Gautier, l’eau ne court que sous une surface glacée et miroitante au soleil ; il a trop oublié que lui-même, quelque part, a dit heureusement : Que votre poésie, aux vers calmes et frais, Soit pour les cœurs souffrants comme ces cours d’eau vive Où vont boire les cerfs dans l’ombre des forêts. […] Il nous est arrivé à nous-même (je n’ai garde de l’oublier), en parlant de certaine beauté, d’oser dire qu’elle avait l’épaule nacrée. […] En raisonnant ainsi, ou oublie même ce qui s’est passé chez les Latins. […] On a tant renchéri de nos jours sur les couleurs ; on a, ce semble, oublié tout à fait les odeurs. […] Et toutefois, de même qu’après la lecture de quelque poëme humanitaire un peu vague, je me hâterai de reprendre Pétrarque, c’est-à-dire la goutte de cristal et la perle de l’art, qu’il me soit permis, après ces poésies à mille facettes et comme taillées dans le corail, de m’en revenir, tout altéré, au bon La Fontaine, à cette source naïve et courante qui s’oublie parfois, mais qui ne s’incruste jamais151.
ce fut un bien magnifique empire que le sien, et elle fut une bien grande reine aux yeux de ces poètes, ses sujets ; mais aucun d’eux, aucun de ces adorateurs, aucun de ces tournesols, comme on disait alors, dont elle était le soleil, ne l’a vue et ne l’a jugée de son vivant comme Livet l’a vue et l’a jugée, maintenant qu’elle est morte, mais non oubliée, car l’heure pour elle est propice ! […] Il oublie que la conversation est un genre de génie tout individuel, intransmissible, incommunicable, qui peut jeter sa flamme dans le monde comme elle peut la jeter partout ailleurs ; mais qu’elle ne tient à aucune atmosphère, qu’elle n’est ni une routine, ni une éducation, ni un procédé, et que quand elle devient une manière d’être générale elle n’est plus qu’une médaille effacée, tombée à l’état de monnaie qu’on se passe de main en main et que chaque main efface un peu plus ! Il oublie cela, et il la fait sortir, cette conversation, cette gloire française (comme s’il y avait une conversation française), de cette précieuse, accorte dans les riens et trônant dans le vide au milieu de ces poètes parasites, domestiques et faméliques, d’entre le bichon et la perruche, d’entre le tabouret et le perchoir. […] Sans elles, Voiture, oublié maintenant, d’enjouement et d’esprit aurait valu Voltaire. […] Ce qu’il y a de certain, du reste, c’est que parmi tous ces engoués du xviie siècle, qui le retournent pour y chercher quelque grimaud bien oublié à remettre en lumière et s’en faire honneur, il ne s’en trouvera pas un seul qui ait le cœur de nous donner, par exemple, la vie de saint Vincent de Paul, qui était bien aussi pourtant du xviie siècle, et qui n’a pas encore une bonne histoire.
Ce qu’on doit rencontrer ici, c’est le Français, — le Français de cœur qui respirait dans ce Grec par l’intelligence ; c’est le journaliste oublié, — que la guillotine n’oublia pas, elle ! […] Pour moi, il fut moins grand que le danger et le courage de les écrire, et en les lisant, je ne m’étonne pas que le poète, qui prit tout et confisqua tout dans André Chénier, ait fait oublier le journaliste et le prosateur. […] Oscar de Vallée lui-même, qui ne veut pas qu’on les oublie et qui a plus mesuré son admiration à la moralité révoltée, intrépide et fière de Chénier, qu’à la supériorité intellectuelle de l’écrivain, n’a pu s’empêcher de revenir au poète et de finir son livre par des vers plus beaux que toutes les proses du monde, et qui enterrent le prosateur dans la tombe du poète, à mille pieds dans les rayons de cette tombe, faite avec des rayons ! […] Ce sont ses jours d’esprit, à la gloire… Je m’en vais même, ici, dire une chose qui fera trembler les moralistes, si elle ne les révolte pas, Est-ce parce que les vertus, le courage, l’héroïsme sont plus communs que le génie, que le génie les fait oublier ?
Une des choses qu’on oublie le plus en littérature, ce sont les filiations et les origines. On a trop oublié celle d’Hoffmann. […] Une des raisons probantes du génie d’Hoffmann que nous donne Champfleury dans cette introduction, est l’effet produit par les Contes fantastiques sur la mémoire des enfants : « Celui de mes lecteurs qui est assez jeune — dit-il — pour avoir lu Hoffmann étant enfant, doit avoir dans une des cases de son cerveau quelques personnages bizarres, quelque souvenir de maisons étranges », et, pour élever son idée à la majesté d’un axiome et glacer l’objection, qu’il ne glacera pas, il ajoute carrément : « Tout ce qui s’oublie n’est pas né viable », ce qui peut très bien être une fausseté, si ce n’est pas une simplicité, ce que les Anglais appellent un truism. […] Champfleury dit encore : « On n’oublie pas les Contes de Perrault : donc les Contes de Perrault sont une grande œuvre. » La conclusion n’est pas légitime. […] Mais donnez aux enfants un ouvrage fade et faux comme Numa Pompilius, ils ne l’oublieront pas plus que Perrault ou tout autre livre piquant et vrai ; car la force des premières impressions de la mémoire ne prouve rien de plus que la fraîcheur de cette faculté.
Au lieu d’une histoire qui se tienne, comme une fresque, dans une unité brillante ou profonde, nous aurons une histoire, morcelée en panneaux étroits, avec un semis de petits médaillons, grands comme le fond de la main, et uniformément petits, quoique déjà il y ait, parmi tous ces moines oubliés de l’histoire, parmi toute cette masse immense de violettes de sainteté humble qui trouvent, elles ! […] Je n’ai point oublié, par exemple, l’idée heureuse qui ouvre aux Moines la succession de ces deux grands Trépassés historiques, dont l’un est touchant et l’autre sublime, les Esclaves et les Martyrs. Je n’ai pas oublié non plus beaucoup de pages judicieuses, mais judicieuses dans tout ce que la signification de ce mot a de plus pédestre. […] Une seule fois dans sa vie pourtant, M. de Montalembert oublia qu’il était orateur et se crut poëte. […] Dans des notes combinées sans doute pour resserrer des liens déjà chers, M. de Montalembert n’a pas manqué de nous présenter tout le personnel du Correspondant, vivants et morts, et sa scrupuleuse exactitude à nommer tout le monde et à n’oublier personne du cénacle dont il est l’oracle est telle, qu’on finit par ne plus savoir si Les Moines d’Occident, cette suite de petites histoires, transcrites et traduites d’histoires plus longues et mieux racontées, sont, tels que les voilà, une besogne faite par un seul homme ou par sa petite société.
Il en avait pris noblement son parti, mais ce qui était noble à lui, ce ne le serait pas, à moi, de l’oublier. […] Et d’avoir sublimé ces deux types, de les avoir reproduits avec la grandeur de sa touche, parce qu’il les sentait profonds en lui, serait assez comme cela pour sa gloire de poète, n’y aurait-il pas autre chose dans ce fourmillant poème de Paris, qui n’a rien oublié de Paris. […] Il avait la chasteté du génie, et quand son talent fut oublié, — car il ne fut jamais méconnu ; c’était impossible ! […] Il aimait mieux déterrer des cadavres oubliés, ce petit sergent Bertrand de la littérature ! […] Ce Gaulois oubliait sa framée… L’Apollon d’Amédée Pommier, qui avait son carquois plein de flèches, ne fit tomber que des rayons sur les jaloux de son talent ou sur les traîtres à sa gloire.
Vous oublier, c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ? […] Nous auraient-ils oubliés sans retour ? […] Il répond quelque part à l’un de ses amis qui l’interroge : Tu demandes de moi les phases de ma vie, Le compte de mes jours ; — mes jours, je les oublie… Il avait déjà dit ailleurs : Ces temps sont déjà loin : que l’oubli les dévore ; Ce qui n’est plus pour l’homme, a-t-il jamais été ?
Tel est le caractere de notre Nation : quelques Auteurs agréables, en l'amusant par des Contes ou des Opéra comiques, suffisent pour lui faire oublier les Auteurs vraiment estimables. […] C'est aux vrais Littérateurs à s'élever contre la mode, & à venger le mérite oublié. […] Comme on voit quelquefois dans l'Ardenne fameuse, Et dans les prés herbus où le Rhin joint la Meuse, Deux furieux taureaux par l'amour courroucés, Se heurter fiérement de leurs fronts abaissés : Le troupeau plein d'effroi regarde avec silence ; Le nombre des Pasteurs cede à leur violence : Les deux vaillans rivaux se pressant rudement Des cornes l'un sur l'autre appuyés fortement, Redoublent, sans cesser leurs cruelles atteintes ; De longs ruisseaux de sang leurs épaules sont teintes ; Ils mugissent des coups d'un cri retentissant, Et toute la forêt répond en mugissant…… Ajoutons encore ce morceau sur la briéveté de la vie, & nous ne serons point étonnés que l'Auteur du Lutrin & celui de la Henriade n'aient pas dédaigné de s'approprier plusieurs traits de ce Poëte, injustement oublié.
Il oublie leur présence curieuse et dangereuse, non seulement quand il écrit, mais encore quand il vit. […] Un Soulary récent et si complètement oublié nous apprend combien ça dure en France un prince du sonnet. […] Maynard fut oublié aussitôt après sa mort. […] Ma générosité dédaigneuse oubliera le Coppée actuel, le malade dont « la bonne souffrance » voit rouge, le prédicateur de militarisme et de sang. […] Séduit par son charme timide, par ses douleurs presque vaillantes et par ses tremblantes inquiétudes vers le vrai, l’avenir oubliera ses défaillances.
D’autres livres, publiés sur l’Afrique, bénéficièrent alors, comme les siens, de l’inépuisable curiosité qui s’attachait à tous les détails qu’on nous transmettait sur ce pays, et ces livres, oubliés maintenant, ont péri à dix ans de la circonstance qui les avait fait naître. […] Imagination militaire, ce qui veut toujours un peu dire imagination chevaleresque, il s’est profondément pénétré de la personnalité de ce peuple arabe, — le seul peuple réellement poétique qu’il y ait maintenant sur la terre, et dont la description ressemble aune page de la Bible oubliée dans des feuillets de ce Khoran qui ne sera bientôt plus pour l’humanité qu’un livre oublié, — une poésie chantée ! […] Nous n’avons point à rappeler ici des pages qui ont été citées vingt fois, et que personne, d’ailleurs, n’a oubliées. […] C’est ce qu’on ne doit jamais oublier.
Nés tous deux d’une ancienne famille noble du Midi fort déchue en fortune, mais restée fidèle jusqu’au bout aux sentiments et à l’honneur de la race, ils auront plus contribué à l’illustrer que tous les preux chevaliers d’autrefois à jamais oubliés et perdus dans la nuit des âges. […] Ne faisons pas comme d’autres, n’allons pas oublier, dans cette gloire posthume des deux noms, celui de l’humble éditeur à qui nous devons de les connaître en entier et de les posséder dans leur pleine auréole. […] Si c’est paresse qui vous fait taire, surmontez-la ; si c’est oubli, ne m’oubliez pas, je ne l’ai pas mérité. » Comme tout cela est doux, élégant, gracieux, facile, versé d’un cœur aimant, et coulant à petits flots harmonieux ! L’imagination s’en mêle, une imagination peu hardie sans doute ; n’oublions pas que nous sommes, à ce début, dans un babil de jeune fille, un babil de colombe. […] Savez-vous que nous sommes bien aveugles, bien insensés, bien bêles de ne nous occuper que do ce monde, de nous amuser à des bagatelles, de prendre racine ici-bas, comme si l’éternité nous y était promise, et d’oublier cet autre monde, ce beau royaume ?
Parmi la foule des noms, aujourd’hui oubliés, qui se firent remarquer par l’élégance et la douceur des imitations, Léonard fut le premier en date et en talent, Berquin le second. […] En son poëme des Saisons, au chant de l’Été, Léonard disait : Quels beaux jours j’ai goûtés sur vos rives lointaines, Lieux chéris que mon cœur ne saurait oublier ! […] Le temps me ramène à vos pieds ; J’ai revu le ciel de la France, Et tous mes maux sont oubliés. […] Que ses airs, oubliés longtemps, Flattent mon oreille attendrie ! […] le temps qui m’entraîne Va tout changer autour de moi : Déjà mon cœur que rien n’enchaîne Ne sent que tristesse et qu’effroi… Ce bois même avec tous ses charmes, Je dois peut-être l’oublier ; Et le temps que j’ai beau prier Me ravira jusqu’à mes larmes.