/ 1766
658. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Un esprit distingué, attaqué d’une paisible nostalgie de l’idéal en politique, en littérature, en art, mais ne se lamentant qu’à demi-voix, et ne s’en prenant qu’à lui-même de sa vision de l’imperfection des choses d’ici-bas. […] » Puis nous avons causé de l’idéal, ce ver rongeur du cerveau, « ce tableau que nous peignons avec notre sang », a dit Hoffmann. […] L’idéal au théâtre du type de Rodin.

659. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Et l’énormité est encore plus que sa vie, c’est sa volonté, c’est son idéal. […] Voilà l’idéal ! […] Et c’est après ces conversations, pendant lesquelles il se croit le Pape idéal et saint de la canonisation de Hugo, qu’il se réveille et qu’il s’écrie (le mot de la fin) : … Quel rêve affreux je viens de faire !

660. (1897) Aspects pp. -215

Fonction splendide, conquête inaliénable de l’artiste sincère, affirmation de l’idéal humain qui fait de nous des dieux ! […] Nulle femme — trop longue pour plus d’idéal — ne s’y érige sous couleur de symbole. […] Contre les paladins de l’Idéal, qui accommodaient l’humanité à la sauce bleu-ciel, il dressa la science. […] Cela, d’après un Idéal tellement vague que, lorsque on leur demande de le déterminer, ils l’envoient se promener dans les espaces cosmiques. […] Certes, l’effort tenté par notre génération pour la conquête d’un idéal nouveau fut prodigieux.

661. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure, l’autre en a été l’étude raisonnée et l’exposition lumineuse. […] Dans cet intérieur d’artisans, la vie qu’on mène, pauvre et difficile, s’éclaire d’un rayon d’idéal. […] « Heureux celui qui porte en soi un dieu, un idéal de beauté, et qui lui obéit : idéal de l’art, idéal de la science, idéal de la patrie, idéal des vertus de l’Évangile ! […] Il se composait un idéal de vie à l’instar de la leur. […] Plus tard, et dès qu’il en aura l’occasion, il ne fera que réaliser cet idéal entrevu pendant de longues années de rêverie ennuyée.

662. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

un poëte épique, un des maîtres et des rois prochains de l’idéal ; mais il suffisait à Fauriel, pour remplir ici tout son office, d’être un critique éminent, le plus ingénieux et le plus sagace. […] Lorsque Fauriel vit l’œuvre et lut ce Carmagnola à lui dédié, il put aussitôt reconnaître son idéal et s’écrier : Le voilà ! […] Et qu’on ne dise pas que l’idéal ait souffert au milieu de cette application patiente ; le personnage d’Hermangarde a toute sa pureté et son exaltation tendre, les chœurs ont leur pathétique ou leur éclat. […] Dans la tragédie en particulier, quel art insensible pour concilier le simple et le noble, l’expression libre, naturelle, par moments familière, et l’expression idéale ! […] Viennent ensuite les chansons romanesques ou idéales, celles où la fiction a plus de part et qui se rapportent à des légendes ou à des superstitions populaires ; plus d’une respire le souffle errant d’un Théocrite dont la flûte s’est perdue, mais qui en retrouve dans sa voix quelques notes fondamentales.

663. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Eut-on jamais plus de moyens de comparer l’idéal au possible, les fables au vrai, les monstruosités des Gorgones, et des Alecton, aux fureurs des dissensions, et anarchiques, et despotiques ? […] Le merveilleux, ou, si l’on veut, l’invention idéale qui relève le fait, ne doit-il pas embellir la machine, et soutenir tous ses ressorts ? […] Aussi les épopées sont-elles rares, non seulement par la rareté des esprits capables de les composer, mais par la rareté des faits susceptibles de la grandeur idéale de l’imagination. […] L’action du poète qui se passe au-delà de l’existence matérielle, n’est ordinaire ni physique, mais en tout idéale et spirituelle. […] Ces révélations semblables, et toutes deux consacrées par la foi des nations en des temps éloignés, ont fourni aux poètes deux faits simples, extraordinaires, et rehaussés au suprême degré de l’idéal.

664. (1896) Le livre des masques

En esthétique, les théories étant généralement obscures, on leur adjoint l’exemple, l’idéal parangon, le modèle à suivre. […] Les humbles, pour qui il a écrit divinement, ne liront pas son livre, et s’ils le lisaient, ils n’y verraient qu’une dérision, car ils ont appris que l’idéal est une mangeoire et ils savent que s’ils levaient les yeux vers Dieu, leurs maîtres les fouetteraient. […] La hiérarchie ecclésiastique nombre parmi ses clercs, à côté des exorcistes, les portiers, ceux qui doivent ouvrir les portes du sanctuaire à toutes les bonnes volontés ; Villiers cumula pour nous ces deux fonctions : il fut l’exorciste du réel et le portier de l’idéal. […] Mallarmé, l’auteur de Tout Bas œuvre, dirait-on, dans une cellule, une cellule idéale qu’il emporte en voyage, et là, debout, souvent à genoux, il épanche ses poèmes, ses prières, selon des phrases d’une musicalité unique d’orgue byzantin. […] Marcel Batilliat, jeune homme inconnu, est peut-être, malgré de graves défauts, le plus curieux spécimen de cette religiosité érotique que des cœurs zélés se donnent pour songe ou pour idéal ; mais il y eut une manifestation fameuse l’Aphrodite de M. 

665. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Les traits qui suivent nous sont connus par Virgile, qui les a semés en plus d’une églogue ; mais ici ils se tiennent, ils se rapportent à l’ensemble des personnages, et leur donnent de la réalité jusque dans l’idéal ; c’est le caractère constant de Théocrite. […] Bien des poëtes pourraient lui envier de n’être ainsi connu que dans son meilleur jour et à travers l’idéal même qu’il s’est donné. […] J’aime mieux ne pas me détourner de l’idéal pur, et ne pas venir mêler sans nécessité le Moyen-Age à la Grèce, Gautier de Coincy à Théocrite. […] D’après la plainte amère qu’il exhale, on voit que Théocrite n’a pas échappé au destin commun des poëtes, à cette souffrance des natures idéales et délicates aux prises avec la race dure et sordide.

666. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Et de même qu’au dix- septième siècle l’homme avait eu son idéal, au dix-huitième les sociétés ont le leur, et c’est Montesquieu qui le leur découvre. […] De tous les devoirs propres à chacun, de tous les traits qui les caractérisent il résulte comme un idéal du maître dans les temps modernes et dans une société chrétienne. Cet idéal est sans chimère. […] L’idéal du maître dans Rollin est un homme de bon sens et de bien, comme il s’en rencontre plus d’un, Dieu merci, qui, par des moyens appropriés et des vertus accessibles à tous ceux qui ont la bonne volonté, forme des élèves, non pour atteindre une vertu impossible, mais pour apprendre, par le bon emploi de leur jeunesse, à bien user du reste de leur vie.

667. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Depuis les conquêtes de Cyrus, le culte primitif de la Perse, tout de lumière et d’idéal, pur comme le feu qu’elle adorait, avait été corrompu par les immondes mythologies sémitiques. […] Son idéal étroit de peuplade l’isole du patriotisme expansif qui l’entoure. […] Platée, comme Marathon, eut aussi son messager idéal, l’Hermès humain, fendant l’espace de ses pieds ailés, et payant de son dernier souffle la vélocité divine de sa course. […] Sans parler de l’histoire détournée de son cours normal, des législations abolies, des cités extirpées, des démocraties naissantes enchaînées, des marches en avant immobilisées, de Rome, cette seconde floraison de la Grèce, étouffée en germe, tout art idéal, toute poésie vivante, toute science progressive auraient disparu du monde obscurci.

668. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Qui ne connaît le passage classique de Bossuet : « Les yeux fixés sur le soleil y souffrent beaucoup et à la fin s’y aveugleraient ; mais le parfait intelligible récrée l’entendement et le fortifie ; la recherche en peut être laborieuse, mais la contemplation en est toujours douce. » Toutefois, ces plaisirs absolument purs de l’intelligence ne sont qu’un idéal irréalisable, la contemplation même dont parle Bossuet ne demeure douce que le temps pendant lequel l’attention n’est point fatiguée ; la plus haute extase ne va point sans une tension des muscles qui se manifeste dans l’attitude même, et sans un épuisement consécutif de la substance nerveuse. […] La parfaite indifférence n’est qu’un instant de transition plus idéal que réel ; là où elle existe, elle révèle l’habitude prise et transmise héréditairement, l’organisation devenue automatique, comme pour les battements du cœur. […] Considérez l’échelle des intensités dans la sensation : il y a un point voisin de l’indifférence, et c’est à partir de ce point neutre que certains plaisirs peuvent naître par un accroissement d’intensité ; tout plaisir ne suppose pas une descente préalable au-dessous du point idéal d’indifférence, dans la région inférieure de la peine. […] Aristote a pu soutenir avec plus de vraisemblance que le plaisir est au contraire le complément d’une action assez intense pour produire tout son effet et « actualiser toute sa puissance. » idéal plus que réalité, sans doute ; car l’action de l’être vivant, n’étant jamais solitaire, s’exerce toujours sur un point d’application qui lui-même réagit, elle fait toujours levier ; et de là vient que le changement s’attache à l’activité vitale, comme une nécessité venue des résistances du milieu, sinon de son essence même.

669. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Platon comparait le soleil du monde idéal à celui du monde sensible ; mais notre soleil, si brillant à la surface, renferme un noyau obscur, et on peut se demander s’il n’en est pas de même du principe de l’être, si, rayonnant au dehors, il n’est pas obscur et opaque au dedans. […] De ce que les mêmes principes ont les mêmes conséquences, on peut encore déduire le vieil axiome : ex nihilo nihil, selon lequel l’être, ou plutôt le phénomène ne peut sortir du néant. « Qu’il y ait un moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera. » En effet, au premier instant idéal nous avons, par hypothèse et construction, pour principe le néant et pour conséquence le néant ; au second instant, nous avons toujours pour principe le néant, mais nous avons pour conséquence le contraire du néant. […] Enfin, avant à démontrer le principe des causes finales comme différent du mécanisme, on commence par supposer que le mécanisme même est impossible sans les causes finales ; de la dépendance réciproque des diverses parties de l’univers on tire immédiatement, sans démonstration, la conclusion suivante : « Il faut donc que, dans la nature, l’idée du tout ait précédé et déterminé l’existence des parties. » Cela revient à dire que la nécessité réciproque des parties dans un tout présuppose toujours l’idée de ce tout comme cause, conséquemment une cause idéale ou finale ; or, c’est précisément ce qui est en question : il s’agit de savoir si la soudure indestructible des parties d’un mécanisme suppose partout un ouvrier qui les ait soudées d’après une idée, ou si, au contraire, les lois du déterminisme et du mécanisme ne suffisent pas à expliquer cette détermination réciproque et mécanique des parties. […] Nous ne saurions donc admettre que le principe des causes finales et idéales soit constitutif de la pensée.

/ 1766