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520. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Ce divorce est chose grave assurément, en ce qu’il a suscité l’école et la méthode dites positivistes, qui relèguent les questions de cause, de principe et de fin, parmi les problèmes scientifiquement insolubles, et en font un pur objet d’imagination, de sentiment et de foi peur l’âme humaine. […] La métaphysique peut toujours, avec Aristote, concevoir un idéal de la pensée pure et indépendante de tout organisme, en Dieu et chez des êtres supérieurs à l’homme. […] Nous ne traitons point de l’esprit pur, de l’esprit sous forme abstraite ; nous n’avons aucune expérience d’une entité de ce genre. […] Vulpian définit la volonté un pur mouvement réflexe, quand M.  […] N’est-ce pas une vérité de conscience que nous sentons une espèce de violence faite à notre volonté dans le cas d’un entraînement passionné, tandis qu’au contraire nous nous sentons en parfaite possession de nous-mêmes et en plein exercice de notre pouvoir personnel dans le cas d’une pure délibération intellectuelle ?

521. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Était-ce curiosité pure ? […] Daru très jeune, lui ayant écrit en 1788 pour le consulter sur l’opportunité de publier à celle date un poème épique dont la guerre d’Amérique serait le sujet, et ayant paru attribuer la préséance dans la famille des Muses à celle qui présidait aux sciences, Ramond, en répondant, lui rappelait que c’est la poésie au contraire à laquelle il appartient de donner à tout la vie et l’immortalité ; et convenant d’ailleurs que les circonstances étaient peu propices à l’épopée, il ajoutait : Mais c’est la destinée ordinaire des grands ouvrages de ce genre de n’être jamais des ouvrages de circonstance ; et si, par cette raison, leur succès est plus lent et plus difficile, leur gloire est plus pure et moins mortelle. […] Mais en même temps et en attendant que cette épopée encore à naître fut venue, Ramond, vers 1807, savait fort bien déterminer le caractère littéraire d’un siècle qui était le sien et qui a aussi sa force et son originalité : On le dépréciera tant qu’on voudra ce siècle, disait-il, mais il faut le suivre ; et, après tout, il a bien aussi ses titres de gloire : il présentera moins souvent peut-être l’application des bonnes études à des ouvrages de pure imagination, mais on verra plus souvent des travaux importants, enrichis du mérite littéraire… Nos plus savants hommes marchent au rang de nos meilleurs écrivains, et si le caractère de ce siècle tant calomnié est d’avoir consacré plus particulièrement aux sciences d’observation la force et l’agrément que l’expression de la pensée reçoit d’un bon style, on conviendra sans peine qu’une alliance aussi heureuse de l’agréable et de l’utile nous assure une place assez distinguée dans les fastes de la bonne littérature.

522. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

L’idée si élevée de faire de Saint-Cyr un abri et un foyer chrétien, un refuge et une école de simplicité vertueuse et pure, à mesure que la corruption et la grossièreté augmentent parmi les jeunes femmes de la Cour, se montre à découvert dans ces lettres de Mme de Maintenon : Que ne donnerais-je pas, s’écrie-t-elle (octobre 1703), parlant à l’une des maîtresses, pour que vos filles vissent d’aussi près que je le vois combien nos jours sont longs ici, je ne dis pas seulement pour des personnes revenues des folies de la jeunesse, je dis pour la jeunesse même qui meurt d’ennui parce qu’elle voudrait se divertir continuellement et qu’elle ne trouve rien qui contente ce désir insatiable de plaisir ! […] L’autre pièce que j’ai à citer est intitulée Le Retour, c’est l’être humain (homme ou femme) qui, après avoir vécu, souffert et failli, revient au lieu natal, dans le manoir domestique, et y retrouve tous les anciens témoins de son innocence et de son bonheur : « Nous reviens-tu avec le cœur de ton enfance, un cœur libre, pur, aimant ?  […] Je me suis écarté de mon premier et pur amour, ô brillant et heureux ruisseau.

523. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Dans la dernière année et quand la maladie déjà mortelle retenait Bossuet à Paris, il l’y venait voir, passait avec lui plusieurs heures, lui lisant l’Évangile et lui en parlant : entretiens doux et graves, élevés et purs, entre ces deux chrétiens si à l’unisson ; c’est là ce qu’on aimerait à entendre et à connaître ; mais Le Dieu ne nous donne que le titre de l’entretien. […] Je sais des hommes d’étude et de lecture approfondie qui placent Fleury très haut, plus haut qu’on n’est accoutumé à le faire aujourd’hui, qui le mettent en tête du second 265 rang ; ils disent « que ce n’est sans doute qu’un écrivain estimable et du second ordre, mais que c’est un esprit de première qualité ; que ses Mœurs des israélites et des chrétiens sont un livre à peu près classique ; que son Traité du choix et de la méthode des études, dans un cadre resserré, est plein de vues originales, et très supérieur en cela à l’ouvrage plus volumineux de Rollin ; que son Histoire du droit français, son traité du Droit public de France, renferment tout ce qu’on sait de certain sur les origines féodales, et à peu près tout ce qu’il y a de vrai dans certains chapitres des plus célèbres historiens modernes, qui n’y ont mis en sus que leurs systèmes et se sont bien gardés de le citer ; que Fleury est un des écrivains français qui ont le mieux connu le Moyen Âge, bien que peut être, par amour de l’Antiquité, il l’ait un peu trop déprécié ; que cet ensemble d’écrits marqués au coin du bon sens et où tout est bien distribué, bien présenté, d’un style pur et irréprochable, sans une trace de mauvais goût, sans un seul paradoxe, atteste bien aussi la supériorité de celui qui les a conçus. » Pour moi, c’est plutôt la preuve d’un esprit très sain. […] Bossuet, durant toute sa vie, avait lu et aimé les psaumes ; mais ce premier temps où, chanoine, âgé de treize ans à peine, il les chantait de sa voix pure et peut-être avec larmes aux offices du chœur à Metz, lui revenait plus tendrement dans ses derniers jours.

524. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Le fils du connétable est un savant, un amateur de la philosophie nouvelle, un traducteur de Descartes ; non seulement on discutait autour de lui, et à son exemple, dans son petit château de Vaumurier, mais on y disséquait des animaux, des chiens, pour s’assurer si les bêtes étaient ou n’étaient pas de pures horloges et des automates. […] Sachons donc gré à l’auteur des présents mémoires d’avoir rempli son dessein, même au prix de tant de détails qui sont de pure étiquette, de nous avoir tenus au courant de tous les pas et démarches du roi, de la reine, du principal ministre, de livrer ces faits tout secs et nus à notre critique, à nos réflexions : à voir le soin et le scrupule de ponctualité qu’apporte dans les moindres circonstances de son narré le noble chroniqueur, je suis tenté de l’appeler (toute proportion gardée) le Tillemont de la Cour. […] En résumé, les Mémoires du duc de Luynes renferment sans doute bien des futilités de pur cérémonial, mais aussi beaucoup de particularités curieuses, et quelques-unes même d’importantes.

525. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Le succès, dans ses caprices, va quelquefois au pur mérite, au talent modeste et caché ; il va même au talent absent et disparu qui, vivant, s’ignorait en partie ou qui avait aimé à ne pas se faire connaître. […] Pour ceux qui, distraits des pures Lettres ou occupés ailleurs (comme il est permis), auraient besoin qu’on les remît sur la voie, je rappellerai qu’Eugénie de Guérin, sœur de Maurice de Guérin, de l’admirable auteur du Centaure, était son égale en dons naturels, en génie, sa supérieure en vertu, en force d’âme, son aînée vigilante et tendre, et qu’elle fut pendant neuf années sa survivante douloureuse, son Antigone ou son Électre, toute consacrée à sa mémoire et comme desservante d’un tombeau. […] Mais pour être plus à l’aise dans notre comparaison avec la protestante zélée moins classique, moins pure de lignes, plus imprévue, plus saine aussi d’âme et de corps et plus vivace, nous avons à examiner avec quelque détail les récents écrits de Mme de Gasparin, et c’est ce que nous ferons.

526. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

. — Pour ce qui est des pures idées et de leur rapport avec les noms, le principal secours a été fourni par les noms de nombre et, en général, par les notations de l’arithmétique et de l’algèbre ; on a pu ainsi retrouver grande vérité devinée par Condillac et qui depuis cent ans demeurait abattue, ensevelie et comme morte, faute de preuves suffisantes. — Pour ce qui est des images, de leur effacement, de leur renaissance, de leurs réducteurs antagonistes, le grossissement requis s’est rencontré dans les cas singuliers et extrêmes observés par les physiologistes et par les médecins, dans les rêves, dans le somnambulisme et l’hypnotisme, dans les illusions et les hallucinations maladives. — Pour ce qui est des sensations, les spécimens significatifs ont été donnés par les, sensations de la vue et surtout par celles de l’ouïe ; grâce à ces documents et grâce aux récentes découvertes des physiciens et des physiologistes, on a pu construire ou esquisser toute la théorie des sensations élémentaires, avancer au-delà des bornes ordinaires jusqu’aux limites du monde moral, indiquer les fonctions des principales parties de l’encéphale, concevoir la liaison des changements moléculaires nerveux et de la pensée. — D’autres cas anormaux, empruntés également aux aliénistes et aux physiologistes, ont permis d’expliquer le procédé général d’illusion, et de rectification dont les stades successifs constituent nos diverses sortes de connaissances. — Cela fait, pour comprendre la connaissance que nous avons des corps et de nous-mêmes, on a trouvé des indications précieuses dans les analyses profondes et serrées de Bain, Herbert Spencer et Stuart Mill, dans les illusions des amputés, dans toutes les illusions des sens, dans l’éducation de l’œil chez les aveugles-nés auxquels une opération rend la vue, dans les altérations singulières auxquelles, pendant le sommeil, l’hypnotisme et la folie, est sujette l’idée du moi. — On a pu alors entrer dans l’examen des idées et des propositions générales qui composent les sciences proprement dites, profiter des fines et exactes recherches de Stuart Mill sur l’induction, établir contre Kant et Stuart Mill une théorie nouvelle des propositions nécessaires, étudier sur une série d’exemples ce qu’on nomme la raison explicative d’une loi, et aboutir à des vues d’ensemble sur la science et la nature, en s’arrêtant devant le problème métaphysique qui est le premier et le dernier de tous. […] Nous traitons de même ces lois générales, jusqu’à ce qu’enfin la nature, considérée dans son fond subsistant, apparaisse à nos conjectures comme une pure loi abstraite qui, se développant en lois subordonnées, aboutit sur tous les points de l’étendue et de la durée à l’éclosion incessante des individus et au flux inépuisable des événements. […] Au reste, la pure spéculation philosophique n’occupe guère ici que cinq ou six pages ; elle est une contemplation de voyageur, que l’on s’accorde pour quelques minutes lorsqu’on atteint un lieu élevé.

527. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

J’aimerais aussi le rapprocher, à ce point de vue, de tel peintre de la Renaissance, comme Ghirlandajo qui fit naître sous son pinceau des femmes grandes et pures. […] Vielé-Griffin, il donne plus de soin à l’équilibre lumineux des plans ; mais tous deux subordonnent la couleur à la ligne : chez l’un c’est la pure forme arrêtée à elle-même, chez l’autre c’est le mouvement qui règnent dans toute l’œuvre10. […] Ce poète eût beaucoup perdu sans doute à ce changement de vision si, — comme le font les sculpteurs, — en rendant plus flottantes les lignes de ses figures, il n’avait préservé sous la vague étoffe la fermeté pure des contours, et s’il n’avait acquis pour elles un lointain favorable au songe qui les fait aimer par-dessus tout.

528. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Des deux volumes sur Abélard, il n’y a que la moitié du premier volume qui soit à notre usage, je veux dire à l’usage des esprits qui tiennent à ce que le sérieux ne soit pas dénué de tout agrément ni de tout profit, et qui ne se paient pas du pur amour-propre de comprendre. […] L’auteur a eu affaire ici à une vie très belle, très pure et très uniment développée, même à travers les orages ; il s’est plu à l’exposer avec charme, avec étendue et lumière, et à composer une grande biographie de Moyen Âge, qui, cette fois, est faite pour plaire à bien des esprits, pour désarmer (tant M. de Rémusat y a mis d’impartialité et de réserve !) […] Ainsi, au moment d’aller rejoindre Dieu selon sa ferme croyance, et de posséder le pur esprit à sa source, Anselme regrettait de manquer une dernière découverte intellectuelle, et de ne pas résoudre par lui-même un dernier problème sur les choses de l’esprit.

529. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

Mais, sous un autre rapport, il y a sentiment d’impuissance à réaliser pleinement, par le moyen d’une pure idée, les sensations et émotions de plaisir attachées au jeu. […] Il n’y a que quatre hypothèses possibles : 1° l’explication du premier mouvement par un pur mécanisme, non précédé d’un sentiment de peine ou de plaisir (Spencer) ; 2° l’explication par le mouvement spontané (Bain) ; 3° l’explication par le mouvement expressif (James Ward) ; enfin 4° l’explication par le mouvement appétitif non défini, précédant le mouvement appétitif défini. […] Il se produit certainement dans l’être animé, surtout dans un être de constitution très élémentaire, des mouvements explicables par une pure transmission mécanique, par une simple réflexion de mouvements ; mais il est probable que, dès le début, ces mouvements sont accompagnés d’un état de conscience sourde, l’animal étant sensible ; et comme cet état de conscience a un ton agréable ou pénible, on ne comprendrait pas que, du côté psychique, manquât une réaction à l’égard du plaisir ou de la douleur.

530. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Alfred Hédouin, était de Sterne et portait, pour preuve, la marque de l’ongle du Maître, — de cette pure opale qu’il avait pour ongle, — et qu’il a mise sur trois chefs-d’œuvre, comme un inimitable cachet. […] Humouriste à teintes adoucies et pures, dans une contrée où l’humour a des tons criards et je ne sais quelle hagarde ivresse, il ne doit la transparence de son sourire et la limpidité de ses larmes qu’à la chasteté du sentiment chrétien qui ne l’abandonne jamais, et, sur les limites de la passion où parfois il glisse, se rappelle encore à lui par une rougeur… Ascète adorable, qui donnerait des charmes inattendus à l’Austérité et qui s’est peint en trois traits, lui et son talent, quand il a dit : « Que faut-il à « un homme pour être heureux ? Une jatte de lait, une chemise blanche et une conscience pure… » Il a la savoureuse et forte sagesse de ceux que l’Évangile a calmés, et c’est à son génie et à ses œuvres bien plus qu’aux meilleurs des vins de la terre, qu’on pourrait donner ce doux nom de larmes du Christ, que les hommes, consolés de tout par une jouissance, ont donné à quelques gouttes d’éther parfumées de soleil !

531. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Peut-être ; mais ce qu’il y a de sûr aujourd’hui, c’est que les races qui se croient les plus pures ont subi des mélanges innombrables, et que, de toutes les sociétés, celles où l’idée de l’égalité règne sont aussi celles où la « panmixie » est à son apogée. […] Mais si nous adoptons certaines théories générales ou repoussons certaines autres, cela ne s’explique pas seulement parce que nous avons une tendance à imiter ; notre adhésion ou notre répugnance veut des raisons autres que le pur instinct d’imitation : il est possible que l’étude des formes de la société même où nous vivons nous les révèle. […] Le succès de l’égalitarisme ne doit plus dès lors être présenté comme la résultante pure et simple de mouvements de propagation qui auraient traversé indifféremment toutes les sociétés, quelles que fussent leurs formes, pourvu seulement qu’un homme de génie s’y fût rencontré pour donner la chiquenaude initiale : cette propagation même a pour condition l’existence de certaines formes sociales qui, modelant les esprits en un certain sens, les prépare à recevoir l’empreinte des idées égalitaires.

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