Durant quinze nuits de veille et d’insomnie, il raconte toute sa vie de vingt ans, déjà si pleine, son enfance, la distribution des prix où tous ses rivaux sont heureux et environnés de caresses, où, lui, il n’a point de mère à embrasser ; la confidence du proviseur, l’acte de naissance produit, avec son déguisement, l’inscription de rente qui l’accompagne, le tout déchiré et mis en pièces par le jeune homme indigné ; la solitude d’un jeune cœur, le besoin d’aimer, le besoin d’une famille, la plainte de la nature, l’amer abandon de celui dont il a été dit : « Cui non risere parentes. […] Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur. […] Même lorsqu’ils peuvent sembler heureux ou contents, ils sont heureux sans bonheur.
Sa Majesté regarderait comme un des succès les plus heureux de l’expédition qu’elle pût être terminée sans qu’il en eût coûté la vie à un seul homme. » C’est touchant, c’est honorable dans son principe ; mais, faut-il le dire ? […] Les nouvelles que vous voulez bien me donner des heureux progrès dans votre lien conjugal me font le plus grand plaisir, et vous voulez même presque me laisser l’espérance d’y avoir contribué par mes propos, qui étaient bien épurés par l’intention unique de cimenter par là les liens et le bonheur de deux personnes qui me sont si chères et précieuses. » Enfin le 19 décembre 1778, la reine accouche de son premier enfant qui sera Madame, duchesse d’Angoulême. […] Un fils ne m’eût pas appartenu ; elle sera toujours auprès de moi, elle m’aidera à vivre, me consolera dans mes peines, et nous serons heureuses à deux. […] Les premiers effets de l’influence suivie que Marie-Antoinette commença à exercer en politique ne furent pas heureux.
Il voulut en elle relever aux regards l’exemple adorable de ces figures accomplies du xiiie siècle, grandes et humbles, et la placer dans une perspective heureuse entre saint François d’Assise et saint Louis. […] Mais ce que Raphaël en sa noble manière Ne dit pas, c’est qu’au cœur elle a souvent son mal Elle aussi, — quelque plaie à l’aiguillon fatal ; Pourtant, comme à l’insu de la douleur qui creuse, Chaque orphelin qui vient enlève l’âme heureuse ! […] Dans ma vie intellectuelle, sujette à bien des variations, un heureux instinct plus encore que la prudence a su me garder à temps et m’empêcher de prendre de ces engagements absolus, qu’il est ensuite pénible de rompre : M. de Montalembert aura donc beau dire, il ne fera pas de moi un renégat (au sens où il le voudrait), — ni un renégat du catholicisme, malgré des liaisons anciennes et chères, et dont je m’honore, — ni un renégat du libéralisme, malgré la vivacité de quelques-uns de mes coups de plume, quand je servais en volontaire dans ce camp et sous ce drapeau128. […] Carrel lui-même, une des dernières fois que je le vis, me le disait avec un retour amer sur lui-même : « Vous êtes heureux, vous !
On est sûr, en le lisant, si l’affectation de l’étrange ne vous repousse pas d’abord, de trouver abondance d’esprit, de verve, des aperçus fins, des saillies heureuses, mille traits d’irrévérence et des bouffées d’impiété ; je mets le tout sur la même ligne, car se sont là autant d’éloges avec lui. […] Mais quel résultat, quelle mise en œuvre a-t-il offerte de ces heureux dons ? […] Les impromptus, les saillies, je ne le nie pas, lui échappent sans grand effort ; il rencontre des vers heureux ; il dira presque comme Regnier : J’en connois qui ne font des vers qu’à la moderne, Qui cherchent à midi Phœbus à la lanterne, Grattent tant le françois qu’ils le déchirent tout… Mais, à deux pas de là, il fléchit, et son français pour n’être pas assez gratté, n’en paraît que diffus, prolixe et incertain. […] Saint-Amant, à le bien voir, est un poëte rabelaisien fort réjoui et de bon cru ; « il avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, » c’est Boileau qui lui accorde cet éloge, et qui lui reconnaît aussi des boutades heureuses dans le sérieux : ce jugement reste vrai et irréfragable.
Mais il est des esprits si avidement passifs qu’ils adorent je ne sais quels échos des professeurs, et tout enseignement a sur ces heureux somnambules une influence à distance. […] Lucien Halande n’a que dix ans d’exil et il reviendra pour toujours à la terre maternelle : aussi n’est-il, avant son heureuse conversion, qu’un sceptique un peu agaçant. […] Mais ne suis-je pas vraiment trop naïf de remarquer qu’un marchand de bibelots, même lorsqu’il donne à son étalage un ordre heureux, n’est pas un artiste ? […] À condition de lire très vite, elle paraît supportable dans l’action orageuse et dans l’analyse : Adolphe Dennery et Paul Bourget nous ont rendus si peu exigeants… Ceux qui aiment Montégut doivent admirer dans Le Geste une inspiration particulièrement heureuse et un livre relativement harmonieux.
Saint-Simon, dans ses mémoires, a tellement rendu au vif cette entrée de Fénelon à la Cour, cette initiation dans le petit monde particulier de Mme de Maintenon, des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, cette rapide fortune de l’heureux prélat, sitôt suivie de tant de vicissitudes et de disgrâces, tout ce naufrage d’espérances qui est aujourd’hui une touchante partie de sa gloire, qu’on ne saurait que renvoyer à un tel peintre, et que ce serait profanation de venir toucher à de pareils tableaux, même lorsqu’on peut croire qu’il y a quelques traits hasardés. […] Il est vrai, cher homme, que j’ai été dans le plus grand danger de périr ; je suis encore à comprendre comment je me suis sauvé ; jamais on ne fut plus heureux en perdant trois chevaux. […] Pour lui, le combat du christianisme et de la Grèce n’existe pas, et Télémaque est le monument unique de cette heureuse et presque impossible harmonie. […] Littérairement, on a beaucoup loué et cherché à définir Fénelon, mais nulle part, selon moi, avec une sensibilité d’expression plus heureuse et une plus touchante ressemblance que dans le passage suivant, où il s’agit autant de son style que de sa personne : « Ce qu’il faisait éprouver n’était pas des transports, mais une succession de sentiments paisibles et ineffables : il y avait dans son discours je ne sais quelle tranquille harmonie, je ne sais quelle douce lenteur, je ne sais quelle longueur de grâces qu’aucune expression ne peut rendre. » C’est Chactas qui dit cela dans Les Natchez.
Voici le plus joli couplet de cette agréable chansonnette : Belles qui formez des projets, Trente ans est pour vous le bel âge ; Vous n’en ayez pas moins d’attraits, Vous en connaissez mieux l’usage : C’est le vrai moment d’être heureux ; On plaît autant, on aime mieux. […] Il ne se contente pas de bien tracer ses personnages, il les nomme d’une façon heureuse, singulière, et qui les fixe pour toujours dans la mémoire. […] Mais, au milieu de cette œuvre immense de l’aimable enchanteur, n’avait-il donc pas reconnu, selon l’heureuse expression de M. de Lamartine, Les nobles sentiments s’élevant de ces pages, Comme autant de parfums des odorantes plages ? […] Il a aussi de la gaieté et rencontre en ce genre des types heureux et naturels ; mais, de plus, il aime, il affecte les excentricités et se plaît trop à les décrire.
Son génie lui parla ; un état médiocre ne lui parut point valoir assez pour être mis en balance avec cette destinée nouvelle qu’il tenait entre ses mains : « Il vaut mieux, pensa-t-il, déroger à sa qualité qu’à son génie » ; et, se reportant aux grandes actions qu’il avait été donné à d’autres plus heureux d’exécuter, il se dit : « Qu’il paraisse du moins, par l’expression de nos pensées et par ce qui dépend de nous, que nous n’étions pas incapables de les concevoir. » Cette prédominance, cette préoccupation toujours présente de l’action et de l’énergie vertueuse, supérieure et préférable à l’idée elle-même, est un des caractères du talent littéraire de Vauvenargues, et elle contribue à conférer aux moindres de ses paroles une valeur et une réalité qu’elles n’auraient pas chez tant d’autres, en qui l’auteur se sent à travers tout. […] Pourquoi verrait-on dans cet heureux et ingénu penchant un intérêt étroit et un calcul ? […] On le voit perpétuellement occupé de rechercher et d’entretenir le rapport du sentiment à l’idée, se faisant scrupule de retrancher aucun mobile naturel, et trop heureux de favoriser toute inspiration salutaire ou généreuse : « Si vous avez, disait-il à un jeune ami, quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rende plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu’elle vous soit chère ! […] Une trop longue paix lui paraît funeste : « La paix, dit-il, rend les peuples plus heureux et les hommes plus faibles. » Et il ajoute excellemment : « La guerre n’est pas si onéreuse que la servitude. » Ce n’est pas tant de la servitude du dehors qu’il s’agit ici que de celle du dedans et de la lâcheté qui envahit les âmes : « La servitude, dira-t-il encore, abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer.
Il l’aborda de préférence par le genre des pastorales et des nouvelles, et lui emprunta Galatée (1783), qu’il traita avec liberté d’ailleurs, et qu’il accommoda selon le goût du temps, en y donnant une teinte plus récente de Gessner : « J’ai tâché, écrivait-il à ce dernier, d’habiller la Galatée de Michel Cervantes comme vous habillez vos Chloés : je lui ai fait chanter les chansons que vous m’avez apprises, et j’ai orné son chapeau de fleurs volées à vos bergères. » Ce roman pastoral, mêlé de tendres romances, réussit beaucoup : toutes les jeunes femmes, tous les amoureux en raffolèrent ; les sévères critiques eux-mêmes furent fléchis : « C’est un jeune homme d’un esprit heureux et naturel, écrivait La Harpe parlant de l’auteur de Galatée, et qui aura toujours des succès s’il ne sort pas du genre où son talent l’appelle. » Il est vrai que, peu de temps auparavant, le chevalier de Florian avait adressé au même M. de La Harpe des vers d’enthousiasme, au sortir de la représentation de Philoctète : Je ne sais pas le grec mais mon âme est sensible ; Et, pour juger tes vers, il suffit de mon cœur ! […] Cette existence, jusque-là si heureuse, de Florian, allait être profondément atteinte, et surtout terrifiée et consternée. […] Cependant, au milieu de ces plaisirs, Florian qui en était l’âme, et qui redoublait, pour en donner à chacun, les saillies de sa gaieté communicative, s’arrêtait quelquefois tout rêveur, en disant : « Croyez-moi, nous paierons bien cher ces jours heureux ! […] C’est là la véritable épitaphe de Florian, de cet homme heureux, de ce talent facile et riant, que tout favorisa à souhait dès son entrée dans le monde et dans la vie, mais qui ne put empêcher un jour l’inévitable douleur, l’antique douleur de Job, qui se renouvelle sans cesse sur la terre, de se faire sentir à lui, et de lui noyer tout le cœur dans une seule goutte d’amertume.
D’Aguesseau naquit en 1668 à Limoges, où son père était alors intendant, un père vénérable dont il nous a retracé la vie ; et il reçut de lui une éducation domestique forte et tendre, qui rencontra le naturel le plus docile et le plus heureux. […] Il ne le place qu’après l’étude de l’histoire, après celle de la jurisprudence et de la religion ; il lui a fallu quelque courage, on le sent, pour ajourner le moment de parler de cette étude pour lui la plus attrayante et la plus chère : Il me semble, dit-il, qu’en passant à cette matière je me sens touché du même sentiment qu’un voyageur qui après s’être rassasié pendant longtemps de la vue de divers pays, où souvent même il a trouvé de plus belles choses, et plus dignes de sa curiosité, que dans le lieu de sa naissance, goûte néanmoins un secret plaisir en arrivant dans sa patrie, et s’estime heureux de pouvoir respirer enfin son air natal. […] Aujourd’hui, quand on relit chez son dernier biographe les morceaux qui sont donnés pour les plus éloquents, quand on relit dans les Œuvres mêmes de l’auteur ces Mercuriales tant vantées, on ne peut y rien voir que l’exercice d’un talent distingué sachant se servir habilement d’une rhétorique heureuse. […] C’est dans cette retraite heureuse que, rendu à ses goûts naturels, il nous apparaît avec toutes ses qualités douces, tempérées, ingénieuses, et le plus à son avantage.
Petite-fille de l’illustre capitaine d’Aubigné du xvie siècle, fille d’un père vicieux et déréglé, d’une mère méritante et sage, elle sentit de bonne heure toute la dureté du sort et la bizarrerie de la destinée ; mais elle avait au cœur une goutte du sang généreux de son aïeul, qui lui redonnait de la fierté, et elle n’aurait pas changé sa condition contre une plus heureuse, et qui eût été de qualité moindre. […] Vieille et au comble des honneurs, elle parlait de ces années de jeunesse et de pauvreté comme des plus heureuses de sa vie : Tout le temps de ma jeunesse a été fort agréable, disait-elle à ses filles de Saint-Cyr : je n’avais nulle ambition, ni aucune de ces passions qui auraient pu troubler le penchant que j’avais à ce fantôme de bonheur (le bonheur mondain). Car, quoique j’aie éprouvé de la pauvreté et passé par des états bien différents de celui où vous me voyez, j’étais contente et heureuse. […] Ce caractère de brièveté et de concision heureuse est particulier à Mme de Maintenon, et il ne lui est commun qu’avec Mme de La Fayette.
D’Argens, dans je ne sais quel de ses ouvrages, avait fait des réflexions critiques sur l’amitié, et avait voulu prouver qu’on peut s’en passer et être heureux : Je ne suis malheureusement point de votre sentiment sur l’amitié, lui répond Frédéric (31 août 1745) : je pense qu’un véritable ami est un don du ciel. […] On voit poindre sa première pensée d’invasion en Silésie et son désir tout d’abord « de gagner la confiance du public par quelque entreprise hardie et heureuse ». […] En lisant ces détails auxquels on s’attendait si peu, on est heureux de sentir qu’on a affaire à des hommes, rien qu’à des hommes. […] L’impératrice de Russie meurt, et le nouvel empereur se déclare pour lui ; cela fait péripétie dans la situation : « Je me reviens, dit-il, comme un mauvais auteur qui, ayant fait une tragédie embrouillée, a recours à un dieu de machine pour trouver un dénouement… ; — trop heureux, après sept actes, de trouver la fin d’une mauvaise pièce dont j’ai été acteur malgré moi. » Une place pas la gloire plus haut ; il ne monte pas au Capitole plus fièrement que cela : — « Je soupire bien après la paix, mon cher Milord ; ballotté par la fortune, vieux et décrépit comme je le suis, il n’y a plus qu’à cultiver mon jardin. » — Jean-Jacques Rousseau, sur ces entrefaites, poursuivi en France pour l’Émile, s’était réfugié dans la principauté de Neuchâtel.