Souvenons-nous du Forum, des tribunaux sur les places des villes et des bourgs, des actes dont une simple pierre enfoncée dans un lieu désigné, en présence de témoins, conservait seule la mémoire.
Mais nous n’avons ni la place ni le temps d’essuyer ces mouchetures.
L’habitude, que seule notre civilisation nous permet, de vivre au milieu d’un nombre considérable d’individus qui changent, et défilent en quelque sorte devant nous pour se substituer les uns aux autres dans les mêmes places, n’est sans doute pas étrangère à l’assouplissement de nos conceptions juridiques : elle nous prépare à reconnaître des droits au premier « passant » venu, c’est-à-dire à tous les êtres, quels qu’ils soient, qui sont hommes.
L’un commande à ses égaux par la parole, et fier de sa grandeur, qu’il fait lui-même, court se mettre à la place que lui assignent ses talents ; l’autre, toujours resserré, toujours repoussé par les rangs qui l’environnent et le pressent, porte souvent le poids d’une grande âme déplacée.
Il faut bien connaître aussi cette race de critiques d’autrefois dont l’abbé Des Fontaines était le père ou l’oncle, et que nous avons vue finir : lui, Des Fontaines ; — Fréron, qu’on a voulu réhabiliter de nos jours et regalonner sur toutes les coutures (une courageuse entreprise), — Geoffroy, — Duviquet ; voilà la filiation, le gros de l’arbre ; il y en avait, à droite et à gauche, quelques rameaux perdus ; tous plus ou moins gens de collège, ayant du cuistre et de l’abbé, du gâcheux et du corsaire, du censeur et du parasite ; instruits d’ailleurs, bons humanistes, sachant leurs auteurs, aimant les Lettres, certaines Lettres, aimant à égal degré la table, le vin, les cadeaux, les femmes ou même autre chose ; — Etienne Béquet, le dernier, n’aimait que le vin ; — tout cela se passant gaîment, rondement, sans vergogne, et se pratiquant à la mode classique, au nom d’Horace et des Anciens, et en crachant force latin ; — critiques qu’on amadouait avec un déjeuner et qu’on ne tenait pas même avec des tabatières ; — professeurs et de la vieille boutique universitaire avant tout ; — et j’en ai connu de cette sorte qui étaient réellement restés professeurs, faisant la classe : ceux-là, les jours de composition, ils donnaient régulièrement les bonnes places aux élèves dont les parents ou les maîtres de pension les invitaient le plus souvent à dîner : Planche, l’auteur du Dictionnaire grec, en était et bien d’autres ; race ignoble au fond, des moins estimables, utile peut-être ; car enûn, au milieu de toute cette goinfrerie, de cette ivrognerie, de cette crasse, de cette routine, ça desservait, tant bien que mal, ce qu’on appelait le Temple du Goût ; ça vous avait du goût ou du moins du bon sens. […] Il faut faire entrer dans notre être tous les modes imaginables, ouvrir toutes les portes de son âme à toutes les sciences et à tous les sentiments ; pourvu que tout cela n’entre pas pêle-mêle, il y a place pour tout le monde.
Madame de Mortsauf est une femme qui pourrait occuper partout la première place. […] Assez interdite pour ne rien dire, elle revint s’asseoir à sa place devant un métier à tapisserie, après que le domestique eut approché deux fauteuils ; elle acheva de tirer son aiguille afin de donner un prétexte à son silence, compta quelques points et releva la tête, à la fois douce et altière, vers monsieur de Chessel en lui demandant à quelle heureuse circonstance elle devait sa visite.
La parole intérieure morale Mais il est une troisième variété qui mérite une place à part dans notre analyse : c’est la parole intérieure morale. […] Si donc c’est l’imagination qui exalte la parole intérieure ou suscite à sa place la parole extérieure, il n’y a d’étrange dans ces phénomènes que l’éveil de l’imagination à une heure et dans des circonstances où, chez la plupart des hommes, cette faculté se repose ; si c’est la passion qui produit les mêmes effets, on constate simplement sa puissance, on ne peut la justifier225.
En choisissant les images aussi disparates que possible, on empêchera l’une quelconque d’entre elles d’usurper la place de l’intuition qu’elle est chargée d’appeler, puisqu’elle serait alors chassée tout de suite par ses rivales. […] Alors les mots choisis seraient tellement impermutables qu’ils suppléeraient à tous les autres ; l’adjectif posé d’une si ingénieuse et d’une si définitive façon qu’il ne pourrait être légalement dépossédé de sa place, ouvrirait de telles perspectives que le lecteur pourrait rêver, pendant des semaines entières, sur son sens, tout à la fois précis et multiplet constaterait le présent, reconstruirait le passé, devinerait l’avenir d’âmes des personnages, révélés par les lueurs de cette épithète unique.
Mais ces diverses renommées successives, qui s’attachent à chacune des phases de la Révolution, viennent, en quelque sorte, trouver leur place et se donner rendez-vous en une seule célébrité qui les comprend et les concilie toutes dans leur ensemble, qui participe de ce qu’elles eurent de brillant ou de dévoué, de poli ou d’énergique, de sentimental ou de viril, d’imposant, de spirituel et d’inspiré, en relevant de plus, en encadrant tous ces dons par le génie qui les fait valoir et les immortalise. […] Elle avait sa place dans le salon, sur un petit tabouret de bois, près du fauteuil de Mme Necker, qui l’obligeait à s’y tenir droite ; mais ce que Mme Necker ne pouvait contraindre, c’étaient les réponses de l’enfant aux personnages célèbres, tels que Grimm, Thomas, Raynal, Gibbon, Marmontel, qui se plaisaient à l’entourer, à la provoquer de questions, et qui ne la trouvaient jamais en défaut. […] Il fallut vite partir, et ne plus se risquer désormais à ces promenades au clair de la lune, le long des quais, du ruisseau favori et autour de cette place Louis XV si familière à Delphine.
Comme livreurs de places fortes et désorganisateurs de garnisons, je vous les recommande. […] Le bon sens se réfugie chez lui en tumulte et se fait sa place avec une véhémence trouble, qui n’appartient guère en général qu’à l’insanité. […] Thiers prendra alors la place de Victor Hugo et de Michelet. […] Arrêtés, à chaque instant, par le désaccord d’une doctrine périmée et des faits, ils demeurent en place, entêtés et chancelants, cherchant une compromission impossible. […] De tels papillons, égarés ou morts sur place, les vitres des cinquante années dont je parle sont pleines, à travers lesquelles ne filtrait plus — de 1870 à 1914 — aucun soleil réchauffant.
La réflexion qui termine et que l’auteur ne fait pas en son nom, mais qu’il place dans la bouche des chevaliers présents, ce pronostic tout flatteur et favorable sur l’avenir du prince-roi, s’il lui est donné de vivre pour y atteindre, rappelle dans une perspective éloignée l’instabilité des choses humaines et les compensations du sort, qui ne permet pas aux plus heureux d’accomplir tout leur bonheur :-ce prince si brillant, et à qui tous souhaitent vie, ne régnera pas en effet, et mourra plein de gloire, mais avant le temps.
Une place était devenue vacante par la mort de l’avocat Sacy ; il était question de Montesquieu pour le remplacer (novembre 1727).