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635. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Il y a dans les meilleurs livres d’Anatole France, dans ceux qui essaient le moins d’être des livres, deux personnages que j’aime. […] Le chien Riquet, Anatole France s’en doute bien un peu, est le plus humain de ses personnages. […] L’ingénieux Anatole France, longtemps impuissant à créer un personnage, a enfin réussi — à côté d’un chien peu fidèle qui adopte tous les maîtres et court sur la piste de tous les livres, c’est M. 

636. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Quelques-uns des écrivains que nous avons cités, devenus grands personnages et grands fonctionnaires, laissèrent la plume. […] Il me semble entendre un de ces personnages du troisième ordre dans Molière, un de ces bons bourgeois qui s’en donnent à gorge chaude, et à qui la gueule, comme on disait alors, ne fait pas faute. […] On le sent tout d’abord chez Hoffman, le journaliste se souvient de l’auteur dramatique ; il introduit dans la critique un peu de comédie, de la mise en scène, des dialogues : ce critique sait manier et faire jouer les personnages.

637. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

René, en effet, n’est autre que ce jeune homme de seize ans transposé, dépaysé au milieu d’une autre nature et au sein d’une autre condition sociale ; non plus un apprenti graveur, fils d’un bourgeois de Genève, d’un bourgeois du bas, mais chevalier, noble, voyageur en grand, épris des muses : tout, au premier aspect, revêt une couleur plus séduisante, plus poétique ; l’inattendu du paysage et du cadre rehausse le personnage et caractérise une nouvelle manière ; mais le premier type sensible est là où nous l’indiquons, et c’est Rousseau qui, en regardant en lui-même, l’a trouvé. […] Il a le sentiment de cette réalité en ce qu’il veut que chaque scène dont il se souvient ou qu’il invente, que chaque personnage qu’il introduit, s’encadre et se meuve dans un lieu bien déterminé, dont les moindres détails se puissent graver et retenir. Un des reproches qu’il faisait au grand romancier Richardson, c’était de n’avoir pas rattaché le souvenir de ses personnages à une localité dont on aurait aimé à reconnaître les tableaux.

638. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Nous profiterons de ces travaux pour dire nous-même quelque chose du docte et digne personnage qui en a fourni le sujet. […] Mais, en dehors de ces génies tout individuels de Rabelais et de Montaigne, le xvie  siècle nous montre une quantité d’excellents et vigoureux esprits, de graves et énergiques personnages, qui usèrent vaillamment ou sainement des ressources de la langue à cette époque de confusion et de lutte, et qui, en l’appliquant selon les besoins divers, y mirent encore moins l’empreinte de leur génie propre que celle du parti et de la classe auxquels ils appartenaient. […] À côté de ces figures rudes et mâles, une femme nous apparaîtrait, la reine Marguerite, sœur des Valois, qui nous laisse entrevoir dans ce qu’elle écrit un personnage élégant, fin, délicat, exquis, perfide, un type qui n’était point rare dans cette famille et dans ce cortège de Catherine de Médicis.

639. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Je laisse à de plus osés de mettre la main au feu pour des questions de ce genre : il me suffit, et il doit suffire à ceux qui cherchent avant tout le caractère du personnage, que Mme de Maintenon ait eu dans l’ensemble une ligne de conduite pleine de réserve et de convenance. […] Je ne voulais point être aimée en particulier de qui que ce fût ; je voulais l’être de tout le monde, faire prononcer mon nom avec admiration et avec respect, jouer un beau personnage, et surtout être approuvée par des gens de bien : c’était mon idole. […] Il lui suffit, pour tous les autres, d’être un personnage à part, non défini et d’autant plus respecté, jouissant de sa grandeur voilée sous le nuage et du sens merveilleux d’une destinée qui perçait assez, comme dit Saint-Simon, sous sa « transparente énigme ».

640. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Tel il était à l’âge de quarante-trois ans, tel au fond il resta jusqu’à la fin ; mais les dix années finales (1815-1825) où il devint et où il fit un personnage populaire, méritent d’être comprises à part : aujourd’hui je ne m’occuperai que du premier Courier, du Courier avant le rôle et le pamphlet. […] Il y a là de quoi faire quelque chose comme le Jugurtha de Salluste, et mieux, en y joignant un peu de la variété d’Hérodote, à quoi le pays prêterait fort ; scène variée, événements divers, différentes nations, divers personnages ; celui qui commandait était encore un homme, il avait des compagnons ; et puis, notez ceci, un sujet limité, séparé de tout le reste ; c’est un grand point selon les maîtres : peu de matière et beaucoup d’art. […] En traduisant dès lors le fragment inédit, en l’assortissant et en le joignant à la version d’Amyot qu’il publia après l’avoir corrigée en beaucoup de points (Florence, 1810), Courier entrait comme par occasion dans cet essai de style un peu vieilli, à la gauloise, qu’il s’appropriera désormais, qu’il appliquera à d’autres traductions et même à des sujets tout modernes, et qu’il fera plus tard servir à son personnage politique de paysan tourangeau.

641. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Tout en rendant justice à ses belles et saines parties, nous ne le fîmes point avec plénitude ni en nous associant de cœur à l’esprit même de l’homme : Boileau, personnage et autorité, est bien plus considérable que son œuvre, et il faut de loin un certain effort pour le ressaisir tout entier. […] Mais à voir l’ensemble, comme on sent bien que ce personnage vivant était le contraire du triste et du sombre, et point du tout ennuyeux ! […] Usant donc de l’accès qu’il avait auprès du docte personnage, il lui conduisit le satirique qui déjà l’avait pris à partie sur ses vers, et il le présenta sous le titre et en qualité de M. 

642. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Loppin, « ami intime des lignes droites », et personnage, ce semble, un peu roide. […] En allant visiter les îles Borromées, il nous parle du saint si vénéré, de Charles Borromée, ce grand personnage, bienfaiteur du pays, et qui a partout laissé sa trace : « Il est singulier qu’un homme qui a si peu vécu ait pu faire tant de choses de différents genres, toutes exécutées dans le grand, et marquant de hautes vues pour le bien public. » Il traite assez lestement ce petit faquin de lac Majeur qui s’avise de singer l’Océan et d’avoir des tempêtes : Les bords du lac, dit-il, sont garnis de montagnes fort couvertes de bois, de treilles disposées en amphithéâtre, avec quelques villages et maisons de campagne, qui forment un aspect assez amusant. […] Qui a su mieux peindre les situations, enchaîner les événements, perdre et retrouver d’une façon plus naturelle un si grand nombre de personnages, et, par une transition de deux vers, remettre son lecteur au fait de la suite d’une longue histoire racontée dans les chants précédents ?

643. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Les deux volumes, qui embrassent cette littérature française à l’étranger durant tout le cours du xviie  siècle, nous fourniront plus d’un secours et d’un prétexte pour revenir nous-même vers quelqu’un de ces personnages que l’auteur nous fait mieux connaître, et qu’il éclaire par ses recherches nouvelles ou par ses fins aperçus. […] Converti d’abord par politique, il paraît qu’il le fut ensuite plus sérieusement et plus sincèrement avec les années, et que les raisons de conscience finirent par se joindre en lui aux autres considérations du personnage public et du roi. […] Ayant été amenée un jour à les montrer à un père Ferrier33 de Chambéry, ce docte personnage fort versé aux choses de l’esprit en fut très frappé, et pressa l’évêque de Genève de les publier.

644. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Tous ses personnages possèdent du linge fin et un carnet de chèque chez le banquier. […] Le marbre, fût-il de Paros, ne lui paraît jamais assez pur pour y tailler son personnage d’élection. […] C’est un personnage d’une de ses comédies qui, parlant à je ne sais quel prédicateur, s’écrie : — Oh !

645. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

Si l’association produit ses effets utiles quelquefois, c’est dans des contes où l’imagination cherche moins à serrer la réalité que dans les fables123 (au point de vue de l’action, sinon des personnages). […] Dans le conte de Bilâli encore, deux des personnages, Bilâli et Sanio, promettent leur vie contre la possession éphémère de la femme désirée ; un troisième fait cet échange contre des bœufs et un beau cheval. […] Sans doute le héros principal du conte — littérature de passe-temps — est l’homme courageux ; mais celui des fables — littérature d’enseignement pratique (de fait plus encore que d’intention) — est le personnage roublard qui, malgré son peu de moyens physiques, arrive à ses fins et triomphe constamment de la force brutale.

646. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Ont-ils fait une pièce dont l’action dure seulement une semaine, et dont les personnages franchissent au moins, d’une scène à l’autre, l’étroit passage qui sépare la France de l’Angleterre ou l’Europe de l’Afrique ? […] Si je vois l’élégant Racine prêter quelquefois à des personnages de la Grèce héroïque, les sentiments raffinés et les expressions polies des courtisans de Louis XIV, je vois plus souvent le sauvage Shakespeare transporter dans tous les temps et dans tous les pays où l’entraîne sa Muse vagabonde, les idées, les préjugés, les mœurs et le langage des bourgeois de Londres sous la reine Élisabeth. […] Si je pouvais me croire le droit de leur adresser quelques avis, je leur dirais : Laissez enfin pour morts ces héros de la Grèce et de Rome, que nos poignards tragiques ont épuisés de sang ; faites revivre les personnages des âges chrétiens et chevaleresques : mais gardez-vous d’appliquer à ces sujets d’un temps barbare, les règles d’une poétique plus barbare encore, et n’imitez pas ce peintre de nos jours, qui voudrait représenter les princes et les guerriers du dixième siècle, dans le style gothique des vitraux de leurs chapelles, ou du marbre de leurs tombeaux.

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