OPINIONS. […] Qu’importent d’ailleurs, qu’importent surtout encore ces torts de l’opinion à Stéphane Mallarmé et à ceux qui l’aiment comme il faut l’aimer (ou le détester) immensément !
La science, en effet, se conduisant par la considération intrinsèque et objective des choses, n’est pas libre elle-même d’obéir à qui veut bien lui commander : si elle était libre dans ses opinions, on pourrait peut-être lui demander telle ou telle opinion.
Parmi les personnes qui ont embrassé les opinions philosophiques, les unes ne cessent de décrier le siècle de Louis XIV ; les autres, se piquant d’impartialité, accordent à ce siècle les dons de l’imagination, et lui refusent les facultés de la pensée. […] Les écrivains modernes se sont fort étendus sur la puissance de l’opinion, et c’est Pascal qui le premier l’avait observée.
Toutes les opinions sur les âmes des morts, qui me touchent ou qui me flattent, je les embrasse ; et il me semble, dans ce moment, que je vois l’ombre de notre cher La Grange errer autour de votre lampe, tandis que vos nuits se passent soit à compléter ou éclaircir son ouvrage, soit à rapprocher en cent endroits sa traduction du vrai sens de l’original. […] Qui qu’il en soit, la maxime que cette Société a osé donner comme un conseil, ou plutôt comme un précepte, et qu’elle a même prise dans tous les temps pour règle de sa conduite, est le résultat d’une affreuse et triste vérité, dont l’expérience journalière, et particulièrement la mauvaise opinion que beaucoup de gens ont encore de Sénèque, sont malheureusement une preuve sans réplique.
Pour mieux avoir la mesure des autres, prenez les plus fortes de ces œuvres, ou du moins celles-là que l’opinion surprise ou entraînée a mises, un moment, le plus haut. […] Après la Vie de Jésus par Renan, la Sibylle de Feuillet et Mademoiselle de la Quintinie de madame Sand sont donc les seules œuvres littéraires de l’année qui aient marqué sur l’opinion ; à vrai dire, pour s’y effacer presque aussitôt.
Et on n’était pas moins Français, quand on était catholique, pour s’appuyer sur l’Espagne, qu’on ne l’était, quand on était protestant, pour s’appuyer sur l’Angleterre… Mais c’est la vérité, pourtant, — et mon catholicisme est assez ferme pour en convenir, — qu’ils ne sont pas si grands dans cette histoire qu’on aurait pu s’y attendre et que l’opinion catholique trop reconnaissante les avait faits, ces Guise, qui ont mêlé aux intérêts éternels qu’ils eurent l’honneur de représenter leurs passions, leurs ressentiments et leurs vices, — passions, ressentiments et vices d’un temps terrible où chacun, même les femmes, avait sur les mains du sang de quelqu’un. […] Il eut son Inquisition, son Inquisition espagnole contre l’Inquisition romaine, et cette Inquisition fut sans cesse, dans son action, ses jugements et sa procédure, en opposition avec l’Inquisition romaine, et, au détriment et presque au déshonneur de l’Inquisition romaine, fit prendre l’une pour l’autre par l’Opinion, — cette sorte d’Opinion publique qui ne sait rien et confond tout. […] Cette faute, qui tenait pourtant au meilleur de l’âme de Philippe II, c’est-à-dire à son zèle pour la religion et la foi, cette faute immanente, que nous, catholiques, nous nous sentons la force de reprocher à sa mémoire, il est impossible que Forneron, malgré la modernité de ses opinions, ne l’ait pas, de son pénétrant regard, aperçue. […] Elles se scindent en autant d’opinions qu’il y eut de partis révolutionnaires… et, il faut le dire, les plus enthousiastes, les plus folles de ces histoires, comme celle de Michelet, par exemple, sont les plus puissantes et les plus dangereuses. […] L’homme politique que j’ai tant signalé dans Forneron, le modéré, le libéral, dont on aperçoit l’opinion à travers le goût et l’estime qu’il a pour Louis XVIII, l’auteur de la Charte future, laisse échapper que la modération, avec laquelle seule on puisse gouverner les peuples, a pour destinée d’être écrasée toujours… Pour ma part, je le crois aussi, mais c’est, précisément, parce que ce n’est pas avec elle seule qu’on peut gouverner les peuples… Véritablement, ils ne sont pas si faciles à mener que cela !
Nous aimons que le tempérament jure avec l’opinion d’un homme, quand cette opinion n’est pas pour nous la vérité ; car le tempérament envoie souvent promener l’opinion qui le contrarie, et l’opinion y va toujours ! […] Et quand la Législation ne lui attacha plus, comme un carcan, son étiquette, l’Opinion lui cloua la sienne, qui valait bien l’autre en cruauté. […] Mais c’est précisément cette étiquette que les femmes, qui croient faire l’opinion, et qui, malheureusement, la font souvent, hélas !
Je sais bien qu’on fait grand bruit de ce qu’on appelle « l’opinion de la majorité ». […] Timidement on consulte l’opinion ambiante, et on la suit. […] Cette « vaine fumée », cette « opinion fantastique », qu’est-ce, sinon l’unique forme de la persistance active de l’être chez ceux qui ne sont plus ? […] Si chacun pensait par soi-même et avait le courage de son opinion, ce serait un bien autre tapage dans la république des lettres ! […] Le sage que j’aime à citer et auquel je dédie ces lignes, écrit : « Une argumentation suivie sur un sujet complexe ne prouvera jamais que l’habileté de l’esprit qui l’a conduite… Il n’est pas, en littérature, une seule opinion qu’on ne combatte aisément par l’opinion contraire.
Albalat se plaît à réfuter l’opinion de M. […] Pour les Anglais, c’est une sorcière très puissante ; l’opinion est unanime et les témoignages abondent. […] À moins (ce que je crois) qu’ils ne jouent innocemment sur les mots, ils conviendront, et c’est d’ailleurs l’opinion de M. […] Sur ce point, comme généralement sur tous les autres, à moins que votre intérêt ne vous oblige à choisir, ayez l’opinion moyenne, l’opinion de tout le monde. […] Robert Waldmüller (Duboc), en visitant Victor Hugo à Guernesey, recueillit son opinion sur la future « langue européenne ».
Toutes les fois cependant que la démangeaison me revenait (et elle me revenait de temps en temps), quand j’étais tenté d’entamer la série, d’ouvrir la tranchée à tout hasard, c’était par M. de Sacy que j’étais bien résolu de commencer : sur celui-là, l’opinion me semblait faite ; j’allais, me disais-je, à coup sûr ; il n’y avait ni à ajouter ni à rabattre, il n’y avait pas de péril. […] L’opinion définitive de M. de Sacy sur le Télémaque me paraît, à dire vrai, un peu exagérée. […] Quand il eut fini, et qu’on fit ce qu’on appelle un tour d’opinions, il n’y eut qu’une voix chez tous ceux qui avaient entendu.
Les Sermons, publiés après les autres ouvrages et en plein xviiie siècle (1772), provoquent l’opinion hautement favorable et le suffrage enthousiaste de l’abbé Maury ; mais, tout en sentant les choses de l’éloquence en orateur, Maury est d’ailleurs un critique un peu léger, tranchant, décisif, affirmatif ; il ne fait autorité qu’à demi. Son opinion reste longtemps particulière. […] Bossuet n’avait pas besoin d’être tout cela pour devenir et rester le plus grand orateur sacré et même un Père de l’Église, comme l’appelait La Bruyère : il avait plutôt besoin de n’être rien de cela et de n’admettre aucun doute, de ne tolérer aucune inquiétude d’opinion, aucune recherche de vérité nouvelle : il entrait en impatience dès qu’on remuait autour de lui, et tout son raisonnement, aussitôt, toute sa doctrine se levait en masse et en bon ordre comme une armée rangée en bataille.
Je l’entends, cette voix forte & puissante, qui, comme un tonnerre qui roule dans la nue réveille les esprits les plus engourdis ; non ce n’est plus un homme, c’est un Dieu tutelaire qui s’est chargé des intérêts de la patrie, & qui défend la cause honorable de l’humanité ; d’une main il foudroye le vice, de l’autre il dresse des Autels à la vertu, déploye toute l’indignation d’une ame sensible contre d’injustes Tyrans, il rejette le cri insensé de l’opinion pour faire parler la voix immortelle de la raison. […] Les différentes générations d’hommes, & leurs opinions diverses passent sous ses yeux avec leurs Villes, leurs mœurs, leur culte & leurs loix. […] On entend ici par intolérance ces opinions particulieres, que l’orgueil de quelques hommes voudroient donner pour de Loix générales, & la persécution qu’ils suscitent contre ceux qui n’encensent point des rêveries puériles inutiles à la société.