La littérature du xviiie siècle avait été presque en entier consacrée à établir dans l’opinion les droits des peuples, à retrouver et à promulguer les titres du genre humain.
Ce règne qu’il avait rêvé pour le genre humain était enseveli avec le Germanicus de la France.
Tout dans ses vers vient de l’homme, et cet homme est un de ceux qui font le plus d’honneur à la nature humaine.
On arriverait encore à s’entendre avec nos non-euclidiens hypothétiques, bien qu’ils ne soient plus des hommes, parce qu’ils conserveraient encore quelque chose d’humain.
Personne d’humain ne peut s’y laisser prendre, en sorte que l’auteur ne peut être estimé que de ceux-là même, ses congénères, qui reconnaissent, en son mensonge, celui qu’ils sont eux-mêmes.
On arracherait plutôt un sens à l’organisation humaine que d’extirper de l’âme d’un artiste le sentiment, le respect, l’idolâtrie de son art.
Mais, le lendemain du jour où l’on a lu ce livre, pour rentrer en plein dans le vrai de la nature et de la passion humaine, pour purger son cerveau de toutes velléités chimériques et de tous brouillards, je conseille fort de relire la Didon de l’Énéide, quelques scènes de Roméo et Juliette, ou encore l’épisode de Françoise de Rimini chez Dante, ou tout simplement Manon Lescaut.
« Celui qui aime, court, vole et se réjouit ; il est libre et rien ne l’arrête. » C’est l’Imitation de Jésus-Christ qui le dit : Mme de La Vallière, qui avait si bien senti cela dans l’ordre des sentiments humains, put bientôt se le redire à elle-même dans la suite de son progrès céleste.
Mais les filles de sa suite découvrent une folle enfermée dans un cachot : vite elles appellent Mademoiselle pour la divertir du spectacle de ses extravagances : « Je pris ma course vers ce cachot, dit-elle, et n’en sortis que pour souper. » Le second jour, l’abbesse, voyant qu’elle y avait pris goût, la régala d’une seconde folle : « Comme il n’y en avait plus pour un autre jour, ajoute-t-elle plaisamment, l’ennui me prit ; je m’en allai malgré les instances de ma tantej. » C’est de ce ton que les misères humaines sont traitées, et de la part de quelqu’un qui avait de la bonté au fond, mais personne, encore une fois, pour l’éclairer et l’avertir.
Il faut entendre cet incomparable appel : Ici ce qui me reste à vous dire, écrivait Mirabeau à La Fayette, le 1er juin 1790, deviendrait embarrassant si j’étais, comme tant d’autres, gonflé de respect humain, cette ivraie de toute vertu ; car ce que je pense et veux vous déclarer, c’est que je vaux mieux que tout cela, et que, borgne peut-être, mais borgne dans le royaume des aveugles, je vous suis plus nécessaire que tous vos Comités réunis.
Tout apprendre, tout savoir, depuis les propriétés des simples et la confection des confitures, jusqu’à l’anatomie du cœur humain, être de bonne heure sur le pied d’une perfection et d’une merveille, tirer de tout ce qui passe dans la société matière à roman, à portrait, à dissertation morale, à compliment et à leçon, unir un fonds de pédantisme à une extrême finesse d’observation et à un parfait usage du monde, ce sont des traits qui leur sont assez communs à toutes les deux ; les différences pourtant ne sont pas moins essentielles à noter.
Forte de son exemple, des vertus et de la religion de toute sa vie, elle vient plaider pour l’indissolubilité du mariage ; elle ne conçoit pas qu’on livre ainsi une institution fondamentale à la merci des caprices humains et des attraits : Car le premier attrait de la jeunesse n’est, dit-elle, qu’un premier lien qui soutient deux plantes nouvellement rapprochées jusqu’à ce qu’ayant pris racine l’une à côté de l’autre, elles ne vivent plus que de la même substance. — Dans l’âge mûr, pense-t-elle délicatement, la femme qui doit plaire le plus est celle qui nous a consacré sa jeunesse.