Mais l’homme spontané, peuple ou poète, a d’autres goûts que les grammairiens, et, en fait de langage, il use de tous les moyens pour atteindre à l’indispensable, à l’inconnu, à l’expression non encore proférée, au mot vierge. L’homme éprouve une très grande jouissance à déformer son langage, c’est-à-dire à prendre de son langage une possession toujours plus intime et toujours plus personnelle . […] Ce modeste et anonyme défenseur du beau langage a recueilli environ trois cents fautes (à ce qu’il écrit) de français, et il les a redressées courageusement. […] L’Anonyme cite agoniser pour agonir (de sottises) ; il y en a bien d’autres, et on les constaterait surtout dans le langage des enfants. […] Flegme est d’un langage bien académique.
Ce progrès n’est pas seulement extérieur, le langage ne pouvant se perfectionner sans que les idées soient plus claires, plus exactes et plus délicates. […] C’est la nature qui lui inspire un assez grand nombre de vers pleins de douceur, qui subsistent par la vérité des pensées et par la nouveauté d’un langage aimable et délicat. […] C’est un progrès dans la composition et le langage opéré par un homme de goût, plutôt qu’une veine nouvelle de poésie ouverte par un esprit hardi et fécond. […] Là, Malherbe, avec une sagacité impitoyable et un sens critique supérieur, arrachant sa défroque antique à la muse de Ronsard et dénonçant les mignardises de Desportes, rendait des jugements qui devenaient au dehors des arrêts de langage et de goût. […] Malherbe voulut l’unité de langue dans un pays qui avait conquis l’unité politique ; plus conséquent que Ronsard, il ne songeait pas à conserver la féodalité dans le langage, quand il se félicitait de la voir disparaître dans l’État.
Tel il nous apparaît, dans sa prédiction d’Alexandra, dernier excès, et par là même, involontaire parodie de cette poésie sublime, de cette magnificence de langage, dont les chœurs des tragiques et les hymnes de Pindare avaient offert le modèle à la fois extraordinaire et naturel. […] Combien ce langage était supérieur à la tradition païenne et aux mœurs d’Alexandrie ! […] L’isolement absolu, le secret prolongé des croyances et des idées hébraïques, quand l’obstacle du langage avait disparu, serait bien peu vraisemblable : il s’accorderait bien peu avec le fréquent prosélytisme que dès lors exercèrent les Juifs. […] Rien peut-être ne montrera mieux l’illusion que peut faire le talent, et ce langage trompeur qui se compose d’un grand souvenir de gloire, d’une flatterie présente et d’une reconnaissance intéressée. […] Le bon goût du langage est en lutte avec l’idolâtrie de l’éloge.
De ce que Vaugelas est nomme jusqu’à cinq fois dans cette comédie, Auger conclut qu’il était en grande recommandation et qu’il passait pour « le législateur du langage. » Lui-même pourtant, Vaugelas, eût récusé ce dernier titre trop magnifique. […] C’était un véritable statisicien du langage. […] Cela n’empêchait pas cet honnête homme si soigneux, si rangé dans son langage et dans son procédé envers tout le monde, vivant d’ordinaire auprès des ‘grands, d’être, on ne sait trop comment, criblé de dettes. […] Arnauld essayera de faire prévaloir la logique dans le discours et de rationaliser, comme il sied à un disciple de Descartes, ces choses du langage. […] Et quelle gloire n’a point encore Amyot depuis tant d’années, quoiqu’il y ait un si grand changement dans le langage !
On pourrait plutôt reconnaître dans le langage de ces chants une sorte de piété panthéiste analogue à celle qui, dans des temps plus reculés, et chez des ancêtres oubliés de la race grecque, avait inspiré quelques accents des Védas. […] Un tel langage appartient à ces temps de la Grèce, où le courage et le génie du peuple étaient le plus liés aux croyances et aux fêtes du culte religieux. […] » Par là sans doute, et par cette complaisance du peuple artiste de la Grèce pour le génie qui le charmait, Archiloque, malgré la licence de sa vie et de ses vers, eut un nom honoré des hommes et des dieux, selon le langage païen. […] Sa licence s’oublia, devant son art profond de langage ; on le médita comme Pindare et comme Homère lui-même ; et, dans cette riche série de modèles que le génie grec, à ses âges divers, offrit au goût laborieux des Romains, il fut l’objet de l’émulation des plus habiles. […] Nul doute qu’il ne lui ait emprunté souvent de ces inventions de langage, de ces grâces originales qui sont le charme d’une poésie savante et pourtant naturelle.
Quand il s’agit d’une jolie et gracieuse naïveté de langage, on dit aussitôt, pour la définir : C’est de la langue d’Amyot. […] Il s’exerce à parler à son peuple d’Auxerre un langage clair, pur et lucide ; et l’on se figure, en effet, quel pouvait être le caractère doux, abondant et moral de ces homélies, prononcées d’une voix un peu faible par le bon évêque Amyot. […] L’ordinaire d’Amyot est, sans contredit, le simple langage délié et coulant de la narration, ou encore ce langage mêlé et tempéré qui s’adresse aux passions plus douces : mais là où son modèle l’exige, il sait atteindre à « ce langage plus haut, plein d’efficace et de gravité, et qui, courant roide ainsi qu’un torrent, emporte l’auditeur avec soi ». […] Les Brotier, les Clavier, les Courier, donneront des éditions d’Amyot où les fautes auront disparu et où le langage excellent restera : et pour nous postérité, quand il s’agit d’Amyot, voilà notre héritage. […] Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie, citait Amyot comme exemple de ce qu’il y a de plus regrettable dans le vieux langage.
Les sentiments débordent les idées, et le langage se colore, peignant moins la réalité des choses que leur représentation dans l’âme et les mouvements qu’elles y déterminent. […] Même en fournissant à la pensée une expression telle quelle, elle s’opposera à la précision et à la clarté : on sera dupe soi-même de ses métaphores, et l’on ne se rendra point compte qu’on n’a exprimé que des impressions insaisissables à l’intelligence, intraduisibles dans le langage des idées pures, qu’on n’a rien dit en un mot de raisonnable, de scientifique, ou de pratique. […] Mais lorsqu’il s’agit de parler à l’intelligence, de lui découvrir une vérité théorique ou pratique, il faut se défier de ce langage figuré, qu’une certaine chaleur de sentiment, uni à une certaine paresse d’esprit, produit. […] L’homme irrité parle de tout briser, de tout réduire en poudre : on serait bien embarrassé de trouver dans ce langage l’indication de la conduite qu’il peut ou veut tenir. […] Enfin il y a des pensées et des pages de Pascal, où l’éloquence éclate, où la passion vibre dans des phrases construites avec la précision nue et l’inflexible régularité du langage géométrique.
Il ne se pense rien de général et d’éternel en français, du moins dans cet ordre d’idées qui seul peut susciter le langage littéraire, et recevoir des formes définitives. […] La France a son art ; elle exprime à son tour des vérités générales dans un langage définitif. […] Mais, de ce moment, c’est en donner une définition incomplète que de le borner à l’expression de vérités générales dans un langage définitif. […] Nous sommes fixés sur l’époque où doit commencer l’histoire de cette littérature ; c’est cette seconde époque où l’art paraît, et où l’esprit français exprime des idées générales dans un langage définitif. […] Les écrivains du règne de la reine Anne voulurent fonder des institutions de langage, à l’imitation des Français ; l’essai n’en réussit pas.
N’en ayant pas besoin dans les pensées, on ne la regrettait pas, on ne la désirait pas dans le langage. […] On ne sentait pas non plus le défaut de noblesse dans le langage. […] Il s’en voit des traces même dans Malherbe, qui donnait les premiers exemples du langage noble dans la poésie ; et Balzac n’y échappe pas toujours, même dans ses pages les plus soutenues. […] Aussi le blâmaient-ils d’employer hors de temps la magnificence du langage, et de chercher de grands mots pour amplifier de petites choses. […] Ce soin du langage, après avoir fait la réputation de Balzac, donnait naissance au purisme, qui en est le ridicule.
Mais il les a dans une perfection de langage qui les élève au niveau d’une œuvre plus grande. […] L’entendez-vous, dans son langage devenu lyrique, invoquer une croisade, en appelant à son aide la puissance de l’empereur d’Allemagne et le zèle des évêques de France ? […] Et, chose remarquable, bien que le langage et le rhythme de Ronsard offrent çà et là des beautés savantes, ce qui plaira le plus en lui, c’est quelque retour fortuit de langage expressif et simple. […] À la mort de Ronsard, Malherbe avait trente ans ; et il était déjà maître de ce pur et nerveux langage dont il usait avec épargne et qu’il posséda jusqu’à la fin de ses jours. […] Peut-être même, pour la force et la simplicité, pour la magnificence du nombre et le naturel du langage, avait-elle atteint déjà une perfection que notre plus grand siècle ne devait pas dépasser.
Par la raison nous goûtons les belles sentences, politiques ou morales, dont il a semé leur langage. […] Hors des situations héroïques dont le sublime est en quelque sorte le langage familier, les personnages deviennent douteux, leur langage obscur et incertain. […] Racine n’a pas de tour de langage particulier : ses personnages sont esclaves de la passion, et la passion, comme on dit, ne raisonne pas. […] Il s’y formait à ces délicatesses de langage, expression des alternatives de cette lutte, reflets de la mobilité du cœur, où nul poète ne l’a égalé. […] Mais, si c’est faire du tort à Racine que de lui préférer la force de Corneille, on lui en fait plus encore en admirant avec excès la pureté de son langage.
La seconde langue fut celle des signes héroïques ; c’est le langage des armes, pour ainsi parler ; et il est resté celui de la discipline militaire. La troisième est le langage articulé, que parlent aujourd’hui toutes les nations. […] En effet c’est une propriété innée de l’âme humaine d’aimer l’uniformité ; lorsqu’elle est encore incapable de trouver par l’abstraction des expressions générales, elle y supplée par l’imagination ; elle choisit certaines images, certains modèles, auxquels elle rapporte toutes les espèces particulières qui appartiennent à chaque genre ; ce sont pour emprunter le langage de l’école, des universaux poétiques.