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468. (1813) Réflexions sur le suicide

Il craignait comme nous les outrages des hommes ; comme nous peut-être Il regrettait ceux qu’Il chérissait, sa mère et ses disciples ; comme nous, et mieux que nous peut-être, Il aimait cette terre féconde et les célestes plaisirs d’une active bienfaisance dont Il remerciait son Père chaque jour. […] Mais peut-on présenter comme le sublime de la raison, de la religion et de l’amour un assassinat mutuel ; peut-on donner le nom de vertu à la conduite d’une femme qui se délie volontairement des devoirs de fille, d’épouse et de mère ! […] La mère envoie sa fille au spectacle la veille du jour où elle veut se tuer, comme si la mort d’une mère devait être considérée comme une fête pour son enfant et qu’il fallût déjà faire entrer dans ce jeune cœur les plus fausses idées de l’imagination égarée. Cette mère se revêt de parures nouvelles ainsi qu’une victime sainte. […] Sa mère et son père insistèrent beaucoup tous les deux pour obtenir d’elle, malgré sa répugnance, qu’elle montât sur le trône d’Angleterre.

469. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Mon père et ma mère s’aimèrent du plus saint amour pendant dix-huit ans, avec le plus grand désir d’avoir des enfants. Cependant, après ce long terme, ma mère fit une fausse couche de deux jumeaux, causée par l’ignorance des médecins. Depuis, elle devint grosse d’une fille, à laquelle la mère de mon père donna son nom de Rose. Deux ans après, ma mère devint encore grosse ; et comme les femmes dans cet état sont sujettes à certaines envies, qui furent les mêmes que dans sa dernière grossesse, on crut qu’elle mettrait encore au monde une fille à laquelle on donnait d’avance le nom de Reparata, en l’honneur de la mère de ma mère. […] Oui, me dit-il, je suis également fort en courroux contre ma mère ; et si j’avais de l’argent, j’irais à Rome, et j’abandonnerais ma boutique.

470. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Il devinait tout parce qu’il sentait tout : une grandeur ou une douleur de la patrie, un tambour battant la charge à des grenadiers sur quelque champ de bataille de la République ou de l’Empire, un tocsin du 14 juillet appelant les citoyens à l’assaut de la Bastille, un coup de canon de Waterloo mutilant les débris des derniers bataillons décimés de Moscou ou de Leipsick, un adieu funèbre de César vaincu à ses légions anéanties dans une cour de Fontainebleau ; le déchirement d’un dernier drapeau tricolore qui déchirait, avec ce même lambeau, l’orgueil et le cœur d’un million de vétérans humiliés ; un soupir du Prométhée impérial enchaîné sur son rocher, apporté par le vent à travers l’Océan du rivage de Sainte-Hélène ; un bruit de pas des bataillons étrangers sur le sol de la patrie, un murmure encore sourd du peuple contre la moindre atteinte à sa révolution ; un gémissement de proscrit de 1815, le bruit d’un coup de feu d’un peloton de soldats dans l’allée de l’Observatoire, dans la plaine de Grenelle, à Toulouse, à Nîmes, à Lyon, balle sous laquelle tombait un maréchal, un colonel ou un sergent des vieilles bandes françaises ; une plainte de prisonnier dans le cachot, un cri de faim dans la chaumière, de souffrance dans la mansarde, une agonie du blessé dans un lit d’hôpital ; une mère pressant ses trois enfants contre sa mamelle épuisée près de son mari mort sur son grabat, sans suaire, dans un grenier ; un sanglot étouffé de veuve dont le fisc emporte la chèvre nourricière ; une voix d’enfant aux pieds nus sur la neige, collant ses mains roidies aux grilles du palais du riche pour y respirer de loin l’haleine du feu de ses festins : tout cela retentissait dans l’âme de Béranger, comme si un autre Asmodée avait découvert à ses yeux les toits des capitales ou le chaume des huttes. […] « Cette famille, poursuivait-il, avait véritablement aussi des puretés de mœurs et des dignités de sentiment à la hauteur de ce qu’elle appelait son origine. » Il citait, entre autres, comme un type de distinction, d’intelligence et de cœur, une de ses tantes, qui lui servit de mère à l’âge où le cœur des mères est à l’âme de leurs enfants grandis ce que la mamelle est à leurs lèvres quand ils sont au berceau. De sa véritable mère il ne m’a jamais parlé, soit qu’elle fût morte avant qu’il ait pu la connaître, soit que cette femme, ainsi que l’insinue Alexandre Dumas dans sa remarquable confidence au public sur Béranger, n’ait pas laissé à son enfant devenu homme l’image d’une assez tendre mère. […] XXVII Quoi qu’il en soit, Béranger, qui ne me parla jamais de sa mère, m’a parlé presque tous les jours de son père. […] XXIX Il a laissé dire et il a fait entendre lui-même qu’il ne savait pas le latin, cette langue mère de la littérature occidentale.

471. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Sa mère (née de Péna) était de Provence et comptait quelque troubadour-lauréat parmi ses aïeux. […] Sa mère, bonne personne, nous dit Retz, mais assez vaine et fort empressée, s’était remariée, peu après, au chevalier Renaud de Sévigné, si mêlé aux intrigues de la Fronde, et qui se montra des plus actifs à faire sauver le cardinal du château de Nantes. […] Elle me plut beaucoup, et la vérité est que je ne lui plus guère, soit qu’elle n’eût pas d’inclination pour moi, soit que la défiance que sa mère et son beau-père lui avoient donnée dès Paris même, avec application, de mes inconstances et de mes différentes amours, la missent en garde contre moi. […] Elle en eut deux fils qu’elle aimait beaucoup, l’un militaire, dont l’établissement l’avait fort occupée, et qui mourut peu de temps après elle, et un autre, l’abbé de La Fayette, pourvu de bonnes abbayes, et dont on sait surtout qu’il prêtait négligemment les manuscrits de sa mère et les perdait. […] Sa mère, on l’a vu, lui avait donné pour beau-père le chevalier Renaud de Sévigné, oncle de Mme de Sévigné, et l’un des bienfaiteurs de Port-Royal-des-Champs, dont il avait fait rebâtir le cloître : il n’était mort qu’en 1676124.

472. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

Indépendamment de son fils Jean, né d’une mère inconnue à Avignon, il parle dans ses lettres et dans ses sonnets d’une belle et jeune dame d’Italie dont les charmes rendaient malgré lui à son cœur des sentiments qu’il rougissait de rallumer. […] écrit-il auprès de ce berceau vide, cet enfant me ressemblait si parfaitement que quelqu’un qui n’aurait pas su qui était la mère l’aurait pris pour mon fils. […] Cette ressemblance le rendait plus cher à son père et à sa mère, et même à Galéas Visconti, tellement que lui (le seigneur de Milan), qui avait appris d’un œil sec la mort de son petit enfant, ne put apprendre la mort du mien sans verser des larmes. […] J’y venais souvent passer l’été avec ma mère.” — Elle se tut, s’arrêta et détourna sa tête en arrière comme pour attendre l’Isabellina, qui s’était un peu distancée de nous. […] Son amant ou son Platon se retire dans la solitude de Vaucluse, à distance de cette incomparable femme, pour n’en pas être consumé de trop près ; il la suit seulement, pendant toutes les périodes de sa vie d’épouse et de mère, des yeux de l’âme, pendant vingt ans.

473. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Mais son amant s’épouvante de la splendeur même de son idole ; il craint avec raison que cette divinité d’intelligence ne puisse redescendre sur la terre au rôle modeste d’épouse obscure et de mère de famille. […] Je vous invite à me faire connaître celui que vous aurez choisi. » XL Les deux fils de madame de Staël, innocents des opinions et du génie de leur mère, se présentèrent en vain à Fontainebleau pour intercéder auprès de Napoléon ; ils reçurent l’ordre de s’éloigner et furent compris dans l’exil. […] Le récit de cette fuite rouvre toutes les cicatrices d’un cœur de fille et de mère déchiré dans ses affections, dans ses souvenirs et dans ses habitudes. […] Le monument qui renferme les cendres de mon père et de ma mère, et dans lequel, si le bon Dieu le permet, les miennes doivent être déposées, était une des principales causes de mes regrets en m’éloignant des lieux que j’habitais ; mais je trouvais presque toujours, en m’en approchant, une sorte de force qui me semblait venir d’en haut. […] Mais bientôt, réprimant mes larmes, j’élèverai vers le ciel mes mains suppliantes, et je me prosternerai devant la volonté de Dieu qui commande à la femme de quitter sa mère et son père pour suivre son époux.

474. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Et tant que la nuit dure, ma couche odieuse en ces tristes palais sait déjà tout ce que j’exhale de lamentations sur mon malheureux père, lui que le meurtrier Mars n’a point laissé en chemin dans la terre barbare, car c’est ma mère à moi, c’est son compagnon de lit Ægisthe, qui, comme un bûcheron qui fend le chêne, lui ont fendu la tête d’une hache sanglante. » Quand je dis que Sophocle a ennobli le trait d’Homère, je ne parle pas exactement ; il a moins songé à cela sans doute qu’à rendre à sa manière le même acte impie. […] Mais je te supplie à genoux, ô Terre, notre nourrice à tous, d’embrasser dans ton sein, ô mère, d’embrasser doucement cette morte tant pleurée. » Cette pièce, après la mort d’une amante, m’a involontairement rappelé les suprêmes sonnets de Pétrarque, de qui la pensée m’est encore revenue plus d’une fois en lisant Méléagre. […] Le poëte se représente dans la situation d’un messager qui vient annoncer à celle-ci la mort de ses fils, croyant que c’est là tout son malheur ; mais tout d’un coup, et tandis qu’il parle, il est témoin de la mort des filles restées auprès de leur mère. […] L’une tombe penchée sur les genoux de la mère, l’autre dans ses bras, l’autre à terre, l’autre à sa mamelle ; une autre, effarée, reçoit le trait en face ; une autre, à l’encontre de la flèche, se blottit ; l’autre, d’un œil qui survit, regarde encore la lumière. Et cette mère, qui a trop chéri autrefois sa langue babillarde, terrifiée maintenant, figée dans sa chair, est devenue comme une pierre. » La plus célèbre, la plus longue des pièces de Méléagre, et que nous avons réservée jusqu’ici, est son idylle sur le printemps ; on y saisit comme l’anneau d’or qui le rattache à Théocrite et à Bion.

475. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Ils se confient davantage à la nature ; ils n’ont point à se défendre comme les bêtes, ni à chercher leur pâture ; ce sont des enfants encore endormis dans le sein de leur mère, qui reçoivent d’elle leurs aliments et leur soutien. […] Il les défend par orgueil, non par générosité ; il ne s’inquiète point des petits et les laisse conduire par leur mère. […] Rien de plus plaisant que de les observer un jour de pluie, plongeant leurs cols à chaque instant dans la mare, et frétillant à grand bruit avec un refrain nasillard, comme de bons compagnons qui chantent accoudés sur une table bien servie. — Le mulet parle de sa mère la jument, se prélasse, marche d’un pas relevé, fait sonner sa sonnette et se croit un personnage ; c’est qu’avec ses longues oreilles et son air solennel d’âne manqué, il a la mine d’un président. — Voyez le boeuf. […] Je tette encore ma mère. […] L’imbécile s’imagine que la mère va lui donner son enfant, et, quand il se voit trompé, il s’amuse à menacer et à se plaindre.

476. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Le bargello rentra dans son greffe, et sa femme, survenant à son tour, m’enseigna complaisamment tout ce que j’avais à faire dans la maison : à aider le cuisinier dans les cuisines, à tirer de l’eau au puits, à balayer les escaliers et la cour, à nourrir les deux gros dogues qui grondaient aux deux portes, à jeter du grain aux colombes, à faire les parts justes de pain, de soupe et d’eau aux prisonniers, même à porter trois fois par jour une écuelle de lait à la captive de la deuxième loge pour l’aider à mieux nourrir son enfant, qu’elle ne suffisait pas à allaiter par suite du chagrin qui la consumait, la pauvre jeune mère ! […] J’avais bien rougi en lui avouant ce que je sentais, sa voix avait bien tremblé en me confessant pour la première fois que je ne faisais pas deux avec lui dans son idée et dans ses rêves, et que s’il n’avait rien osé dire encore à sa mère et à son oncle pour qu’on nous fiançât ensemble à San Stefano, c’était à cause de mes silences, de mes tristesses, de mes éloignements de lui depuis quelques mois, qui lui avaient fait douter s’il ne me causerait pas de la peine en me demandant pour fiancée à nos parents ; il me dit même qu’il ne regrettait en ce moment ni la prison, ni la mort, puisque son malheur avait été l’occasion qui avait forcé le secret de mon cœur. […] que nous nous dîmes de douces paroles alors, à travers les barreaux, ma mère ! […] Dieu, dit la jeune mère, serait-on bien assez barbare ! […] nos pères, nos mères, nos oncles ne savaient que par cœur leurs prières.

477. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Une reine, une veuve de roi, une mère qui voit l’héritage de son fils convoité par un Polyphonte, a plus pensé, plus senti, et doit en savoir plus sur le cœur humain que Mérope. […] C’est peut-être de la rhétorique maternelle ; j’y cherche vainement l’éloquence d’une mère. […] Il fallait le génie profond et la tendresse de Racine pour faire parler un cœur de mère. […] Cependant la tristesse de Mérope, à la fois noble et tendre, son indifférence pour la possession d’une couronne qui ne doit pas passer sur la tête de son fils, l’ennui qu’on lui cause en lui parlant des intrigues de Polyphonte au milieu de ses angoisses sur le sort d’Égisthe, ce vide du pouvoir suprême pour une mère qui craint de n’avoir plus de fils, voilà des traits de nature ; et si la Mérope de Voltaire n’est pas une de ces vigoureuses créations auxquelles le génie du poète donne une existence historique, c’est du moins une admirable esquisse. […] A mesure que je m’éloigne des défauts, les beautés m’apparaissent, et, dans ce lointain où je les regarde une dernière fois, il me semble voir un monde ingénieux de personnages brillants, animés, éloquents, et au-dessus de toutes ces figures, dont plus d’une est indécise, une tête charmante et immortelle, Zaïre, et une tête sacrée, que les anciens appelaient l’épouse et la mère, Mérope.

478. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

J’en atteste le Christ, je n’en aurai nul chagrin. » Rodrigue entendit cela ; il commença de parler : « Vous avez mal fait, seigneur, de vous récuser ; car je serai toujours votre fils, et le fils de ma mère. […] Petite encore, je demeurai orpheline de la comtesse ma mère. […] Le Cid s’en réjouit : « Grâces au Créateur et à sainte Marie mère ! […] je vis dans le chagrin, dans le chagrin vit ma mère.

479. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Plus grave encore cette lacune : le silence absolu que garde Montaigne sur sa mère : elle lui a survécu pourtant. […] ou sa vanité le détournait-elle d’en parler, si cette mère était d’origine juive, d’une famille portugaise de nouveaux chrétiens ? […] « Notre grande et puissante mère nature » nous enseigne à fuir la douleur et à chercher le plaisir : elle nous fournit les outils à cette besogne, nos instincts, nos organes, nos facultés ; elle nous prescrit le choix et la mesure. […] Par elles, il est arrivé à cette grande vérité, qui, si l’on y regarde bien, est la conclusion de toute son argumentation prétendue sceptique : c’est que l’homme, en haut-de-chausses, en toge, ou dans sa nudité naturelle, assis dans un trône ou courbé sur la terre ingrate, est toujours l’homme, « ondoyant et divers » sans doute, mais identique à lui-même dans cette ondoyante diversité, portant partout dans le cœur les mêmes instincts plantés par la commune mère nature, et les mêmes notions essentielles dans la conscience et la raison.

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