Leur mobilité se règle sur l’immobilité d’une formule. […] Le souci constant de la forme, l’application machinale des règles créent ici une espèce d’automatisme professionnel, comparable à celui que les habitudes du corps imposent à l’âme et risible comme lui. […] Et Bahis, dans l’Amour médecin : « Il vaut mieux mourir selon les règles que de réchapper contre les règles. » « Il faut toujours garder les formalités, quoi qu’il puisse arriver », disait déjà Desfonandrès dans la même comédie.
Il y a donc un défaut originel dans l’esprit classique, défaut qui tient à ses qualités et qui, maintenu d’abord dans une juste mesure, contribue à lui faire produire ses plus purs chefs-d’œuvre, mais qui, selon une règle universelle, va s’aggraver et se tourner en vice par l’effet naturel de l’âge, de l’exercice et du succès. […] Sur les organes les plus vitaux de la société, sur les règles et les pratiques qui vont provoquer une révolution, sur les droits féodaux et la justice seigneuriale, sur le recrutement et l’intérieur des monastères, sur les douanes de province, les corporations et les maîtrises, sur la dîme et la corvée378, la littérature ne m’apprend presque rien. […] Condillac déclare que le procédé de l’arithmétique convient à la psychologie et qu’on peut démêler les éléments de notre pensée par une opération analogue « à la règle de trois ».
D’autres fois les préceptes de courtoisie et de belle morale se grefferont sur les commandements de la morale chrétienne, comme dans ce curieux Châtiement des dames de Robert de Blois, que je ne nommerais pas, si l’on n’y voyait comment peu à peu, dans la comparaison inévitable du fait et de la règle, le moyen âge a fait à la longue son éducation psychologique, comment aussi, dans ce temps d’abstractions et de formules, l’observation précise de la vie s’inscrit en préceptes généraux. […] Une des plus authentiques marques de bourgeoisie dans une œuvre littéraire, c’est l’effacement ou l’abaissement de la femme : Jean de Meung donne à la règle une éclatante confirmation. […] L’Évangile est sa règle, il s’y tient, il le défend : il dispute contre ceux qui lui semblent s’en éloigner, il se fait le champion de l’ancienne foi contre les nouveautés de l’Évangile éternel, et c’est pour purifier la religion, qu’il fait une si rude guerre à la corruption de l’Église, aux vices des ordres monastiques.
On peut compter les pièces où elle manque : Athalie, la Mort de César, quelques tragédies de Marie-Joseph Chénier font exception à la règle générale ; mais ces exceptions sont bien rares. […] Regardons une époque où les femmes se virilisent, où elles secouent le joug des traditions et des règles qui les assujettissaient, où elles réclament fièrement leur indépendance et se donnent libre carrière en tous domaines. […] D’un côté l’éducation répressive, à l’ancienne mode : une jeune fille élevée dans l’isolement et comme cloîtrée depuis son enfance ; sevrée des plaisirs du monde et même de rubans ; habituée à n’avoir rien à elle, surtout une volonté ; maintenue dans l’innocence à force d’ignorance, munie pour toute règle de conduite de préceptes sur la façon de se bien tenir et de faire gracieusement la révérence, préceptes mondains auxquels se mêlent quelques pieuses leçons sur la nécessité d’obéir à ceux qui ont reçu du ciel le droit de commander.
Donc, en règle générale, quand il ne s’agit pas d’invention intellectuelle, mais seulement d’interprétation et d’assimilation, le mot précède l’idée, d’un temps qui est d’autant plus long que l’association de l’idée avec le mot nous est moins familière ou que l’idée prise en elle-même nous est plus imprévue. […] De Bonald semble avoir été de ces privilégiés ; du moins, en le lisant, on le suppose volontiers ; un esprit étroit et absolu, qui n’a jamais eu qu’un petit nombre d’idées, qui, une fois trouvée la formule concise de chacune d’elles, s’est désormais cité lui-même comme un credo, et qui, ayant, en quelque sorte, emprisonné sa pensée dans ses propres sentences, n’a jamais rencontré sous sa plume le commentaire varié, abondant, persuasif, par lequel il eût éclairé ses lecteurs sur la part de vérité contenue dans ses aphorismes, un tel esprit devait croire à la simultanéité du signe et de l’idée, et même à une harmonie préétablie entre eux de toute éternité ; il constitue donc parmi les écrivains une de ces exceptions qui confirment la règle. […] La parole intérieure ne fait pas exception à la règle générale ; comme la parole extérieure et l’écriture, elle est un signe, elle n’est pas un élément de la pensée.
Tout le monde conçoit sans peine que, si les hommes chargés d’exprimer le beau se conformaient aux règles des professeurs-jurés, le beau lui-même disparaîtrait de la terre, puisque tous les types, toutes les idées, toutes les sensations se confondraient dans une vaste unité, monotone et impersonnelle, immense comme l’ennui et le néant. […] Tant il est vrai qu’il y a dans les productions multiples de l’art quelque chose de toujours nouveau qui échapper éternellement à la règle et aux analyses de l’école ! […] Or, comment cette bizarrerie, nécessaire, incompressible, variée à l’infini, dépendante des milieux, des climats, des mœurs, de la race, de la religion et du tempérament de l’artiste, pourra-t-elle jamais être gouvernée, amendée, redressée, par les règles utopiques conçues dans un petit temple scientifique quelconque de la planète, sans danger de mort pour l’art lui-même ?
Mais la netteté de notre esprit, comme la sécheresse de nos formes et le cassant de notre règle, ne permet pas ces indécisions souvent nourricières et fécondes ; il faut choisir par oui ou par non. […] Doué non pas simplement d’une extrême ardeur personnelle de connaître et de savoir, mais de l’amour dû vrai et de « cette grande curiosité » qui porte avec elle son idée dominante, et qui se règle aussi sur le besoin actuel et précis de l’œuvre humaine à chaque époque, il s’est dit de bonne heure que ce qu’il désirait le plus de savoir, d’autres le désiraient également ; et il s’est assigné, pour rendez-vous et pour terme éloigné, mais certain, au milieu même de la variété et de la dispersion apparente de ses travaux, l’Histoire des origines du christianisme.
Ceux qui ont pris à tâche de décomposer l’œuvre reconstruite se sont fait trop beau jeu vraiment en combattant l’admiration un peu superstitieuse de madame Dacier ou du Père Le Bossu sur le plan exact et le but de l’Iliade, sur la perfection rigoureuse de la marche et sur l’observation inviolable des prétendues règles épiques qu’on en avait déduites après coup : Chaque vers, chaque mot court à l’événement, avait dit Boileau. Ce genre d’éloge pourra sembler un peu exagéré sans doute ; on n’en est plus tout à fait là aujourd’hui, non plus qu’à rechercher la règle fondamentale des cinq actes et des trois unités dans Sophocle et dans Eschyle.
Règles de la méthode sociologique, p. 128. […] Règles de la méthode sociologique, p. 150.
La règle lui manque, il est vrai : c’est un taillis épais et luxuriant, où l’art n’a point encore dessiné des allées. […] La règle existait bien à l’origine, mais vivifiée par l’esprit, à peu près comme les cérémonies chrétiennes, devenues pure série de mouvements réglés, étaient dans l’origine vraies et sincères.
Ses raisonnements, il est vrai, étaient souvent subtils (la simplicité d’esprit et la subtilité se touchent ; quand le simple veut raisonner, il est toujours un peu sophiste) ; on peut trouver que quelquefois il recherche les malentendus et les prolonge à dessein 973 ; son argumentation, jugée d’après les règles de la logique aristotélicienne, est très faible. […] La purification de la vaisselle était assujettie, chez les pharisiens, aux règles les plus compliquées (Marc, VII, 4).
À aucun moment, en effet, la règle n’intervient dans cette éducation abandonnée à la pure tendresse : Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère… Elle ne me demandait que d’être vrai et bon. […] Pour me représenter M. de Lamartine et ses erreurs sans lui faire trop d’injure, je me suis demandé quelquefois ce que serait devenu un François de Sales ou un Fénelon, une de ces natures d’élite, qui n’aurait pas été élevée du tout, qui n’aurait connu aucune règle, et se serait passé tous ses caprices.