/ 2522
666. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Le groupe monte du sol au sommet du char en concentrant le regard et l’intérêt sur toutes les figures en particulier, puis en reportant cet intérêt de chacune à toutes et de toutes à chacune, en sorte que la beauté de l’une contraste et concourt avec la beauté de l’ensemble, et qu’il en résulte un rejaillissement général de splendeur et de félicité qui produit en un instant l’enthousiasme. […] On devine à ses expressions quel intérêt tendre l’attache presque à son insu à ce séjour. […] Quel avantage n’y a-t-il pas dans ces attachements qui donnent de l’intérêt à la vie et qui retrempent l’énergie du cœur ? […] « Les lettres de la princesse que j’ai vues, dit le frère de Léopold, étaient empreintes d’un intérêt constant, qui pouvait provenir seulement de l’estime pour le talent et pour le caractère de Léopold. […] Sans doute il y a eu et il y a, aujourd’hui surtout, en France, où une génération de grands peintres prépare un second siècle de Léon X, en deçà des Alpes, il y a des peintres qui peignent, comme Géricault, ou dessinent, comme Michel-Ange, avec le crayon fougueux et infaillible qui calque les formes du Créateur, qui sculpte la charpente des os et des muscles du corps humain ; il y en a qui ont ravi à Titien le coloris, à Raphaël la grâce, à Rubens l’éblouissement et l’empâtement profond, délayés dans des rayons par leurs pinceaux ruisselants ; il y en a qui font nager, comme Huet, leurs paysages, sévèrement réfléchis par un œil pensif, dans les lumières sereines de Claude Lorrain ou dans les ombres transparentes de Poussin ; il y en a qui pétrissent, comme Delacroix, en pâtes splendides, les teintes de l’arc-en-ciel sur leurs palettes ; il y en a qui, comme Gudin, font onduler la lumière et étinceler l’écume sur les vagues remuées par le souffle de leurs lèvres ; il y en a, comme Meissonier, qui donnent aux scènes et aux intérieurs de la vie domestique l’intérêt, la réalité, le pittoresque et le classique de la peinture héroïque ; il y en a qui, comme mademoiselle Rosa Bonheur, transportent avec une vigueur masculine, sur la grande toile, les pastorales de Théocrite, les chevaux de charrette ou les taureaux fumants dans le sillon retourné par le soc luisant ; il y en a qui, comme les deux Lehmann, dont le plus jeune, dans sa Graziella écoutant le livre qu’on lui lit à la lueur du crépuscule, sur la terrasse de l’île de Procida, au bord de la mer, semblent avoir retrouvé sur leur palette l’âme mélodieuse de Léopold Robert.

667. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

— nous accorde quelques descriptions faites avec les nerfs assez bien, et finit en nous disant que la fin n’a pas d’intérêt pour lui, parce qu’il a lu Sainte Thérèse. […] Notre-Dame de Paris avec Quasimodo… L’Homme qui rit, toujours la réussite à coups de monstres… Même dans Les Travailleurs de la mer, tout l’intérêt de son roman est le poulpe… Hugo, continue-t-il, a une force, une très grande force, fouettée, surexcitée… la force d’un homme, toujours marchant dans le vent, et prenant deux bains de mer par jour10. Puis il nous parle de la difficulté de faire du roman moderne, à cause du peu de changement des milieux, et sans faire semblant d’entendre nos objections, il va à Paméla, dont le grand intérêt pour lui est dans le changement des mœurs d’alors : la transformation du vieux puritanisme anglais en méthodisme, en accommodement avec les intérêts humains et la pratique de la vie, arrivé le jour, où Wesley a dit que « les Saints devaient avoir des places ». « Paméla, ajoute-t-il en soulignant son mot final d’un sourire, Paméla, un type à la fois de jeune fille et de magister !  […] Avec l’intérêt poignant et le mouvement et la vie du récit, et avec l’émotion, comme encore présente des balles, des boulets, du canon, il nous raconte Magenta, Solférino, en un parler franc, et qui avoue l’humanité du soldat, sa susceptibilité nerveuse, dans l’atmosphère si variable et si changeante de la guerre, et qui reconnaît que les corps et les moraux les plus solides, peuvent céder au vent subit d’une panique. […] Fils d’un capitaine de l’Empire, et d’une mère ruinée par des procès de famille, il se trouvait avoir sept ans, après la mort de son père, lorsque le comte de Clermont-Tonnerre, le ministre de la guerre d’alors, s’étant arrêté au Bourg-d’Oisans, se prit d’intérêt pour le jeune enfant qu’il était, et trois ans après, envoya à sa mère une bourse pour le collège de la Flèche.

668. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

En troisième lieu, un poème épique suppose un récit continu, un commencement, un milieu, une fin, récit inspirant, par ses péripéties, un intérêt épique ou dramatique à celui qui lit ou qui écoute. […] Dans tous ces poèmes, la grande loi littéraire de l’unité de sujet, qui est en même temps la condition absolue de l’intérêt, est rigoureusement observée. Dans la Divine Comédie, au contraire, il n’y a, comme on voit, ni unité de personnages, ni unité d’action ; c’est une succession d’épisodes sans rapport les uns avec les autres, où l’intérêt se noue et se brise à chaque nouvelle apparition de personnages devant l’esprit, et où cet intérêt, sans cesse noué, sans cesse brisé, finit par se perdre dans la multiplicité même de personnages, et par donner au lecteur l’éblouissement d’une foule. […] Électre, Énée, Hector, César aux yeux d’oiseau de proie, Penthésilée, Lavinie, le premier Brutus, Lucrèce, Saladin, Aristote, Socrate, Platon et cent autres ombres apparaissent et disparaissent sans intérêt pour le drame. […] » Des voyages souterrains sur le dos d’une bête amphibie, en croupe derrière Virgile ; des nuées d’allusions, d’images, de prophéties, d’énigmes aujourd’hui sans mots ; des promenades de bastion en bastion sur les remparts de l’horrible enceinte ; des damnés qui ont le cou tordu, dont le visage regarde les reins, et dont les larmes des yeux baignaient la croupe (encore ici n’employons-nous pas le mot cynique employé par le poète) ; des démons qui mordent la langue tirée contre eux par le chef de leur bande ; des damnés jouant au cheval fondu sur les épaules les uns des autres au-dessus d’un lac d’asphalte qui englue leurs ailes ; des dialogues sans intérêt et sans fin entre le poète florentin et les obscurs concitoyens de sa ville, qu’il cherche dans la foule et qu’il interpelle ; des serpents qui lancent le feu, au lieu de venin, dans la blessure, et qui font flamboyer le damné plus vite que la plume n’écrit un o ou un i : Ne o si tosto maï ne i si scrisse ; Des énigmes rebutantes d’obscurité, dégoûtantes de lasciveté, mais souvent merveilleuses de versification ; des flammes qui parlent ; des schismatiques le ventre troué par le glaive, et laissant, comme des tonneaux qui fuient par les douves, pendre leurs boyaux entre leurs jambes : Rotto dal mento insin dove si trulla !

669. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Cette fâcheuse fin de son voyage à Rome lui en gâta tout le plaisir s’il en eut, et on ne le voit jamais revenir ensuite sur ses impressions d’Italie ; il semble n’avoir nullement rempli la recommandation de La Fontaine, qui lui écrivait à la fin de sa lettre sur les Fêtes de Vaux : « Adieu, charge ta mémoire de toutes les belles choses que tu verras au lieu où tu es. » Malgré son vœu d’être en repos, Maucroix eut quelques devoirs à remplir pendant certaines années : le chapitre le choisit pour l’un de ses deux sénéchaux, et le chargea de défendre ses intérêts, ses prérogatives. […] Maucroix en a consigné le récit dans des mémoires qui sont pour nous de peu d’intérêt : ce sont des querelles de chapitre à prélat, une vraie guerre de Lutrin, moins la gaieté. Des intérêts sérieux et respectables y étaient pourtant mêlés, et Maucroix, pendant les deux ans qu’il fut en charge (1667-1669), répondit à la confiance de ceux qui l’y avaient porté.

670. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Dans le rapport sur le magnétisme animal ou mesmérisme, parlant au nom d’une commission dont faisaient partie Franklin, Lavoisier, et de savants médecins de la faculté de Paris, Bailly montra toute la sagesse et la mesure de son excellent esprit, et prouva que, dès qu’il s’agissait d’un grand intérêt actuel et pratique, les hypothèses ne prenaient plus sur son imagination. […] Pensionné de la Cour, honoré par les académies, consulté par les ministres sur les objets d’intérêt public, il ne manquait rien à Bailly de ce qui pouvait, satisfaire l’ambition la plus légitime et la plus étendue d’un savant homme de bien, lorsque la Révolution de 89 éclata. […] On dirait qu’ils ont intérêt vraiment à ce qu’il y ait un mot touchant et sublime de moins dans le monde71.

671. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Il prit pour prétexte de ce voyage l’affection qu’il portait à sa sœur et au comte de Soissons, tellement qu’au bout de huit jours tous les fruits espérés d’une si grande et signalée victoire s’en allèrent en vent et en fumée. » Ce fut aussi la dernière faute signalée que fit faire l’amour à Henri ; car plus tard, bien que ce fût toujours sa grande faiblesse, ceux qui l’ont bien connu assurent qu’il ne s’en laissa jamais entraîner au point d’y sacrifier l’intérêt pressant de ses affaires. […] Le charme pour elle n’existe plus du tout, et elle prend l’habitude, dans son irritation, d’annoter les lettres qu’elle reçoit de Henri et de les charger dans les interlignes de contradictions piquantes et moqueuses ; par exemple, à cet endroit où il est dit qu’il se propose de faire venir bientôt près de lui Mme Catherine, sa sœur, et qu’il la prie de l’accompagner, elle ajoute ironiquement : « Ce sera lorsque vous m’aurez donné la maison que m’avez promise près de Paris, que je songerai d’en aller prendre la possession, et de vous en dire le grand merci. » Il perce dans ce reproche un coin d’intérêt et de calcul qu’on ne voudrait pas en elle. […] Il lui parle du jeune Grammont, qui est près de lui à ce siège, avec intérêt et désir de flatter le cœur d’une mère : « Je mène tous les jours votre fils aux coups et le fais tenir fort sujet auprès de moi ; je crois que j’y aurai de l’honneur. » Les expressions de tendresse, mon cœur, mon âme, s’emploient toujours sous sa plume par habitude, mais on sent que la passion dès longtemps est morte ; et enfin le moment arrive où, après quelques vives distractions qui n’avaient été que passagères, Henri n’a plus le moyen ni même l’envie de dissimuler : l’astre de Gabrielle a lui, et son règne commence (1591).

672. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

L’intérêt de don Juan était de retarder le mariage du jeune roi ; un premier mariage avec une archiduchesse avait déjà été rompu par lui. […] Il était seul de la branché espagnole de la Maison d’Autriche, et tout son royaume avait intérêt qu’il fût en état d’avoir des enfants. […] Il était d’une parfaite ignorance, d’un tempérament mélancolique, maladif, parlant peu, pensant encore moins, un de ces individus exemplaires marqués d’un signe, et au front desquels il est manifestement écrit : Comment les races royales finissent, tellement soumis à son confesseur, qu’il n’y avait pas moyen de lui faire prendre une détermination quelconque, sans que le confesseur en décidât : aussi ceux qui avaient intérêt à agir sur lui usaient-ils de ce secret ressort, qui ne manquait jamais son effet ; quand on voulait lui faire changer d’idée, on lui changeait son confesseur, et il en eut jusqu’à sept en cinq ans.

673. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Tous les actes de leur passé, disait-on, leurs souvenirs, leurs ressentiments comme leur intérêt même, tout semblait devoir les porter dans un autre sens : de là un redoublement de colère contre ces deux dissidents uniques qu’on appelait des misérables. […] S’ils manquèrent de la politique du moment, ce fut positivement parce que cette politique instantanée ne leur avait jusqu’alors inspiré que du mépris ; mais les affaires les auraient formés, parce qu’elles ont seules la puissance de courber les esprits forts jusqu’aux considérations honteuses qu’exigent l’état et les intérêts d’une société presque en dissolution. […] quels étaient les auteurs de ces propositions ultra-royalistes et vraiment révolutionnaires, qui allaient pleuvoir coup sur coup, qui tendaient à tout remettre en question, les idées et les intérêts modernes, à constituer la société entière en état de suspicion, à aggraver toutes les peines, à proposer la peine de mort de préférence à toute autre, à substituer le gibet à la guillotine, les anciens supplices aux nouveaux40, à maintenir la magistrature dans un état prolongé et précaire d’amovibilité, à excepter de l’amnistie des catégories entières de prétendus coupables, à rendre la tenue des registres civils au Clergé, à revenir sur les dettes publiques reconnues, etc., etc. ?

674. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Malgré la difficulté qu’on rencontre à rien extraire d’une trame si dense, à rien tailler et découper dans une matière si bien cimentée, nous essayerons, par l’analyse de quelques chapitres, de donner idée de l’intérêt sérieux qui fait le prix de cette œuvre durable. […] Il sembla à Louvois qu’en remontant par-delà la Paix de Nimègue jusqu’aux Traités mêmes de Westphalie, et en les étudiant mieux qu’on ne l’avait fait, on pouvait en user habilement dans l’intérêt de la France, et il s’appliqua à y voir ce qu’on n’y avait pas su lire avant lui. […] Ils avaient cela de commun avec les Romains d’être ambitieux par orgueil autant que par intérêt ; ils voulaient non seulement acquérir, mais commander.

675. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

J’acquérais ainsi l’habitude du travail, de la maturité dans mes idées ; je m’étais déjà exercé sur divers objets, j’avais vu différents pays, beaucoup d’hommes et de choses ; j’avais donc, dès cette époque, des opinions arrêtées sur les intérêts et les devoirs des hommes, sur la morale, sur l’administration, sur la politique. […] Malouet nous ouvre un jour assez particulier sur cet homme de lettres aujourd’hui oublié, qui ne fut point dans les premiers rangs ni même dans les seconds au xviiie  siècle, mais dont la physionomie vue de près offre un intérêt attachant. […] Malouet se montra ferme, quand il le fallut, dans l’intérêt de ses administrés, et toujours humain et bienfaisant.

676. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Nous voyons l’envers et les dessous de ces imposantes machines qu’on nomme ministère, administration, gouvernement, les égoïsmes éhontés, la basse corruption, les intérêts sordides, qui sont les ressorts des grandes affaires. […] Il voit nombre de coquins, de fripons, de demi-coquins surtout et de fripons mitigés, parmi lesquels surnagent quelques honnêtes gens : il voit partout des instincts brutaux ou des vices raffinés, l’intérêt et le plaisir se disputant le monde, et ne laissant guère de place au désintéressement et à la vertu. […] Le roman philosophique L’esprit philosophique ne manqua pas de s’emparer du roman et de le faire servir aux intérêts de sa propagande.

677. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Bazin, dans les deux volumes qu’il a consacrés à l’Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin, s’est attaché à dégager le récit historique des séductions qu’y avaient jetées les peintures du cardinal de Retz, et il l’a fait, même au risque d’y éteindre quelque peu la vivacité et l’intérêt. […] J’ai peine à le faire sans avertir M. de Chavigny, nos intérêts étant communs ; mais j’ose espérer que Sa Majesté daignera me garder le secret, comme je le garderai de mon côté religieusement. » Ces paroles étaient formelles ; mais Beringhen marqua qu’il désirait quelque gage plus précis et qui fît foi du succès de son message. […] Je me désiste dès maintenant de tout mon cœur des avantages que me promet la déclaration, que j’abandonne sans réserve, avec tous mes autres intérêts, à la bonté sans exemple de Sa Majesté.

/ 2522