Nulle part le contraste n’est plus frappant entre le fond des sentiments que peint le poëte et la forme sous laquelle il les exprime. […] Admirable trait de sens moral et de bon sens dans le génie adonné à peindre la passion ! […] L’amour, comme le font les villageois, est peint au naturel dans Sylvius et la dédaigneuse Phébé. […] Il semble que Shakspeare ait voulu peindre ici, sous leurs différents points de vue, les premiers beaux jours d’un heureux mariage. […] Shakspeare les a prises ordinairement dans ses personnages mêmes ; et il lui suffisait ici d’avoir à peindre un roi élevé sur le trône.
Guizot serait à la fois Marat, Hébert, Collot d’Herbois, Couthon et Billaud-Varennes, on ne le peindrait pas autrement. […] L'auteur ne ménage personne, il parle des Saints-Simoniens et des Révélateurs comme des députés ; il les peint noirs et odieux, mais il en rit davantage.
C’était, dans le roman, un de ces génies qu’on est convenu d’appeler impartiaux et désintéressés, parce qu’ils savent réfléchir la vie comme elle est en elle-même, peindre l’homme de toutes les variétés de la passion ou des circonstances, et qu’ils ne mêlent en apparence à ces peintures et à ces représentations fidèles rien de leur propre impression ni de leur propre personnalité. […] S’il s’est peint dans quelque personnage de ses romans, ç’a été dans des caractères comme celui de Morton des Puritains, c’est-à-dire dans un type pâle, indécis, honnête et bon.
Et puis, pourquoi n’en serait-il pas d’une littérature dans son ensemble, et en particulier de l’œuvre d’un poëte, comme de ces belles vieilles villes d’Espagne, par exemple, où vous trouvez tout : fraîches promenades d’orangers le long d’une rivière ; larges places ouvertes au grand soleil pour les fêtes ; rues étroites, tortueuses, quelquefois obscures, où se lient les unes aux autres mille maisons de toute forme, de tout âge, hautes, basses, noires, blanches, peintes, sculptées ; labyrinthes d’édifices dressés côte à côte, pêle-mêle, palais, hospices, couvents, casernes, tous divers, tous portant leur destination écrite dans leur architecture ; marchés pleins de peuple et de bruit ; cimetières où les vivants se taisent comme les morts ; ici, le théâtre avec ses clinquants, sa fanfare et ses oripeaux ; là-bas, le vieux gibet permanent, dont la pierre est vermoulue, dont le fer est rouillé, avec quelque squelette qui craque au vent ; au centre, la grande cathédrale gothique avec ses hautes flèches tailladées en scies, sa large tour du bourdon, ses cinq portails brodés de bas-reliefs, sa frise à jour comme une collerette, ses solides arcs-boutants si frêles à l’œil ; et puis, ses cavités profondes, sa forêt de piliers a chapiteaux bizarres, ses chapelles ardentes, ses myriades de saints et de châsses, ses colonnettes en gerbes, ses rosaces, ses ogives, ses lancettes qui se touchent à l’abside et en font comme une cage de vitraux, son maître-autel aux mille cierges ; merveilleux édifice, imposant par sa masse, curieux par ses détails, beau à deux lieues et beau à deux pas ; — et enfin, à l’autre bout de la ville, cachée dans les sycomores et les palmiers, la mosquée orientale, aux dômes de cuivre et d’étain, aux portes peintes, aux parois vernissées, avec son jour d’en haut, ses grêles arcades, ses cassolettes qui fument jour et nuit, ses versets du Koran sur chaque porte, ses sanctuaires éblouissants, et la mosaïque de son pavé et la mosaïque de ses murailles ; épanouie au soleil comme une large fleur pleine de parfums ?
Autant Addisson fut ménagé, autant les instrumens de sa jalousie & de sa vengeance secrette furent peints comme ils méritoient de l’être. […] Il a fallu des couleurs très-vives pour vous peindre.
Tels ont été parmi nous l’auteur du poëme de la Magdeleine et celui du poëme de saint Louis, deux esprits pleins de verves, mais qui n’ont jamais peint la nature, parce qu’ils l’ont copiée d’après les vains phantômes que leur imagination brûlée en avoit formez : tous deux se sont également éloignez du vrai, quoiqu’ils s’en soient écartez par des routes differentes. […] Voilà pourquoi leur esprit semble les abandonner quelquefois, et quelquefois les tirer par l’oreille, suivant la phrase d’Horace, pour les obliger d’écrire ou de peindre.
Comment Thomas Carlyle, qui a été si cruellement rieur dans des sujets poignants, — qui, dans son Histoire de la Révolution française nous a raconté avec la méprisante gaîté d’un fossoyeur de Shakespeare les folies d’étiquette imbécile qui perdirent tout, lors de la fuite de Louis XVI et de Marie-Antoinette à Varennes, — nous aurait-il peint cette situation, exceptionnelle, même au théâtre, — et tout ce que cette situation engendre ! […] À la hauteur des sociétés qu’il peint, nous ne sommes pour lui probablement personne.
Cependant, sans avoir franchi le Rubicon, nous commencions à faire plus devers que de croquis, et peindre avec des mots nous paraissait plus commode que de peindre » avec des couleurs. […] Mais elle a l’éclat d’une muraille peinte en rouge antique, à côté des grisailles si tristes et si froides à l’œil des pièces grecques ou romaines qu’on jouait auparavant. […] Roqueplan a peint aussi, dans cette manière, une Madeleine au désert. […] Il jetait des seaux de couleur contre la toile, il peignait avec un balai ivre ; — ce balai ivre parut très joli et fit en son temps un effet énorme. […] Ce rêve l’occupait déjà tout entier ; il voulait peindre l’arbre des cités après avoir si bien peint l’arbre des forêts, et, nous donnant une brusque poignée de main, il nous quitta en nous jetant ces mots : « Ce tableau, je le ferai. » Ce tableau, il ne l’a pas fait.
Cette façon de peindre contient une des sources les plus secrètes et les plus originales de son comique. […] Il en a peint. […] Son dessein n’était pas de peindre la vie sans parti pris, mais au contraire d’en donner une image qui fût conforme à ses partis pris. […] Il ne se propose pas, en effet, uniquement de peindre la vie. […] Ces auteurs ne se soucient pas de peindre la vie ou les mœurs, ils font des pièces aimables.
Il faut connaître à fond les hommes, afin de ne pas peindre des fantômes, mais des réalités. […] Est-ce l’esprit, l’imagination, la critique, l’art de composer, le talent de peindre ? […] Il faut lui pardonner : c’est le passage des Alpes peint par Salvator Rosa. […] Il peint seulement de traits profonds la consternation et l’oscillation de l’armée d’Égypte le lendemain de l’évasion de son général en chef. […] La famille, l’épouse, les frères, les sœurs du premier Consul sont peints avec plus de négligence de pinceau et avec des couleurs de convention qui ne gravent aucune de ces physionomies dans le regard.
C’est dans une rue aux bâtisses misérables et rustiques, aux cours emplies de volailles, aux fruiteries, dont la porte est garnie de petits balais de plumes noires : une rue à la façon de ces rues de banlieue que peint Hervier de son pinceau artistiquement sale. […] La femme qu’a peinte l’anthropographe Cranach, la femme du Parmesan et de Goujon, la femme de Boucher et de Coustou sont trois âges et trois natures de femme. […] La toile se lève sur la scène, où le peintre Puvis de Chavannes a peint d’assez cocasses décors — une scène où il y a juste la place pour un soufflet et un coup de pied dans le derrière. […] Ici c’est Chantilly, là Champlâtreux, plus loin Luzarches, un nom de site champêtre à la mode dans les romans de la fin du dernier siècle, tout comme Salency, et pour venir ici, on passe par l’Ile-Adam, devant la terrasse peinte dans le joli tableau d’Olivier, qui est à Versailles. […] Cela est aiguisé, menu, pointu, c’est une pluie de petites phrases qui peignent, à la longue, et par la superposition et l’amoncellement.
Ses relations avec le moine Schneider, telles qu’il s’est plu à nous les peindre, ne sont-elles pas une réflexion fort élargie, une pure réfraction du souvenir à distance au sein d’une vaste et mobile imagination ? […] Quand on est poëte, quand la lumière se joue dans l’atmosphère sereine de l’esprit ou en colore à son gré les transparentes vapeurs, il n’est que mieux d’attendre pour peindre, de laisser la distance se faire, les rayons et les ombres s’incliner, les horizons se dorer et s’amollir. […] Plus tard, pour les figures de femmes, surtout de jeunes filles, il a mieux atteint à l’idéal voulu, et, dans le charme de les peindre, son pinceau gracieux et amolli n’a pas eu besoin de plus d’effort. […] Il nous a peint plus tard son vieil ami sous le nom légèrement adouci de sir Robert Grove, dans son attachante nouvelle d’Amélie. […] Pour revenir, est-ce aller trop loin que de croire de Nodier bibliographe, lexicographe et philologue, qu’après tout, l’élève du chevalier Croft garda toujours quelque chose de lui, et que même pour les doctes excentricités qu’il jugeait en souriant et que depuis il nous a peintes, il s’en inocula dès lors quelques-unes avec originalité ?