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297. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

À la représentation de cette œuvre eût été préférable une reprise du Bossu ou de quelque autre mélodrame conçu dans la même poétique que la pièce de M.  […] L’Aiglon, qui est un triomphe, est encore et avant tout un grand succès poétique. […] L’inspiration poétique y est plus haute et moins égale, la facture dramatique plus vigoureuse et moins adroite.

298. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Quant au détail, en ce livre, il est si exquis et d’un intérêt si poétique et si raffiné, que les avaleurs de feuilletons, qui n’ont faim que des vulgaires surprises de l’aventure, n’ont su trouver probablement aucune saveur à cette littérature élevée… Pour mon compte, n’ai-je pas entendu traiter cette haute littérature d’ennuyeuse ? […] » Et ce qu’il a fait pour Eschyle, il l’a fait pour le monde tout entier de dieux et de héros qui précéda Eschyle et qui le produisit, splendide résultante poétique ! […] Ses commentaires, ses explications, ses analyses, les entrouvrements qu’il pratique dans l’œuvre toujours un peu mystérieuse du génie et qui, à la distance où nous en sommes, est plus mystérieuse dans Eschyle que dans aucun autre, toutes ces choses d’un travail puissant et réfléchi, mais prosaïques, deviennent poétiques dans l’œuvre de Saint-Victor en s’y embrasant d’un feu de peinture qui ne cesse jamais et dont l’intensité, sous sa plume, est presque plastique… Comment donner ridée de cela ?

299. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Ce rapsode, qui mérite d’autant plus son nom que les ennemis de l’histoire légendaire ont traité brutalement ses histoires de rapsodies, a d’autant plus besoin pour sa traduction d’une langue poétique qu’il est plus poète. Or, avant le dix-neuvième siècle, qui s’est réchauffé dans le giron du seizième, il n’y eut jamais en français de langue poétique que la langue du seizième siècle. […] nous en avons eu ; mais une langue poétique, non !

300. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Tout ce qui est de regard et de récit dans ce Voyage d’Orient est à étonner de bon sens, de bonne humeur et de bon ton, toutes choses rares dans l’école romantique ; et s’il s’y rencontre des parties inférieures, ce sont les pages que l’auteur a voulu faire poétiques, comme la légende de la Reine de Saba, qu’il prétend avoir entendu raconter par un conteur de café, en Egypte, et que, pour cette raison, je ne mettrai point à sa charge. […] Il s’est imprégné d’eux tous, et s’ils l’ont tant loué, s’ils l’ont trouvé si poétique et si agréable, c’est peut-être parce qu’il avait quelque chose d’eux ! […] Il a cependant des qualités poétiques et prosaïques ; mais dans un médium fort modeste.

301. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

C’est le sublime de la bonté conçue, presque égal à celui de la bonté de l’action… Seulement, comme un palais qui serait taillé dans une perle, il faut voir les détails de cette création inexprimable à tout autre qu’au poète qui a su en faire trois chants, qu’on n’oubliera plus tant qu’il y aura un cœur tendre et un esprit poétique dans l’univers, mais qui n’en sont pas moins trop purs et trop beaux pour cette grossièreté de lumière, de bruit et d’éclat qu’on appelle la Gloire ! […] Et se dire que jamais, depuis cette incomparable poésie, écrite en 1823 (sept ans avant la Rénovation poétique de 1830), nous n’avons rien vu de cette nuance ni rien entendu de ce roucoulement ! […] Alfred de Vigny aurait pu se dispenser de publier ses autres œuvres poétiques.

302. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Mais ce tableau n’est point immoral, car il représente comme nécessaire la destruction de l’immoralité ; et il est poétique, parce qu’il est plein de sérénité, parce que le peintre n’a eu garde de tremper son pinceau ou sa plume dans le fiel de la tristesse indignée. […] Shakespeare ne met pas un mauvais sujet sur la scène, sans l’enrichir généreusement de toutes les grâces de l’imagination poétique, de la raison solide et de l’esprit. […] Goethe, avec ce grand sens qu’il a porté dans tonies les créations de son ferme génie, a choisi pour l’essai poétique de sa jeunesse la lutte du moyen âge expirant contre les premiers efforts d’organisation de la société moderne. […] Tout cela n’est guère poétique. […] Sur ces limites extérieures, loin de laisser ses figures, dépourvues du prestige poétique, s’absorber dans l’étroitesse de leurs idées, Shakespeare leur donne d’autant plus de verve et d’imagination.

303. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Le couvent de Monte Oliveto, sorte d’Escurial de Naples, mais Escurial délicieux au lieu de l’Escurial funèbre de Madrid, rivalisait de site et d’horizon avec le monastère napolitain de San Martino, le plus poétique ermitage de l’univers. […] et le Tasse, quelque poétique qu’il soit, peut-il être placé par la dernière postérité au rang d’Homère, de Virgile, des grands épiques de l’Inde ou de la Perse ? […] On conçoit la popularité d’une pareille poésie dans un siècle où le fanatisme des croisades n’était pas encore éteint, où les traditions de la chevalerie subsistaient encore, et où la passion poétique de la renaissance italienne faisait des poètes tels que Dante, Pétrarque, le Tasse, les véritables héros de l’esprit humain. […] Mais, pendant que le Tasse négociait ainsi en vain son raccommodement avec la maison d’Este, son ami le jeune cardinal Cinthio négociait pour lui auprès du pape son oncle le couronnement poétique au Capitole, la royauté du génie consacrée par la religion, par le sénat et par le peuple. […] Ils le logèrent dans une cellule d’où le regard s’étendait sur le solennel et poétique horizon de Rome ; ils lui prodiguèrent les respects, les pitiés, les soins qu’on doit à un hôte presque divin, qui emprunte votre toit pour retourner au ciel d’où il est descendu.

304. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Les lettres patentes de 1635, et le projet qui avait précédé, exprimaient en termes très nets le but des études et l’objet des travaux de l’Académie ; l’espoir « que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu’on n’avait fait jusques ici de l’élocution, qui n’était pas à la vérité toute l’éloquence, mais qui en faisait une fort bonne et fort considérable partie » ; que, pour cet effet, il fallait en établir des règles certaines ; premièrement établir un usage certain des mots, régler les termes et les phrases par un ample Dictionnaire et une Grammaire exacte qui lui donneraient une partie des ornements qui lui manquaient, et qu’ensuite elle pourrait acquérir le reste par une Rhétorique et une Poétique que l’on composerait pour servir de règle à ceux qui voudraient écrire en vers et en prose : que, de cette sorte, on rendrait le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences, à commencer par le plus noble des arts, qui est l’éloquence, etc., etc. […] Quant à la rhétorique et à la poétique, elle s’en tint prudemment à la Lettre de Fénelon, qu’elle peut montrer à ses amis et à ses ennemis comme une charmante suite de questions et de projets : chacun là-dessus peut bâtir et rêver à son gré, sur la parole engageante du moins dogmatique des maîtres. […] Il l’aurait voulu avoir sur le Génie du christianisme le lendemain de la publication ; plus tard, sur les grandes œuvres poétiques qui ont fait schisme (je suppose toujours un Richelieu permanent et immortel) ; il aurait exigé, en un mot, que les doctes parlassent, n’attendissent pas l’arrêt du temps, mais le prévinssent, le réglassent en quelque sorte, et qu’ils donnassent leurs motifs ; qu’ils fendissent le flot de l’opinion et ne le suivissent pas. […] Livet prend le soin de faire la remarque suivante : « La connaissance imparfaite de notre ancienne littérature a égaré Despréaux dans son Art poétique ; nous invoquons la même excuse en faveur de l’abbé d’Olivet, qui traite le même sujet d’une manière aussi peu conforme aux idées modernes. » Je crois qu’on pouvait se dispenser de cette note. […] Quant à Despréaux, il n’a pas donné, sans doute, une histoire exacte et complète de notre poésie dans les quelques vers de son Art poétique, qui en traitent d’ailleurs très élégamment ; mais on ne saurait dire précisément qu’il s’est égaré, en ne s’avançant pas au-delà de ce qu’on savait bien de son temps.

305. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Aloïsius Bertrand163 Il doit être démontré maintenant par assez d’exemples que le mouvement poétique de 1824-1828 n’a pas été un simple engouement de coterie, le complot de quatre ou cinq têtes, mais l’expression d’un sentiment précoce, rapide, aisément contagieux, qui sut vite rallier, autour des noms principaux, une grande quantité d’autres, secondaires, mais encore notables et distingués. […] Au xvie  siècle, les choses s’étaient ainsi passées lors de la révolution poétique proclamée par Ronsard et Du Bellay : le Mans, Angers, Poitiers, Dijon, avaient aussitôt levé leurs recrues et fourni leur contingent. […] Les vers non plus n’y manquaient pas ; je lis, à la date du 10 juillet, la Chanson du Pèlerin qui heurte, pendant la nuit sombre et pluvieuse, à l’huis d’un châtel  ; elle était adressée au gentil et gracieux trouvère de Lutéce, Victor Hugo, et pouvait sembler une allusion ou requête poétique ingénieuse :  — Comte, en qui j’espère, Soient, au nom du Père Et du Fils, Par tes vaillants reîtres Les félons et traîtres    Déconfits ! […] Cependant, à trop attendre, sa vie frêle s’était usée, et cette poétique gaieté d’automne et de vendanges ne devait pas tenir. […] On verrait en quoi cette dernière, indépendamment de la forme poétique, reste encore très-supérieure.

306. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Il y a toute une moitié de la France qui rirait si nous avions la prétention de lui apprendre ce que c’est que Jasmin, et qui nous répondrait en nous récitant de ses vers et en nous racontant mille traits de sa vie poétique ; mais il y a une autre moitié de la France, celle du Nord, qui a besoin, de temps en temps, qu’on lui rappelle ce qui n’est pas sorti de son sein, ce qui n’est pas habituellement sous ses yeux et ce qui n’arrive pas directement à ses oreilles. […] En 1834, il avait été très frappé d’un fait qu’il faut l’entendre raconter lui-même, et qui décida de sa poétique future. […] Quand je trouve poussée à ce degré chez Jasmin cette théorie du travail, de la curiosité du style et du soin de la composition, lui qui a d’ailleurs le jet si prompt et si facile, quel retour douloureux je fais sur nos richesses poétiques si dissipées par nos grands poètes du jour ! […] Écoutons sa charmante réponse et la leçon qui s’adresse à d’autres encore qu’au poète potier : Monsieur, Je n’ai reçu qu’avant-hier, veille de mon départ, votre cartel poétique : mais je dois vous dire que, l’eussé-je reçu en temps plus opportun, je n’aurais pu l’accepter. […] Laissons de côté les improvisations obligées et les compliments en madrigaux qu’il est obligé de répandre sur son chemin, en retour de chaque hommage et de chaque hospitalité triomphale qu’il reçoit : lui-même il se juge sur ce point aussi sévèrement qu’on pourrait le faire, et quand la reconnaissance chez lui est sérieuse, il demande du temps et du recueillement pour l’exprimer : « On n’acquitte pas, dit-il, une dette poétique avec des impromptus ; les impromptus peuvent être la bonne monnaie du cœur, mais ils sont presque toujours la mauvaise monnaie de la poésie. » Prenons donc Jasmin par ses côtés charmants et sérieux, tout à fait durables.

307. (1903) La renaissance classique pp. -

Nous sommes avant tout, nous sommes uniquement des littérateurs et des artistes ; et si le savant a sa faculté propre, qui est l’analyse, nous avons la nôtre, qui est l’imagination poétique. […] Mais n’oublions pas que pour nous, littérateurs et artistes, l’imagination poétique est plus qu’un don aimable et comme un ornement de notre intelligence, elle en est l’organe indispensable. […] Amoindrir ou supprimer en nous la faculté poétique, c’est rendre incomplète ou impossible la seule communication que nous puissions avoir avec la réalité. Enfin, il y a une connaissance poétique des choses. […] Chaque fois que nous voudrons introduire dans notre œuvre des notions empruntées aux sciences abstraites, nous aurons soin de les revêtir d’abord d’une forme poétique.

308. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Gœthe est le seul poète qui ait eu une faculté poétique à l’appui de chacune de ses compréhensions et de ses intelligences de critique, et qui ait pu dire à propos de tout ce qu’il juge en chaque genre : « J’en ferai un parfait échantillon, si je le veux. » Quand on n’a qu’un seul talent circonscrit et spécial, le plus sûr, dès qu’on devient critique, — critique de profession et sur toutes sortes de sujets, — est d’oublier ce talent, de le mettre tout bonnement dans sa poche, et de se dire que la nature est plus grande et plus variée qu’elle ne l’a prouvé en nous créant. […] C’est un poète orphique que M. de Laprade, et cette disposition l’avait même conduit (dans un morceau qu’il n’a point recueilli, il est vrai) à voir le commencement de la décadence poétique dans Homère. […] Quoi qu’il en soit, M. de Laprade a pris la thèse au sérieux, et il s’est attaché à prouver méthodiquement que les machines ne sont pas poétiques ni conformes à l’idée primordiale du beau. Un moulin à vent est-il plus poétique qu’une locomotive ?

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