Évidemment, ce qui lui manquait le plus, et ce que ses héritiers ont le moins recueilli dans sa succession, c’était le sens moral, le bon sens et le bon goût : ce qu’il possédait le mieux, c’était la vanité de ses défauts, et, par conséquent, le dédain de ses qualités. […] Or, maintenant, si M. de Balzac, comme vous le dites, possédait si bien le sentiment de cette réalité, de cette vérité, comment se fait-il que, dès qu’il se trouvait en présence d’un public rassemblé, il n’y eût plus moyen de s’entendre ? […] Bizarre contraste d’une intelligence richement douée de facultés puissantes et dépourvue de ces délicatesses que possèdent les esprits vulgaires ! […] « Mais, ajoute-t-il, ce qui ne fut pas une des moindres parties du spectacle, ce fut Voltaire lui-même, assis contre la première coulisse, en vue de tous les spectateurs, applaudissant comme un possédé, soit en frappant avec sa canne, soit par ses exclamations : “On ne peut pas mieux ! […] Mais ce n’était pas à la liberté qu’aspiraient les Français, dans cette préparation universelle de la victoire révolutionnaire ; ce ne fut pas elle du moins qui leur servit d’inspiration première et de point de départ ; ils en avaient perdu la tradition, ils n’en possédaient pas la science, et ils n’en ont jamais eu le goût.
que tu es fatale aux mortels et que tu es précieuse à qui te possède ! […] Celui qui te congédie est sans colère. » Ce monde indigne de le posséder eut du moins la pudeur de le regretter. […] Son art le possède si bien tout entier qu’il le poursuit jusque dans ses rêves. […] Les diableries de la dévotion espagnole ébranlaient encore son cerveau débile ; il se croyait possédé, et se fit exorciser plusieurs fois. […] Mais il faut laisser le comte de Rebenac raconter à Louis XIV cette farce lugubre du Possédé imaginaire couronné.
Rivarol et Champcenetz possédaient bien en effet le tour d’ironie dont plus tard les Fiévée, les Michaud et autres firent preuve contre Mme de Staël. […] Elle possède d’une manière admirable le secret d’allier les éléments les plus disparates, et tous ceux qui l’approchent ont beau être divisés d’opinions, ils sont tous d’accord pour adorer cette idole. […] Je trouvai, chez Mme de Staël, Benjamin Constant, Auguste Schlegel, le vieux baron Voght d’Altona, Bonstetten de Genève, le célèbre Simonde de Sismondi, et le comte de Sabran, le seul de toute cette société qui ne sût pas l’allemand… Schlegel était poli à mon égard, mais froid… Mme de Staël n’était pas jolie, mais il y avait dans l’éclair de ses yeux noirs un charme irrésistible ; et elle possédait au plus haut degré le don de subjuguer les caractères opiniâtres, et de rapprocher par son amabilité des hommes tout à fait antipathiques. […] Son état d’esprit naturel est très-bien rendu dans une lettre que Gœthe écrivait de Weimar, le 27 février 1804, à son ami le compositeur Zelter, qui habitait Berlin : « Le professeur Wolf et le conseiller de Müller sont restés quinze jours à Weimar ; Woss y a passé quelques jours ; et voilà déjà quatre semaines que nous avons le bonheur de posséder Mme de Staël.
Entendre « l’alouette qui prend son essor et de son chant éveille la nuit morne jusqu’à ce que se lève l’aube tachetée ; le laboureur qui siffle sur son sillon ; la laitière qui chante de tout son cœur ; le faucheur qui aiguise sa faux dans le vallon sous l’aubépine » ; voir les danses et les gaietés de mai au village ; contempler les pompeuses processions et « le bourdonnement affairé de la foule dans les cités garnies de tours » ; surtout s’abandonner à la mélodie, aux enroulements divins des vers suaves, et aux songes charmants qu’ils font passer devant nous dans une lumière d’or, voilà tout497 ; et aussitôt, comme s’il était allé trop loin, pour contrebalancer cet éloge des joies sensibles, il appelle à lui la Mélancolie498, « la nonne pensive, pieuse et pure, enveloppée dans sa robe sombre, aux plis majestueusement étalés, qui, d’un pas égal, avec une contenance contemplative, s’avance, les yeux sur le ciel qui lui répond, et son âme dans les yeux. » Avec elle il erre parmi les graves pensées et les graves spectacles qui rappellent l’homme à sa condition, et le préparent à ses devoirs, tantôt parmi les hautes colonnades d’arbres séculaires dont les dômes entretiennent sous leur abri le silence et le crépuscule, tantôt dans « ces pâles cloîtres studieux, où, sous les arches massives, les vitraux, les riches rosaces historiées jettent une obscure clarté religieuse », tantôt enfin dans le recueillement du cabinet d’étude, où chante le grillon, où luit la lampe laborieuse, où l’esprit, seul à seul avec les nobles esprits des temps passés, évoque Platon pour apprendre de lui « quels mondes, quelles vastes régions possèdent l’âme immortelle, après qu’elle a quitté sa maison de chair et le petit coin où nous gisons499. » Il était rempli de cette haute philosophie. […] Le serpent séduit Ève par une collection d’enthymèmes dignes du scrupuleux Chillingworth, et là-dessus la fumée syllogistique monte dans cette pauvre tête. « La défense de Dieu, se dit-elle, recommande encore ce fruit, puisqu’elle infère le bien qu’il communique et notre besoin ; car un bien inconnu certes n’est pas possédé, ou s’il est possédé et encore inconnu, c’est comme s’il n’était point possédé du tout.
Je possède ce recueil et je vais vous en ouvrir quelques chapitres qui, je crois, ne vous laisseront pas libres de ne pas lire tout, si vous avez comme moi le goût du vrai, le sentiment du fin et la passion de l’originalité. […] Il parlait plusieurs langues, il aimait l’étude et les livres ; en un mot, il possédait les qualités d’un homme distingué. […] Mais Pierre, avec sa tranquillité et sa modestie de caractère, s’inquiétait peu de ce que les riches appellent les agréments de la vie, et se réjouissait de posséder une maisonnette où il pût s’abriter dans les mauvais temps. […] Y a-t-il longtemps qu’il la possède ?
Daudet consente à se réduire, et qu’il nous donne dans quelque petit récit achevé la mesure des qualités très réelles d’émotion et de simplicité qu’il possède. […] Zola est un écrivain consciencieux ; qui produit peu, ce dont on ne saurait trop le louer ; qui conduit habilement une intrigue ; qui sait poser et suivre un caractère ; qui doit dépenser à ses tableaux une peine infinie d’observation ; qui possède enfin des qualités d’invention et de force. […] Je cite le nom de Bichat : c’est pour flatter la manie de physiologie qui possède l’auteur de « l’histoire naturelle » des Rougon et, l’ayant amadoué de la sorte, c’est pour lui faire accepter plus facilement ce qui me reste à lui dire. […] Claretie possède une incontestable et très remarquable habileté de facture, quoiqu’il ne travaille pas, si je puis ainsi dire, assez serré. […] Quand il esquisse le portrait du percepteur Binet « qui possédait » une si belle écriture, ne vous semble-t-il pas entendre ce début d’un roman de Balzac : « En 1792, la bourgeoisie d’Issoudun jouissait d’un médecin nommé Rouget » ?
C’est Euripide qui, de tous les Grecs, possède le plus de titres à représenter ici le réalisme enseignant. […] Ils sentent bouillonner en eux leurs forces inépuisées, et, possédés par leur génie plus qu’ils ne le possèdent, agités par une surabondance de vie qui veut se répandre, se prodiguant avec une extraordinaire puissance d’expansion, ils s’unissent d’une sympathie étroite avec cette nature qui vient de se révéler de nouveau par une explosion progressive, mais irrésistible, comme celle des bourgeons qui crèvent l’écorce au printemps67. […] Pourquoi n’iriez-vous pas « à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Nantes, à la Rochelle, pour y saisir les traits distinctifs des habitants de ces différentes provinces, pour corriger leur ridicule et les éclairer l’un par l’autre sur les bonnes qualités qu’ils possèdent respectivement » ? […] C’est ainsi qu’il finit par posséder des documents pris sur le vif, on dirait même volés sur le vif, si les victimes ne se mettaient spontanément, par naïveté, par curiosité, par amour-propre, par désenchantement, par esprit de vengeance ou par désespoir, à la merci de l’inquisiteur. […] « En quittant Moscou, Napoléon obéit à l’influence des forces occultes qui agissaient dans ce sens sur tout l’armée. » Encore si le chef se possédait lui-même !
Je voudrois qu’il pût vivre assez long-tems pour annoncer aux derniers âges que le nôtre a eu le bonheur de posséder un Ministre ami de l’Etat & du Peuple ; un Ministre universellement ché- ri, & sensible à la douceur de l’être. […] Pour écrire en vers dans une Langue il faut en posséder toutes les finesses, toutes les nuances.
Ils étaient en paix ; ils possédaient un abri ; les libres penseurs n’en avaient point. […] Il fallait chercher les limites de la raison, indiquer le point où elle possède une valeur, et celui où elle cesse d’en avoir une. […] L’Israélite ne possède en quelque sorte le sol qu’à titre de fermier, de vassal à redevances féodales. […] Mais la religion est toute en Jésus-Christ, et si nous en trouvons le commencement dans Moïse, nous en possédons l’accomplissement et la perfection dans l’Évangile. […] En revanche, La Bruyère possède ce que nous avons vainement cherché auprès de La Rochefoucauld, le talent de saisir le côté dramatique des caractères.
Qui vit content de rien possède toute chose. […] Or, le caractère du génie n’est-il pas, au contraire, de posséder la conscience pleine et entière de ce qu’il fait, de ce qu’il veut ? […] Le génie se juge lui-même, se sait, se veut et se possède ; la folie est inconsciente, c’est là son caractère essentiel. […] Lui seul possède cette concentration de ligne et d’expression, unie au sentiment de la grâce, à la puissance de l’idéalité. […] La peinture et la sculpture, par exemple, se prêtent l’une à l’autre de puissants secours, et agrandissent le style de l’artiste qui les possède toutes deux à la fois.
Les amputés finissent par s’y habituer ; cependant, dès qu’ils y font attention, ils le voient aussitôt reparaître, et souvent ils sentent d’une manière très distincte leurs orteils, leurs doigts, la plante du pied, la main… Un homme amputé de la cuisse éprouva encore au bout de douze années le même sentiment que s’il eût possédé les orteils et la plante du pied. […] Ils ont donc une autre carte qui fait le même office, et comme, avec la vue qu’ils n’ont pas, nous avons toutes les sensations qu’ils ont, il faut bien que, outre la carte visuelle qui nous est propre, nous en possédions une seconde toute différente qui nous est commune avec eux. — Celle-ci a pour éléments les sensations musculaires et tactiles. […] Nous le concevons comme un au-delà ; sur ce premier trait, les autres s’appliquent. — Ma main promenée dans l’obscurité rencontre sur une table un obstacle inconnu ; à propos de cette sensation, je conçois et j’affirme au-delà de ma main un au-delà qui provoque en moi une sensation continue et étendue de résistance, et qui, pouvant, à ce que je suppose, la provoquer tout à l’heure et plus tard, en d’autres comme en moi-même, possède ainsi la propriété permanente et générale d’être résistant et étendu.
La variété, l’abondance & la richesse d’une langue dépendent donc des connoissances plus ou moins étendues que nous possédons. […] Cependant, quoiqu’il possédât seul le talent de faire passer dans l’idiome Latin, toute la douceur de l’idiome Grec, il ne put pas en rendre toute la richesse & toutes les beautés. […] Les Romains profitèrent des instructions des Gaulois : les Gaulois à leur tour perfectionnèrent leurs connoissances dans le commerce établi entre eux & les Romains : l’ardeur pour les Lettres étoit générale, & Rome & les Gaules pouvoient à l’envi se disputer l’avantage de produire & de posséder dans leur sein le plus grand nombre d’hommes illustres.