Villiers l’a réécrit de mémoire, ce qui explique les transformations.
Tous, exemplaires voyants, mais tous hallucinés de l’unique sensation, plongés en le monde Sensible, aussi complètement que l’était Racine en le monde de la Raison, — tous, égaux romantiques ; et, cependant, un d’eux, Hugo, les efface dans notre mémoire.
Et comme l’auteur a soin d’ajouter à cette précise caractérisation conversationnelle quelque mention sans cesse répétée d’une particularité physique ou morale facile à retenir, comme il ne néglige guère, quand son émotion déborde, de prendre la parole lui-même pour dire ce qu’il faut penser des gens qu’il produit, leur aspect moral se trouve excellemment défini et se grave forcément dans la mémoire.
le digne sujet de nos louanges, de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire : votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire ; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface.
Je quitterai le fond de cet antre et j’y laisserai la mémoire importune du moment, dit une femme, et elle ajoute : si l’on m’a trompée et que la mélancolie m’y ramène, je m’abandonnerai à toute ma douleur.
On n’a jamais, que je sache (et même Émile Hennequin, qui s’est si généreusement croisé pour la justification de sa mémoire), assez insisté sur le spiritualisme d’Edgar Poe, de ce poète suprêmement idéal et pur, condamné par le sort de sa naissance et de sa vie à des besognes américaines indignes de la hauteur et de la beauté de sa pensée, qu’il eût dû garder inviolée et qui ne le fut pas toujours… On est bien obligé de le reconnaître, en présence de ses œuvres : Edgar Poe a trop souvent ployé et abaissé son propre génie sous le despotisme du génie américain, lequel n’a de goût et de passion que pour ce qui l’étonne, et qui préfère à tous les sentiments de l’âme, dans les choses de l’esprit, la force presque musculaire de la difficulté vaincue et de la contorsion réussie.
De là sont sortis tous ces mémoires sur les Préfets des Ouvriers, sur les Collèges de Jeunes Gens, sur les Collèges de Vétérans, œuvres des élèves de Waltzing, et qui valent et passent les fameuses thèses allemandes. […] Voici les poèmes d’Albert Giraud ; leur tenue parfaite, leur distinction un peu hautaine rappellent certains portraits de Van Dyck : Sur le rêve effacé d’un antique décor, Dans un de ces fauteuils étoilés de clous d’or Dont la rude splendeur ne sied plus à nos tailles, Le front lourd de pensées et balafré d’entailles Repose, avec l’allure et la morgue d’un roi, En un vaste silence où l’on sent de l’effroi, L’aventurier flamand qui commandait aux princes Et qui jouait aux dés l’empire et les provinces, Celui dont la mémoire emplit les grands chemins, Celui dont l’avenir verra les larges mains S’appuyer à jamais en songe sur l’Épée10. […] Dans La Bruyère ardente, Rœk, village de Campine, et Botsem, hameau voisin, luttent haineusement : « Au fond des années, au-delà des mémoires des plus anciens, avait germé l’antipathie du village et du hameau.
Et n’est-ce pas aussi pourquoi bien des gens se plaisent plus à lire des mémoires personels qu’une histoire indirecte ? […] D’ailleurs la tranquillité de l’état sur qui les enfans de dom Pedre doivent régner, permet-elle à Alphonse de flétrir la mémoire de leur pere, et de se rendre odieux lui-même à ses successeurs ? […] J’y reconnois les vrais avantages des vers, l’admiration qui naît de la difficulté surmontée, le plaisir de l’oreille par les nombres quoiqu’arbitraires, les efforts que la contrainte même des vers fait faire à l’esprit, et qui quelquefois lui font trouver mieux qu’il ne cherchoit, l’empire que l’habitude leur a donné sur nous, et les secours qu’ils prêtent à la mémoire ; et je concluds seulement, malgré tous ces avantages, qu’il reste à la prose celui d’être plus maîtresse du discours.
…………………………………………………… …………………………………………………… Choisis-moi seulement quelque nom dans l’histoire, Pour qui tu veuilles place au temple de mémoire ; Quelque nom favori qu’il te plaise arracher À la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher : Soit qu’il faille ternir ceux d’Énée ou d’Achille, Par un noble attentat sur Homère et Virgile ; Soit qu’il faille obscurcir, par un dernier effort, Ceux que j’ai, sur la scène, affranchis de la mort ; Tu me verras le même, etc. […] Le Kain rapporte lui-même, dans ses mémoires, que Voltaire, étant aux Délices, lui dit ces propres paroles, en lui confiant le rôle de Gengiskan : « Mon ami, vous avez les inflexions de la voix naturellement douces ; gardez-vous bien d’en laisser échapper quelques-unes dans le rôle de Gengiskan ; il faut bien vous mettre dans la tête que j’ai voulu peindre un tigre qui, en caressant sa femelle, lui enfonce les griffes dans les reins. » Voltaire n’a pas fait ce qu’il voulait ; Gengiskan n’est point un tigre ; il n’enfonce point ses griffes dans les reins de sa femelle : c’est plutôt le lion de la fable, qui s’est laissé couper les griffes par une femme. […] Biais voici bien une bien autre fête : le flatteur manque de mémoire ; les juges, plus éclairés que ceux d’Athènes, deviennent tout à coup des badauds très faciles à se laisser surprendre.
Les auteurs qui, avant moi, avaient vu la matière coagulable du suc pancréatique, n’avaient pas reconnu en elle l’agent essentiel de ce suc animal ; ils l’avaient confondu avec l’albumine ; mais, si elle s’en rapproche par quelques caractères, j’ai prouvé, dès 1849, dans mon premier mémoire, qu’elle en diffère complétement sous le rapport de ses propriétés physiologiques. […] Il existe déjà un certain nombre de cas dans la science qui sont propres à donner cette démonstration, et depuis l’apparition de mon premier Mémoire, l’attention a été attirée sur les symptômes des maladies du pancréas, et plusieurs travaux ont été publiés sur ce sujet.
En 1860, j’ai découvert, et publié d’après le manuscrit des Séances de l’Académie Royale de Peinture, provenant de la bibliothèque d’un portier, ramassée sur les quais, la biographie inédite de Watteau par le comte de Caylus : biographie qu’on croyait perdue et qui manque aux Mémoires inédits sur les membres de cette académie, éditée en 1854. […] Et la dernière planche le représente écrivant les Mémoires de sa vie sur la terre. […] C’est, pour ainsi dire, un instantané dont le cliché a été gardé au fond d’une mémoire. […] Or l’artiste appelé là-bas le peintre des fantômes, le peintre qui a dessiné ces têtes des Cent contes qui vous laissent dans la mémoire un souvenir d’épouvante, le peintre auquel les directeurs de théâtres venaient demander des maquettes de visions d’effroi, le peintre près duquel les conférenciers macabres sollicitaient des figures de mortes, devait aimer à traduire, avec les imaginations de son art, les rêveuses imaginations dans le noir des lettrés de son pays, et c’est ce qui explique les longues années où une partie de son talent appartint à l’illustration des romans.
Pierre Bourget objecte que les lettres et les mémoires sont souvent faussés par l’influence du correspondant ou de l’interlocuteur, à qui l’on s’adapte pour lui plaire ou s’en faire entendre ; que les épistoliers et les mémorialistes forcent la note ou l’altèrent, suivant l’humeur du moment ou parce que leurs souvenirs ne sont pas sûrs, etc… M.