La critique serait suspecte de rivalité, l’éloge paraîtrait une adulation aux deux plus grandes puissances que nous reconnaissons sur la terre, le génie et le malheur.
Dans ce chapitre, l’auteur jette en passant les fondements d’une critique nouvelle : 1º La civilisation de chaque peuple a été son propre ouvrage, sans communication du dehors ; 2º On a exagéré la sagesse ou la puissance des premiers peuples ; 3º On a pris pour des individus des êtres allégoriques ou collectifs (Hercule, Hermès.)
Les monarques ne peuvent ôter aux peuples cette souveraineté sur les langues ; mais elle est utile à leur puissance même.
Périclès, Auguste, Luther, Louis XIV, Voltaire, voilà des noms d’un sens immense ; chacun d’eux réfléchit l’éclat, la grandeur, la puissance, l’esprit tout entier du siècle qu’il représente. […] Si vous l’eussiez consultée quelquefois, si vous n’eussiez pas douté de sa puissance et de sa force, si vous l’eussiez courageusement opposée aux séductions qui vous ont assailli, elle aurait sauvé votre Innocence ; elle vous aurait du moins rendu la vertu ! […] Je crois à la légitimité du bon goût ; mais je crois aussi à l’audace, à la fécondité de l’esprit humain ; j’ai foi à sa liberté, à sa puissance. […] Leur puissance n’est pas là ; elle est presque tout entière dans l’esprit civilisateur et dans l’habileté administrative qui caractérisent cette nation. […] Car, il faut bien le dire, l’immobilité du peuple indien dans ses habitudes et dans ses croyances, sa résistance à épouser les mœurs de l’Angleterre, quoiqu’il accepte ou qu’il subisse patiemment tous les bienfaits de son administration éclairée, c’est là, si nous en croyons un observateur judicieux, Victor Jacquemont, le seul danger réel qui menace la puissance anglaise dans l’Inde.
Son optimisme ici et cette espèce de béatitude que nous lui avons vue en quelques moments expire ; et avec cela il ne désespère jamais, il n’abdique pas son idée d’avenir et ne laisse pas échapper ce qu’il estime le fil conducteur : J’ai vu la plupart de mes concitoyens très alarmés aux moindres dangers qui à tout moment menacent l’édifice de notre Révolution ; ils ne peuvent se persuader qu’elle soit dirigée par la Providence, et ils ne savent pas que cette Providence laisse aller le cours des accessoires qui servent de voile à son œuvre, mais que quand les obstacles et les désordres arrivent jusqu’auprès de son œuvre, c’est alors qu’elle agit et qu’elle montre à la fois ses intentions et sa puissance ; aussi, malgré les secousses que notre Révolution a subies et qu’elle subira encore, il est bien sûr qu’il y a eu quelque chose en elle qui ne sera jamais renversé. […] Sa profession de foi sur la Révolution française est simple, elle est celle d’un croyant : il pense que la Providence s’en mêle soit directement, soit indirectement, et par conséquent il ne doute pas que cette Révolution n’atteigne à son terme, « puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule » : En considérant la Révolution française dès son origine et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées… Quand on la contemple, cette Révolution, dans son ensemble et dans la rapidité de son mouvement, et surtout quand on la rapproche de notre caractère national, qui est si éloigné de concevoir et peut-être de pouvoir suivre de pareils plans, on est tenté de la comparer à une sorte de féerie et à une opération magique ; ce qui a fait dire à quelqu’un qu’il n’y aurait que la même main cachée qui a dirigé la Révolution, qui pût en écrire l’histoire. […] Il lui envie cette puissance et cette fermeté de talent qu’il n’avait pas, mais il se sent d’une région plus noble et plus élevée : « Rousseau, dit-il, frappait plus bas que moi. » Il diffère de lui surtout en ce qu’il croit essentiellement à un Dieu qu’on ne salue pas seulement, qu’on ne se borne pas à proclamer, mais qu’on aime et qu’on prie : « À force de dire, Notre Père, espérons que nous entendrons un jour dire, Mon fils. » Voilà ce que l’orgueil de Rousseau eût repoussé.
Pour nous, ce qui nous attire et ce qui nous en plaît aujourd’hui, ce n’est pas tant ce canevas sentimental aisé à imaginer, et qui est traité d’ailleurs avec grâce et délicatesse, comme aurait pu le faire Mme de Souza ; ce sont moins les personnages amoureux que des personnages au premier abord accessoires, mais qui sont en réalité les principaux : c’est un président de Longueil, forte tête, à idées politiques, à vues étendues, une sorte de Montesquieu consultatif en 89, et qui, en écrivant à Saint-Alban, lui communique ses appréciations supérieures et son pronostic chaque fois vérifié ; — c’est aussi le père du jeune Saint-Alban, espèce de Pétrone ou d’Aristippe, qui, pour se livrer à ses goûts d’observation philosophique et de voyages, a renoncé dès longtemps aux affaires, aux intérêts publics, même aux soins et aux droits de la puissance paternelle, et s’en est déchargé sur son ami le président de Longueil. […] Dès qu'elle est née et produite, il la reconnaît comme une puissance sans arrêt et une sorte de fatalité irrésistible. […] Mais sur toutes ses prescriptions, et par-dessus toutes les plaintes qui lui échappent, il plane un certain respect des dieux, de la main desquels il convient que l’homme reçoive tout ce qu’ils envoient, les maux comme les biens : « Il ne faut point jurer que telle chose n’arrivera jamais ; car cela irrite les dieux en qui réside tout accomplissement. » Théognis, courbant la tête sous la puissance mystérieuse qui régit le monde, consent à être quelquefois errant et mendiant comme Homère ; il ne porte point à tout propos dans sa bague le poison de Cabanis.
Royer-Collard, c’est une puissance ! […] M. de Serre, ce jour-là, semblait se jouer dans les tempêtes ; son argumentation n’en était pas un seul instant ébranlée et déconcertée ; et quand il arriva au fond même, au corps de la loi qu’il attaquait, il redoubla de vigueur et de puissance. […] Cette Rome dont la puissance a traversé tant de siècles. qui a tenu si longtemps le sceptre du monde, à quelle cause faut-il attribuer sa prodigieuse durée, si ce n’est peut-être à l’audacieuse, mais admirable confiance qui lui inspira de se saluer elle-même du nom de Ville éternelle ?
Très exactement informé, religieusement attaché à la vérité et aux documents qui la montrent, bon écrivain dont le style a de la solidité et du relief, ce clerc errant, de vie assez libre, est intraitable sur les privilèges et la mission du clergé ; c’est un de ces enfants perdus, de ces polémistes que rien n’effraie, qui, de leur autorité privée, se font défenseurs et régents de l’Église, aussi prompts à en invectiver la corruption qu’à réclamer pour elle toute la puissance : l’Eglise, de tout temps, a eu de ces serviteurs zélés, brutaux, indociles, qui la gênent, la compromettent autant qu’ils la servent, et, somme toute, lui font payer cher leurs services. […] Le Nil, qui sort « de Paradis Terrestre », le miracle de ses crues périodiques, les alcarazas, où l’eau se tient si fraîche en plein soleil, les Bédouins, « laide et hideuse gent », à barbe et cheveux noirs, les Tartares, et les commencements merveilleux à leur puissance, la Norvège et la longueur des jours polaires, trois ménétriers qui jouent du cor et font la culbute, les petites choses comme les grandes, ont frappé Joinville, et viennent après cinquante ans prendre place un peu à l’aventure au milieu des « chevaleries » du roi Louis. […] C’est cette puissance naturelle de vision et d’imagination qui fait le charme de Joinville.
Sa protection qui ne tombait pas de haut, et froidement, était une tendresse soucieuse où son cœur, non pas seulement sa puissance, apparaissait. […] Ou plutôt n’est-ce pas qu’à cet esprit fort médiocrement pourvu de puissance logique ou d’invention métaphysique, la doctrine de Farel offrait ce qu’en l’absence d’une philosophie constituée rien ne pouvait lui donner : un ensemble assez net d’idées qui pour l’instant affranchissaient la pensée. […] De plus, écrivant pour un public d’élite, asservissant son inspiration au goût de ses lecteurs, il ouvre l’ère de la littérature mondaine, il fait prédominer les qualités sociables sur la puissance intime de la personnalité ; avec lui commence le règne — salutaire ou désastreux comme on voudra, ou mêlé de bien et de mal — d’une société polie.
Les ennemis de Voltaire Voltaire mit souvent ce génie et cette puissance au service de ses passions personnelles. […] Il donne à la France le spectacle de la faveur dont il jouit à l’étranger : il a repris dès 1757 une correspondance amicale avec le roi de Prusse ; à partir de 1763, il échange des lettres avec Catherine II ; il n’importe que les deux souverains se servent un peu de lui en politiques, pour mettre par son moyen l’opinion de leur côté ; le public qui croit voir Voltaire traiter d’égal avec les deux grandes puissances du temps, juge la petitesse du ministère français, qui le tient en exil loin de Paris ; il en prend du mépris pour le gouvernement, et du respect pour la philosophie. […] Il est tout nerfs, irritable, bilieux, rancunier, vindicatif, intéressé, menteur, flagorneur de toutes les puissances, à la fois impudent et servile, familier et plat.
Dominé par l’idée de la puissance inventrice de l’homme, il étendit beaucoup trop la sphère de l’invention réfléchie. […] Retenez bien au moins que les théories du progrès sont inconciliables avec la vieille théodicée, qu’elles n’ont de sens qu’en attribuant à l’esprit humain une action divine, en admettant en un mot comme puissance primordiale dans le monde le pouvoir réformateur de l’esprit. […] La vie n’est pas autre chose : aspiration de l’être à être tout ce qu’il peut être ; tendance à passer de la puissance à l’acte.
Mais la puissance relative de ces forces ne demeure pas la même ; celles-ci croissent, celles-là, décroissent et un jour vient où celle qui régnait est détrônée et remplacée par une de celles qui la combattaient. […] En politique, elle est soumise aux puissances établies ; elle est profondément monarchique ; je ne vois aucun écrivain qui se dérobe au prestige du roi-soleil, qui ne lui paie un jour ou l’autre son tribut d’adulation et d’idolâtrie. […] Faut-il rappeler que la philosophie du temps s’occupe surtout de l’âme, abstrait de la complexe réalité la pensée pure, se fie en aveugle à la puissance du raisonnement, use de la méthode mathématique ?