qui d’ordinaire sont plutôt pour en détourner ; par des conversations abandonnées, des propos souriants, des discussions brillantes, des joutes, des passes d’armes, des rêves, des tableaux, des mythes, des fables, des romans, des citations de poètes, des descriptions voluptueuses, des propos de dilettante et de sceptique. […] Ici l’on démontrerait, ce qui serait assez facile, que l’artiste, quand il cherche à introduire dans son œuvre un élément moral, a une préoccupation étrangère à son art et qui peut être funeste à l’art. — Il y aurait les arts où le beau moral peut entrer pour quelque chose, pour plus ou moins ; d’où, du reste, il peut être absent : musique, danse, poésie descriptive, comédie, conte, roman. […] D’abord, peut-être, parce que cet homme a le sentiment de la distinction des genres et, s’il n’aime pas une comédie mêlée de drame, un poème épique mêlé de burlesque et un roman mêlé de dissertations, aime moins encore une tragédie qui est un traité de morale et veut chaque chose en son lieu et à sa place ; et c’est un sentiment qui n’est pas d’une grande profondeur ; mais qui est estimable : le sens de la distinction des genres et l’horreur de la confusion des genres est la marque d’un esprit droit. […] Nous préférons le breuvage amer présenté franchement et bravement, et nous ne voulons pas trouver les maximes d’Épictète dissimulées dans un roman.
Ils ne l’effacent pas sous des romans pieux, au profit des saints, ni sous des tendresses féminines, au profit de l’Enfant Jésus et de la Vierge.
Elle commence par les romans, elle finira par l’histoire ; elle apprend à écrire avant de penser, et parmi les écrivains actuels de toutes les langues il y en a bien peu (s’il y en a) qui égalent Tourgueneff en naturel, en simplicité et en originalité.
Aussi, quand on a pleuré en lisant Paul et Virginie, on ne croit pas avoir lu un roman, on croit avoir écouté une histoire.
VII L’évêque Lanatelle, amoureux de la reine de Mingrélie, princesse d’une incomparable beauté, et aimé d’elle, quoique le roi son mari eût été aveuglé et exilé par les complices de l’évêque, vivait avec elle, est l’homme principal de ces machinations, Chardin le visite, et le raconte ; il n’y a pas de roman en Europe comparable à ce récit.
C’est lui, par exemple, qui, dans le roman de la Rose, peint ainsi une cérémonie auguste, l’élection d’un roi : grand vilain lors ils élurent, Le plus ossu qu’entr’eux ils eurent.
Histoire, poésie, philosophie, romans, théâtres, journaux, libelles : c’était un véritable pillage de l’esprit humain.
Agnès sort, Arnolphe reste seul et, dans le transport de sa satisfaction, il devient lyrique et s’écrie : Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos vers, vos romans, Vos lettres, billets doux, toute votre science, De valoir cette honnête et pudique ignorance.
Il y a sans doute bien des artifices de composition dans ses romans et ses drames ; pourtant, dans les scènes particulières, dans les épisodes détachés de l’ensemble factice, il possède un sens du réel et arrive à une puissance lyrique dans la reproduction exacte de la vie que Zola, dans ses bonnes pages, a seul atteinte.
Nous parlons ici de ce qui est arrivé dans les différentes époques de la Littérature, & de ce qui arrivera sur-tout, lorsque le beau, le grand, le sérieux en tout genre, n’ayant plus d’asyle que dans les bibliotheques & auprès d’un petit nombre de vrais amateurs, laisseront le public en proie à la contagion des froids romans, des farces insipides, & des sottises polémiques. […] Soit que l’épopée se renferme dans une seule action comme la tragédie, soit qu’elle embrasse une suite d’actions comme nos romans, elle exige une conclusion qui ne laisse rien à desirer ; mais le poëte dans cette partie a deux excès à éviter ; savoir, de trop étendre, ou de ne pas assez développer le dénouement. […] Le roman de Quinte-Curce a peut-être fait le malheur de la Suede ; le poëme d’Homere, les malheurs de l’Inde ; puisse l’histoire de Charles XII. ne perpétuer que ses vertus !