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765. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Faisons-nous une idée juste de Lesage, et, pour mieux apprécier son charmant génie, n’exagérons rien. […] Le plus haut point de sa prospérité est juste le moment où va commencer, s’il n’y prend garde, sa dépravation véritable. […] On lit à ce propos, dans un journal tenu par un curieux du temps, la note suivante, qui nous donne au juste le ton des contemporains sur Lesage : Lesage, auteur de Gil Blas, vient de donner (janvier 1733) la Vie de M. de Beauchêne, capitaine de flibustiers.

766. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Et lorsque, des hauteurs où cette pensée nous transporte, on abaisse ses regards sur l’état actuel de l’Europe, lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes cabinets que nous avons vus pendant trente ans si complaisants envers tous les gouvernements nés de notre Révolution, qui ont successivement traité avec la Convention, recherché l’amitié du Directoire, brigué l’alliance du dévastateur du monde ; lorsque l’on songe que ce sont ces mêmes ministres que nous avons vus si empressés aux conférences d’Erfurt qui viennent maintenant, gravement, de leur souveraine science et pleine autorité, flétrir de noms injurieux la cause pour laquelle Hampden est mort au champ d’honneur et lord Russell sur l’échafaud, en vérité le sang monte au visage ; on est tenté de se demander : Qui sont-ils enfin, ceux qui prétendent détruire ainsi, d’un trait de plume, nos vieilles admirations, les enseignements donnés à notre jeunesse, et jusqu’aux notions du beau et du juste ? […] M. de Broglie relève la naïveté de l’argument qui est tout en l’honneur des cadets : « Cet argument, dit-il, appartient en propre à M. le rapporteur, il est juste d’en prévenir ; car, même dans une discussion sur le droit d’aînesse, Dieu nous garde de ne pas laisser à chacun ce qui lui revient !  […] M. de Broglie eut les Affaires étrangères ; les dépêches, aujourd’hui publiées, montrent qu’eu égard aux circonstances d’alors et aux termes dans lesquels le problème était posé, il ne les dirigea point sans fermeté, ni sans un juste sentiment de la dignité de la France.

767. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

M. de Maistre avait juste quarante ans : il quitta un pays qui, réuni violemment à la France, n’appartenait plus à son souverain. […] Une de ses grandes maximes était que « l’univers est rempli de peines et de supplices très justes, dont les exécuteurs sont très coupables ». […] Je n’ai pas sur le cœur le poids que j’y sentais lorsque vous tiriez sur les Suédois : aujourd’hui, vous faites une guerre juste et presque sainte.

768. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Mais ces rapports, que je ne fais qu’indiquer, se dessineront mieux par une étude précise des deux caractères ; aujourd’hui je veux simplement montrer ce qu’étaient au juste Mme de Lambert et son monde. […] Avec ses égaux on se néglige ; l’esprit s’assoupit. » Voilà une remarque fine et juste. […] Elle ressemble en ceci au vieux moraliste Charron qui se contente de bien exprimer les pensées et de les joindre ensemble, de quelque part qu’elles lui viennent, pourvu qu’il les trouve justes et à son gré.

769. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Non seulement les prédicateurs, mais tous ceux qui ont à parler en public, y trouveront quantité de remarques justes et fines, mais justes avant tout, et qui sont d’un homme du métier, parlant avec autorité de ce qu’il a pratiqué et de ce qu’il sait à fond. […] Sa critique de Massillon a paru sévère ; elle était hardie au moment où il la fit, et elle n’est que juste.

770. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Mais, juste ou non, qu’importe ? […] Cette veine de sensualité ne va pas pour lors plus loin qu’il ne faut chez cette nature honnête ; mais j’y relève surtout l’habitude de voir les choses un peu autrement qu’elles ne sont, de les peindre avec un certain coloris bienveillant et amolli qui n’est pas leur juste couleur ; j’y note, en un mot, cette disposition de l’auteur à marmontéliser la nature. […] On applaudit à ces honorables sentiments et à ces justes principes ; on sourit pourtant en songeant à l’ami de Mlle Clairon, de Mlle Navarre et de tant d’autres, et à ces confidences tardives et embellies qu’il ne pourra s’empêcher bientôt d’en faire à ses enfants.

771. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Il est fâcheux seulement que cette juste sévérité contre la petite littérature du temps s’affiche en tête d’une tragédie sifflée, et assez digne de l’être, et non en tête d’une excellente satire à la Despréaux. […] Dites : Ce froid rimeur se caresse lui-même ; Au défaut du public, il est juste qu’il s’aime ; Il s’est signé grand homme, et se dit immortel Au Mercure ! […] Pourtant plusieurs des qualités essentielles à former un caractère d’homme, la modération, l’équilibre, un juste temps d’arrêt, un retour sage, la mémoire du passé, lui firent faute, et ses onze ou douze dernières années accusèrent cette impossibilité de mûrir qui est l’infirmité de quelques organisations vives.

772. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

« On ne peut attaquer par trop d’endroits à la fois une production pareille, disait Carrel en concluant sur Hernani, quand on voit par la préface des Consolations la déplorable émulation qu’elle peut inspirer à un esprit délicat et naturellement juste. » L’éloge ici rachète certes la critique, et, venant d’un esprit aussi rigoureux, il honore. […] La pratique suivra : La révolution de Juillet ne nous a rendu ni plus ni moins ardents que nous ne l’étions sous le dernier gouvernement… L’obstacle est écarté… il n’y a plus qu’à marcher avec un juste sentiment de ce qu’il y a d’avenir dans ce seul fait : Plus de royauté ennemie des institutions ; et l’on arrivera à tous les biens que tant de systèmes successivement essayés ont promis sans jamais tenir. — Ce n’est pas là de l’optimisme, ajoute Carrel, c’est une juste confiance dans le principe essentiel de notre gouvernement : la souveraineté du peuple représentée par la souveraineté des majorités parlementaires.

773. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Hennin, qui vient d’aider Bernardin de sa bourse, a le droit de lui donner ces bons conseils ; il lui parle le langage d’un esprit juste qui suppose à son correspondant le désir réel de fixer sa fortune et sa destinée. […] (Suit l’énoncé de quelques principes justes d’administration ; puis M.  […] En vérité, vous devenez pour moi inconcevable, et je ne puis m’expliquer votre conduite autrement qu’en considérant que vous vous êtes longtemps aigri contre l’injustice de ceux qui auraient pu vous faire du bien, et que le point de votre cerveau où cette idée est classée est vicié par une humeur caustique qui le dénature au point de rapprocher le bien du mal, la bienfaisance de l’insulte ; d’où il résulte que, juste et bon dans tous les autres points de votre vie, dès qu’on touche cette corde vous devenez soupçonneux et injuste.

774. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

J’ai dit qu’après quelques débats sur les termes du marché, Voltaire acheta du président la terre et le château de Tourney sa vie durant ; il avait de grands projets d’abattre, de reconstruire et d’embellir, et il s’y fait aussitôt avec sa vivacité naturelle, en commençant comme de juste par le théâtre. […] Pour en finir avec les impressions que fait naître cette affaire, je dirai que peut-être, à certains moments, le président fut un peu strict, et se montra plus juste que généreux. […] Si de Brosses accorde beaucoup trop à Voltaire quand il l’appelle le plus grand coloriste du monde, il touche très juste en observant qu’il applique indifféremment la même manière à tous les ordres de sujets.

775. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Mais, pour compenser ce qu’il y a d’insuffisant dans la représentation du réel, l’art est obligé, dans une juste mesure, d’augmenter l’intensité de cette représentation ; c’est là, en somme, un moyen de la rendre vraisemblable. […] Le réalisme bien entendu en est juste le contraire, car « il consiste à emprunter aux représentations de la vie habituelle toute la force qui tient à la netteté de leurs contours, mais en les dépouillant des associations vulgaires, fatigantes et parfois repoussantes. » Le vrai réalisme consiste donc à dissocier le réel du trivial ; c’est pour cela qu’il constitue un côté de l’art si difficile : « il ne s’agit de rien moins que de trouver la poésie des choses qui nous semblent parfois les moins poétiques, simplement parce que l’émotion esthétique est usée par l’habitude. […] L’idée philosophique de l’évolution universelle « est voisine de cette autre idée qui fait le fond de la poésie : vie universelle9. » Si le mystère du monde ne peut être complètement éclairci, il nous est pourtant impossible de ne pas nous faire une représentation du fond des choses, de ne pas nous répondre à nous-mêmes dans le silence morne de la nature : « Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. » Voilà pourquoi le sentiment d’une mission sociale et religieuse de l’art a caractérisé tous les grands poètes de notre siècle ; s’il leur a parfois inspiré une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même. « Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte. » Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle tout animée d’idées philosophiques, morales, sociales.

776. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Je sais que seul un juste ouvrage peut posséder l’éternité Je m’applique à ce dur travail obstinément. » Ce style singulier et immodeste, ce panthéisme cessèrent rapidement d’être à la mode. […] nous savons que l’habileté suprême de Tartuffe est de crier au Tartuffe quand il voit passer un juste ; mais cela même ne nous décourage pas. […] Un tel classique a pu être un moment révolutionnaire, il a pu le paraître du moins, mais il ne l’est pas… il n’a renversé ce qui le gênait que pour rétablir l’équilibre “au profit de l’ordre et du beau”… » C’est aussi : « Les écrivains d’un ordre moyen, justes, sensés, élégants, toujours nets, d’une passion noble et d’une force légèrement voilée… écrivains modérés et accomplis… Cette théorie dont Scaliger a donné le premier signal chez les modernes est la théorie latine à proprement parler et elle a été aussi pendant longtemps la théorie française… Le chef-d’œuvre que cette théorie aimait à citer c’est Athalie. » En somme, c’est ici la théorie de l’unité soutenue par Buffon dans le Discours sur le style, et Sainte-Beuve conclut : « Il n’y a pas de recettes pour faire des classiques : ce point doit être enfin reconnu évident.

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