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628. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Dans toute son éducation et dans toute sa jeunesse, dans ses lectures profanes et dans ses études sacrées, dans ses actions et dans ses maximes, perce déjà sa pensée dominante et permanente, la résolution de développer et dégager en lui-même l’homme idéal. […] On essaye de se figurer la lourde éducation latine, les exercices physiques, les rudes traitements, les idées rares, les dogmes imposés, qui occupaient, opprimaient, fortifiaient, endurcissaient autrefois la jeunesse, et l’on croit voir un ossuaire de mégatheriums et de mastodontes reconstruits par Cuvier. […] L’âge est venu ; exclu du pouvoir, de l’action, même de l’espérance, il revient aux grands rêves de sa jeunesse. […] La virilité a pris la place de la jeunesse. […] Ces tristes anges ont l’esprit aussi discipliné que les membres ; ils ont passé leur jeunesse à l’école du syllogisme et à l’école de peloton.

629. (1813) Réflexions sur le suicide

Marc-Aurèle dit qu’il n’y a pas plus de mal à sortir de la vie que d’une chambre lorsqu’il y fume  : certes s’il en était ainsi les Suicides devraient être bien plus fréquents encore qu’ils ne le sont, car il est difficile, quand l’illusion de la jeunesse est passée, de réfléchir sur le cours des choses et d’aimer constamment l’existence. […] Un homme d’esprit à qui l’on faisait compliment du courage avec lequel il avait supporté de grands revers, répondait : —  je me suis bien consolé de n’avoir plus vingt-cinq ans . — En effet il est bien peu de douleurs plus amères que la perte de la jeunesse. […] — — Hé bien, me dit-il, votre sentence doit être exécutée, mais je vous apporte le secours qui délivra tant d’hommes illustres de la proscription des Tyrans. — Ce vieillard, ami de ma jeunesse, m’offrait en tremblant le poison dont il aurait voulu me sauver au péril de ses jours. […] La jeunesse, l’espoir, le souvenir, l’habitude, que seront-ils si le cours du temps est arrêté ? […] J’étais alors dans tout l’orgueil et la vivacité de la première jeunesse, mais à quoi servirait-il de vivre, si ce n’était dans l’espoir de s’améliorer ?

630. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

La belle et pieuse Léonora avait été au moins sa Providence à la cour de son frère pendant les plus brillantes années de sa jeunesse. […] L’air natal, l’évaporation de ses chimères à la lumière splendide de ce ciel, le sentiment de la sécurité dans ce port de sa vie, l’admiration de la jeunesse chevaleresque de Naples, les soins attentifs des religieux, fiers d’un hôte si illustre, dissipèrent en peu de jours, comme à son premier voyage, la mélancolie du poète. […] La Jérusalem délivrée sera à jamais le poème épique de la jeunesse, des femmes et de l’amour. […] « Au reste, si la Jérusalem a une fleur de poésie exquise, si l’on y respire l’âge tendre, l’amour et les déplaisirs du grand homme infortuné qui composa ce chef-d’œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d’un âge qui n’était pas assez mûr pour la haute entreprise d’une épopée. […] Malheur aux poètes qui refont leurs œuvres : la poésie est de premier mouvement, ce n’est pas le travail et la réflexion qui la donnent, c’est l’inspiration ; on ne respire pas à midi le souffle matinal de l’aurore ; la jeunesse dans le poète fait partie du charme ; le génie est comme la beauté, il a son instant.

631. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Rien ne rend mieux le surcroît et le tumulte de sentiments qu’éprouvait sincèrement alors toute une jeunesse espérante et enthousiaste, de celle même qui n’avait pas de parti pris et qui n’était pas enrôlée. […] Chacun, dans les groupes intellectuels qu’il traverse et dans les combinaisons de personnes où il se trouve mêlé, rencontre dès sa jeunesse ses affinités, ses attractions au moral comme aussi ses antipathies et ses déplaisances. […] Nature audacieuse et ambitieuse, trop tôt démentie, talent d’emphase et d’éclat, d’apparat et de montre, clairon et cymbale, boute-en-train de la jeunesse, simulacre révolutionnaire qu’un brusque coup de vent démasqua et retourna, qu’on venait d’entendre faire le généralissime et commander la charge, qu’on vit tout d’un coup culbuté et en déroute comme un tambour-major sans armée ; à la fin, esprit déchu qui n’était plus qu’un tempérament, tombé de la passion dans l’appétit, il eut pourtant, jusque dans les dernières années, et même dans ce qu’on ne lisait plus de lui, quelques éclairs d’autrefois, bien des restes de ses fortes études du commencement. […] L’audace militante chez lui, comme chez la plupart, s’en était allée avec le feu de la jeunesse.

632. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Il y a, je me le suis dit souvent, un jour décisif et fatal après la première jeunesse, après les premiers triomphes ; il s’agit de réaliser les espérances, de pousser sa conquête, d’asseoir sa seconde et définitive destinée. […] Bref, il y a deux manières principales de débuter dans la jeunesse : par la croyance, par la passion, par l’excès, par l’assaut livré aux choses, comme les amants, les poëtes, les enthousiastes et systématiques en tous genres ; ainsi, à côté de M. […] Villemain, dans le domaine infini de sa connaissance littéraire, mena à sa suite et à côté de lui cette rapide jeunesse, ouvrant pour elle dans la belle forêt trois ou quatre longues perspectives, là même où les routes royales des grands siècles manquaient ; mais ces perspectives, si heureusement ouvertes par lui et qui suffisent à marquer son glorieux passage, se refermeraient derrière, si de nouveaux venus ne travaillaient à les tenir libres, à les limiter et à les paver pour ainsi dire : c’est l’heure maintenant de ne plus traverser la forêt, comme Élisabeth à Windsor, comme François Ier en chasse brillante dans celle de Fontainebleau, mais de s’y établir en ingénieurs, hélas ! […] Combien de fois, au temps même de ces Cours nourrissants où nous nous rafraîchissions avec toute la jeunesse, vers 1829, encore émus de sa parole que nous venions de quitter si éloquente, ne l’avons-nous pas retrouvé, esprit tout divers et inépuisable de grâce dans des causeries nouvelles ?

633. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Le style de Valérie a, comme les scènes mêmes qu’il retrace, quelques fausses couleurs de la mode sentimentale du temps : je ne saurais aimer que le Comte envoie, pour le tombeau de son fils, une belle table de marbre de Carrare, rose (dit-il) comme la jeunesse, et veinée de noir comme la vie. […] Le séjour à Berlin, l’intimité avec la reine de Prusse, et les événements de 1806, y mirent le comble ; c’est vers ce temps, en Suède, je crois, au milieu d’une vie encore toute brillante, mais à l’âge où l’irréparable jeunesse s’enfuit, qu’une révolution s’opéra dans l’esprit de Mme de Krüdner ; qu’un rayon de la Grâce, disait-elle, la toucha, et qu’elle se tourna vers la religion, bien que pourtant d’abord avec des nuances légèrement humaines, et sans le caractère absolu et prophétique qui ne se décida que plus tard. […] On sait quelles furent alors les vicissitudes politiques de l’illustre publiciste ; ses sentiments religieux n’étaient pas moins agités, et, à cette limite extrême de la jeunesse, revenant à la charge en lui, ils livraient comme un dernier combat. […] On rapporte (et c’était déjà dans ces années de conversion) qu’un homme distingué qui venait souvent chez elle, épris des charmes de sa fille qui lui ressemblait avec jeunesse, s’ouvrit et parla à la mère, un jour, de l’émotion qu’il découvrait en lui depuis quelque temps, des espérances qu’il n’osait former ; et Mme de Krüdner, à ce discours assez long et assez embarrassé, avait tantôt répondu oui et tantôt gardé le silence ; mais tout d’un coup, à la fin, quand le nom de sa fille fut prononcé, elle s’évanouit : elle avait cru qu’il s’était agi d’elle-même. — Au reste, pour bien entendre, selon la mesure qui convient, ce reste de facilité romanesque chez Mme de Krüdner au début de sa conversion, et aussi la décence toujours conservée au milieu de ses inconséquences du monde, il faut ne pas oublier ce mélange particulier en elle de la légèreté et de la pureté livonienne qui explique tout.

634. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Toutes les tendances de l’esprit français, tous les progrès que la poésie avait encore à faire, sont exprimés dans ce manifeste, excellent écrit où, malgré une certaine exagération de jeunesse, quelques contradictions, trop peu d’ordre, la langue est ferme, le tour vif et naturel les expressions durables, suscitées par les bonnes raisons. […] Pour les poètes, il disait des chevaleresques ou romanesques : « Ô combien je désire voir sécher ces Printemps, chastier ces Petites jeunesses, rabattre ces Coups d’essay, tarir ces Fontaines ! […] Ronsard dès sa jeunesse était devenu sourd ; on ne cherchait qu’un prétexte pour l’égaler à Homère ; cette surdité y servit ; il n’y eut entre Homère et Ronsard que la différence d’infirmité. […] Il a le bon goût de s’en plaindre : En effect, c’estoient de grans Lestes Que les regens du temps jadiz ; Jamais je n’entre en Paradiz, S’ils ne m’ont perdcu ma jeunesse.

635. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Pour l’immense Moutard-Club de la jeunesse contemporaine, les cheveux gris prennent déjà la teinte des ailes de pigeon. […] La jeunesse dorée d’aujourd’hui offrait un autre sujet au scalpel d’un satirique résolu à attaquer les plaies vives. […] Tenancier, sur son bureau, au moment où il rangeait de vieux papiers de jeunesse, et ramassée par son fils. […] voilà un homme que vous nous avez présenté comme le dictateur du high life, comme le prince de la jeunesse élégante.

636. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Au temps de la jeunesse du peintre, je l’avais trouvé insupportable, plus tard, et surtout depuis quelque années, où je dînais avec lui chez Sichel, j’avais découvert sous l’enveloppe balourde et grossière de l’homme, un loyal garçon. […] On déplore leur manque d’entrain, de gaieté, de jeunesse, et cela amène à constater la tristesse de toute la jeune génération contemporaine, et je dis que c’est tout simple : que la jeunesse ne peut être que triste, dans un pays sans gloire, et où la vie est très chère. […] Mardi 11 septembre Un moment aujourd’hui, la conversation s’arrête sur la beauté de la princesse dans sa jeunesse.

637. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 430-432

Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que les succès rapides de ce savant Médecin, dont la jeunesse en promet de plus grands, lui ont attiré des ennemis d'autant plus aigris qu'ils courent la même carriere, & que leur haine n'a pris sa source que dans le sentiment de la supériorité de ses talens, employés par le Gouvernement.

638. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Dès sa jeunesse, Élisabeth-Charlotte se distingua par un esprit vif et par un caractère ouvert, franc et vigoureux : Mlle de Quadt, dit-elle, a été ma première gouvernante et celle de mon frère ; elle était déjà vieille : elle voulut une fois me donner le fouet, car j’étais un peu volontaire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort, et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups dans son vieux ventre, qu’elle tomba tout de son long avec moi et faillit se tuer. […] Toute cette première partie de la vie et de la jeunesse de Madame serait curieuse et importante à bien établir : « J’étais trop âgée, dit-elle, quand je vins en France, pour changer de caractère ; la base était jetée. » Tout en se soumettant avec courage et résolution aux devoirs de sa position nouvelle, elle gardera toujours ses goûts allemands ; elle les confessera, elle les affichera en plein Versailles et en plein Marly, et cette cour, qui était alors la règle de l’Europe, et qui donnait le ton, aurait pu s’en choquer si elle n’avait mieux aimé en sourire. […] Madame raconte très gaiement comme quoi dans sa jeunesse, sentant sa vocation de cavalier si forte, elle espérait toujours un miracle de la nature en sa faveur.

639. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Dans l’intervalle, et pendant le séjour qu’il fit en Lombardie, à Milan, à Brescia, à Bergame, à cet âge de moins de vingt ans ; au milieu de ces émotions de la gloire et de la jeunesse, de ces enchantements du climat, du plaisir et de la beauté, il acheva son éducation véritable, et il prit la forme intérieure qu’il ne fera plus que développer et mûrir depuis : il eut son idéal de beaux-arts, de nature, il eut sa patrie d’élection. […] Daru en 1814, il commença sa vie d’homme d’esprit et de cosmopolite, ou plutôt d’homme du Midi qui revient à Paris de temps en temps : « À la chute de Napoléon, dit Beyle en tête de sa Vie de Rossini, l’écrivain des pages suivantes, qui trouvait de la duperie à passer sa jeunesse dans les haines politiques, se mit à courir le monde. » Malgré le soin qu’il prit quelquefois pour le dissimuler, ses quatorze ans de vie sous le Consulat et sous l’Empire avaient donné à Beyle une empreinte ; il resta marqué au coin de cette grande époque, et c’est en quoi il se distingue de la génération des novateurs avec lesquels il allait se mêler en les devançant pour la plupart. […] Beyle ne croit pas assez dans les lettres à ce qui ne vieillit pas, à l’éternelle jeunesse du génie, à cette immortalité des œuvres qui n’est pas un nom, et qui ressemble à celle que Minerve, chez Homère, après le retour dans Ithaque, a répandue tout d’un coup sur son héros.

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