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16. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Est-ce que cette langue n’est pas déjà toute trouvée ? […] Le latin, hier encore, était la langue de tous les savants. […] Aujourd’hui le monde la déclare langue peu utile. […] La réponse a été celle-ci : proportion des élèves à qui une des deux langues a servi dans leur existence : 1 ½ % ; — les deux langues : 0 %. […] Et le jour où le problème serait ainsi résolu, chaque peuple n’étant plus obligé d’apprendre les langues commerciales, se contenterait de sa langue propre comme langue usuelle — en y ajoutant le français comme langue de culture et d’art.

17. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Les langues qu’on appelle langues meres pour n’être pas dérivées d’une autre langue, mais pour avoir été formées du jargon que s’étoient fait quelques hommes dont les cabanes se trouvoient voisines, doivent contenir un plus grand nombre de ces mots imitatifs que les langues dérivées. […] Voilà d’où vient l’avantage des langues meres sur les langues dérivées. […] Or quoique la langue latine soit elle-même une langue dérivée du grec et du toscan, néanmoins elle est une langue mere à l’égard du françois. […] C’est ma premiere raison pour soutenir que la langue latine est plus avantageuse à la poësie que la langue françoise. […] Lorsque la langue latine étoit une langue vivante, ceux qui vouloient faire des vers en cette langue connoissoient déja par l’usage la quantité : c’est-à-dire, la longueur ou la brieveté des syllabes.

18. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

La langue qu’écrit l’homme d’un temps l’imprègne et le pénètre de son génie et lui communique une saveur que rien, quand on n’écrit pas cette même langue, ne peut remplacer, Notez-le bien : en matière de traduction, le génie de la langue importe bien plus que le génie individuel dont se trouve doué le traducteur. […] Mais, à partir d’Hérodote, le temps de la bonhomie dans l’esprit et dans la langue est passé. […] Or, avant le dix-neuvième siècle, qui s’est réchauffé dans le giron du seizième, il n’y eut jamais en français de langue poétique que la langue du seizième siècle. […] nous en avons eu ; mais une langue poétique, non ! […] Ce n’est pas une langue encore.

19. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Ils ont adopté nos bons ouvrages en les traduisant en leur langue. […] Les étrangers nous diront eux-mêmes que ce sont nos poëmes et nos livres, qui plus qu’aucun autre évenement ont contribué à donner à la langue dans laquelle ils sont écrits un si grand cours, qu’elle a presque ôté à la langue latine l’avantage d’être cette langue que les nations apprennent par une convention tacite pour se pouvoir entendre. On peut dire aujourd’hui de la langue françoise ce que Ciceron disoit de la langue greque. […] Les étrangers se plaignent même que notre langue envahisse, pour ainsi dire, les langues vivantes en introduisant ses mots et ses phrases à la place des anciennes expressions. […] On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-à-dire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte.

20. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Effort pour régulariser la langue. Comment la langue s’éclaircit : exemples tirés de Calvin. […] Outre les savants, nul ne se fait faute de prendre des mots à sa fantaisie : le faux principe de Ronsard que la perfection d’une langue est en proportion du nombre de ses mots, abuse tout le monde, et par dévouement à la langue nationale, on en vient à perdre tout respect de son génie et de sa pureté. […] Mais la lutte est surtout entre la vieille langue et le latin. […] Du Perron, dans sa Rhétorique sacrée, parle de fixer la langue.

21. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

D’ailleurs, si les finesses de notre propre langue exigent de nous tant d’étude pour être bien connues, combien n’en faut-il pas pour démêler encore les finesses d’une langue étrangère ? […] Si les langues ont leur génie, les écrivains ont aussi le leur. […] Mais que faut-il donc faire pour bien connaître les poètes qui ont écrit dans une langue étrangère ? […] sera-ce dans les occasions ou la difficulté de traduire ne viendra que du génie des langues ? […] L’original doit y parler notre langue, non avec cette timidité superstitieuse qu’on a pour sa langue naturelle, mais avec cette noble liberté qui sait emprunter quelques traits d’une langue pour en embellir légèrement une autre.

22. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Alors la langue des vaincus dut enrichir de ses dépouilles celle des vainqueurs. […] Alors la langue harmonieuse et douce de l’Arioste et du Tasse, la langue forte et précise de Machiavel et du Dante, vint donner de nouvelles leçons, comme de nouvelles richesses à la nôtre. […] Ce système de langue forma une espèce de secte. […] Peu à peu le caractère de notre langue fut connu. […] Mais pour créer des orateurs, une langue, même perfectionnée, ne suffit point.

23. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

La langue russe et la langue slavonne par principes. […] C’est, de chercher dans la langue qu’on possède, les expressions correspondantes à celles de la langue étrangère dont on traduit et qu’on étudie. […] C’est de chercher, dans la langue étrangère qu’on apprend, des expressions correspondantes à celles de la langue qu’on parle, et qu’on sait. […] Je m’explique : prendre une page traduite d’un bon auteur, ou dans sa langue, ou dans quelque autre langue qu’on sache. […] La langue de la poésie semble être la langue naturelle d’Homère.

24. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Par les langues. Que sont les langues ? Les langues sont les signes et les sons qui expriment la parole. […] Les langues et les livres écrits dans ces diverses langues sont le dépôt de cette littérature universelle. […] Les langues meurent avec les civilisations et avec les peuples qui les parlent.

25. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

L’instruction obligatoire a fait du français, dans les bas-fonds de Paris, une langue morte, une langue de parade que le peuple ne parle jamais et qu’il finira par ne plus comprendre ; il aime l’argot qu’il a appris tout seul, en liberté ; il hait le français qui n’est plus pour lui que la langue de ses maîtres et de ses oppresseurs. […] Deschanel trouve donc que « la langue française, si belle, va se corrompant » . […] Scherer s’est, lui aussi, lamenté sur « la déformation de la langue française », mais la langue française, de son côté, n’a pas toujours eu à se louer de ses rapports avec M.  […] Les Déformations de la langue française, par Emile Deschanel (1898). […] Du moins dans la période moderne de la langue.

26. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Tout a sa raison dans les langues, jusqu’aux écarts. […] Chaque langue a son génie & ses ressources. […] La science grammaticale est antérieure à toutes les langues, parce que ses principes sont d’une vérité éternelle, & qu’ils ne supposent que la possibilité des langues : l’art grammatical au contraire est postérieur aux langues, parce que les usages des langues doivent exister avant qu’on les rapporte artificiellement aux principes généraux. […] La traduction littérale fait sentir la différence des deux langues. […] Cette conséquence se confirme encore par l’usage des autres langues.

27. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

. — Le vieux français et la langue scolastique. — Le latin réservoir naturel du français. […] Il y a dans la langue française et dans toutes les langues novolatines, trois sortes de mots  : les mots de formation populaire, les mots de formation savante, les mots étrangers importés brutalement ; maison, habitation, home, sont les trois termes d’une même idée, ou de trois idées fort voisines ; ils sont bien représentatifs des trois castes d’inégale valeur qui se partagent les pages du vocabulaire français. […] C’est ainsi que la langue ayant tiré du latin capitale la forme cheptel a fait, avec le même mot, la forme capital. […] Ces mots, et une quantité d’autres, appartiennent moins à la langue française qu’à des langues particulières qui ne se haussent que fort rarement jusqu’à la littérature, et si on ne peut traiter certaines questions sans leur secours, on peut se passer de la plupart d’entre eux dans l’art essentiel, qui est la peinture idéale de la vie. […] Le mal que ce petit livre a fait depuis deux siècles aux langues novo-latines est incalculable et peut-être irréparable.

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