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1018. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Et c’est encore pourquoi « Dieu est partout et ne se montre nulle part », et pourquoi « le grain de sable le possède, et le Mont-Blanc ne le connaît pas ». […] » Et le banquier voyant l’ironie sur les lèvres de son compagnon, ajoute avec humeur : « Ne me troublez pas… Vous n’avez pas le sentiment de la pure nature… » Le monde n’est qu’une grande réunion de Gumpels ; et comment veut-on que les Gumpels ne se laissent pas prendre aux singeries pleines de sérieux des poètes et ne deviennent enthousiastes en voyant que pour un poète un autre poète est un être sacré, qu’ils se disent mutuellement dans leurs vers : nous sommes beaux et sublimes, et que chacun d’eux possède une petite baguette avec le bout de laquelle il vous explique le ciel et la terre. […] Tout le monde l’a possédée un certain jour, quelques hommes à peine l’ont conservée, l’ont écoutée et sont parvenus, en s’humiliant devant elle, en suivant ses avis, à sortir de la foule. […] Cette comédie qu’on a voulu vous montrer sous des masques impossibles, dans un langage épuré, ennobli, renfermée entre des murs de papier et éclairée au gaz, vous pourriez la voir tous les jours si vous aviez de bons yeux et une intelligence ; mais si vous ne possédez pas ces deux qualités et que vous ne puissiez vous nourrir que de pain mâché par d’autres, s’il vous faut absolument un théâtre, demandez au moins à ce théâtre qu’il essaye de se rapprocher de la vérité, qu’il cherche à mettre en scène la vie réelle, alors, au moins vous saurez à quoi vous en tenir sur ce qu’on vous sert, et il y aura quelque utilité à travailler pour vous. […] Et c’est encore pourquoi « Dieu est partout et ne se montre nulle part », et pourquoi « le grain de sable le possède, et le Mont-Blanc ne le connaît pas ».

1019. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Il avait cru qu’il pourrait s’en tenir là, qu’il ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs ; comme maintenant le charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable terreur qui le prolongeait comme un double halo, cette immense angoisse de ne pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne pas la posséder partout et toujours ! […] Et cette condition-là est réalisée quand, — à ce moment où il nous a fait défaut — à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s’est brusquement substitué en nous un besoin anxieux, qui a pour objet cet être même, un besoin absurde, que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir — le besoin insensé et douloureux de le posséder 57. […] Peut-être aussi Swann attachait-il sur ce visage d’Odette non encore possédée, ni même encore embrassée par lui, qu’il voyait pour la dernière fois, ce regard avec lequel un jour de départ, on voudrait emporter un paysage qu’on va quitter pour toujours 78. […] Je crois qu’on ne saurait assez insister sur ce point, ni assez montrer que toute la Recherche du temps perdu est née du besoin de saisir, de posséder l’insaisissable et de l’éterniser en le ramenant à quelque chose de l’ordre de la vérité. […] Il avait cru qu’il pourrait s’en tenir là, qu’il ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs ; comme maintenant le charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable terreur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense angoisse de ne pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne pas la posséder partout et toujours !

1020. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

Le latin macaronique, où s’amusait l’auteur du Malade imaginaire, en compagnie de Boileau et de La Fontaine, témoigne de la science que possédait le traducteur de Lucrèce. […] La vie de province, cette dure vie laborieuse, avait fait que Molière, arrivant à Paris, possédait désormais plus de sujets qu’il n’en fallait pour alimenter son théâtre. […] Musnier de Troheou avait déposé tous ses papiers (et, par conséquent, les manuscrits de Molière, s’il en possédait) dans un château situé en Normandie et dépendant d’un endroit qui s’appelait Ferrière ou la Ferrière. […] On n’a point, il est vrai, pour Shakespeare, les documents et les données que l’on possède pour Molière ; mais il est évident qu’en tenant compte de l’état d’enfance, de balbutiement, où se trouvaient la mise en scène — et le jeu des acteurs aussi, sans doute, — du temps de Shakespeare, l’auteur d’Othello devait être un comédien de talent. […] N’est-ce pas plutôt celui que possède la Comédie-Française et qui représente Molière dans son costume de La Mort de Pompée ?

1021. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Après tout, l’État est une machine comme les autres ; tâchez d’avoir de bons rouages et prenez garde de les casser ; ceux-ci ont le double avantage d’en posséder de très-bons et de les manier avec sang-froid. […] On peut la traiter comme une affaire, ramasser et vérifier des observations, combiner des expériences, aligner des chiffres, peser des vraisemblances, découvrir des faits, des lois partielles, posséder des laboratoires, des bibliothèques, des sociétés chargées d’emmagasiner et d’accroître les connaissances positives ; en tout cela ils excellent ; ils ont même des Lyell, des Darwin, des Owen capables d’embrasser, de renouveler une science ; dans la construction du vaste édifice, les maçons industrieux, les maîtres de second ordre ne manquent pas ; ce sont les grands architectes, les penseurs, les vrais spéculatifs qui leur manquent ; la philosophie, surtout la métaphysique, est aussi peu indigène ici que la musique et la peinture ; ils l’importent ; encore en laissent-ils la meilleure partie en chemin ; Carlyle est obligé de la transformer en poésie mystique, en fantaisies d’humoriste et de prophète ; Hamilton l’effleure, mais pour la déclarer chimérique ; Stuart Mill, Buckle, n’en prennent que l’espèce la plus palpable, un résidu pesant, le positivisme.

1022. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Comme compensation, et sans compter les descriptions, peut-être même un peu trop fréquentes, de grottes, de sources et de clairs de lune, ce poète, qui possédait à un si haut degré le talent de peindre, nous a laissé un récit singulièrement exact et intéressant, même pour la géologie, d’une éruption volcanique près de Méthone, entre Épidaure et Trézène. […] Chez tous les peuples qui possèdent une traduction du livre de Job, ces tableaux de la nature orientale ont produit une impression profonde.

1023. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Un théâtre riche, qui fit faire son inventaire en 1598, possédait « des membres de maures, un dragon, un grand cheval avec ses jambes, une cage, un rocher, quatre têtes de turcs et celle du vieux Méhémet, une roue pour le siége de Londres et une bouche d’enfer. » Un autre avait « un soleil, une cible, les trois plumes du prince de Galles avec la devise : ICH DIEN, plus six diables, et le pape sur sa mule. » Un acteur barbouillé de plâtre et immobile signifiait une muraille ; s’il écartait les doigts, c’est que la muraille avait des lézardes. […] Vos serviteurs ne se regarderont jamais eux-mêmes, les leurs et tout ce qu’ils possèdent, que comme des biens tenus en compte, pour les faire sans cesse, et selon le plaisir de votre grandeur, servir à la balance de ce qu’elle a droit de réclamer comme sien.

1024. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Cette curiosité sans confusion cette imagination facile et heureuse, cet arrangement naturel et sans effort, sont les seules qualités du genre, et Froissart les possède en perfection. […] Dans cette pièce, Froissart voulant avoir le compte de 2, 000 fr. qu’il possède, outre le revenu de sa cure de Lestrines interroge un dernier florin qu’il a retrouvé en un anglet d’un bourselot, II y a là de piquantes ressemblances avec Rabelais deux curés menant joyeuse vie, et celui de Lestrines professant sur l’argent la même doctrine que le curé de Meudon met dans la bouche de Panurge.

1025. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Elle possède pour les satisfaire toutes les langueurs d’une séduction profonde. […] Mais nous possédons une conscience du moi qui est indépendante de toute conception de temps et d’espace, voilà donc la chose en soi.

1026. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

En troisième lieu, pour posséder le maximum d’indépendance, il faut que notre puissance se confonde le plus possible avec notre moi lui-même et nous soit ainsi vraiment inférieure, vraiment propre et personnelle ; c’est ce qui constitue la spontanéité. […] Si, de plus, l’idée de l’opposition possible éveille en nous le désir que nous avons normalement de notre indépendance, c’est-à-dire notre tendance à nous posséder nous-mêmes et à demeurer des êtres raisonnables, si, par conséquent, cette idée réveille l’amour que nous avons naturellement et de notre puissance personnelle et de notre intelligence impersonnelle, comment n’en résulterait-il pas un effet d’inhibition prononcé ?

1027. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Théophile Gautier y trouvait une qualité, qu’il nous reconnaissait seuls posséder : une langue littéraire parlée. […] Quand même le romantisme ne posséderait pas à sa tête l’homme unique qui a doté l’art dramatique de la plus sonore langue poétique qui fût jamais, le romantisme aurait un théâtre ; et, ce théâtre, il le devrait à son côté faible, à son humanité tant soit peu sublunaire fabriquée de faux et de sublime, à cette humanité de convention qui s’accorde merveilleusement avec la convention du théâtre.

1028. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Quelle richesse peut désirer un homme qui, dans la charmante compagne de sa vie, possède un être qui partage ainsi ses peines, et qui, par d’ineffables affections, compense toutes ses douleurs ! […] — Ce jeune homme doit posséder des armes célestes, dit un autre : « Cela est vrai, répond un troisième ; car voyez, par un changement terrible qui est effrayant pour l’œil, l’obscurité succède à l’éclair éblouissant.

1029. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Mais quand tout s’écroule et se renouvelle, quand les institutions antiques tombent en ruines et que l’état futur n’est pas né, que toutes les règles de conduite et d’obéissance sont confondues, que la justice et le droit hésitent entre les cupidités, les intérêts révoltés qui courent aux armes, c’est alors que le don de sagesse est bien précieux en quelques-uns, et que les hommes qui le possèdent sont bientôt appréciés des chefs dignes de ce nom, qu’ils sont appelés, écoutés longtemps en vain et en secret, qu’ils ne se lassent jamais (ce trait est constant dans leur caractère), qu’ils attendent que l’heure du torrent et de la colère soit passée pour les événements et pour les hommes, et qu’habiles à saisir les instants, à profiter du moindre retour, ils tendent sans cesse à réparer le vaisseau de l’État, à le remettre à flot avec honneur, à le ramener au port, non sans en faire eux-mêmes une notable partie et sans y tenir une place méritée.

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