Mais, en général, la forme, qui est chose précise, solide et personnelle, se transporte moins aisément d’un pays à un autre que l’idée, qui est chose fluide, subtile et sans marque de propriété. […] Presque en même temps, le xvie siècle, si vivant, si tumultueux, si riche d’héroïsme et de crimes, bénéficie d’une semblable résurrection ; la vogue qu’il obtient s’étend jusqu’aux années qui touchent au règne personnel de Louis XIV.
Et reporté vingt-huit ans après sur le même sujet d’attaque en reprenant, dans ses Époques de la nature, ce même ensemble de vues et de travaux : Tâchons néanmoins, disait-il, de rendre la vérité plus palpable ; augmentons le nombre des probabilités ; rendons la vraisemblance plus grande ; ajoutons lumières sur lumières, en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons-nous juger ensuite sans inquiétude et sans appel ; car j’ai toujours pensé qu’un homme qui écrit doit s’occuper uniquement de son sujet et nullement de soi ; qu’il est contre la bienséance de vouloir en occuper les autres, et que, par conséquent, les critiques personnelles doivent demeurer sans réponse. Cette haute dignité personnelle préside à toute la vie de Buffon.
Il se donne à nous comme dénué de toute ambition, de tout intérêt personnel : « Mon grand défaut, mon imperturbable défaut est l’antipathie pour le mouvement. » Il avait pour principe qu’il y a de bons défauts, et qu’il ne s’agit que de savoir en prendre son parti et s’en arranger pour y trouver du bonheur. […] Fiévée n’en sortit que pour entrer en relation personnelle et directe avec le consul.
Pour exprimer que Colbert, dès sa jeunesse, s’occupait des choses publiques et qu’il échappait aux passions personnelles, M. […] Necker, en présence de cette opinion dont il ne se défiait pas, songeait sans doute avant tout à faire le bien, à condition qu’il le ferait à son plus grand honneur personnel et à sa plus grande gloire.
Et il revenait sans cesse sur sa situation personnelle et sur ses peines sensibles : Ah ! […] Necker, à ce moment, ne trouve aucune image au-dessus de sa situation personnelle ; au milieu de tous ces reproches d’ingratitude qu’il exhale, il lui semble encore qu’il use de clémence : « Comme le Prophète, après être venu sur la montagne pour maudire, je ne voulais y rester que pour bénir. » Un si grand tumulte de cœur, dans une situation qui était véritablement amère et cruelle, dépasse pourtant ce qu’on a droit d’attendre d’un homme d’État ferme, et qui a mesuré d’avance les chemins par où il faut passer : c’est qu’aussi M.
Nisard, par son goût pour la raison générale, a un peu trop oublié ce que cette raison générale doit à la raison individuelle ; il a trop préféré la raison qui conserve à la raison qui découvre ; surtout il n’a pas fait la part qui convient en littérature à l’imagination inventive, et il a trop méconnu la part du génie personnel des écrivains. […] Est-il au monde une manière de penser plus personnelle, plus individuelle que celle de Pascal ?
. — Contes personnels et contes, tirés d’autres folkoristes, étudiés dans cet essai. […] Les contes qui ne me sont pas personnels feront l’objet de notes en bas de page ou seront comparés aux contes correspondants recueillis par moi dans des notes spéciales mises à la fin de chacun de ces derniers contes.
Par cela même que ce cœur qui aima ne comprend pas un paradis sans l’éternité de ses affections terrestres, il ne le comprend pas sans mémoire, sans identité personnelle, sans tout ce qui constitue l’âme entière. […] Si vous mutilez mon être moral pour rendre à Dieu la tâche aisée, Dieu refusera de telles facilités. » Ni le repos promis par les uns, ni la contemplation immobile dans la lumière, décrite par les autres, car, le repos, « c’est l’oubli du passé, l’effacement de tout, excepté de l’ardeur présenté, éternelle, identique », ne peuvent satisfaire l’âme exigeante qui veut vivre dans les cieux avec des intensités plus grandes que celles de la terre, et qui demande au Paradis un Dieu personnel à aimer de toute l’énergie de sa personnalité à elle-même.
Comment ne pas reconnaître que l’expansion naturelle de l’individualisme, c’est-à-dire l’ensemble des facultés distinctives et personnelles d’un individu, crée la solidarité, c’est-à-dire l’ensemble des facultés qui relient cet individu au reste de l’univers ; que la solidarité n’est que le produit naturel de l’individualisme ; que l’aboutissement de l’individualisme, c’est la solidarité, qui est elle-même un ferment d’individualisme ; ou mieux encore, que l’individualisme n’est autre chose que de la solidarité virtuelle et la solidarité, autre chose que de l’individualisme virtuel ? […] Alors que l’existence normale de l’animal humain ne peut se concevoir sans une vie du dehors et une vie du dedans, équilibrées suivant le rythme personnel de l’individu, l’animal-cité, ce « grand être » en ébauche, ne peut atteindre non plus son intégralité, s’il ne fait concourir la vie inter-sociale, c’est-à-dire la vie de l’humanité dans toute son ampleur, à son développement interne.
Quand les parents aiment assez profondément leurs enfants pour vivre en eux, pour faire de leur avenir leur unique espérance, pour regarder leur propre vie comme finie, et prendre pour les intérêts de leurs enfants des affections personnelles, ce que je vais dire n’existe point ; mais lorsque les parents restent dans eux-mêmes, les enfants sont à leurs yeux des successeurs, presque des rivaux, des sujets devenus indépendants, des amis, dont on ne compte que ce qu’ils ne font pas, des obligés à qui on néglige de plaire, en se fiant sur leur reconnaissance, des associés d’eux à soi, plutôt que de soi à eux ; c’est une sorte d’union dans laquelle les parents, donnant une latitude infinie à l’idée de leurs droits, veulent que vous leur teniez compte de ce vague de puissance, dont ils n’usent pas après se l’être supposé ; enfin, la plupart ont le tort habituel de se fonder toujours sur le seul obstacle qui puisse exister à l’excès de tendresse qu’on aurait pour eux, leur autorité ; et de ne pas sentir, au contraire, que dans cette relation, comme dans toutes celles où il existe d’un côté une supériorité quelconque, c’est pour celui à qui l’avantage appartient, que la dépendance du sentiment est la plus nécessaire et la plus aimable.
La satisfaction que donne la possession de soi, acquise par la méditation, ne ressemble point aux plaisirs de l’homme personnel ; il a besoin des autres, il exige d’eux, il souffre impatiemment tout ce qui le blesse, il est dominé par son égoïsme ; et si ce sentiment pouvait avoir de l’énergie, il aurait tous les caractères d’une grande passion ; mais le bonheur que trouve un philosophe dans la possession de soi, est de tous les sentiments, au contraire, celui qui rend le plus indépendant.
Ce succès ne peut être une affaire de parti, ou d’enthousiasme personnel.