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485. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Art et critique sont-ils condamnés à dépérir dans l’engourdissement général de toutes ces facultés nobles et viriles qui purifient la passion sans l’étouffer et règlent l’imagination sans l’éteindre ? […] Ce n’est pas, comme on l’a trop dit, la passion qui est durable et variée ; ce n’est pas le devoir qui est passager ou monotone. […] Il fallait corrompre jusqu’aux sources de la pensée, recruter comme compagnies franches dans son implacable guerre contre le christianisme toutes les mauvaises passions de l’homme. […] Ainsi, avant 89 comme aujourd’hui, le paysan français était tourmenté d’une passion, la passion de la propriété territoriale ; et déjà, à cette époque, il n’avait que trop d’occasions de la satisfaire. […] Le roman de sa vie — car ce ne fut guère qu’un roman — s’associa à l’époque la plus romanesque qui ait jamais brodé de ses intrigues féminines et de ses passions aventureuses le ferme et simple tissu de l’histoire.

486. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre II. Du Chant grégorien. »

Dans l’office de la Semaine-Sainte, on remarque la Passion de saint Matthieu. […] Pergolèze a donc méconnu cette vérité, qui tient à la théorie des passions, lorsqu’il a voulu que pas un soupir de l’âme ne ressemblât au soupir qui l’avait précédé.

487. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Puisse l’ouvrage salutaire de Fénelon, qui se nourrissait du miel attique le plus pur, nous détourner, en nous inspirant son goût, de chanter ces passions fatales ! […] Voilà comment on imite les grandes passions ! […] La colère d’Achille n’est qu’héroïque ; la passion du Christ est divine. […] « Chaque passion parle un différent langage. […] C’est surtout dans les plaintes et les prières qu’Horace et Boileau proscrivent le style descriptif, et ce précepte émane de leur profonde connaissance des passions.

488. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

C’est même comme son caractère essentiel de mettre la passion où il faudrait le savoir, et de mettre exclusivement la passion là où la passion devrait être exclue. […] Il est certain que le passionné proprement dit qui satisfait sa passion a une jouissance réelle. […] Ces passions sont les maladies de l’âme. […] Pour mener une vie heureuse, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible et ne point les réprimer. […] Pour moi, la force, c’est précisément l’idée de justice assez vive pour devenir la passion de la justice.

489. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Pour ma part, je l’ai lu avec passion quand le hasard mit ce mince volume entre mes mains, voici des années. […] Musset ne représentait pas plus exactement les passions nouvelles de sa génération que M.  […] Tantôt c’est la conception d’un idéal raffiné qui crée la passion. […] Il doit dépouiller tous les dossiers des passions grandes et petites. […] Dans tous les temps, toutes les distractions, tout ce qui est étranger à ma passion, a été nui pour moi.

490. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

La lecture des écrivains grecs, la passion de la poésie, la rhétorique, la philosophie occupèrent les premières années de sa jeunesse. […] quelle passion ! […] Son action terrible, ses larges développements de passions ne peuvent s’encadrer dans les limites de nos règles. […] Milton revint alors à ses travaux d’érudition et à sa passion pour la controverse. […] Ici la passion est la vertu même ; et la volupté semble un des biens célestes que l’homme a perdus.

491. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

L’aveu public des passions, des ambitions, des affections et des douleurs privées n’est permis qu’à un petit nombre ; la confession des croyances est commandée à tous. […] Ces hommes n’ont rien concédé aux préjugés de la foule, et rien refusé à leurs propres convictions ; ils ont obéi à tous leurs sentiments, mais n’ont jamais caressé aucune passion. […] Le sentiment du beau est la perception de ce qu’il y a de vérité nécessaire éternelle, absolue dans une idée, dans une forme, dans une passion. […] Il doit connaître toutes les passions qui agitent le cœur, toutes les fins auxquelles aspire la volonté. […] À côté de la négation, du scepticisme, de l’ironie, il y eut, chez les écrivains du dix-huitième siècle, des haines justifiées, des passions vraies et jusqu’à des éclairs d’enthousiasme.

492. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 218-221

Depuis Voltaire, on a trop oublié l’esprit, en poésie ; M. de Musset lui refit une large part ; avec cela, il eut encore ce qu’ont si peu nos poëtes modernes, la passion. De la passion et de l’esprit, voilà donc son double lot dans ses charmants contes, dans ses petits drames pétillants et colorés.

493. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Quelle que soit la tendresse qui respire en ces créations heureuses, la raison y est, l’expérience humaine y souffle par quelque coin et attiédit la passion. […] Ce sont également des passions extraordinaires et subites, des ressemblances incroyables de visages, des méprises prolongées et pleines d’aventures, des résolutions formées sur un portrait ou un bracelet entrevus. […] don Garcie, vous aviez raison : il n’y a de passions que celles qui nous frappent d’abord et qui nous surprennent ; les autres ne sont que des liaisons où nous portons volontairement notre cœur. Les véritables inclinations nous l’arrachent malgré nous. » Mme de La Fayette ne connut pas, je pense, ces passions qui nous arrachent avec violence de nous-même, et elle apporta volontairement son cœur. […] Elle craignait surtout de paraître inspirer ou sentir la passion à cet âge où d’autres l’affectent.

494. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Les campagnes comptent double quand on se bat, elles comptent triple quand on négocie ; il faut manœuvrer aussi vite que les passions d’un peuple en ébullition. […] Le marquis Torregiani avait conçu et cultivé dès sa jeunesse une passion de cette nature petrarquesse pour une jeune et ravissante femme de race hébraïque, mariée à un banquier florentin. Cette passion était réciproque et ne portait aucun ombrage au mari. […] Il y a dans ces Mémoires autant d’originalité que de grandeur et de passion ; là, son caractère savait véritablement participer de la majesté de sa royale idole. […] Le feu doux de la passion mal éteinte illumine encore les traits où elle a resplendi.

495. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Ainsi mêlées en des alliages où chaque élément prédomine alternativement, les deux passions de Flaubert, la beauté exaltée jusqu’au mystère, et la vérité suivie de pessimisme, composent les livres que nous analysons. […] On pourrait retracer de même les lentes phases du caractère de Frédéric Moreau et de Mme Arnoux, qui tous deux éprouvent aussi l’humiliation de se sentir transformés par le passage des jours, pétris et malléables au cours des passions et des incidents. […] L’œuvre conçue comme l’intégration d’une série de notes prises au cours de la vie ou dans des livres, n’ayanten somme de l’auteur que le choix entre ces faits et la recherche de certaines formes verbales, possède l’inpassible froideur d’une constation et ne décèle des passions de son auteur que de rares accès. […] Dans ce livre, qui est l’œuvre suprême du style, des procédés fragmentaires, de la science historique, de l’amour du beau, de la philosophie de Flaubert, celui-ci a signifié toutes les passions, les cultes et les spéculations de l’humanité. […] Enfin, les rares passages de passion et de poésie pure qui éclatent çà et là dans son œuvre et que la forme statique ne saurait expliquer, procèdent de son autre type de phrase, le périodique, que nous avons vu alterner avec son style habituel.

496. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Sous l’influence qui multipliait ces échos de la lyre hébraïque, le savant pontife de Constantinople, Grégoire de Nazianze, entreprit de célébrer dans des hymnes du même rhythme lent et grave, d’abord les dogmes du christianisme, puis les craintes, les espérances, les joies et comme les passions de l’âme chrétienne. […] Et cependant ce génie contemplatif, qui ne trouvait toute sa grandeur que dans le repos, sous la main de Dieu, dans la tristesse solitaire, avait été bien des années en butte au choc des passions humaines, entre les grands et le peuple, admiré, applaudi, calomnié, battu de toutes les agitations des conciles, ce forum du monde chrétien. […] Je voulais que de là mon âme, pure de passions, dégagée de désirs, reposée de fatigues, délivrée de douleurs, ayant rejeté loin d’elle la colère, la contention, tous ces maux intérieurs, acquittât d’une bouche innocente et d’un cœur sanctifié l’hymne d’amour qu’elle te doit. […] Pour lui, la pensée spéculative, la vue de l’idéal divin se confond avec les ardeurs de la charité secourable et la passion du sacrifice. […] L’inspiration souffre de ce travail érudit ; mais l’amour des lettres était devenu pour ces demeurants du polythéisme une passion à la fois subtile et sacrée, dont le langage a sa poésie comme sa sincérité.

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