Il peut y avoir des ouvrages qui relèvent uniquement de l’une ou de l’autre ; un traité de géométrie ou d’algèbre ne se pique guère d’avoir des qualités littéraires ; un conte de fées ou un poème fantastique n’a le plus souvent rien à démêler avec la science. […] La science attifée, pomponnée, enrubannée ne perd pas seulement le charme austère et viril qui lui convient ; elle est sujette à perdre du même coup la précision, qui est sa qualité essentielle. […] Je pourrais noter encore le rôle important dévolu souvent aux inventeurs, aux savants, aux médecins, les tirades sur les vibrions ou sur la liquéfaction de l’oxygène, et même l’emploi, en qualité de ressorts dramatiques, de certains engins nouveaux tels que le télégraphe et le téléphone : ressorts qui, pour le dire en passant, auraient été bien précieux au temps où régnait la règle des trois unités, puisqu’ils permettent de faire parler et prendre part à l’action les personnages absents. […] Leur opposition à Descartes et les qualités particulières de leur œuvre sont dans la littérature le reflet d’une autre philosophie, d’une autre méthode scientifique. […] La littérature a dans ces moments-là des qualités que j’oserais presque qualifier de matérialistes.
Même dans la sensation, une différence d’intensité entraîne toujours avec elle une différence de qualité, à plus forte raison quand on passe de la sensation à l’image. […] Elle reproduit moins l’intensité des constituants originels que leur qualité et leurs rapports complexes. James Ward remarque avec raison que nous appelons souvent vivacité de souvenir, intensité de souvenir, le caractère distinct et complet des souvenirs ; or ce caractère distinct et complet tient à la qualité et aux rapports plus ou moins nombreux que nous saisissons, bien plus qu’à l’intensité proprement dite. Nous prenons pour un degré de quantité ce qui est réellement une qualité. […] Ajoutons que ces réactions centrales sont, en dernière analyse, des réactions de la conscience tout entière conçue comme activité générale et volonté ; or, que la volonté réagisse sous une cause externe ou sous une excitation interne, l’intensité de la réaction pourra varier, mais sa qualité demeurera toujours sensiblement identique, si on fait abstraction de toutes les sensations concomitantes et de tous les mouvements concomitants pour ne considérer que l’émotion en elle-même.
.), non plus sur leurs simples qualités sensitives, et il en résulte des actions d’ordre supérieur. […] De plus, ces rapports ne sont pas seulement des rapports de quantité, mais encore de qualité. Enfin, cette qualité n’est pas purement sensitive et hédonique, mais encore intellectuelle, esthétique, morale et sociale. La conscience réfléchie de tous ces rapports modifie l’intensité et la qualité primitives des motifs ; elle n’est pas une vaine lumière sans effet : l’action finale est, en partie, la résultante de ce processus qui constitue la délibération, et il est des cas où c’est cet examen réfléchi des motifs qui joue le plus grand rôle, le rôle décisif. […] Chacun des poids que nous ajoutons ne modifie en rien les autres et n’en change point la qualité : c’est simplement une quantité de plus à introduire dans le total.
Or, l’entière suggestion dont nous parlons, et qui pour les persuasions ou les saillies en vertige de l’Idée, tient au sens idéographique des mots mais en même temps à leur phonétisme, ne peut naître que si la langue est traitée en son origine phonétique retrouvée et arrivant à une Musique des mots : matière, d’identique qualité, de la pensée qui agit et possède. […] Que l’on admette selon les grammaires usuelles, que les lettres-consonnes n’aient point de son par elles-mêmes, ou que l’on veuille entendre selon moi qu’elles représentent une sorte de préparation à valeur primitive, des organes de la voix saisis par l’instinct et la sensation pour parvenir à l’articulation pure des voyelles, — et qu’elles soient donc inséparables d’elles pour ce que, elles aussi, à degrés moindres, sonnent ou consonnent en devenir de timbres-vocaux : il sied de leur reconnaître, stridantes, explosives, martelantes, percutantes, pénétrantes et stridentes, des qualités spéciales de « Bruits ». Or, les mêmes qualités de Bruits, de murmures et rumeurs, singularisant, étroitement unies aux qualités de sons, tel ou tel de leurs timbres, nous les retrouvons aux instruments de musique. […] Il est universel et de tous les temps que le langage poétique, et des lettrés, de plus en plus s’éloigne du langage des Foules : l’un ne pouvant être, ainsi que nous le disions, qu’un rapide intermédiaire, de quotidien et précis usage et aux seules qualités de concision, — et l’autre exigeant, de par son origine double, tous les apports de musique verbale, et picturaux et plastiques — et rythmiques, en perceptions et représentations les plus rares et retravaillées sans cesse.
Le Vieillard et les trois Jeunes Hommes est presque d’une haute moralité, point encore tout à fait, il est bien certain que c’est seulement un conseil de sagesse, de prudence, de discrétion et de modestie, mais toutes ces choses, si elles ne sont pas des vertus, commencent à être de très belles qualités, et des demi-vertus si Ion peut ainsi dire. […] Voilà ce que j’appelle les vrais contes de La Fontaine, c’est-à-dire les récits où il a peint des hommes et des femmes avec leurs défauts, avec leurs ridicules qu’il a joliment et très spirituellement raillés, et aussi avec des qualités qu’il s’est attaché à peindre avec complaisance et avec un certain attendrissement. […] Cette manière, je le répète, est absolument différente de la manière des contes proprement dits, et elle est à considérer comme on a considéré celle des contes proprement dits, pour en faire remarquer les défauts en même temps que les qualités. […] Ce n’est pas une bonne qualité pour une femme d’être savante ; et c’en est une très mauvaise d’affecter de paraître telle. » Voilà la petite semonce par laquelle commencent les lettres de La Fontaine à sa femme ; voilà qui nous porte déjà à croire que ce sont bien des lettres domestiques, des lettres familiales que La Fontaine a écrites là. […] Elle paraissait assez jeune et de taille raisonnable, témoignait avoir de l’esprit, déguisait son nom, et venait de plaider en séparation contre son mari : toutes qualités de bon augure [vous voyez dans quel sens parle La Fontaine] et j’y eusse trouvé matière de cajolerie, si la beauté s’y fût rencontrée ; mais sans elle rien ne me touche. » Il ne sera plus question de la comtesse que quand on la quittera à Port-de-Piles, quand elle montera dans un carrosse campagnard qui l’emmènera dans son petit castel.
Car il était dans la nature de son talent de nous en donner beaucoup, de nous en donner indéfiniment ; la qualité de Victor Hugo étant, et je ne veux pas la diminuer, d’être un puits artésien de poésie, — un puits artésien intarissable, mais intarissable de la même eau. […] … Je n’ai point l’admiration à clos yeux de ceux-là qui avaient découvert dans Hugo la qualité qui fait le dieu : la vie immobile, féconde, éternelle ; le brisement de la faux du Temps. […] Tout l’est en lui : le talent, les qualités et les défauts, les élans, les défaillances, le succès, les chutes, les opinions, la niaiserie comme le génie, les maladresses, les ridicules, tout, — même les chansons, même les caprices, ces choses charmantes ordinairement petites ! […] Seulement, sur le chemin de l’énorme où il s’élance avec l’aveuglement d’un taureau fou, quelquefois — les bons jours pour ses qualités toutes-puissantes, quand elles parviennent à s’équilibrer, — il rencontre tout à coup le grandiose, et alors il devient le poète énorme encore, mais sans difformité, qui pouvait seul donner à la France ce poème épique qu’elle n’a pas, et dont elle s’est toujours moquée parce qu’il lui a toujours manqué. […] Toutes les qualités en sont parties, mais tous les défauts y sont restés.
Il le doit à une qualité qu’il possède à un degré extraordinaire, la mémoire. […] On n’y trouve comme dans Chateaubriand, Gautier ou Taine aucune qualité exclusive et puissante, mais un équilibre intelligent de toutes les qualités requises pour faire une œuvre juste, mesurée et vraie. […] Mais mise en lumière des qualités et reconnaissance des défauts ne sont pas des résultats derniers. […] Les qualités ont leur raison d’être ; les erreurs on parvient enfin à les comprendre ». […] Fromentin a aimé en les maîtres flamands et hollandais des qualités comme ses qualités littéraires à lui.
Dans cette préface j’ai dit : Henriette Maréchal est une pièce « ressemblant à toutes les pièces du monde » et les ennemis de la pièce ont fait dire à cet aveu plus qu’il ne disait, déclarant que l’œuvre n’avait pas la plus petite qualité personnelle. […] On me reproche de grosses ficelles ; grosses ou petites, est-ce qu’il n’y en a pas chez tous les auteurs, les auteurs les plus habiles, dans cet art conventionnel, où je ne connais pas un dénouement de pièce qui ne soit amené par la surprise d’une conversation derrière un rideau, ou par l’interception d’une lettre, ou par un truc forcé de cette qualité ? […] Théophile Gautier y trouvait une qualité, qu’il nous reconnaissait seuls posséder : une langue littéraire parlée. […] Maintenant, n’y aurait-il pas dans notre pièce une seconde qualité que personne n’a remarquée ? […] Mais, les qualités d’une humanité véritablement vraie, le théâtre les repousse par sa nature, par son factice, par son mensonge.
Noterai-je, dans ces premiers vers, quelque autre qualité du poète ? […] Mallarmé fut celle que lui commandaient ses qualités natives. […] M. de Villiers était évidemment prédestiné par les qualités spéciales de sa nature et de sa race. […] Ces précieuses qualités du talent de M. […] Léon Daudet avait attesté de précieuses qualités d’invention et de style.
Quand je vois ces qualités et ces défauts de l’historien d’une époque finissante, cet arrangement élégant et peigné, ces comparaisons disparates où les images d’Endymion ou de tel autre personnage mythologique sont jetées à travers les événements les plus positifs et les plus désastreux de l’histoire, je les oppose aux qualités et aux défauts du narrateur français qui commence, à cette simplicité grave, sèche et roide, mais parfois épique, et je me demande : « Lequel des deux est véritablement le plus voisin d’Homère ou d’Hérodote ? […] Et quant au caractère même de l’homme, du guerrier si noblement historien, je dirai pour conclure : Villehardouin, tel qu’il apparaît et se dessine dans son Histoire, est bien un homme de son temps, non pas supérieur à son époque, mais y embrassant tous les horizons ; preux, loyal, croyant, crédule même, mais sans petitesse ; des plus capables d’ailleurs de s’entremettre aux grandes affaires ; homme de conciliation, de prudence, et même d’expédients ; visant avec suite à son but ; éloquent à bonne fin ; non pas de ceux qui mènent, mais de première qualité dans le second rang, et sachant au besoin faire tête dans les intervalles ; attaché féalement, avec reconnaissance, mais sans partialité, à ses princes et seigneurs, et gardant sous son armure de fer et du haut de ses châteaux de Macédoine ou de Thrace des mouvements de cœur et des attaches pour son pays de Champagne.
Ricardos, nommé général en chef, avait des qualités de prudence et de sagesse, mais de l’incertitude et de l’inexpérience sur le terrain, comme presque tous ceux qui entraient en scène en ce moment. […] Plein de zèle et bouillant d’ardeur, aimé des soldats, appelé d’eux tous le caporal Dagobert, parce qu’il était toujours le premier au feu, il va faire preuve d’idées hardies, au besoin même de conceptions d’ensemble, mais surtout de qualités spéciales brillantes, et illustrer bien des épisodes de ces premières guerres. […] Il avait toutes les qualités d’un vieux militaire : extrêmement brave de sa personne, il aimait les braves et en était aimé ; il était bon, quoique vif, très actif, juste, avait le coup d’œil militaire, le sang-froid et de l’opiniâtreté dans le combat. » Dugommier avait, du premier coup d’œil, apprécié le jeune commandant d’artillerie qui le secondait si bien.
Figurons-nous bien, car c’est le devoir de la critique de se déplacer ainsi à tout moment et de mettre chaque fois sa lorgnette au point, — figurons-nous donc, non pas seulement dans la salle de l’hôpital de la Trinité à Paris (cette salle me semble trop étroite), mais dans une des places publiques d’une de ces villes considérables, Angers ou Valenciennes, devant la cathédrale ou quelque autre église, un échafaud dressé, recouvert et orné de tapisseries et de tentures magnifiques, et tout alentour une foule avide et béante ; des centaines d’acteurs de la connaissance des spectateurs, jouant la plupart au vrai dans des rôles de leur métier ou de leur profession : des prêtres faisant ou Dieu le Père ou les Saints ; des charpentiers faisant saint Joseph ou saint Thomas ; des fils de famille dans les rôles plus distingués, et quelques-uns de ces acteurs sans nul doute décelant des qualités naturelles pour le théâtre ; figurons-nous dans ce sujet émouvant et populaire, cru et vénéré de tous, une suite de scènes comme celles que je ne puis qu’indiquer : — le dîner de saint Matthieu le financier, qui fait les honneurs de son hôtel à Jésus et à ses apôtres, dîner copieux et fin, où l’on ne s’assoit qu’après avoir dit tout haut le bénédicité, où les gais propos n’en circulent pas moins à la ronde, où l’un des apôtres loue la chère, et l’autre le vin ; — pendant ce temps-là, les murmures des Juifs et des Pharisiens dans la rue et à la porte ; — puis les noces de Cana chez Architriclin, espèce de traiteur en vogue, faisant noces et festins, une vraie noce du xve siècle ; — oh ! […] Et ici, je ne craindrai pas, si j’ai été sévère ailleurs, d’insister sur le genre d’intérêt et sur les qualités de ce vieux Mystère. […] Plus tard, d’ans l’admirable sermon pour le jour de sainte Madeleine, prêché par Massillon, ce maître des cœurs, il y aura quelques traits, quelques intentions qui, de loin, rappelleront ce même motif : c’est quand la pécheresse qui chez Massillon est aussi une femme de qualité, après avoir entendu Jésus une première fois, déjà touchée et à demi pénitente, se dit en elle-même : « Ses regards tendres et divins m’ont mille fois démêlée dans la foule… Il a eu sur moi des attentions particulières ; il n’a, ce me semble, parlé que pour moi seule… » Et la voilà déjà à demi gagnée ; sa coquetterie même sert à sa conversion.