Un homme de cet acabit, en effet, un égoïste à la fois si oublieux, a gardé jusque dans son calcul des portions de naïveté, d’inadvertance, d’ignorance de soi, de confiance et de persuasion en sa faveur, qui le garantissent de toute action noire, basse ou fausse : il y a donc lieu, malgré tout, à l’indulgence. […] Tous les autres, et ceux qui sont nés et venus trop tard pour connaître M. de Chateaubriand, et ceux qui, ne l’ayant connu que tard, ne l’ont vu que sous sa dernière enveloppe moins transparente qu’autrefois, ne sauraient demander mieux ni davantage, ce me semble : le Chateaubriand primitif, et aussi le Chateaubriand social est expliqué, après qu’on a lu cette lettre ; et d’après ce qu’on y lit même, on voit qu’il gardait jusque dans son égoïsme naïf bien du bon encore, surtout de l’aimable, du séduisant ; je ne l’ai jamais nié.
Mais en même temps, par un fonds d’ancienne humeur franche, ce bon peuple avait gardé ses facultés légères et pénétrantes, sa grâce amoureuse, son rire prompt et subtil, et ses retours épicuriens jusqu’au sein des publiques douleurs. […] Pour achever le contraste, tandis que les génies poétiques de ce temps trahissent, presque tous, en leurs vers une allure plus ou moins aristocratique, soit par culte de l’art, soit par prédilection du passé féodal, soit par mystérieuse chasteté d’idéal dans les sentiments du cœur, Béranger est le seul poëte qui, indépendamment même du choix des sujets, ait gardé la rondeur bourgeoise, l’accent familier, la tournure d’idées ouverte et plébéienne ; par où encore il semble descendre en droite ligne de cette forte lignée à tempérament républicain, qu’on suit, sans hésiter, dans les trois derniers siècles, et de laquelle étaient Étienne de La Boëtie, les auteurs de la Ménippèe, Gassendi, Guy Patin, Alceste un peu je le crois, et beaucoup d’autres.
On a retrouvé un de ses premiers jets, et l’on a vu que la fable achevée n’a gardé que deux vers de la fable ébauchée. […] Même en ses polissonneries il se préservait de tout mot grossier, il gardait le style de la bonne compagnie.
Paris attirait les étrangers, qui ne venaient pas seulement en dévorer les beautés extérieures et les plaisirs publics : ils voulaient vivre de sa vie, être admis dans ces salons que toute l’Europe connaissait, et dont ils gardaient toute leur vie l’éblouissement. […] Il est érudit, liseur, penseur, paradoxal avec délices, prophète tour à tour lucide et saugrenu : esprit fin, plaisant, bouffon, ayant gardé dans son style un peu de cet accent napolitain, de cette gesticulation effrénée, qui rendaient sa conversation si amusante.
Dans les besognes écrites auxquelles la vie réduit ceux d’entre nous qui ne sont pas nés avec des rentes ou qui n’ont pas su les garder, nous n’ignorons pas ce qu’il faut, improprement d’ailleurs, entendre par simplicité : c’est le fameux « style coulant », Vous ne parlez pas de cette simplicité-là. […] Die lui à nous, l’écart s’accentue sans cesse : et veuillez le remarquer, notre langue même, si nous la gardons pure, l’éloigne de nous, car il a peu à peu perverti l’instrument merveilleux et ne sait plus guère se repaître que de termes impropres et de métaphores mal faites, des choses sans nom.
Elle appartient au cycle de La fille qui fait trois jours la morte pour son honneur garder : Où sont les rosiers blancs, La belle s’y promène, Blanche comme la neige, Belle comme le jour, A qui trois capitaines Ont voulu faire l’amour. […] La belle se réveille, Disant : — Courez, mon père, Ah, courez me venger, J’ai fait trois jours la morte, Pour mon honneur garder.
Ainsi, — pourvu néanmoins qu’on ne cherche pas dans des pays et dans des faits qui appartiennent à l’histoire, ces impressions surnaturelles, ces grossissements chimériques que l’œil des visionnaires prête aux faits purement mythologiques ; en admettant le conte et la légende, mais en conservant le fond de réalité humaine qui manque aux gigantesques machines de la fable antique, — il y a aujourd’hui en Europe un lieu qui, toute proportion gardée, est pour nous, au point de vue poétique, ce qu’était la Thessalie pour Eschyle, c’est-à-dire un champ de bataille mémorable et prodigieux. […] Ainsi, toute proportion gardée, et en supposant qu’il soit permis de comparer ce qui est petit à ce qui est grand, si Eschyle, en racontant la chute des titans, faisait jadis pour la Grèce une œuvre nationale, le poëte qui raconte la lutte des burgraves fait aujourd’hui pour l’Europe une œuvre également nationale, dans le même sens et avec la même signification.
On étoit étonné de voir son adversaire garder si longtemps le silence : mais il étoit alors mourant d’une maladie de poitrine. […] L’un & l’autre y sont arrêtés & gardés à vûe.
gardez-vous de laisser traîner sur le tapis… de la confiance les idées dont vous comptez le nourrir. […] monsieur le procureur général, mais je vous avais prévenu, ce me semble, que je désirais garder l’incognito.
La coquette et la modiste qui sont dans toute femme, c’est-à-dire la femme vraie, qui remonte toujours à la surface dans le bas-bleu, a gardé, malgré son mystique amour pour les choses sidérales et immortelles, le goût incorrigible (heureusement !) […] … Les femmes, en voyant tant de grimaces d’esprit enlaidissantes, tant de disgrâce voulue, tant de recherche et de gaucherie, en seront-elles plus femmes et garderont-elles leur second charmant petit sexe contre ce troisième grand sexe du bas-bleu, qui a toujours manqué le premier ?
Elle est une perfection, cette jeune personne que le roman s’est bien gardé de faire jolie, pour mieux mettre en relief l’influence, toute seule, de la vertu. […] Certes, il vaudrait mieux garder sa quenouille, mais y a-t-il des quenouilles à présent ?
Elle imite en cela madame de Staël, dont le talent a bien gardé quelque peu de l’amphigouri de Thomas, qui l’avait bercée, quand elle s’écriait un beau soir, à une représentation de Talma, qu’elle « lui voyait positivement des étoiles autour de la tête ». […] De toutes les facultés qui la distinguaient, elle n’a gardé que les inférieures, la mémoire, et cette imitation facile que les bêtes partagent avec l’homme.