Ce secrétaire perpétuel accompli, dont j’omets encore plus d’un trait, l’Académie française ne l’a jamais eu, sans doute : ni Raynouard docte et brusque, ni Auger instruit et aigre, ni Andrieux d’un goût fin mais sans souffle, ni Arnault caustique et sans grâce, n’en avaient toute l’étoffe ; mais le premier et le dernier en date des secrétaires perpétuels, M. […] Tout cela est fin, habile, élégant, insinuant, d’un tour vif, d’un arrêt net, d’une grâce courante et légère. […] Les vivacités mêmes ont bientôt obtenu grâce, car on les savait sincères. […] Sa justice revêt politesse et bonne grâce.
Mme Roland est la première et la plus belle de ce groupe ; elle en est le génie dans sa force, dans sa pureté et sa grâce, la muse brillante et sévère dans toute la sainteté du martyre. […] Ces petits travers philosophiques n’allaient pas à gâter un ton accompli de femme et une grâce perfectionnée que le frottement révolutionnaire ne put jamais flétrir, bien qu’en ait dit l’équivoque Mme de Créqui85, qui d’ailleurs a tracé d’elle un jeune portrait charmant. […] Une éducation plus saine et plus solide, des fortunes plus modiques, des mariages plus d’accord avec les vraies convenances, devront sans doute associer de plus en plus, nous l’espérons, la femme et l’époux par l’intelligence comme par les autres parties de l’âme ; mais il n’y a pas lieu pour cela à transformer les anciennes vertus, ni même les grâces : il faut d’autant plus les préserver. A ceux qui citeraient Mme Roland pour exemple, nous rappellerons qu’elle ne négligeait pas d’ordinaire ces formes, ces grâces qui lui étaient un empire commun avec les personnes de son sexe ; et que ce génie qui perçait malgré tout et s’imposait souvent, n’appartenant qu’à elle seule, ne saurait, sans une étrange illusion, faire autorité pour d’autres.
Parmi les auteurs de Mémoires, il faut noter les deux frères Du Bellay, famille d’excellents esprits, vivant dans les grandes affaires de la première moitié du siècle et, qui les racontent, l’un dans de simples Mémoires, à la façon des chroniqueurs ses devanciers155, l’autre dans des histoires un peu fastueusement taillées sur le patron de Tite-Live, avec une certaine ambition pédantesque qui dans ce temps-là n’était pas d’un mauvais exemple156 : le Loyal serviteur, un inconnu, peut-être un des secrétaires de Bayard dont il a raconté la vie dans une chronique pleine de grâce, de facilité et de naturel, où l’admiration, au lieu d’être banale, comme dans Froissart, est toujours sentie et justifiée ; petit ouvrage charmant, du même caractère que les écrits de Marguerite de Valois, un fruit de l’esprit français touché par le premier souffle de la Renaissance157. […] Calviniste dans sa jeunesse, avec les mœurs des pantagruélistes mangeur de viande en carême et incestueux, la grâce de Dieu et celle des doublons d’Espagne, dit la satire, l’a déterminé à signer la sainte Ligue. […] Il arrive souvent que la curiosité vient distraire et le doute tenter par ses complaisances un esprit enclin à se fixer et à croire, plus ferme qu’étendu, plus porté à affirmer qu’à douter, qui affirme avec autorité, mais qui doute sans grâce. […] Ajoutez-y toutes les grâces d’un style approprié à la matière, abondant et coloré dans tout ce qu’il emprunte d’images à la nature extérieure délicat et exquis dans de chastes peintures des passions, insinuant et suave pour rendre la piété aimable, efficace parce qu’il est affectueux.
On n’y est pas ébloui de la mobilité féminine, et le naturel en plaît davantage, parce qu’il vient de la raison qui dédaigne les gentillesses sans se priver des vraies grâces. […] Il aimait Mme de Sévigné par cette idée vraie et charmante, que dans les choses où les femmes sont supérieures, elles le sont aux hommes les plus habiles, sans compter la grâce du sexe, qu’elles gardent jusque dans la force. […] En recherchant la perfection des penseurs, ils perdraient les fraîches beautés de l’improvisation, et ces grâces d’un écrit fait de jet par une main exercée. […] Descartes y aurait reconnu sa période longue et chargée d’incidentes, où la clarté se fait par une lecture répétée ; Bossuet, sa hardiesse et son accent ; la Bruyère, son coloris ; Mme de Sévigné, sa légèreté de main dans les anecdotes et toutes les grâces de son style familier.
Son esprit, sa grâce, sa distinction, suppléaient à ses défauts physiques. […] Cette association des couleurs du printemps et des grâces de l’enfance rappelle et rassemble des idées d’espérance. […] Quand il causait de ces choses littéraires qui ne devraient engendrer que douceur, aménité et grâce, il lui arrivait d’éclater tout à coup et comme sans cause ; il y avait des moments où son cœur se tordait sous la morsure. […] [NdA] L’épigramme de Millevoye est adressée À un lecteur de société ; la voici : Vos vers tant lus, tant relus, Ont fait émeute au Parnasse ; Publiez-les donc, de grâce, Afin qu’on n’en parle plus.
Il était plus difficile qu’on ne croit de parler de Virgile en l’an de grâce 1857, et d’intéresser en en parlant. […] Sainte-Beuve, l’abeille de la critique qui en eut souvent la grâce et le dard, et le vol ondoyant, Sainte-Beuve, obéissant à ses facultés mobiles d’insecte ailé, a laissé là un sujet qui eût été, s’il l’avait traité à fond, le meilleur de sa gloire. […] Quoiqu’il fût de la race de ces esprits sensuels, égoïstes, mais faciles et qui recouvraient de formes aimables leur égoïsme et leur absence de sens moral ; quoiqu’il fût bien de la lignée des Saint-Évremond, des Fontenelle, des Prieur de Vendôme, des Chaulieu, etc., il n’avait pas leur rondeur ou la grâce de leur négligence, à ces égoïstes spirituels ; il restait pointu et à l’affût, toujours rat, toujours un brin féroce… Voluptueux qui ne lâchait jamais sa ceinture, mais qui, au contraire, la rebouclait sans cesse pour l’article, vous n’étiez jamais pour lui que l’intérêt d’un renseignement à deux pattes. […] Après cela, il n’est pas besoin d’insister pour qu’on soit bien sûr qu’il n’avait pas ce qu’il faut de grâce et de légèreté et de souplesse pour enlever une lettre à une femme, — cette chose ailée qui se pose surtout et qui n’y pèse pas.
Les anglo-catholiques admettent la tradition, la visibilité et l’union de l’Église, la succession apostolique, l’indépendance de l’Église vis-à-vis de l’État : « Ils professent et enseignent la doctrine catholique de la justification ; ils reconnaissent les sacrements comme canaux d’une grâce surnaturelle. […] En assistant au spectacle singulier et pourtant naturel qu’offre l’Angleterre depuis plusieurs années, un observateur profane dirait — et croirait avoir tout dit — qu’il y a des syllogismes au fond de toutes les situations comme au fond de toutes les pensées ; mais où l’homme met la logique des choses d’après celle de son entendement, le prêtre, plus profond, met la grâce : « C’est l’action spontanée de la grâce — dit encore Mgr Wiseman — qui explique les merveilleux résultats dont nous sommes témoins. » Et le saint évêque a raison. L’idée théologique de la grâce est la clef qui ouvre le mieux aux regards de nos esprits les événements les plus fermés, les plus incompréhensibles, de l’histoire.
S’il est présenté à une femme, il sait immédiatement la nuance de ses yeux, son teint, sa coiffure, sa toilette, et mieux encore l’intime pensée qu’elle n’a pas dite, la réponse à peine perceptible d’une âme qui a vite passé derrière la fenêtre, et la grâce qu’elle a eue, ou qu’elle n’a pas voulu avoir, ou qu’en la cherchant elle n’a pas trouvée. […] Le visage tout dissemblable : toute sa physionomie est esprit, affluence de pensées, finesse et fausseté, et n’est pas sans grâces. » Le duc de Saint-Simon ajoute plus loin : « Point de semaine qu’il ne mangeât plusieurs fois chez moi, quelquefois nous chez lui ». […] Il demeure discret et sobre, comme il l’est d’ordinaire, mais, à une certaine grâce mélancolique, on devine le futur auteur de Dominique, comme dans cette description de la petite danseuse kabyle endormie : « Entre quatre et cinq heures, la pluie cessa ; on entendit la voix des coqs qui n’avaient pas chanté depuis minuit. […] Madeleine, un jour, tombera dans tes bras en te demandant grâce ; tu auras la joie sans pareille de voir une sainte créature s’évanouir de lassitude à tes pieds ; tu l’épargneras, j’en suis sûr, et tu t’en iras, la mort dans l’âme, pleurer sa perte pendant des années.
Pourquoi dans le chapitre III ne pas nous faire grâce d’un seul des auteurs étudiés par Herder ? […] Il devait considérer comme une grâce qu’on daignât encore en ce point demander sa permission. La crainte que lui inspirait la grâce de son rival luttait dans son cœur avec son amour pour lui. […] Qu’il le sache ou l’ignore, il vient de mettre en action, avec une hardiesse rare, la théorie de la grâce de Calvin. […] Pure grâce !
De ce minuscule ouvrage de poésies, souvent volontairement risquées et vraiment peu recommandables dans les couvents et dans les lycées, j’extrais une pièce qui m’a paru charmante de grâce et de forme ; elle est écrite sans prétention et rappelle par certains côtés la délicate manière de Murger et de Thiboust : Le Chat botté… Pas de nom d’auteur !
En poésie, comme ailleurs, rien de si périlleux que la force : si on la laisse faire, elle abuse de tout ; par elle, ce qui n’était qu’original et neuf est bien près de devenir bizarre ; un contraste brillant dégénère en antithèse précieuse ; l’auteur vise à la grâce et à la simplicité, et il va jusqu’à la mignardise et à la simplesse ; il ne cherche que l’héroïque, et il rencontre le gigantesque ; s’il tente jamais le gigantesque, il n’évitera pas le puéril. […] Charles Nodier, est un petit chef-d’œuvre de grâce et de gentillesse.
Coppée a fait représenter hier à l’Odéon plus de talent que dans cette comédie en cinq actes que je pourrais vous citer, si je ne craignais pas de chagriner l’auteur… Le Passant n’est pas une de ces pièces que l’on raconte ; c’est un poème auquel l’analyse ferait perdre la saveur et la grâce, une pure œuvre d’art que je vous engage à aller voir et que vous applaudirez certainement ; cela dure vingt minutes, vingt-cinq minutes au plus, et tout, depuis le premier vers jusqu’au dernier, vous charmera, je vous le jure… Enfin, voilà un début heureux au théâtre ; si M. […] Marcel Fouquier Plusieurs de ces poèmes de genre, de ces quadri, de ces croquis, sont enlevés de verve, avec une grâce très délicate ou une malice très « lyrique ».