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252. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

En regard de cet idéal, Rousseau place les gouvernements existants. […] « Un homme d’un vrai mérite, dit-il, est presque aussi rare dans un ministère qu’un sot à la tête d’un gouvernement républicain. » Et ailleurs : « Tout concourt à priver de justice et de raison un homme élevé pour commander aux autres. » S’agit-il des gouvernements en général, quelle qu’en soit la forme ? […] Mais l’autorité, dans l’idéal du gouvernement tracé par Rousseau, n’est rien. […] Les gens de bon sens, oui : ceux-là disent tout bonnement qu’un gouvernement qui veut des dieux ou seulement des héros est une absurdité. […] Au lieu de marier Emile, son gouverneur le fait voyager pendant trois ans, pour « l’instruire des diverses formes de gouvernement. » Enfin, voilà les deux amants de nouveau réunis et le jour du mariage arrivé.

253. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

En attendant, le gouvernement en France ne semblait pas à Lamennais marcher dans la bonne voie ; non que ce gouvernement fût le moins du monde libéral, mais même en essayant de faire rebrousser la société en arrière, le ministère Villèle était obligé de tenir compte des obstacles, des faits accomplis depuis 1789. […] C’est encore, à tout prendre, le pays où il y a le plus de vie… » Et ces mots ont d’autant plus de prix sous sa plume qu’il les faut détacher du milieu de toutes sortes de malédictions contre les gouvernements et les régimes sous lesquels il les écrivait. […] Je suis ami du gouvernement, je ne puis mettre mon nom à cette publication ; mais, comme l’affaire est commencée, je ne refuse pas mes presses.

254. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Dans ce statu quo de l’Ancien Régime, Portalis va jusqu’à penser qu’une législation uniforme, qui peut convenir à une cité et à un gouvernement de peu d’étendue, ne saurait s’appliquer dans la pratique à un grand État, composé de peuples divers, ayant des besoins et des caractères différents, des lois fondamentales antérieures, des capitulations et des traités « que les souverains sont dans l’heureuse impuissance de changer ». […] Portalis disait en termes exprès : « Dans une vaste monarchie comme la France, dont le gouvernement est à la fois commerçant, religieux, militaire et civil, et qui est composée de divers peuples gouvernés par des coutumes différentes, il est impossible d’avoir un corps complet de législation. » Cette possibilité d’un Code uniforme, il en doutera encore longtemps, et même sous le Directoire ; il ne prévoyait pas la main énergique et héroïque, l’épée toute-puissante sous laquelle il travaillerait en paix, pendant le Consulat, en tête du groupe des Prudents. […] Il insiste sur le grand point à ce moment, sur ce qui va indiquer tout d’abord de quelle qualité est la politique nouvelle qu’on va inaugurer : Tout ne se borne pas dans le moment à réparer des désastres, il faut encore former l’esprit public ; il faut rétablir la morale dans le gouvernement… L’iniquité est aussi mauvaise ménagère du crédit que de la puissance… Nos finances ne doivent point être arrosées du sang innocent. […] » Au point de vue politique toujours, il fait sentir les inconvénients d’un tel système pour le rôle de la France au-dehors et dans les relations internationales : Nos alliés, nos voisins, sont catholiques ou chrétiens ; chez les peuples modernes, la conformité des idées religieuses est devenue, entre les gouvernements et les individus, un grand moyen de rapprochement et de communication.

255. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Mais, dans cet état d’abstraction, d’abstraction, n’est qu’un système de gouvernement, une simple spéculation politique. […] Quand je parle de révolutions pour obtenir la liberté, je me place en quelque sorte dans une hypothèse spéculative ; je ne crois pas que les véritables gouvernements puissent être gratuitement oppresseurs, car ils ne peuvent vouloir que le bien de tous. […] Dans les gouvernements anciens, tous les hommes libres comptaient pour l’exercice des droits et des devoirs de la cité ; chez les Égyptiens tous étaient nobles : la roture, c’était l’esclavage. Dans les gouvernements qui ont suivi la chute de l’empire romain, le régime féodal est venu en quelque sorte ressaisir ceux que le christianisme avait affranchis.

256. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Fort bien pour Virgile qui est poëte, et poëte du gouvernement à Rome ; quant à moi, je demande une idée claire. […] Cela signifie que depuis cinq cents ans, les Français ont eu presque toujours des gouvernements presque absolus ; qu’étant vaniteux et sociables, ils ne savent pas inventer leurs opinions et leurs actions ; qu’étant théoriciens et moqueurs, ils font mal et respectent mal leurs lois ; qu’étant vifs et imprudents, ils se prennent d’enthousiasme et d’alarme trop vite, trop fort, et mal à propos, dans leurs résolutions et dans leurs révolutions. […] Étant donnés le climat, les aliments, le type héréditaire, l’espèce de gouvernement et de religion, l’aspect du sol et du ciel, on sait que cet amas de causes produit des gens d’imagination, ayant le don d’inventer et de contempler avec émotion de beaux systèmes de formes, de sons ou de couleurs. […] Art, littérature, philosophie, religion, famille, société, gouvernement, tout établissement ou événement extérieur nécessite et dévoile un ensemble d’habitudes et d’événements intérieurs.

257. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

L’Académie des Inscriptions avait proposé d’examiner quel était, à l’avénement de saint Louis, l’état du gouvernement et de la législation en France, et de montrer, à la fin du même règne, ce qu’il y avait d’effets obtenus et de changements opérés par les institutions de ce prince. […] D’autres auraient pu croire qu’il suffisait, en commençant, d’exposer la situation du royaume, l’état de l’administration, le système des lois politiques, civiles et pénales, au moment où saint Louis arriva au trône ; l’Académie n’en demandait pas davantage ; mais l’esprit du jeune écrivain était plus exigeant : de bonne heure attentif à remonter aux causes, à suivre les conséquences, à ne jamais perdre de vue l’enchaînement, il se dit que l’influence et la gloire de saint Louis consistaient surtout dans l’abaissement et la subordination du régime féodal, et il rechercha dès lors quel était ce gouvernement féodal dans ses origines et ses principes, comment il s’était établi, accru, et par quels degrés, ayant atteint son plus grand développement, il approchait du terme marqué pour sa décadence. […] Ils étaient très-convaincus à l’avance de l’impossibilité radicale qu’il y aurait pour les Bourbons à accepter les conditions du gouvernement représentatif, du moment que ces conditions s’offriraient à eux dans toute leur rigueur, c’est-à-dire le jour où une majorité parlementaire véritable voudrait former un cabinet et porter une pensée dirigeante aux affaires. Ces deux jeunes esprits entraient dans la lutte bien persuadés que la dynastie (par suite de toutes sortes de raisons et de circonstances générales ou individuelles dont ils n’étaient pas embarrassés de rendre compte) ne se résignerait jamais à subir le gouvernement représentatif ainsi entendu, et dès lors ils tenaient pour certaine l’analogie essentielle qui se reproduirait jusqu’à la fin entre la révolution française et la révolution d’Angleterre, et qui amènerait pour nous au dernier acte un changement de dynastie. […] Dans le discours qu’il adressait à Léon X sur la réforme du gouvernement de Florence, ce grand homme (Machiavel) disait : « Les hommes qui, par les lois et les institutions, ont formé les républiques et les royaumes, sont placés le plus haut, sont le plus loués après les dieux. » En étudiant d’original cette variété de personnages qui viennent comme témoigner sur eux-mêmes dans le Recueil de M.Mignet, on en rencontre un pourtant, une seule figure à joindre à celles des grands politiques intègres et dignes d’entrer, à la suite des meilleurs et des plus illustres de l’antiquité, dans cette liste moderne si peu nombreuse des Charlemagne, des saint Louis, des Washington : c’est Jean de Witt, lequel à son tour a fini par être mis en pièces et dilacéré au profit de cet autre grand politique moins scrupuleux, Guillaume d’Orange ; car ce sont ces derniers habituellement qui ont le triomphe définitif dans l’histoire.

258. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

« Ce gouvernement d’une république fédérative par une théocratie sacrée et centrale, continue le philosophe allemand, était le plus idéal des gouvernements. Quant à moi, j’avoue que je souhaiterais pour tous une telle Constitution, car elle seule réalise ce que tous les hommes désirent, ce que tous les politiques sages ont cherché à leur donner, ce que Moïse seul sut concevoir et exécuter, c’est-à-dire une organisation sociale qui fait comprendre au peuple que c’est « la loi, et non l’homme, qui règne, que la nation doit librement accepter ce gouvernement divin de la raison et de la loi, et l’exercer sans tyrannie, que nous n’avons pas été créés pour être enchaînés et contraints comme des esclaves, mais pour être guidés et conseillés par une puissance invisible, sage et providentielle. » Telle était la Constitution théocratique de Moïse. […] VII L’orageuse liberté du gouvernement républicain, sous les Juges, a fatigué le peuple d’Israël. Les prêtres, pour s’appuyer sur un pouvoir unitaire qui leur sera à la fois secourable et asservi, à l’imitation du gouvernement égyptien, ont donné des rois au peuple.

259. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Ils ne s’y donnèrent d’autre gouvernement que leurs mœurs, une espèce de république d’abeilles humaines, où le travail et la fortune firent les rangs, où l’autorité et le peuple démocratique luttaient quelquefois, s’entendaient le plus souvent, dans des élections turbulentes et où la popularité flottante créait et renversait tour à tour les grands citoyens et leurs partis. […] Ces inquiétudes étaient justifiées, à quelques égards, par les infirmités qui affligèrent Pierre pendant le petit nombre d’années qu’il fut à la tête du gouvernement de la république ; mais les talents de Laurent dissipèrent bientôt ces nuages d’un moment, et élevèrent sa famille à un degré d’illustration et d’éclat dont il est probable que Côme lui-même avait eu peine à se former l’idée. » VIII Bien qu’il fût âgé de soixante et quinze ans, sa taille élevée, la majesté de ses traits, la grâce de son visage, si conforme au titre de Père de la patrie que les Florentins avaient d’eux-mêmes ajouté à son nom, la bienveillance de son accueil, la cordialité de son amitié le rendaient aussi agréable que dans sa belle jeunesse. […] Laurent, que la faiblesse et l’infirmité de son père avaient mêlé au gouvernement, fut accompagné au Palais-Vieux, siège du pouvoir de la république, par les nombreux amis de sa maison. Ils le conjurèrent de prendre la direction du gouvernement comme de son patrimoine ; il sentit qu’il ne pouvait impunément l’abdiquer. […] XII La passion de Laurent pour les lettres et surtout pour Platon, apôtre de Socrate, se mêlait à ses soins pour le gouvernement.

260. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

La pratique du gouvernement représentatif, où tous les ressorts d’une grande société sont mis au jour, nous a persuadé que nous sommes très bons juges de la politique, que nous n’ignorons pas la guerre, que nous nous entendons en finances et en administration, que rien ne nous échappe des rapports de la fortune publique avec l’esprit général du gouvernement. […] Tout ce que le lecteur voulait voir, il le voit : où il y avait des ruines, une résurrection ; où il n’y avait rien, des créations durables ; le jeu rendu à tous les ressorts de la machine ; les mêmes hommes qui hors de leur place troublaient l’État, à leur place le raffermissant et l’illustrant ; la fonction du gouvernement exercée par celui auquel elle appartenait, et qui avait, comme tout exprès, l’amour de la gloire, si inséparable de l’idée du bien public, que je n’oserais pas le mettre au-dessous de l’amour du devoir. Il reste de tout cela, comme impressions dernières, l’idée de ce que chacun doit à l’État et de ce que l’État doit à tous, le patriotisme, le goût du grand, qui est l’utile sous sa forme la plus élevée, l’admiration pour les grands hommes, avec une justice particulière pour ceux qui ont le génie du gouvernement, et qui sont chargés de la triple tâche de conserver, de faire marcher et de perfectionner la machine. […] C’est une société libre, non par les vertus de la nation, mais par la facilité de son gouvernement ; non par l’obéissance à des lois sévères, mais par des lois qui exigent peu des hommes.

261. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

De là l’impopularité nécessaire de tout pouvoir et la position fatale faite à tout gouvernement. […] Tout gouvernement devient ainsi, par la force des choses, un point de mire exposé à tous les coups et est fatale-ment condamné à ne pouvoir remplir sa tâche. […] Nous voulons établir partout le gouvernement qui nous convient et auquel nous avons droit. […] Au point de vue de l’espèce, le gouvernement et l’inégalité se comprennent. […] Notre petit système de gouvernement bourgeois, aspirant par-dessus tout à garantir les droits et à procurer le bien-être de chacun, est conçu au point de vue de l’individu et n’a pu rien produire de grand.

262. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Cela nous prépare à cet autre mot de Saint-Just en 1793 : « Marat avait quelques idées heureuses sur le gouvernement représentatif, que je regrette qu’il ait emportées. » Mais, je le répète, à cette date de 1791, Saint-Just n’est pas encore formé, et il cherche sous ses airs didactiques à donner une expression arrêtée à des idées incohérentes. […] Saint-Just sent très bien de bonne heure qu’il n’y a qu’un gouvernement fort qui puisse porter remède aux désastres de l’anarchie, et en cela il s’élève au-dessus du commun des démagogues : « Lorsqu’un peuple n’a point un gouvernement prospère, c’est un corps délicat pour qui tous les aliments sont mauvais. » Ce gouvernement meilleur et plus ferme, il va le chercher non dans la Convention même où l’on parle trop pour cela (et il est impossible, pense-t-il, que l’on gouverne sans laconisme), mais dans les Comités, en les résumant le plus possible dans la personne de deux ou trois chefs influents, parmi lesquels il se compte. […] À part cette idée de gouvernement fort, dont il abuse et qu’il pervertit au gré de ses sophismes et de sa passion ; toute la doctrine politique de Saint-Just n’est qu’un délire.

263. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Les gouvernements nommaient à cette fonction sacrée les hommes qu’ils croyaient le plus dignes de cette judicature de la tombe, de cette magistrature de la vérité. […] Mais les gouvernements anciens n’eurent que la moitié d’une grande pensée.

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