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378. (1898) Essai sur Goethe

La vérité et la beauté vivantes seront dans ses chants, au lieu de l’idéal en bulles de savon multicolores qu’on trouve en abondance dans les poèmes allemands. […] Bref, il est une page de prose égarée dans un poème — que d’ailleurs il ne dépare pas, qu’il rattache à la réalité. […] Qu’un poème fût bien ordonné, écrit en belle langue, tissé de fictions magnifiques, émaillé d’images admirables, que signifiait cela ? […] À peine le roman terminé, il se met avec une ardeur très grande à son poème d’Hermann et Dorothée, commencé en septembre 1794, dont le dernier chant est envoyé à Schiller le 3 juin de l’année suivante. Ensuite, c’est une véritable floraison de poèmes et de ballades, écrits pour l’Almanach des Muses, un bouquet d’une fraîcheur et d’une richesse merveilleuses.

379. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Ainsi, par exemple Stace, qui intitule ses petits poèmes les Silves. […] Marguerite d’Angoulême, dame de haut goût et de très fine culture, écrivant un poème, où l’on releva plusieurs traces d’insigne hérésie, l’appelait : le Miroir de l’âme pécheresse (Alençon, 1531). […] Ainsi, par curiosité, voici ce que portait la première page d’un poème d’un humaniste au xvie  siècle : L’éperon de discipline, pour inciter les humains aux bonnes lettres, stimuler à doctrine, animer à science, inviter à toutes bonnes œuvres vertueuses et moralles, par conséquent pour les faire cohéritiers de Jésus-Christ, expressément les nobles et généreux. […] Et en effet c’est un poème médical d’un docteur du xviie  siècle qui, pour cette œuvre, obtint de Mazarin une grasse prébende.

380. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Le seul fait littéraire qui, depuis la renaissance, puisse nous donner une idée de la manière dont se forment les traditions, le seul, en même temps, qui fasse concevoir ce que fut le cycle épique chez les anciens, ce sont les poèmes qui ont été destinés à célébrer la gloire de Charlemagne et de ses paladins. […] Ceci, pour le dire en passant, expliquerait assez bien l’unité de l’Iliade et de l’Odyssée, dans l’hypothèse de ceux qui pensent que ces poèmes ne sont pas l’ouvrage d’un seul homme, de l’homme qui s’est appelé Homère, c’est-à-dire le poète. […] Nous avons, de plus, exigé des vers pour reconnaître la poésie, comme si cette langue triée, à laquelle nous ajoutions la rime, constituait essentiellement la poésie ; comme si, depuis que la muse épique ne confie plus ses annales mélodieuses à la tradition orale, depuis que ses poèmes ne se chantent plus, il pouvait y avoir une raison pour écrire en vers ; comme si enfin il n’y avait pas toujours eu une partie au moins de la poésie française, celle qui affectait l’imitation de la langue grecque, qui trouvait mieux à s’exprimer en prose. […] Je les cite ensemble, à cause de l’analogie, mais sans les confondre ; car M. de Chateaubriand s’est élevé à la dignité de l’épopée, et ce ne sera pas moi qui contesterai à son bel ouvrage le nom de poème.

381. (1940) Quatre études pp. -154

Or dans ses poèmes, au moment même où il risque de se perdre, où il semble parti vers la déraison, nous allons le voir se reprendre. […] Le voile de mystère dont le poème est entouré depuis le début va s’épaissir encore. […] Pierre Jean Jouve, Poèmes de la folie de Hœlderlin, Paris, 1930. […] Lenore, poème imité de l’allemand de Bürger, par Mme Pauline de B ***, 1814. […] Fait pour la société, tendant à la vulgarisation, il prouve et il prêche ; ses poèmes les plus typiques ne sont souvent qu’un appel à l’ordre, à la modération, à la sagesse.

382. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vicaire, Gabriel (1848-1900) »

On ne fera pas ce reproche aux Poèmes bressans de M.  […] Vicaire a pris ces joyaux galants et rustiques pour emblèmes de ses petits poèmes paysans, d’une jovialité parfois attendrie.

383. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Ce poème est un des chefs-d’œuvre de Théocrite ; celui de la Magicienne lui est peut-être supérieur par l’ardeur de la passion, mais il est moins pastoral. […] Son roman, ou plutôt son poème de Paul et Virginie, est du petit nombre de ces livres qui deviennent assez antiques en peu d’années pour qu’on ose les citer sans craindre de compromettre son jugement.

384. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

La poésie à grandes proportions, la poésie épique, est celle des peuples, non pas barbares, mais peu liseurs, ou qui ne savent pas encore lire et qui sont naturellement plus saisissables par la passion que par la réflexion ; c’est la poésie des époques héroïques ; c’est aussi la poésie des peuples opprimés ou asservis, et c’est pour cela peut-être que la France n’a pas de poème épique. — Le poème didactique est un jeu de rhétoricien qui ne peut être poétique qu’épisodiquement. — Quant au poème démonstratif ou persuasif, à la poésie de propagande, au poème-sermon, au poème-pamphlet, ne sont-ils pas devenus ridicules aujourd’hui qu’un article de journal ou une simple brochure renseigne plus vite et plus nettement ? […] L’allusion politique tue le poème, dont elle fait un pamphlet ; la prédication tue le drame, en en faisant un traité de morale. […] Qui songe à relire, autrement que par curiosité littéraire, les lourds poèmes didactiques de Saint-Lambert, de Lemierre et de Delille, depuis que nous avons une Maison rustique, des dictionnaires, une littérature scientifique ? […] Le vers négligé, mou, le versus pedestris du dix-huitième siècle, qui convient si bien à la muse décrépite de l’abbé Delille et de ses imitateurs, n’est plus de mise dans un poème court destiné à frapper l’esprit des lecteurs par une succession rapide d’images intenses. […] C’est ce que j’ai fait dans mon livre d’une manière lumineuse ; plusieurs morceaux non incriminés réfutent les poèmes incriminés.

385. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Je vous en ai, non pas donné, mais omis un exemple, lorsque je vous ai parlé du poème du Quinquina. Je vous ai exposé ce poème, intéressant à bien des égards, et qui contient de très beaux vers ; mais il est trop technique, il est désespérément technique. […] Mais nous arrivons à des fables qui sont de petits poèmes épiques de la nature, à savoir : l’Alouette et ses Petits avec le Maître d’un champ et l’Hirondelle et les petits Oiseaux. […] C’est absolument un petit poème épique de la vie rustique. […] c’est incontestable, il a déformé la fable ésopique, et même la fable de Phèdre, il l’a désarticulée complètement, elle n’est plus le petit poème allant droit, comme un javelot à la cible, à sa moralité.

386. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Sans débattre la question s’il y a des poèmes en prose, et semblant même l’admettre, quand il appelle de ce nom les romans, Boileau, en général, regarde le vers comme la forme originale et propre de la poésie. […] Au contraire, qu’est-ce que le vers dans une Fable, ou dans un poème didactique, genre dont Boileau n’a pas parlé non plus, malgré les raisons personnelles qu’il eût pu avoir de le faire ? […] Plus la forme d’un poème est fixe, et plus le poète doit être sévère sur la facture : ainsi dans la ballade et dans le sonnet, dont Boileau, en artiste curieux des formes raffinées et difficiles, s’arrête un peu complaisamment à détailler les rigoureuses lois. Il semble même que ce sage esprit pousse un peu bien loin l’enthousiasme, quand il écrit ce vers : Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème. […] Enfin, quand il s’autorise du Misanthrope pour condamner Scapin, c’était le cas de se rappeler Qu’un sonnet sans défauts vaut seul un long poème.

387. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Nous pourrons recréer le drame en vers, la plus belle forme d’art, certes ; interpréter avec l’âme actuelle les mythes dans le poème ; et dire sans malice les airs anciens et toujours neufs dans la chanson. […] Oui, ils sont les dignes fils de ce grand et noble poète tant bafoué et calomnié de son vivant, et si mal connu encore à cette heure ; de ce pur artiste qui écrivait : « … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » Et, en remontant jusqu’aux premières années du siècle, on trouverait un autre ancêtre, Alfred de Vigny, l’auteur de Moïse, de La Colère de Samson, de La Maison du berger et de ce délicieux mystère où … les rêves pieux et les saintes louanges, Et tous les anges purs et tous les grands archanges… chantent sur leurs harpes d’or la naissance d’Éloa, cette ange charmante née d’une larme de Jésus. […] Il a été dit au commencement de cet article que les évolutions d’art offrent un caractère cyclique extrêmement compliqué de divergences ; ainsi, pour suivre l’exacte filiation de la nouvelle école, il faudrait remonter jusques à certains poèmes d’Alfred de Vigny, jusques à Shakespeare, jusques aux mystiques, plus loin encore. […] Je suis tout à fait de votre avis, et je trouve même son poème d’Alexandra extrêmement délicieux.

388. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Ayons en nous l’émotion complète de la Chose vivante, et, dans nos œuvres spéciales de littérature ou de musique, il se trouvera que nous la mettrons ; ayant vu tous les reflets, notre unique langage en gardera la marque ; ayant connu toute l’impression, notre poème ou notre tableau en sera imprégné ; la Chose sera exprimée, très fortement ; et notre œuvre, tout particulière, aura de très mystérieux palpitements d’universelle Clairvoyance. […] Telles, les pensées qui me revinrent, lorsque j’eus lu l’effarant poème en prose d’Akedysseril, — une histoire simple, très humaine et philosophique, une œuvre de Réel Rêve comme Tristan, — et qu’il faut, ici, saluer, œuvre Wagnérienne, — non que l’auteur ait songé, l’écrivant, un rapport aux poèmes de Wagner, — mais parce que, suivant, consciemment ou inconsciemment, la voie ouverte par notre Maître, — le comte de Villiers de l’Isle-Adam, en cette éblouissante merveille, nous a donné les émotions d’apparitions et de musiques mystiquement idéales, et vraies, par lui vécues. […] À moins que cette Fable, vierge de tout, lieu, temps et personne sus, ne se dévoile empruntée au sens latent de la présence d’un peuple, celle inscrite sur la page des Cieux et dont l’Histoire même n’est que l’interprétation, vaine, c’est-à-dire un Poème, l’Ode. […] Mais nous, la multitude, que tient une héréditaire ignorance du technique, une héréditaire paresse intellectuelle, qu’une éducation primitive et rustique laisse grossiers, nous qui ne savons pas entendre les partitions seulement lues, — car de même qu’il fallait aux hommes, il y a dix siècles, parler le poème, il nous faut encore, aujourd’hui, que des voix et des instruments nous chantent et nous jouent la symphonie ; — ne pouvant pas lire le Livre de musique et de paroles, nous avons besoin, pour connaître l’Œuvre d’art, du théâtre matériel. […] Le 8 août 1885, Mallarmé n’a rien vu de Wagner mais il avait lu les Quatre poèmes d’opéras traduits en prose française, précédés d’une lettre sur la musique, publiés en 1861.

389. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Couple littéraire sans analogue dans la poésie du monde, car la Bible est l’esprit de Dieu et les poèmes de l’Orient ne sont guère que de l’opium fumé qui rêve et se tord au soleil, Homère et Virgile sont l’Adam et l’Ève de la poésie telle que l’homme, en possession de toutes ses puissances, la conçoit et la réalise. […] Lorsqu’après avoir caractérisé plus ou moins heureusement le génie de Virgile il met l’Énéide à son tour en face de l’Iliade et s’efforce de prononcer, il recommence la séparation qui lui a porté malheur une première fois, et il établit entre les deux poèmes des distinctions très subtiles et très spirituelles, mais plus spécieuses que concluantes aux yeux d’une critique large et de bon sens. « Virgile n’a voulu faire — nous dit-il — ni une Théséide, ni une Thébaïde, ni une Iliade purement grecque, en beau style latin ; il n’a pas voulu purement et simplement faire un poème à la Pharsale, tout latin, en l’honneur de César, où il célébrerait avec plus d’éloquence que de poésie la victoire d’Actium et ce qui a précédé chronologiquement et suivi ; il est trop poète par l’imagination pour revenir aux chroniques métriques d’Ennius et de Nævius, mais il a fait un poème qui est l’union et la fusion savante et vivante de l’une et de l’autre manière, une Odyssée pour les six premiers livres et une Iliade pour les six autres… une Iliade julienne et romaine… » Ainsi, on le voit, le critique revient sans cesse à cette idée de fusion qui calomnie Virgile et qu’il a eue déjà en voulant caractériser son génie, mais il nous est impossible, à nous, d’admettre un tel procédé dans le poète, il nous est impossible de croire à cette ingénieuse, trop ingénieuse fusion des deux poèmes d’Homère en un seul. […] Ces questions, dont plusieurs ont été tant de fois stérilement agitées, — par exemple s’il faut que le poète épique soit plus ou moins de son temps ; s’il est vrai que le poème épique ne soit pas le premier des genres, etc., etc. ; — toutes ces questions d’enfant passent aujourd’hui à l’état d’homme, et sous cette plume, qui grandit ce qu’elle touche, s’élèvent des grêles proportions de la rhétorique à la hauteur d’une critique ample et perçante tout à la fois.

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