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1441. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Le puritain passait lentement dans les rues, les yeux au ciel, les traits tirés, jaune et hagard, les cheveux ras, vêtu de brun ou de noir, sans ornements, ne s’habillant que pour se couvrir. […] Il semblait qu’un nuage noir se fût appesanti sur la vie humaine, noyant toute lumière, effaçant toute beauté, éteignant toute joie, traversé çà et là par des éclairs d’épée et par des lueurs de torches, sous lesquels on voyait vaciller des figures de despotes moroses, de sectaires malades, d’opprimés silencieux.

1442. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Préface Ceci n’est pas un livre : c’est un Cours ; ou plutôt ce n’est que le commencement d’un Cours, celui de Littérature française moderne, — qui a été ouvert au Collège de France le 27 avril 1881, et qui a continué depuis. On n’a pas cru devoir changer ici le cadre de ces leçons, ni les déguiser en chapitres. Il a paru préférable de les laisser, à peu de chose près, telles qu’elles étaient venues. Peut-être eût-il mieux valu en attendre la fin, pour en écrire le commencement. Mais alors je me fusse trouvé si loin de celui-ci, que, même à l’aide de mes notes, j’aurais eu grand’ peine à le ressaisir.

1443. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

L’érudition contemporaine et la littérature française du moyen âge1 Le moyen âge appartient aux érudits : ils en ont fait leur chose, leur domaine, leur fief, et depuis tantôt un siècle ils règnent — mais ils règnent souverainement — sur huit ou neuf cents ans de littérature et d’histoire. Nul ne contestera qu’ils aient exercé l’empire au plus grand profit de l’histoire. Inférieurs que nous sommes par beaucoup de côtés sans doute aux hommes du xviie  siècle et peut-être aux hommes du xviiie , nous avons cependant sur eux un avantage. Nous avons appris un art qu’ils ignoraient ou du moins qu’ils ne pratiquaient guère : l’art de vivre dans le lointain des temps, et, par la sympathie de l’imagination, de nous faire les contemporains des civilisations disparues ; art dangereux, qui mène promptement à l’indifférence critique, au scepticisme moral ; art mortel aux convictions fortes ; art d’ailleurs et heureusement difficile, légitime toutefois dans une certaine mesure, puisqu’enfin nous lui devons quelques-unes des plus belles œuvres de ce siècle. Si cet art a vraiment renouvelé l’histoire, — et il l’a renouvelée, — ce serait une criante injustice que de disputer aux érudits leur part, et leur part considérable, dans ce travail de renouvellement et de transformation.

1444. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Mademoiselle Poisson, femme du comédien de ce nom, a donné de Molière le portrait suivant15, que ceux qu’a laissés Mignard ne démentent pas pour les traits physiques, et qui satisfait l’esprit par l’image franche qu’il suggère : « Molière, dit-elle, n’était ni trop gras, ni trop maigre ; il avoit la taille plus grande que petite ; le port noble, la jambe belle ; il marchoit gravement, avoit l’air très-sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnoit lui rendoient la physionomie extrêmement comique.

1445. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Je ne m’étonne donc pas que, dans ses souvenirs de candidat éconduit, de Vigny ait vu Royer-Collard sous les traits d’un… « pauvre vieillard, rouge au nez et au menton, la tête chargée d’une vieille perruque noire, et enveloppé de la robe de chambre de Géronte, avec la serviette au col du Légataire universel ». […] De Vigny l’a vue noire ; moi, je crois l’avoir vue brune, comme la portent les gens qui ne tiennent pas plus à montrer qu’à dissimuler leur calvitie.

1446. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

L’antiphrase L’euphémisme et l’ironie ont doné lieu aux grammairiens d’inventer une figure qu’ils apèlent antiphrase, c’est-à-dire, contre-vérité ; par exemple : la mer Noire sujète à de fréquens naufrages, et dont les bords étoient habités par des homes extrèmement féroces, étoit apelée le Pont-Euxin , c’est-à-dire, mer favorable à ses hôtes, mer hospitalière. […] Ainsi c’étoit par euphémisme, par superstition, et non par antiphrase, que ceux qui aloient à la mer que nous apelons aujourd’hui la mer Noire , la nomoient mer hospitalière, c’est-à-dire, mer qui ne nous sera point funeste, qui nous sera propice, où nous serons bien reçus, mer qui sera pour nous une mer hospitalière, quoiqu’elle soit comunément pour les autres une mer funeste.

1447. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Il est presque le seul à nous montrer cette portion de la nation, si supérieure en nombre, et qui échappait néanmoins aux regards des écrivains du temps : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé301. » Ce portrait, fût-il un peu exagéré, atteste chez l’auteur ce sentiment général d’humanité que manifestent bien d’autres passages des Caractères, et qui était peu partagé à cette époque. […] Il n’y a si vil praticien qui, au fond de son étude sombre et enfumée, et l’esprit occupé d’une plus noire chicane, ne se préfère au laboureur qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de riches moissons ; et s’il entend quelquefois parler des premiers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre et de leur économie, il s’étonne qu’on ait pu vivre en de tels temps, où il n’y avait encore ni offices, ni commissions, ni présidents, ni procureurs ; il ne comprend pas qu’on ait jamais pu se passer du greffe, du parquet et de la buvette311. » « Le monde est pour ceux qui suivent les cours ou qui peuplent les villes : la nature n’est que pour ceux qui habitent la campagne ; eux seuls vivent, eux seuls du moins connaissent qu’ils vivent312. » Sous le rapport de la pensée philosophique, il faut le dire, nous ne pouvons égaler La Bruyère à La Rochefoucauld.

1448. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

de St Staël116, je voulais vous l’envoyer ; mais vous me paraissez si engoué des cheveux blonds de Mme de Krüdner que j’ai été timide sur mes cheveux noirs, et ils restent là jusques à ce que nous nous revoyions.

1449. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Des témoins (et il y en avait peu) m’ont dit que lorsque Chénier, déjà atteint de la maladie dont il mourut, arrivait là, se remettait en haleine et entrait en verve, lorsqu’à dérouler les infamies d’alentour et les palinodies qui le suffoquaient, son accent éclatait avec colère, et que son œil noir lançait la flamme, il était beau et terrible ainsi.

1450. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Au chant XXI de l’Iliade, Achille est représenté s’enfuyant à toutes jambes devant le Scamandre furieux et débordé : « Comme lorsqu’un irrigateur, remontant sur la colline à une source aux eaux noires, en veut amener le courant à travers les jeunes plants et les enclos : tenant la houe en main, il aplanit l’obstacle et ouvre la rigole où l’eau court à l’instant : tous les cailloux s’entre-choquent et s’agitent, le flot précipité résonne sur la pente, et devance celui même qui le veut conduire. » Tels les chefs du peuple dans les révolutions : qu’on aille au fond de cette comparaison gracieuse, on a là leur image et comme leur devise.

1451. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Le soleil brûlant, l’étrange végétation de cocotiers et de palmiers, le champ de riz, le réservoir d’eau, les arbres énormes, plus vieux que l’empire Mogol, sous lesquels s’assemblent les foules villageoises, le toit de chaume de la hutte du paysan, les riches arabesques de la mosquée où l’iman prie la face tournée vers la Mecque, les tambours et les bannières, les idoles parées, le pénitent balancé dans l’air, la gracieuse jeune fille, avec sa cruche sur la tête, descendant les marches de la rivière, les figures noires, les longues barbes, les bandes jaunes des sectaires, les turbans et les robes flottantes, les lances et les masses d’armes, les éléphants avec leurs pavillons de parade, le splendide palanquin du prince, la litière fermée de la noble dame ; toutes ces choses étaient pour lui comme les objets parmi lesquels sa vie s’était passée, comme les objets qui sont sur la route entre Beaconsfield et Saint-James Street.

1452. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Vous ne refuseriez pas de croire un voyageur qui vous dirait qu’il y a des cygnes noirs.

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