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1024. (1888) Poètes et romanciers

. — Comme nous écrivions les dernières lignes de cet article, nous recevions une brochure de M. de Laprade qui, sous un titre légèrement hyperbolique : L’Éducation homicide, pose avec éclat la question des réformes à introduire dans le régime de l’éducation imposé indistinctement à l’enfance et à la première jeunesse dans les établissements publics ou privés, dans les collèges de l’État aussi bien que dans les maisons ecclésiastiques. […] Je ne m’attarderai pas aux rimes impossibles qui terminent des lignes pareilles à celles-ci : On voit, parmi leurs vers pleins d’hydres et de stryges… ou bien : Nous la sentons ramper et grandir sous nos crânes, Lier Deutz à Judas, Nemrod à Schinderhannes… Que dites-vous des stryges ? […] À douze ans, incapable de deviner que les vers fussent soumis à une mesure quelconque, je traçais des lignes rimées, tant bien que mai, mais de la même longueur, grâce à deux raies de crayon, tirées de haut en bas du papier, et je croyais faire des vers aussi réguliers que ceux de Racine. […] Enfin, la France avait besoin d’un gouvernement fort qui la sauvât des Jacobins et des Bourbons, de l’incertitude et de l’anarchie. » Ces lignes sont caractéristiques. […] Le signe tout matériel qui trahit l’absence de vraie inspiration, c’est le manque d’haleine, l’essoufflement des poètes : on ne fait plus guère que des poèmes en quelques lignes.

1025. (1913) Poètes et critiques

j’en découvre au moins deux qui viennent en droite ligne de l’Anthologie grecque. […] Mais, quand il ne demeurera plus une ligne de toute la prose laudative ou agressive qu’on aura, de nos jours, versée sur ses écrits, ses vers, ses « vers latins » vivront encore. […] Mais, d’après le bilan de l’un de ces journaux, un autre pauvre hère a calculé que les contes d’Hégésippe Moreau avaient dû lui être payés, lorsqu’ils le furent toutefois, au tarif maximum de cinq centimes la ligne. […] André Bellessort se répétait tout bas le mot du poète Tegnér : « Les dieux y cheminent encore. » Toute la Suède lui est apparue à lui-même comme un être vivant, pénétré d’un étrange attrait : « La séduction de ce pays est dans sa rudesse mystique, dans ses lignes grandes et tristes, mais parfois aussi fines que les traits d’un visage. » C’est d’une foule d’impressions particulières, et, en quelque sorte, localisées, qu’est faite cette vue d’ensemble. […] Et il ajoute à l’émouvant récit cette ligne de conclusion : « Toute la grandeur du pays sort de l’endurance des Per et des Kersti ».

1026. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Mais pourquoi Paul Fort ne met-il pas ses vers à la ligne ? […] Revenez dans trois ou quatre jours. » L’éditeur revint trois jours après. « Mon cher ami, dit Faguet, j’ai déjà écrit mille lignes. » (Il comptait toujours par lignes.) […] Touchard le lut et me pria de vouloir bien rédiger les deux premières mille lignes ; après quoi on signerait le traité. Je fis les deux mille lignes et on signa le traité. Le roman devait avoir plus de 40.000 lignes et m’être payé à raison de 30 centimes la ligne, soit 13.000 frs. payables la première moitié à la remise du manuscrit, la seconde moitié à la fin de la publication.

1027. (1930) Le roman français pp. 1-197

Des époques glorieuses, des noms illustres, une foule d’autres très méritants seront passés sous silence, d’autres ne bénéficieront que d’une mention d’une ligne, d’une demi-ligne même, insuffisante, indigne d’eux. […] (cinq lignes de mots sonores) je jure que vous en avez menti en accusant ma fille !  […] Quand Barbusse feint qu’un soldat français, ancien mineur, parvient — ce qui nous paraît difficilement croyable — à franchir les lignes allemandes et à voir, à travers une fenêtre, sa femme s’abandonner à un Allemand, cela nous paraît impossible, imaginé et faussement imaginé. […] Mais il y a bien souvent, dix, vingt, cent lignes de trop. […] Ce lent suicide — elle finit par en mourir — est noté page par page, ligne par ligne.

1028. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Transposez son art en langage et en esprit français, voici sans doute ce que fût devenu notre théâtre, s’il avait pu suivre sa ligne, sans brutale interruption : déjà affaire de lettres, mais toujours pâture du peuple, ouvert dans tous les sens, à tous. […] Mais ils marquent chez lui un effort, presque une contrainte, par la littérature, qui n’étaient pas nécessairement dans la ligne de son destin. […] Le recul est insuffisant, les grandes lignes se dégagent à peine, le choix certain commence seulement à s’indiquer. […] Ensembles choraux, plastiques, gymniques, choix délicat des éléments décoratifs, liberté et précision du jeu, tout cela, sans exception, est dans la ligne de Copeau. […] Et je terminerai ce recensement nécessairement incomplet, en saluant la mémoire du poète-dramaturge-musicien Claude Duboscq, qui nous laisse un chef-d’œuvre Colombe la Petite, œuvre inclassable, neuve en tout, passant du vers au chant et du chant à la danse, sans rompre la ligne du drame.

1029. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

La grande épopée de l’Italien a soutenu sa gloire à travers les siècles, mais avec une seule ligne du Don Juan on pourrait empoisonner toute la Jérusalem délivrée !  […] Je trempe mon arc dans l’eau bouillante à six ou huit pouces de profondeur, et après une heure, quand il est bien chaud, je l’introduis entre deux morceaux de bois qui ont à leur intérieur une ligne creusée suivant la forme que je veux donner à l’arc. […] Les lignes de son visage sont grandes et bien marquées : front haut, figure assez large, mais bien proportionnée ; bouche sévère, yeux pénétrants, expression générale de réflexion et de force… Sa démarche est calme et lente comme son parler, mais, à quelques gestes rares et forts qui lui échappent, on sent que l’intérieur est plus animé que l’extérieur…” » 19.

1030. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

On rencontre à la ville, le beau Narcisse qui se lève le matin pour se coucher le soir ; le nouvelliste dont la présence est aussi essentielle au serment des lignes suisses, que celle du Chancelier et des lignes même ; il y a Théramène qui est très riche, et qui a donc un très grand mérite ; Théramène, la terreur des maris. […] La retraite et la mort de Mademoiselle Mars Ainsi il entrait dans le plan de ce tome II, consacré à la comédie et à toutes sortes d’essais dont le théâtre est le prétexte, que mademoiselle Mars régnât en chef et sans partage, dans ces pages où son souvenir apparaît, à chaque ligne, avec la grâce et le charme que nous trouvons encore à contempler quelqu’un de ces frais pastels du siècle passé, à demi effacés par le soleil des printemps envolés !

1031. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Le Roy décrit un Chien qui avait pour arrière-grand-père un Loup, et qui n’avait hérité de cet ancêtre sauvage qu’une seule particularité de caractère : c’est qu’il ne venait jamais en droite ligne vers son maître, quand celui-ci l’appelait. […] Mais, aussitôt que les Abeilles s’en aperçurent, elles cessèrent de creuser, et se mirent en devoir d’élever des cloisons de cire parfaitement planes sur chaque ligne de mutuelle intersection entre deux bassins contigus. […] Il se peut que les ingénieurs pourvus de leur compas emploient de pareils moyens et une telle méthode ; mais il est plus probable que chez des insectes il faut accorder davantage à ce que les dessinateurs appellent le coup d’œil, c’est-à-dire une certaine entente intuitive de la symétrie des lignes, qui fait qu’une main sûre et exercée, par la seule habitude plutôt que par la réflexion, trace une sphère ou une série d’hexagones, soit en allant de proche en proche, soit même en travaillant alternativement aux diverses parties du dessin pour les faire avancer à la fois.

1032. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

L’histoire paraît avoir mis le premier de ces deux rois sur la même ligne que son rival de gloire Charles-Quint, qui avec beaucoup plus de talents que lui, n’intéressa pas tant de plumes à le célébrer, et qui négligea la vanité futile d’être l’idole de quelques savants, pour l’honneur moins réel encore et plus funeste d’être la terreur de l’Europe. […] Telle est l’utilité vraie ou prétendue que les gens de lettres croient retirer pour leur réputation du commerce des grands : j’entends par ce mot tous ceux qui sont parvenus, soit par leurs ancêtres, soit par eux-mêmes, à jouir dans la société d’une existence considérable ; car la puissance du prince qui dans un État aussi monarchique que le nôtre est proprement le seul grand seigneur, a confondu bien des états ; l’opulence, ce gage de l’indépendance et du crédit, se place volontiers de sa propre autorité à côté de la haute naissance, et je ne sais si on a tort de le souffrir ; il semble même que les états inférieurs qui sont privés de l’un et de l’autre de ces avantages, cherchent à les mettre sur la même ligne, pour diminuer sans doute le nombre des classes d’hommes qui sont au-dessus de la leur, et rapprocher les différentes conditions de cette égalité si naturelle vers laquelle on tend toujours même sans y penser. […] Il sentit, malgré le système de despotisme dont il était rempli et qu’il étendait si loin, que la forme démocratique convenait mieux qu’aucune autre à un État tel que la république des lettres qui ne vit que de sa liberté ; cet homme rare qui connaissait le prix des talents, voulut que dans l’Académie Française l’esprit marchât sur la même ligne à côté du rang et de la noblesse, et que tous les titres y cédassent à celui d’homme de lettres.

1033. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Mais, si mauvaise qu’elle soit, elle n’a pas peur de l’énergie du barbare ; et quoiqu’on n’y voie plus les lignes de ce beau et puissant génie, plus civilisé et plus artiste, comme je le prouverai prochainement, que ceux-là qui parlaient de lui, perdues qu’elles sont sous le fatras du traducteur, comme la statue d’un dieu tombée et engloutie dans la fontaine vaseuse des crocodiles, on y a cependant conscience des tressaillements de ce génie qui vit encore, quoique massacré, et tellement que les Anglais eux-mêmes ont retraduit dans leur langue ces morceaux curieux de Le Tourneur, inspirés de Shakespeare plutôt que traduits de Shakespeare. […] Il faudrait seulement ôter de cette préface une trentaine de lignes d’une enflure qu’on pourrait appeler une influence de famille (encore la famille !) […] Le Roi Lear, comme Roméo, comme Macbeth, comme Hamlet, comme la plupart des drames de Shakespeare, paraît, quand on sort de sa lecture, le chef-d’œuvre hors ligne, la master-piece des pièces de Shakespeare ; mais ce n’est peut-être là que le recommencement d’une impression.

1034. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Si la grâce préfère les courbes aux lignes brisées, c’est que la ligne courbe change de direction à tout moment, mais que chaque direction nouvelle était indiquée dans celle qui la précédait. […] Reste à savoir, il est vrai, pourquoi la ligne sur laquelle nous les échelonnons est verticale plutôt qu’horizontale, et pourquoi nous disons que le son monte dans certains cas, descend dans d’autres.

1035. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Villemain dans sa critique professée, ce qui lui constitue une grande place inconnue avant lui et impossible depuis à tout autre, c’est de n’avoir pas été un critique de détail, d’application textuelle de quatre ou cinq principes de goût à l’examen des chefs-d’œuvre, un simple praticien éclairé, comme La Harpe l’a été à merveille dans les belles parties de son Cours ; c’est de n’avoir pas été non plus un historien littéraire à proprement parler, et dans ce vaste pays mal défriché, dont on ne connaissait bien alors que quelques grandes capitales et leurs alentours, de ne s’être pas choisi un sujet circonscrit, tel ou tel siècle antérieur, y suivant pied à pied ses lignes d’investigation, y élargissant laborieusement son chemin, y instituant une littérature historique, scientifique en quelque sorte, ne reculant pas devant l’appareil de la dissertation, comme fait M. […] et presque en géomètres, d’en mesurer les côtés et toutes les lignes.

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