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1055. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Il ne peut être question d’antinomies au sens absolu qu’à propos de thèses et d’antithèses métaphysiques, telles que celles que Kant a mises aux prises, vainement d’ailleurs, dans sa Critique de la raison pure et qui ne sont que des couples de notions contradictoires érigées en absolus, chacune de son côté, par la vertu d’un artifice dialectique. — Pris au sens relatif, le mot antinomie signifie que deux choses sont dans un rapport tel que le développement de l’une se fait aux dépens du développement de l’autre, que la pleine affirmation de l’une contrarie la pleine affirmation de l’autre, que l’une tend à détruire ou du moins à amoindrir et à affaiblir l’autre. C’est en ce dernier sens que nous prenons ici le mot antinomie. […] Maintenant l’antinomie entre l’individu et la société prend une signification différente, selon qu’on la considère d’un point de vue subjectif ou d’un point de vue objectif. […] C’est la solution de Guyau et en général des sociologues qui admettent l’existence d’une sorte d’altruisme et de socialisme primitif (ce dernier mot pris au sens le plus large). — Dans les sociétés primitives l’individu aurait très peu existé ou même pas du tout. […] À cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état, j’eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens si, pour ce que j’approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu’elle aurait peut-être cessé de l’être ou que j’aurais cessé de l’estimer telle. » (Discours de la méthode, 3e partie.)

1056. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Bertrand est toujours en action ; tantôt il semble aux prises avec quelque ennemi extérieur, tantôt il dessine d’un geste de la main les figures qu’il étudie. […] Je prendrai comme second exemple le principe de Dirichlet sur lequel reposent tant de théorèmes de physique mathématique ; aujourd’hui on l’établit par des raisonnements très rigoureux mais très longs ; autrefois, au contraire, on se contentait d’une démonstration sommaire. […] Mais si l’on avait pris soin de traduire le raisonnement dans le langage de la Géométrie, intermédiaire entre celui de l’Analyse et celui de la Physique, ces défiances ne se seraient sans doute pas produites, et peut-être pourrait-on ainsi, même aujourd’hui, tromper encore bien des lecteurs non prévenus. […] Ce n’est pas cela que je veux dire ; en devenant rigoureuse, la Science mathématique prend un caractère artificiel qui frappera tout le monde ; elle oublie ses origines historiques ; on voit comment les questions peuvent se résoudre, on ne voit plus comment et pourquoi elles se posent. […] La plupart d’entre nous, s’ils voulaient voir de loin par la seule intuition pure, se sentiraient bientôt pris de vertige.

1057. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Ses affirmations perpétuelles de lui-même prirent quelque chose de fastidieux 968. […] C’était la bourgeoisie pharisienne, c’étaient les innombrables soferim ou scribes, vivant de la science des « traditions », qui prenaient l’alarme et qui étaient en réalité menacés dans leurs préjugés et leurs intérêts par la doctrine du maître nouveau. […] … « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui avez pris la clef de la science et ne vous en servez que pour fermer aux hommes le royaume des cieux 981 ! […] Car vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat 983 ; mais le dedans, qui est plein de rapine et de cupidité, vous n’y prenez point garde. […] On prenait note de ses paroles pour invoquer contre lui les lois d’une théocratie intolérante, que la domination romaine n’avait pas encore abrogées 998.

1058. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Une montagne est à prendre ou à laisser. […] L’Etna flamboie et bave, jette dehors sa lueur, sa colère, sa lave et sa cendre ; ils prennent un trébuchet, et pèsent cette cendre pincée par pincée. […] Une influence quelconque, fût-ce celle de Shakespeare, ne pouvait qu’altérer l’originalité du mouvement littéraire de notre époque. — « Le système de Shakespeare », dit, à propos de ce mouvement, l’honorable et grave écrivain, « peut fournir, ce me semble, « les plans d’après lesquels le génie doit désormais travailler. » Nous n’avons jamais été de cet avis, et nous avons pris les devants pour le dire il y a quarante ans12. […] Un jour, à Sainte Hélène, M. de Las Cases disait : Sire, puisque vous avez été maître de la Prusse, à votre place, j’aurais pris dans le tombeau de Potsdam, où elle est déposée, l’épée du grand Frédéric et je l’aurais portée. — Niais, répondit Napoléon, j’avais la mienne. […] Elle le prend en flagrant délit de fréquentation populaire, allant et venant dans les carrefours, « trivial », disant à tous le mot de tous, parlant la langue publique, jetant le cri humain comme le premier venu, accepté de ceux qu’il accepte, applaudi par des mains noires de goudron, acclamé par tous les rauques enrouements qui sortent du travail et de la fatigue.

1059. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Ce barnabite, qu’on nous dépeint d’une physionomie sinistre, d’un maintien imposant, apprêté, mais d’une conversation séduisante, fut le directeur de celle qui vouloit se donner, en France, pour une Thérèse, & faire prendre son galimathias pour des révélations & des prophéties. […] On se laissoit prendre aux exhortations ; à l’air insinuant du P. directeur. […] Abeille légère & difficile dans son choix, il n’avoit pris que la fleur des sciences & des belles-lettres. […] Madame Guyon avoit pris Lacombe pour son directeur ; mais elle ne fit de Fénélon qu’un disciple. […] Elle prit alors le nom de Mauléon, & a vêcu très long-temps.

1060. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Cette imagination fut, du reste, la cause de son succès si instantané, si rapide au Journal des Débats, où on l’avait pris pour rendre compte des pièces de théâtre et continuer les traditions dogmatiques de la Critique d’alors, dans la rectitude de son enseignement. […] Bien des années avant de prendre à Diderot son Neveu de Rameau, il avait pris à Richardson sa Clarisse, qu’il avait non pas traduite, mais concentrée dans un style autrement poignant, étincelant et beau que celui de l’auteur anglais. […] Dans les sensations et les joies du style, il prenait très bien son parti de n’être pas un créateur. Et comment ne l’eût-il pas pris ? […] Je l’ai vu souvent les écrire joyeusement, sans se prendre le front une seule fois, sans se replier sur lui-même, sans cesser de causer avec nous, qui nous abattions sur lui comme des abeilles sur une grappe de raisin, qui bourdonnions autour de lui ; car il travaillait sa chambre pleine d’amis et… d’actrices, — ses sujettes de feuilleton, — qui, certes, ne l’induisaient pas au recueillement !

1061. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

De même que, sous le beau climat de l’Ionie et de la Grèce orientale, le spectacle éblouissant de la terre et des cieux suscitait des hymnes de louanges, et, en quelque sorte, une apothéose de la nature, ainsi l’étude réfléchie de ses merveilles, la recherche de leurs causes, l’interprétation de leurs symboles, firent naître un autre enthousiasme, qui prit bientôt le même langage. […] La déesse bienveillante m’accueillit ; et, de sa main, elle me prit la main droite ; et elle me dit ces mots : « Ô jeune homme, qui fais route avec des conductrices immortelles, dont les coursiers t’amènent dans ma demeure, réjouis-toi88 ; car ce n’est pas une mauvaise destinée qui t’a fait prendre cette route, en dehors de la voie battue des hommes ; c’est Thémis elle-même et la Justice. […] Né à Samos, voyageur en Orient et législateur de villes grecques en Italie, sa science des nombres, sa théorie morale de la musique, et la part qu’il lui donnait dans l’ordre même du monde céleste, attestent dès l’origine quelle influence l’imagination devait prendre sur la civilisation des Grecs. […] Pindare allait être le chantre inspiré de cette philosophie pythagoricienne, la plus pure doctrine de l’antiquité avant Platon, spiritualiste jusqu’à l’erreur de la métempsycose, morale jusqu’aux plus sévères abstinences, poétique et lyrique, pour prendre plus d’empire sur les âmes, et les épurer par l’enthousiasme. […] Après avoir montré les mortels emportés et roulant çà et là sous les coups du malheur, le poëte dit : « Homme, prends courage96 cependant : les mortels sont une race divine à qui la nature sacrée révèle toute chose. — Abstiens-toi des aliments défendus ; et, pour les expiations et la délivrance de l’âme, sois juge toi-même, et considère toutes choses avec la raison pour guide au-dessus de toi.

1062. (1925) Portraits et souvenirs

Paul Fort a accepté de prendre en main là conduite. […] L’irritation qu’ils causaient s’en prenait à leur auteur. […] Tellier prend de l’importance. […] Elle y a pris une part adroite et délicate. […] Ce n’était pas cependant de lui-même qu’il avait pris ce parti.

1063. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note II. Sur l’hallucination progressive avec intégrité de la raison » pp. 396-399

« Un de mes amis, n’ayant pas eu la rougeole dans son enfance, la prit à trente-deux ans. […] Alors, de sa main dépliée, il embrasse pleinement cette main plus petite, il la sent dans la sienne, il palpe ces doigts, ce pouce, ces tendons, recouverts d’une peau souple, halitueuse et douce ; il arrive au poignet, mince et bien pris ; il sent parfaitement la tête du radius et cherche le pouls ; mais alors la figure à laquelle appartient cette main chimérique lui dit d’une voix fraîche, enfantine et souriante, mais sans relever la tête : “Je ne suis pas malade.” — L’alité allait lui demander : “Qui êtes-vous ?” […] Il le prit, sa diète était finie, et avec elle finirent les hallucinations ; mais il pense que, s’il avait continué, ses agréables chimères auraient de plus en plus complètement répondu aux bonnes dispositions qu’il commençait à avoir pour elles, et que finalement il eût pu soutenir avec elles ces relations de tousses sens réunis, sans être sûr pourtant que le contrôle impartial de son intelligence eût pu se maintenir. »

1064. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 387-391

Nous n’exhorterons pas cet Auteur à réparer également toutes ses autres injustices : il seroit obligé de réformer ses jugemens sur presque tous les Gens de Lettres de nos jours qui ont eu des succès dans quelque genre ; mais nous l’inviterons à supprimer, pour son honneur, de la Collection de ses Œuvres [s’il en publie jamais une nouvelle édition], les Avis au Lecteur, les Préfaces, les Avertissemens, les Observations préliminaires, les Lettres apologétiques, & généralement toutes les Pieces qui n’ont d’autre but que de louer ses Productions & d’exalter ses talens, qu’on pourroit soupçonner de foiblesse & de médiocrité, par le soin même qu’il prend d’en relever le mérite. […] Nous l’inviterons enfin à purger son style d’une infinité d’expressions grossieres, dures, virulentes, qui révoltent les esprits les moins délicats, telles que celles-ci prises dans le tome VI & dernier de la Collection de ses Œuvres. […] les Pédans du seizieme Siecle valoient m eux que vous.… Prendre un ton emphatique pour parler de la vertu, mais ne la mettre que dans vos discours & jamais dans vos actions.… voilà le grand mystere de votre Philosophie ». pag. 443.

1065. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Horace, et les mauvais écrivains du siècle d’Auguste. » pp. 63-68

Ce père, que son fils a tant célébré, chéri, respecté, prit un soin extrême de son education. […] D’être né d’un affranchi, le meilleur des pères, le seul qu’il eût pris, s’il avoit pu s’en choisir un ; d’éviter la société de ses confrères les auteurs, se réduisant à celle de quelques amis intimes & choisis, placés à la tête du gouvernement & de la littérature ; d’avoir pris la suite à la bataille de Philippe, jetté son bouclier, & protesté qu’il ne remanieroit plus les armes ; d’avoir été tribun militaire sans en avoir le mérite ; de s’être emparé de la confiance de Mécène ; de comparer son devancier Lucile à un fleuve qui roule quelques grains précieux d’or parmi beaucoup de boue ; enfin de ne se refuser à aucune raillerie sanglante, & de nommer chacun par son nom.

1066. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Alors aussi elles ne sont plus purement matérielles : elles prennent un sens intellectuel, moral et même social ; en un mot, elles deviennent des symboles. […] On ne pourrait prendre ces libertés qu’une fois en passant et dans des vers vraiment expressifs qui justifient la licence. […] Prend-on au piège Le précipice, l’ombre et la bise et la neige ? […] Je pris les mains de cette infortunée entre les deux miennes : je les serrai tendrement. […] Notre langue contemporaine n’a pris son éclat qu’en passant par la « flamme des poètes ».

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