C’est ainsi que ce soir, au lieu d’être à la première de la reprise de Claudie, dans la loge de Porel, prévenu que les Daudet n’y sont pas, je reste chez moi à rêvasser et à me réjouir, les yeux, sous la lumière de la pleine lune, de la légèreté de la grille de fer qu’on vient de poser au fond de mon jardin… Et regardant cela, je pensais avec tristesse au bourgeois imbécile, ou à la cocotte infecte, qui aura bientôt cette petite demeure de poète et d’artiste. […] Pense-t-on que si Boulanger arrive à jouer en France le Bonaparte, il le devra, en grande partie à la chanson de Paulus ? […] Et la montre qu’elle fait de ces choses, est semée d’anecdotes du dix-huitième siècle, d’anecdotes de Louis-Philippe, d’anecdotes du second Empire, donnant à penser aux curieux mémoires, qu’on ferait sous la dictée de cette spirituelle vieille femme, à la parole intarissable. […] Jeudi 29 septembre À propos de Pascal Géfosse, le roman de Paul Margueritte, Daudet disait, non comme critique du livre, mais théoriquement, qu’il y avait à la suite de Bourget, une suite de romans psychologiques, dont les auteurs, à l’instar de Stendhal, voulaient écrire, non ce que faisaient les héros des romans, mais ce qu’ils pensaient.
Ce qu’on pense et ce qu’on écrit de beau à Rome, à Ispahan, à Jérusalem, à Pétersbourg, à Vienne, à Londres, à Madrid, à Calcutta, à Pékin, grandit l’humanité pensante à Paris. […] Comme j’exprimais par ma physionomie ma répulsion involontaire pour ces œuvres de colère, quelqu’un me dit : « À quoi pensez-vous ? […] Il vieillit ainsi jusqu’aux limites assignées par la nature aux plus longues vies, et mourut avec fermeté, comme il convient à un homme qui a beaucoup pensé au néant pompeux des choses humaines et à la grandeur des espérances au-delà du tombeau. […] Si nous avions à la définir comme nous la comprenons, nous dirions : la critique est la logique des arts, de l’art de penser et d’écrire comme de tous les autres arts que l’esprit humain a inventés pour exercer les forces de son intelligence ou de ses sens à la gloire de son être.
Malheur aux nations qui pensent trop ! […] Quand une aristocratie domine depuis longtemps, elle s’endort peu à peu dans l’orgueil et la mollesse ; elle perd l’habitude de penser. […] Les médailles byzantines, les figures des cathédrales gothiques, avec leurs têtes grêles, étroites, leurs fronts comprimés, n’attestent-elles pas la décadence héréditaire d’une race d’hommes qui pendant mille ans avait cessé de penser ? […] C’est aller bien loin ; mais un peu de scepticisme est permis quand on pense aux quinze ou seize classifications qui se sont succédé depuis Aristote et dont aucune n’a encore réussi à conquérir l’adhésion de tous les savans.
Un grand nombre des espèces marines de l’archipel s’étendent aujourd’hui à des milliers de milles au-delà de ses limites ; et l’analogie nous induit à penser que ce sont principalement ces espèces très répandues qui produiront le plus souvent des variétés nouvelles. […] Ce résultat ne m’était nullement agréable, car il venait encore ajouter un exemple de plus aux brusques apparitions de groupes entiers d’espèces ; du moins le pensais-je ainsi. […] Agassiz le pense, ce serait certainement un fait très remarquable ; mais je ne saurais y voir une objection insoluble contre ma théorie, à moins qu’il ne soit possible de démontrer aussi que toutes les espèces de ce groupe ont apparu soudainement et simultanément dans toutes les mers du monde à la même époque. […] Je sais aussi que tous ceux qui peuvent penser que nos documents géologiques sont tant soit peu complets, ou qui ne reconnaissent pas quelque poids aux faits et aux arguments divers rassemblés dans ce volume, rejetteront du premier coup ma théorie.
La matière, pensent les philosophes, n’est sans doute que l’envers de l’esprit. […] Elles comprennent des aptitudes acquises et communes à tout un groupe d’individus : une méthode particulière de penser, une façon spéciale de sentir et de s’exalter, de jouir, d’aimer, de goûter la vie ; et ce qui domine toutes ces ressemblances, c’est le souvenir émouvant des mêmes périls et des mêmes triomphes, des mêmes grandes choses accomplies ensemble. […] Chacun ne pense qu’à écraser son voisin. […] S’il est vraiment l’homme de sa race, — de la race qui, dans une nation, s’est rendue conquérante et triomphante grâce aux vertus égoïstes qui ont préservé la force et l’intégrité de son type, — il trouvera sans y penser la matière de son art dans ces vertus mêmes, et il reconnaîtra, dans la vigueur des muscles que lui ont façonnés ses pères, le plus ferme soutien de son génie.
Ne prenez tout cela que comme la conversation vive et nourrie d’un homme qu’on trouve au lit le matin et qui pense tout haut, et vous en emporterez de tous côtés des traits, des aiguillons, qui vous feront aussi penser, pester, dire oui et non à la fois ; et c’est ce qu’il a voulu. — Et même lorsqu’on approuve, c’est comme dans la conversation encore : il faut suppléer, à tout moment, à ce qui manque.
il ne trouve ici qu’une courte réponse qu’il fit avec un soupir : Mon enfant, dit-il, rien n’est trop chaud pour un capitaine qui sent que son soldat n’a pas moins d’intérêt que lui à la victoire : avec les huguenots, j’avais des soldats ; depuis, je n’ai eu que des marchands qui ne pensent qu’à l’argent ; les autres étaient sevrés de crainte, sans peur, soudoyés de vengeance, de passion et d’honneur ; je ne pouvais fournir de rênes pour les premiers, ces derniers ont usé mes éperons. […] D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence.
On comprend la beauté du dernier trait quand on vient d’assister avec lui au morne spectacle de cette enceinte altière, assez voisine de la brèche de Roland, et quand on sait aussi ce qu’il pense scientifiquement de ces hauts monts ruineux, dont il a dit : « Périr est leur unique affaire. […] Aux questions que lui adressait son correspondant sur l’objet commun de leurs études, sur ses chères Pyrénées, il répond modestement et avec bonhomie (octobre 1823) : « Pardonnez, de grâce, à la paresse d’un homme qui se repose de plus d’un demi-siècle de fatigue, lit encore, mais n’écrit guère, rêve souvent et ne pense plus. » Il revient plus d’une fois sur la perte cruelle de ses manuscrits et sur le regret de n’avoir pu compléter tous ses tableaux.
J’oserais dire que si nous avions tous un bras lié, il ne serait encore en la puissance de l’armée ennemie de nous tuer de tout un jour sans perte de la plus grand’part de leurs gens et des meilleurs hommes : pensez donc, quand nous aurons les deux bras libres et le fer en la main, s’il sera aisé et facile de nous battre ! […] À défaut des pionniers il pensa à y employer les soldats.
Il lui semblait, comme à Martial, que pour créer des poètes, et de grands poètes, il ne s’agissait que de les encourager par des largesses ; il pense là-dessus comme Clément Marot, comme les poètes valets de chambre (avant que Molière en fût) ; il n’a pas de doctrine plus relevée, et, dans une pièce imitée de Martial même, il le dit très lestement au maréchal de Noailles, l’un de ses patrons d’autrefois : Dans ce beau siècle où Paris est au faite, Grâce à son roi, des biens, des dignités, Où sous son ombre elle élève sa tête Cent pieds de haut sur les autres cités, À concevoir vous trouvez difficile Pourquoi ce roi, plus couvert de lauriers, Plus grand qu’Auguste, a manqué de Virgile Pour consacrer ses triomphes guerriers. […] Le poète pense à un autre poète de ses amis, à un hôte lointain dont il vient d’apprendre à l’improviste la mort déjà ancienne, et qui avait fait lui-même des élégies mélodieuses : Quelqu’un, ô Héraclite, m’a dit ton trépas et m’a plongé dans les larmes, et je me suis ressouvenu combien de fois tous les deux nous avions, au milieu de nos doux entretiens, enseveli le soleil : mais toi, cher hôte d’Halicarnasse, dès longtemps, je ne sais où, tu n’es que cendre.
La peste, la famine sévissent parmi les troupes ; les colonels et capitaines Grisons s’irritent faute de paye et quittent leurs postes, le conseil des ligues pense à de nouvelles alliances : point d’argent, point de Grisons. « Il ne se passe semaine, écrivait Rohan à M. des Noyers dès le mois de juillet, que je ne vous écrive l’état de ce pays, et je n’apprends pas seulement que vous receviez mes lettres, ce qui me fait croire que vous ne prenez pas la peine de les lire. » Les amères doléances de Rohan du fond de sa Valteline arrivaient pendant que les Espagnols prenaient Corbie et menaçaient la capitale ; on conçoit qu’elles aient été médiocrement écoutées. […] Il pensait à trop de choses à la fois.
Bonstetten, lui, n’a rien de cette ambiguïté, de cette odieuse condition d’amphibie ; il écrit comme il parle, et il parle en même temps qu’il pense ; je laisse aux Allemands le soin de le qualifier par le côté qui leur appartient, mais en tant qu’il nous regarde et qu’il s’adresse à nous, il est, comme Grimm, un des nôtres. […] Un moment il pensa à s’expatrier pour toujours, lui et les siens, à quitter l’Europe pour l’Amérique.