/ 2910
350. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Rien ne me pressait ; je ne fixai point le moment du départ, afin de savourer à longs traits les derniers moments de l’existence, et de recueillir toutes mes forces, à l’exemple d’un ancien, pour sentir mon âme s’échapper. […] « Le moment était venu où j’allais expier toutes mes inconséquences. […] « Couvrant un moment mes yeux de mon mouchoir, j’entrai sous le toit de mes ancêtres. […] Qu’ils sont doux, mais qu’ils sont rapides, les moments que les frères et les sœurs passent dans leurs jeunes années, réunis sous l’aile de leurs vieux parents ! […] Mon chagrin était devenu une occupation qui remplissait tous mes moments : tant mon cœur est naturellement pétri d’ennui et de misère !

351. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Oui, on le dirait, ces âmes polaires parlent vraiment à nos âmes ; elles y entrent très avant, elles les remuent, par moments, jusqu’au tréfonds. […] Et c’est bien, ici et là, un moment historique qui nous est peint dans sa totalité : ici, la société russe durant les grandes guerres napoléoniennes, de 1805 à 1815 ; là, la société française de 1845 à 1851. […] … Oui, j’entends bien, il y a des moments où ce seul fait, que l’on est au monde, et que le monde existe, apparaît comme tout à fait incompréhensible, nous emplit d’une indicible stupeur. […] Il est évident que, dans ces moments-là, le fond chez eux ne se distingue plus de la forme : je sens, même dans la traduction, que tous les mots sont nécessaires, qu’on ne pouvait en employer d’autres. […] Ce n’est donc qu’un moment que je note et, qui sait ?

352. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

J’avais, à ce moment, une force d’assimilation extraordinaire. […] Je regrettais par moments de n’être pas protestant, afin de pouvoir être philosophe sans cesser d’être chrétien. […] Je vois ces contradictions avec une évidence si absolue que je jouerais là-dessus ma vie, et par conséquent mon salut  éternel, sans hésiter un moment. […] C’est ainsi que je parviens par moments à être à la fois catholique et rationaliste ; mais prêtre, je ne puis l’être : on n’est pas prêtre par moments, on l’est toujours. […] Ma sœur Henriette m’avait donné douze cents francs pour traverser ce moment difficile.

353. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Mais, quoi qu’il en soit des noms, et en laissant de côté les divisions secondaires, on avait jusqu’ici deux grands moments de la critique littéraire en tant qu’elle s’appliquait aux chefs-d’œuvre du xviie  siècle : le premier moment tout classique, tout d’admiration (sauf de légères réserves), de goût traditionnel et de bonne rhétorique ; puis le second moment qui était de réaction, d’examen un peu contradictoire, et de considération historique. […] Trêve un moment, s’il vous plaît, aux grandes théories ! […] Je l’aime ainsi : je l’aime tombant à genoux, se cachant les yeux à deux mains et criant : Je crois, presque au même moment où il lâche d’autres paroles qui feraient craindre le contraire. […] Mais reçois mon dernier salut, car il ne m’est pas permis de voir les morts ni de souiller mon regard par des exhalaisons mortelles, et déjà je te vois approcher du moment fatal. » Et elle disparaît. […] Mais il faut savoir aussi quelque gré à ceux qui réussirent un moment à tout concilier.

354. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Or ce cas, que j’avais prévu, se présente jusqu’à un certain point en ce moment, et c’est ce qui, malgré mon goût pour le silence, m’oblige à le rompre et à parler. […] J’élargis un peu, en ce moment, le cercle de la discussion ; mais je suis en plein dans la question générale, au cœur de cette question. […] Je ne la crains pas pour ce que j’écris en ce moment. […] « Jamais, avant ce moment, nous n’avions eu, monsieur, aucun rapport personnel ; jamais nous n’avions eu l’occasion d’échanger une parole ; jamais même nous ne nous étions rencontrés ni vus. […] Il a par moments de justes sévérités pour Coligny, comme de justes admirations pour le premier des Guises.

355. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

La première est de connaître exactement l’état moral d’une société à un moment donné. […] Un peu plus tard, pendant une courte trêve, un homme du camp d’Olivier apporte à boire à Roland et veut profiter du moment où le héros se désaltère pour l’assassiner ; c’est alors Olivier qui protège son adversaire et tue sans pitié le traître. — Le traître, le félon, c’est l’homme voué à la haine et au mépris. […] La morale philosophique est d’accord avec elle pour le moment. […] La littérature a créé, comme toujours, un type en qui s’incarnent les qualités et les vices du moment. […] Chacune corrige les excès de l’autre et entre elles deux se placent à certains moments des théories moins tranchantes qui essaient de concilier ce que chacune contient de juste.

356. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Sa grande ligne est tant qu’il peut romaine, puis byzantine ; mais il y a un moment où, à force de la prolonger, il la perd : qu’on veuille songer que cette Histoire qui se rattache à Auguste et qui commence à Trajan, ne se termine qu’au xive  siècle, à la parodie tribunitienne et à la réminiscence classique de Rienzi. […] Il n’a pas compris qu’il y eût en ce moment une vue morale, une vertu toute nouvelle qui naissait. […] Mirabeau était à Londres en 1785 ; il dînait chez le marquis de Lansdowne avec plusieurs Anglais de distinction, et, par un singulier quiproquo, il crut y voir et y entendre Gibbon en personne, lequel en ce moment habitait la Suisse. […] À ce moment, il y a un léger mouvement de baisse, une légère impression d’ennui qui de la lecture du livre a presque passé sur l’auteur : (10 août). […] « Gibbon n’écrivait à personne et ne sacrifiait ni à l’amitié ni aux convenances aucun des moments destinés à l’étude. » (Notice de la vie et des écrits de Le Sage, de Genève, p. 120.)

357. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Et toi qui fidèlement me retraces celle qui m’est si chère, hôte bienvenu quoique inattendu ici, qui m’ordonnes d’honorer d’un vers aimant et simple une mère depuis si longtemps perdue, j’obéirai non seulement de bon gré, mais avec joie, comme si l’ordre me venait d’elle ; et tandis que ces traits viennent renouveler ma filiale douleur, l’imagination ourdira un charme pour me consoler ; elle me plongera dans une rêverie élyséenne : — songe d’un moment qui me fera croire que tu es elle. […] Il y avait dans le même moment deux de ces places de secrétaires vacantes, dont l’une obligeait plus que l’autre à paraître et à lire en public. […] Ils voient peu de monde, ce qui me convient parfaitement ; à quelque moment que j’y aille, je trouve une maison pleine de paix et de cordialité dans tout ce qui la compose, et je suis sûr de n’y entendre aucune médisance, mais, au lieu de cela, un sujet d’entretien qui nous rend meilleurs. — Cette femme, écrit-il encore de Mme Unwin, est une bénédiction pour moi, et je ne la vois pas de fois que je ne devienne meilleur dans sa compagnie. Timide et effarouché aisément comme il l’était, il avait toujours demandé au ciel, en sortant de Saint-Alban, qu’il plût à la Providence de lui procurer un appui et une assistance de cette sorte, une mère enfin : « Qu’on est heureux, s’écriait-il, de pouvoir penser avec une ferme confiance que nos demandes sont entendues, au moment même où nous les faisons !  […] Il ne se donnait que de courts sujets qui avaient trait aux choses du moment, quelquefois à la politique (car c’était le temps de la guerre d’Amérique, et Cowper était à bien des égards un Anglais de vieille roche) ; mais le plus ordinairement, il ne s’agissait dans ses vers que des accidents de son jardin.

358. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Ainsi béni du ciel, je fais le tableau de mon bonheur. » Mais c’est dans le chant du Soir d’hiver qu’il achève de se peindre à nous en son cadre favori, aux moments les plus heureux, et dans tout le charme d’un raffinement social innocent et accompli. […] Byron, dans un moment d’humeur, a appelé Cowper un poète mitonné (coddled). […] Ici, la méditation réduit les heures à n’être que des moments. […] Sa maladie ne ressemble point à celle de Pascal : ce dernier, qui peut avoir eu à certains moments des visions et des hallucinations, dominait en général par l’intelligence son état nerveux. […] Dans ses bons moments et ses plus heureuses saisons, la voix s’éloignait ou parlait plus bas, mais il ne parvenait jamais à l’étouffer entièrement, et aux heures de crise elle redevenait menaçante et sans trêve.

359. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Je me promenais seul, quelques moments avant le coucher du soleil ; le temps était très beau ; la fraîcheur des objets, le charme qu’offre leur ensemble dans cette brillante époque du printemps qui se fait si bien sentir à l’âme, mais qu’on affaiblit toujours en cherchant à la décrire ; tout ce qui frappait mes sens portait à mon cœur je ne sais quoi de doux et de triste ; les larmes étaient au bord de mes paupières. […] Ainsi, cette malheureuse existence n’est qu’une suite de moments hétérogènes qui n’ont aucune stabilité. […] J’ai cherché ce qui constitue mes moments heureux, et j’ai toujours éprouvé qu’ils tenaient à un certain état de mon être, absolument indépendant de mon vouloir… Moi-même qu’ai-je fait de bien lorsque je me trouve dans cet état de calme dont je désire la prolongation ? […] D’après mon expérience, que je ne prétends point donner pour preuve de la vérité, je serais donc disposé à conclure que l’état de nos corps, ou un certain mécanisme de notre être que nous ne dirigeons pas, détermine la somme de nos moments heureux ou malheureux ; que nos opinions sont toujours dominées par cet état, et que généralement toutes les affections que l’on regarde vulgairement comme des causes du bonheur ne sont, ainsi que le bonheur même, que des effets de l’organisation. […] Comment le voile ordinaire qui couvre mon intelligence se trouve-t-il écarté par moments pour retomber aussitôt ?

360. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Je ne sais si Mmc Swetchine a positivement désiré qu’il fût tant parlé d’elle après elle ; mais, si elle l’a désiré un moment tout bas sans le dire, elle n’a pu mieux faire que de se choisir, comme elle l’a fait, M. de Falloux pour son exécuteur testamentaire et pour le dépositaire de ses papiers. […] A le voir circuler ainsi, sans s’y accrocher, à travers les doctrines les plus diverses, on dirait qu’il les admet toutes plus ou moins et qu’il les comprend : sa complaisance infinie ressemble par moments à une intelligence universelle. […] J’ai mauvaise grâce assurément de chicaner un éditeur aimable qui rachète de légères inexpériences du métier par des mots spirituels chemin faisant, surtout par la richesse du tissu étranger qu’il développe à nos yeux, par les lettres fort belles qu’il insère à tout moment dans son texte et qui en font le prix. […] La céleste Roxandre, en ce temps-là, était l’objet de son admiration vraiment romanesque ; elle la voyait comme assise sur un trône idéal, et, dans la suite de lettres qu’elle lui adresse, on croirait par moments qu’elle parle à quelque impératrice de Constantinople ou de Trébizonde. […] Maintenant, il serait injuste de ne pas signaler, dans ce salon religieux de Mme Swetchine, un moment d’animation inaccoutumée et même d’éclat, qui tranche avec ce qu’il avait pu être auparavant.

361. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

J’ai eu, il y a quelque temps, maille à partir avec lui ; je ne viens pas réveiller la querelle, mais il m’est difficile d’éviter de parler d’un écrivain qui se fait lire du public et que nous rencontrons à chaque moment. […] J’ai en ce moment sous les yeux un livre qui m’est envoyé par un des disciples de M. de Pontmartin en province4, et qui, au nom des mêmes principes aristocratiques, contient des amas d’invectives sur tous les écrivains du moment ; et l’auteur, assure-t-on, est un homme bien né, un marquis. […] Mais, lui-même, ne lui arrive-t-il point, à tout moment, de nous rendre solidaires les uns des autres plus que nous ne le sommes en effet, dans une littérature si dispersée ? […] Jusqu’ici, j’en conviens, la nouvelle est parfaite ; elle se gâte à partir de ce moment, et elle se gâte par suite d’un parti pris et sous l’empire d’une fausse idée morale. […] À partir de ce moment, on est dans le faux.

/ 2910