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35. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Institué pour que la souveraineté et le patronage ne soient pas divisés, il ruine les nobles, depuis que la souveraineté et le patronage n’ont plus de matière propre. « En Bretagne65, dit Chateaubriand, les aînés nobles emportaient les deux tiers des biens, et les cadets se partageaient entre eux tous un tiers de l’héritage paternel. » Par suite, « les cadets des cadets arrivaient promptement au partage d’un pigeon, d’un lapin, d’une canardière et d’un chien de chasse. […] Nobles ou anoblis, ecclésiastiques et laïques, ceux-ci sont privilégiés entre les privilégiés et forment une aristocratie dans une aristocratie. […] Sauf quelques hommes apostoliques, les cent trente et un évêques résident le moins qu’ils peuvent ; presque tous nobles, tous gens du monde, que feraient-ils loin du monde, confinés dans une ville de province ? […] Quantité de cahiers de la noblesse demandent pour les nobles, hommes et femmes, une marque distinctive honorifique, par exemple une croix ou un cordon qui les fasse reconnaître. […] Selon lui, toutes les vieilles familles nobles, « sauf deux ou trois cents au plus, étaient ruinées.

36. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 532-537

Sans s’attacher à cet appareil scientifique, à ces phrases prétendues sentencieuses, à ce contour pénible de pensées qu’on appelle du nerf, & qui ne donne au langage que de la gêne & de l’obscurité ; son style est simple, noble, ferme, lucide, correct, toujours plein de sentiment quand le sujet l’exige. L’Eloge historique du Duc de Bourgogne est un morceau d’éloquence qui nous retrace la noble simplicité des Anciens ; son Discours de réception à l’Académie, malgré tout le persifflage qu’il lui attira, peut être regardé comme la production de l’honnête homme, du sage Littérateur, du vrai Philosophe ; ses autres Discours Académiques offrent par-tout l’Ecrivain élégant, & assez formé sur les bons Modeles, pour en devenir un à son tour. […] Racine le fils, sur les Tragédies de son pere ; sa Traduction des Dialogues de Lucien, celle des Tragédies d’Eschyle sur-tout, sont autant de travaux qui déposeront en faveur de son génie, de son savoir, de ses lumieres, de son zele pour le progrès des Arts, contre les esprits jaloux qui l’ont attaqué sans le valoir ; contre les esprits superficiels qui l’ont jugé sans le connoître ; contre les Philosophes qui l’ont décrié sans pouvoir lui nuire ; ils prouveront encore, avec ses autres Ouvrages, l’énorme différence qu’il y a entre l’Honnête homme qui sait faire un noble usage de ses talens, & l’Ecrivain dangereux qui en abuse pour dépriser ceux de ses Rivaux.

37. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Le Cimetière de Gray, l’Épître sur le collège d’Eaton, Le Village abandonné de Goldsmith, sont remplis de cette noble mélancolie qui est la majesté du philosophe sensible. […] La langue anglaise, quoiqu’elle ne soit pas aussi harmonieuse à l’oreille que les langues du Midi, a, par l’énergie de sa prononciation, de très grands avantages pour la poésie : tous les mots fortement accentués ont de l’effet sur l’âme, parce qu’ils semblent partir d’une impression vive ; la langue française exclut en poésie une foule de termes simples, qu’on doit trouver nobles en anglais par la manière dont ils sont articulés. […] Si l’on disait en français précisément les mêmes mots, la table est remplie, le plus grand acteur du monde ne pourrait, en les déclamant, faire oublier leur acception commune ; la prononciation française ne permettrait pas cet accent qui rend nobles tous les mots en les animant, qui rend tragiques tous les sons, parce qu’ils imitent et font partager le trouble de l’âme. […] « Ces deux nobles créatures (Adam et Ève) ne sont point semblables en tout, et diffèrent comme leurs sexes. […] Délicieuse tâche de cultiver la pensée tendre encore, d’enseigner à la jeune idée comment elle doit croître, de verser des instructions toujours nouvelles dans l’esprit, d’inspirer les sentiments généreux, et de fixer un noble dessein dans une âme enflammée !

38. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

D’autres œuvres, au contraire, semblent d’abord uniquement des parodies qui, plus tard, apparaissent étrangement nobles. […] Cervantès, au contraire, héros bafoué par la vie, crée un être réel et noble, puis il le livre à l’insulte des basses réalités. […] Voici comment elle nous définit Lucie Altimare, « l’aventureuse », la plus significative de ses héroïnes : « Au fond, un cœur froid et aride, sans une palpitation d’enthousiasme ; au-dehors une imagination trompeuse qui grandissait toute sensation, qui augmentait toute impression… Au fond, un manque absolu de sentiment ; au-dehors, des rêveries sur les nobles utopies humanitaires, des aspirations flottantes vers un idéal incertain. » Et on nous fait connaître longuement « l’artifice de sa personne, un artifice si naturel, si absolu, si complet, qu’il la trompait elle-même, en lui donnant une fausse sincérité ; en devenant son véritable caractère, son tempérament, son sang, ses nerfs ; en la persuadant de sa propre bonté, de sa propre vertu, de sa propre supériorité ». […] Ses instincts, son cœur, son intelligence s’unissent en une noble harmonie de révolte. […] Or, « l’un et l’autre de ces empoisonnements ôte la vue un peu noble des choses ».

39. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Mais il est une forme d’encouragement à la fois bien noble et plus accueillante, et qui s’inspire de l’esprit de confraternité pour faire appel à tous, — bien réellement à tous, sans acception d’idées, de systèmes, de genres littéraires ; et ne demandant que cette moralité saine qui vient de l’âme, et la marque du talent. […] Elle s’aiguise d’une fine ironie, lorsqu’elle touche quelques-uns de nos travers : une douce et noble chaleur anime les endroits où l’idéal du bien nous est proposé. […] Être homme de lettres comme on est avocat, comme on est médecin, ne vivre que de sa plume, ne relever que du public, des nombreux amis et des clients qu’on s’y est faite, quoi de plus noble et de plus honorable ? […] Nobles esprits qui parlent sans doute ainsi avant de s’être mis en marche pour la riche conquête ! […] Ce passage d’une noble et pure veine et d’une émotion vibrante a décidé du succès de la pièce et a enlevé tous les suffrages.

40. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « LES FLEURS, APOLOGUE » pp. 534-537

N’étant pas Mme Sand, je ne décrirai rien, et je ne les nommerai même pas, de peur de faire quelque grossière confusion : ce que je sais bien, c’est que c’étaient des fleurs rares, de qualité ; nobles de port, vives ou tendres de couleur, exquises de parfum. Un soir que le public s’était retiré, que les derniers rayons mourants éclairaient encore la serre, que les calices qui s’ouvrent de jour n’étaient pas encore fermés, et que ceux qui attendent la nuit pour éclore commençaient déjà à s’entr’ouvrir, à cette heure charmante, les plus nobles des fleurs rapprochées et faisant cercle vers le haut de la serre se mirent à rêver, à s’enivrer de leurs propres parfums, et à causer entre elles dans la langue des fleurs. […] — Or il y avait près de là, non pas dans la serre ni à titre de fleur rare (il n’en était pas digne), mais sur une fenêtre, un petit brin de réséda, poussé par hasard dans une fente de muraille ; il écoutait ces charmants discours des nobles fleurs, et quand la dernière eut parlé, il murmura de manière à être entendu : « Oui, mes sœurs (car vous l’êtes en parfum), oui le parfum est la gloire et l’orgueil des fleurs.

41. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Il y avait entre les cercles doctrinaires studieux, raisonneurs, bien nobles alors assurément, mais surtout fructueux, et les cercles purement aristocratiques et frivoles, il y avait un intervalle fort marqué, un divorce obstiné et complet ; d’un côté les lumières, les idées modernes, de l’autre le charme ancien, séparés par des prétentions et une morgue réciproque. […] Cependant les plus nobles et les plus glorieuses amitiés se formaient autour d’elle. […] Dans Édouard, c’est autrement grave et déchirant ; c’est le jeune plébéien qui se produit devant la noble et modeste Nathalie dans toute la séduction de sa timidité, de son instruction solide, de sa sensibilité vierge, de son front d’homme qui sait rougir ; c’est celui qui quelques années plus tard sera Barnave ou Hoche30. […] Toutes ces passions humainement si nobles, ces zèles excessifs, soit politiques, soit maternels, ces préférences, ces fougues d’une âme qui aspire à trop étreindre, commencèrent de s’abattre peu à peu en prière et en larmes de paix devant Dieu. […] Durant ce séjour en Angleterre, la jeune duchesse de Duras n’eut-elle pas à vaincre d’abord quelques préventions du monde émigré sur sa noble origine si avant mêlée à la Révolution ?

42. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Ainsi, Lamartine est un noble et fier génie. […] Pourquoi ni Comte ni Balzac ne sont-ils pas sortis vainqueurs d’une aussi noble entreprise ? […] le fier et noble esprit à qui nous devons une histoire forte et solide, le fin et mélodieux chanteur des Harmonies, le riche et abondant poète des Feuilles d’Automne, des drames, de la Légende des Siècles, l’immense Balzac, le magnifique et sévère Comte, le bon et intrépide Tolstoï, l’âpre et tragique Dostoïevskya, et tant d’autres, qui ont tout compris, tout dépeint, tout vu et tout fait, ne se sont pas trouvés capables de dire une parole simple, âcre et inaltérable comme celles qu’ont rapportées les quatre évangélistes. […] Voilà pourquoi son livre est beau, noble et utile.

43. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Sa vie si noble et si paisible nous offre la même unité que son œuvre. […] Noble chemin qu’ils ont fait ensemble ! […] Sainte-Beuve, des élégies en prose qui peignent avec discrétion et douceur les vicissitudes d’un noble attachement. […] Une pareille maladie de l’âme est rare aujourd’hui, et le divin vieillard aurait des plaies moins nobles à panser. […] Nous lui conférons d’ailleurs un noble, un immense attribut, celui d’être le langage de l’intelligence pure.

44. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Les instincts nobles en Germanie. —  L’individu. —  La famille. —  L’État. —  La religion. —  L’Edda. —  Conception tragique et héroïque du monde et de l’homme. […] À travers les emportements de la brutalité primitive, on voit percer obscurément la grande idée du devoir, qui est celle de la contrainte exercée par soi sur soi en vue de quelque but noble. […] Les instincts nobles en Angleterre. —  Le guerrier et son chef. —  La femme et son mari. —  Poëme de Beowulf. —  La société barbare et le héros barbare. […] La noble créature !  […] Que va devenir entre ses mains la noble morale platonicienne, l’adroite interprétation imitée de Jamblique et de Porphyre ?

45. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Toutes les nations qui se sont détachées successivement du point central, du cœur de l’Asie, sont reconnues aujourd’hui pour des frères et sœurs de la même famille, et d’une famille empreinte au front d’un air de noblesse ; mais, dans cette famille nombreuse, il y a eu un front choisi entre tous, une vierge de prédilection sur laquelle la grâce incomparable a été versée, qui avait reçu, dès le berceau, le don du chant, de l’harmonie, de la mesure, de la perfection (Nausicaa, Hélène, Antigone, Électre, Iphigénie, toutes les nobles Vénus) ; et cette charmante enfant de génie, cette muse de la noble maison, si on la suppose retranchée et immolée avant l’âge, n’est-il pas vrai ? […] Il y eut un jour où la grandeur biblique et la beauté hellénique se rencontrèrent, se fondirent et se mêlèrent d’esprit et de forme dans une haute simplicité ; et quand nous parlons aujourd’hui de la tradition et de ce qui ferait faute, si elle avait manqué, de ce qui serait absent dans les fonds les plus suaves, dans les plus nobles fresques de la mémoire humaine, nous avons le droit de dire, à des titres également incontestables : Quoi ? […] Si nous le voyions paraître tout à coup et entrer en personne, je me le figure (comme nous l’a montré un critique ingénieux)73 noble et humain de visage, n’ayant rien du taureau, du sanglier ni même du lion, portant dans sa physionomie, comme Molière, les plus nobles traits de l’espèce et ceux qui parlent le plus à l’âme et à l’esprit modéré, sensé de propos, et le plus souvent (pitié ou indulgence) souriant et doux ; car il a créé aussi des êtres ravissants de pureté et de douceur, et il habite au centre de la nature humaine. […] alors l’équilibre entre les talents et le milieu, entre les esprits et le régime social, se trouverait rétabli ; on se retrouverait à l’unisson ; la lutte, la maladie morale cesseraient, et la littérature d’elle-même redeviendrait classique par les grandes lignes et par le fond (c’est l’essentiel) ; — non pas qu’on aurait plus de talent, plus de science, mais on aurait plus d’ordre, d’harmonie, de proportion, un noble but, et des moyens plus simples et plus de courage pour y arriver. […] Si, en un sens, je vous prête de mon expérience, vous me payerez, et dans un sens plus profitable, par le spectacle même de votre noble ardeur ; vous m’habituerez à me tourner plus souvent et plus volontiers avec vous du côté de l’avenir, vous me rapprendrez à espérer.

46. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Je suis convaincu, pour l’honneur de la nature humaine, que le christianisme n’est chez l’immense majorité de ceux qui le professent qu’une noble forme de vie. […] Les siècles de réflexion sont exposés à voir les plus nobles sentiments et les états les plus sublimes de l’âme contrefaits par de sots plagiaires, dont le ridicule retombe parfois sur les types qu’ils prétendent imiter. […] Il serait trop exorbitant que des rieurs superficiels eussent le pouvoir de rendre suspect, suivant leur caprice, tout ce qu’il y a de noble, de pur et d’élevé, de traiter l’enthousiasme d’extravagance et la morale de duperie. […] On peut se moquer des savants, des poètes, des philosophes, des hommes religieux, des politiques, des plébéiens, des nobles, des riches bourgeois. […] Un des traits caractéristiques des hommes dont je parle est d’affecter un profond mépris pour l’art idéal, la passion noble et pure.

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