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645. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Au reste, cette critique n’est que secondaire et ne tombe pas précisément sur le fond des choses, car M. de Tocqueville ne méconnaît et n’ignore aucune des différences qui distinguent l’Europe de l’Amérique, et il est toujours possible, quoique avec un peu d’effort, de faire, en le lisant, le partage qu’il n’a pas fait ; mais voici une observation d’un ordre bien plus important. […] C’est donc un grand progrès dans la science d’avoir établi que nulle souveraineté n’est absolue, pas même celle du peuple ; mais ce point une fois gagné, ne reste-t-il pas encore à savoir à qui appartient cette souveraineté limitée, la seule qui soit possible à l’homme ? […] « Sa visée, dit-il en parlant de Platon, qui consiste à introduire le plus possible la morale dans la politique, est admirable. » Pénétré de ce principe, quoiqu’il ne fût lui-même qu’un publiciste observateur, il n’est jamais indifférent entre le bien et le mal, et il apportait dans la politique un esprit de haute moralité qu’il n’aurait jamais trouvé par la politique seule.

646. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

C’est dans ces limites, chères aux esprits d’élite et aux âmes modérées, qu’il circonscrit ses vues, et qu’il aime à tracer le cercle où il voudrait retenir le plus habituellement, ou faire rentrer le plus tôt possible, l’homme de lettres même de l’avenir. […] Il est si doux, si beau, de s’être fait soi-même, De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu’on aime, a dit André Chénier : mais encore faut-il que ce soit possible, et que l’organisation de la chose littéraire s’y prête. […] Il nous reste à effleurer une partie délicate de notre sujet, une question qui, bien ou mal résolue, rend les autres solutions possibles ou chimériques.

647. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

« … Quant au troisième, à savoir si je suis enchanteur, il y a des enchanteurs agréables : je puis être de ceux-là ; et possible suis-je tous les trois ensemble, dieu, démon et enchanteur. […] Est-il possible que vous ne vous y soyez point ennuyé, vous, ni votre fille ? […] Il est très possible que ce soit un souvenir que La Fontaine ait gardé dans la mémoire et dont il ait fait ce petit épisode où, du reste, je le reconnais, il n’y a pas d’imagination bien extraordinaire.

648. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Premièrement, est-il possible qu’on n’emploie absolument dans un ouvrage latin moderne, que des phrases empruntées d’ailleurs, sans être obligé d’y mêler du moins quelque chose du sien, qui sera capable de tout gâter ? […] Cet écrivain est un professeur de seconde au collège du Plessis, nommé Marin, mort il y a environ quarante ans3. (2) Ce même professeur a fait quelques épîtres dans le goût de celles d’Horace, où il paraît aussi, toujours autant qu’il nous est possible d’en juger, avoir assez bien pris le goût et la manière de ce poète. […] De se borner, dans ses critiques, à relever les erreurs de dates, de noms propres, d’une lettre mise pour une autre, d’une virgule de trop ou de moins, et autres méprises de cette espèce, à condition cependant qu’il y sera fort exact, ce qui ne lui arrive pas toujours ; mais de ne pas toucher aux raisonnements bons ou mauvais, et de s’abstenir de raisonner lui-même le plus qu’il lui sera possible.

649. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Mais c’est vrai que le travail et le labeur normal font les mœurs et les courages, sans lesquels rien n’est possible et d’où naissent les supériorités, et je reconnais, je salue tout ce qu’il y a de réel et de bienfaisant dans cet orgueil de classe, dans cette piété du travail manuel qui rattachent l’enfant à la stabilité et l’empêchent de se jeter aux courants rapides. […] Nous nous défendons premièrement contre des monstres, des monstres sensés qui vont au fond de tout, même du crime. » — « Cette race est basse, elle sera vaincue et déshonorée. »‌ Au 19 novembre 1914, il fait cette réflexion : « La plus grande grandeur de cette guerre, il me semble, je la vois dans ceci qu’elle rend immédiat, universel l’ordre de la mort, et possible l’ordre de la justice. […] Dans les papiers de Sainte-Beuve, on a trouvé une note, qui demeure juste et qu’il semble qu’Albert Thierry ait méditée : « La bourgeoisie se corrompant si aisément par sa tête (et aujourd’hui, en 1917, j’ajoute : la France étant si fort décimée), le recours est dans le bon sens et la vigueur des masses qu’il faut éclairer le plus possible et animer d’un souffle à elles (c’est tout le programme de Thierry) en tâchant de corriger la brutalité sans attiédir la force ».‌

650. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Pour qu’une société soit compliquée, c’est-à-dire pour que des groupements partiels s’y entrecroisent, il faut d’abord qu’elle soit divisée, c’est-à-dire que des groupements partiels s’y distinguent : pas d’intersection possible sans délimitation préalable. […] C’était, semblait-il, le moyen le plus propre à affaiblir l’esprit aristocratique : « Si l’on veut fonder la démocratie, dit Aristote 152, on fera, ce que fit Clisthène chez les Athéniens : on, établira de nouvelles tribus et de nouvelles phratries ; aux sacrifices héréditaires des familles on substituera des sacrifices où tous les hommes seront admis ; on confondra autant que possible les relations des hommes entre eux, en ayant soin, de briser toutes les associations antérieures. » Et en effet, au nom des fins politiques, militaires ou économiques, prenant comme principes de classement, l’origine ou le métier, l’habitation ou la richesse, les réformateurs des cités antiques y manièrent et remanièrent sans trêve la matière sociale, de telle sorte que les rapports de ses éléments ne pouvaient manquer de se compliquer. […] Qui vit au contraire dans la complication de notre civilisation moderne, habitué à rencontrer les individus les plus nombreux et les plus divers dans les mêmes associations, et inversement les mêmes individus dans les associations les plus nombreuses et les plus variées, est porté à se représenter ce nombre et cette variété comme susceptibles de s’accroître indéfiniment, se figure aisément, au-dessus de ces groupements réels, les groupements possibles, et arrive ainsi à concevoir sans répugnance une sorte de vaste société idéale dont tous les hommes, à quelque société partielle qu’ils pussent appartenir par ailleurs, seraient également les membres.

651. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Le général Lasalle étant célèbre par sa bravoure, par son dévouement à l’empereur, par ses services depuis quinze ans (il n’en a que trente-trois), et récemment encore ayant puissamment contribué, par son courage et l’habileté de ses manœuvres, au gain de la bataille de Médelin, étant remarquable par son ton militaire, par sa gaieté éminemment française qui ne se dément jamais au fort même des combats, enfin étant messin, mon compatriote, d’une famille que j’ai beaucoup connue, fils d’une mère que j’ai un peu aimée, cousin d’un de mes confrères au parlement de Metz, j’ai pris un extrême plaisir à le voir, à l’écouter, et je veux prolonger ce plaisir en écrivant ici, aussi exactement qu’il me sera possible, toute la conversation qui a eu lieu entre lui et moi, et a été commune, pendant tout le dîner, toutes les personnes qui s’y trouvaient réunies. […] C’est pour en jouir, sans négliger cependant les occasions d’accroître ces avantages autant qu’il est possible.

652. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Et pourtant, malgré mon désir de sortir le plus tôt possible de ces temps de trouble et de révolution « où, comme l’a dit M. de Bonald, il est plus difficile de connaître son devoir que de le suivre36 », j’ai encore à exposer mieux que je ne l’ai fait jusqu’ici la conduite et le caractère du président Jeannin dans cette période orageuse, en le comparant surtout avec le personnage de Villeroi, auquel on l’associe volontiers, mais avec qui il ne doit point se confondre. […] Bien que le détail de cette action, qui de sa nature est secrète, échappe nécessairement, il est possible encore aujourd’hui de suivre dans la conduite du président une certaine ligne générale, et d’expliquer les circonstances même où il sembla s’en écarter.

653. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Doué d’un esprit de suite, de teneur et de patience incroyable, obstiné et même acharné à mener son idée à fin et à la pousser aussi loin que possible, M.  […] Est-ce possible, pour quelques-uns du moins, et de ceux qu’on répute les plus spirituels et qui brillaient entre les humanistes ou les rhétoriciens ?

654. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Qu’il y ait eu des épisodes intercalés, des scènes d’Olympe à tiroir, ménagées çà et là pour faire transition et relier entre elles quelques-unes des rhapsodies, c’est possible, et la sagacité conjecturale peut s’y exercer à plaisir et s’y confondre ; mais, sans prévention, on ne peut méconnaître non plus un grand ensemble et ne pas voir planer dans toute cette durée de l’action la haute figure du premier des héros, de celui qui agitait en songe et suscitait Alexandre. […] Faudra-t-il nécessairement en conclure que l’un des deux chants n’est pas d’Homère, comme si de telles inadvertances n’étaient pas possibles même à un poëte de cabinet ?

655. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

l’apaisement lumineux qui surgit quand, l’esprit en détresse, on entrevoit cette possible genèse d’une œuvre d’art, fille de sa détresse ainsi fécondée. […] Le premier semble avoir renoncé bien vite à ses tentatives : « Qu’il ait essayé une ou deux fois du haschisch55 comme expérience physiologique, cela est possible et même probable ; mais il n’en a pas fait un usage continu… Il ne vint que rarement et en simple observateur aux séances de l’hôtel Pimodan, où notre cercle se réunissait pour prendre le “Dawamesk”, séances que nous avons décrites autrefois dans la Revue des Deux-Mondes, sous ce titre “le Club des Haschischins” en y mêlant le récit de nos propres hallucinations ».

656. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Il faut soutenir chaque absurdité dont est formée la longue chaîne qui conduit à la résolution coupable ; et le caractère resterait, s’il est possible, plus intact encore après des actions blâmables que la colère aurait inspirées, qu’après ces discours dans lesquels la bassesse ou la cruauté se distillent goutte à goutte avec une sorte d’art que l’on s’efforce de rendre ingénieux. […] Examinez tous les sujets de discussion parmi les hommes, tous les discours célèbres qui ont fait partie de ces discussions, et vous verrez que l’éloquence se fondait toujours sur ce qu’il y avait de vrai dans la question, et que le raisonnement seul la dénaturait, parce que le sentiment ne peut errer en lui-même, et que les conséquences que l’argumentation tire du sentiment sont les seules erreurs possibles.

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